MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 30 avril 2012

P. 139. Du papier bible pour l'antisémite Drieu la Rochelle

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Drieu la Rochelle et son linceul luxueux dans La Pléiade, 1936 p. (DR).

Alors que se déroule le premier tour des élections présidentielles en France, le père Le Pen rend un hommage officiel à Brasillach (1). Des célinolâtres se réjouissent de voir la démocratie française s'enfoncer dans un improbable voyage au bout d'on ne sait trop quelle nuit toujours plus à l'extrême droite. Et les éditions de La Pléiade frappent un grand coup médiatique : un blanchiment du fasciste Drieu la Rochelle.

L’Editeur :


- "Toujours incertain de lui-même, Drieu s’est mis à la merci de ses contemporains. C’est peut-être cette même incertitude de soi qui permet qu’aujourd’hui l’on s’attache à lui."

Bernard Morlino :


- "… Entrée des romans de Pierre Drieu La Rochelle dans La Pléiade, chez Gallimard. La polémique sera au rendez-vous : pour ou contre ? Par son suicide, Drieu s’est lui-même condamné. Après avoir déjà publié son Journal (1939-1945) - qui comporte plusieurs passages d’une grande bassesse - Gallimard publie une partie de l’oeuvre romanesque qui mérite qu’on s’y arrête. Une partie de Drieu m’écoeure mais je n’arrive pas à le détester totalement car on ne peut pas classer la période de l’Occupation en deux parties, avec les bons et les méchants. A la Libération, beaucoup d’écrivains se sont confectionnés une panoplie littéraire sur mesure. Loin d’être un héros, comme le trop injustement méconnu Jean Prévost, Drieu n’a pas cessé de nous livrer toutes ses contradictions. C’est néanmoins le contraire d’un imposteur. Désespéré chronique. Excessif en tout."
(21 avril 2012, le blog de Morlino).

Rue 89 :


- "Drieu la Rochelle, un collabo dans La Pléiade."
(10 avril 2012).

Aude Lancelin :


- "La promotion imminente de Drieu, un symptôme ? C'est aussi l'avis de l'historien Fabrice d'Almeida. « Ce que l'Italie a fait politiquement avec la Ligue du Nord et Gianfranco Fini, réintroduire le fascisme dans le jeu, la France est en train de le réaliser culturellement. On réhabilite le maurrassien Jacques Bainville, on célèbre Drieu... A l'évidence, ce qui se joue là n'est pas purement d'ordre stylistique. » Autre historien, Michel Winock, auteur de plusieurs études de référence sur le fascisme de Drieu La Rochelle, confie la même stupéfaction. « Cette mise à l'honneur est très étonnante. Maurice Barrès, la grande référence de ces années-là, celui qui les irrigue tous, n'est même pas en Pléiade et on y inscrit Drieu... Il y a forcément de quoi réfléchir. » En attendant, la maison Gallimard se dit très sereine. Né il y a quatre ans, ce projet n'a pas soulevé la moindre objection en interne et, jusqu'à aujourd'hui, personne n'avait appelé pour s'étonner. Ou plutôt si. Un critique du Figaro, il y a quelques jours... peiné qu'on ne republie pas l'intégralité des romans de Drieu.
(28 janvier 2012, Marianne).

En 1992, Pierre Nora, directeur de la collection "Témoins" chez Gallimard, décrivait Pierre Drieu la Rochelle, sous les traits d'un "personnage devenu mythique". Ajoutant : "on l'acquitte sans trop aller y voir".
Tandis que La Pléiade emballe le mythe dans du papier bible, nous avons préféré suivre le conseil de Pierre Nora. Pour se retrouver à patauger dans l'antisémitisme imprégnant le Journal (1939-1945) de Drieu la Rochelle (2).


Novembre 1941. A droite sur la photo, Drieu la Rochelle de retour d'un voyage de propagande à Weimar (Doc. JEA/DR).

Abécédaire antisémite du Journal de Drieu la Rochelle


Célébrités

- "Georges Auric. Je sens chez lui cette tendance sourde et invincible que je sens chez tout Juif ou judaïsé : sa femme est juive et naïvement judaïsante." (24 octobre 1939, p. 107).
- "Blum. Juif boulevardier." (28 juin 1940, p. 258).
- "Affreux Juif : Georges Boris." (15 mai 1940, p. 198).
- "Le Juif larbin Crémieux (3)." (3 janvier 1940, p. 136).
- "de Jouvenel. Demi-juif c'est-à-dire deux fois plus juif car l'empreinte dans la chair aryenne prend un relief extraordinaire." (21 mai 1940, p. 210).
- "La sinistre figure juive de Frossard, demi-juif, ex-agent de Moscou, bas politicien véreux." (2 mai 1940, p. 179).
- "Laval, ce métisse de Juif et de Tzigane, ce débris fait derrière une roulotte." (8 novembre 1942, p. 303).
- "Le Juif Mandel Rothschild (4), le plus grand recruteur des nègres et des bicots." (6 décembre 1939, p. 124).
- "Marat est juif." (3 janvier 1940, p. 137).
- "[Gaston] Palewski. Juif polonais (récemment naturalisé ?)." (21 mars 1940, p. 164).
- "Weygand. Un larbin juif qui imite son maître [Pétain]." (20 mai 1940, p. 209).

Ecrivains

- "Il n'y a pas un grand écrivain juif en France." (2 février 1940, p. 146).
- "Aragon doit donc être juif.(5)" (17 octobre 1939, p. 103).
- "Le vieux Juif Benda." (3 janvier 1940, p. 136).
- "Claudel, l'ennemi de Voltaire, a servi le gouvernement maçon et les Juifs." (4 mai 1942, p. 295).
- "Et Gide avec tous ses amis Juifs allemands et ses pédérastes émigrés ?" (21 juin 1940, p. 246).
- "Maurois et Bernstein. Ces Juifs écriront en anglais aussi facilement et aussi platement qu'en français." (21 juin 1940, p. 245).
- "Demi-juif comme Proust ?" (2 février 1940, p. 146).
- "Le feux génie juif Suarès." (3 janvier 1940, p. 136).
- "Elsa Triolet, Juive bolchevique et de guépéou." (19 avril 1940, p. 176).
- "Ce Juif roumain Tristan Tzara." (24 octobre 1939, p. 109).

Europe

- "L'eugénisme dans une Europe nettoyée des Juifs, des bicots et des nègres." (21 mai 1940, p. 211).
- "L'hitlérisme aura tout de même éveillé la conscience européenne sur le problème juif, sur le problème de l'unité de l'Europe et aura avancé les affaires du socialisme. Il aura aussi introduit le sport dans la vie de l'Etat." (16 novembre 1942, p. 308).

France

- "L'Allemagne pourra cueillir avec cent mille hommes une France achevée par sa dernière reprise de démocratie. Les Juifs la lui livreront." (6 décembre 1939, p. 125).
- "Sans les Juifs, le royaume angevin pourrait redevenir une pureté." (28 mars 1940, p. 167).
- "Il y a des moments où je suis près de désespérer de la France quand je la vois tomber si irrémédiablement aux mains de la clique franc-maçonne et juive." (29 avril 1940, pp 178-179).
- "La France est une république judéo-française. Chaque corporation, chaque institution a ses Juifs." (7 mai 1940, p. 184).
- "Pauvre France qui as besoin de ministres juifs et de soldats nègres." (9 juin 1940, pp 238-239).
- "La restauration juive à Paris sera admirable (...). La France a montré de grandes dispositions à la bassesse sous les Allemands, mais que sera-ce sous les Juifs revenus !" (9 novembre 1942, p. 305).

Français

- "On commence à craindre en haut lieu la trahison massive des Juifs allemands réfugiés. A l'Intérieur, on estime que 90% sont suspects (6).
C'est effrayant de voir des Français chez eux trembler de parler entre eux de ces intrus. Beaucoup secrètement souhaitent la victoire de Hitler qui les en délivrera." (5 octobre 1939, p. 89).
- "Je me demande ce que serait la France en face de l'Allemagne sans les Juifs. Sans doute les Français devenus nonchalants s'en remettent aux Juifs de cette agressivité : s'il n'y avait pas de Juifs, certains Français rempliraient leur office." (17 octobre 1939, p. 101).

Juifs

- "Les Juifs du Figaro (...). Il est caractéristique que ce journal mondain soit aux mains d'un maquereau juif roumain." (2 février 1940, p. 145).
- "Les Juifs sont des bâtards d'Aryens, de Sémites et d'Arméniens. - Cela prouve aussi que la destinée juive n'est pas exceptionnelle (aussi les tziganes)." (4 janvier 1942, p. 286).
- "Le malheur des Juifs, ce n'est pas seulement d'avoir été racistes et d'avoir enseigné le racisme aux autres, c'est d'avoir lié leur sort au libéralisme, au rationalisme, au matérialisme, aux doctrines du XVIIIe et du XIXe." (4 janvier 1942, p. 285).
- "Si Staline sacrifiait les Juifs à l'alliance des Hitlériens de gauche ?" (10 mai 1942, p. 296).
- "Je hais les Juifs. J'ai toujours su que je les haïssais." (8 novembre 1942, p. 302).
- "Je ne veux plus de la démocratie et le communisme ne voudra pas de moi. En voudrais-je ? Non, c'est choisir entre deux groupes de Juifs." (9 novembre 1942, p. 305).

Juive, demi-Juive

- "Hier, une Juive vient me voir. Je ne me vois pas tout de suite qu'elle est juive (...). Puis un mot lui vient. Elle prétend que Franco n'est qu'un massacreur. Je tressaille, je la regarde mieux. Je vous ce gros oeil un peu dilaté, un peu exorbité, trop bleu, fixe, cette courbure moutonnière, cette mâchoire un peu lourde et déformée, ces dents un peu africaines, ces cuisses mal attachées au bassin." (13 octobre 1939, p. 94).
- "Nous passâmes la nuit dans une ravissante maison au bord de la Dordogne, chez une demi-Juive objet de mes mépris après avoir été ma maîtresse quelque temps." (20 juin 1940, p. 242).


Mars 1943. Manuscrit de Drieu : "Nos nigauds, libéraux et démocrates..." (Doc. JEA/DR)

Où ?

- "Où mettra-t-on les Juifs ? " (3 juillet 1940, p. 260).


NRF

- "Je suis bien décidé à ne plus mettre les pieds à la N.R.F. où dominent les Juifs, les communistes, les anciens surréalistes et toutes sortes de gens qui croient en principe que la vérité est à gauche." (19 avril 1940, p. 176).
- "Quant à la N.R.F. elle va ramper à mes pieds. Cet amas de Juifs, de pédérastes, de surréalistes timides, de pions francs-maçons, va se convulser misérablement." (21 juin 1940, p. 246).

Palestine

- "Histoire juive qui me fut racontée par un Juif : Dans un conseil d'administration, trois Juifs et deux chrétiens. L'affaire marche bien (...). Les deux chrétiens meurent et sont remplacés par deux Juifs. L'affaire périclite. Les Juifs en sont réduits à se critiquer entre eux, ils se chamaillent et se perdent. Voir la pagaye en Palestine."
(14 mars 1940, p. 159).

Parabole

- "La situation des Juifs dans un pays me donne toujours l'idée de cette parabole. Une famille est réunie dans sa maison. On frappe à la porte. Entre un inconnu qui demande l'hospitalité ! Son air étranger étonne, mais on le reçoit. Il reste. Après le couvert, c'est le lit qu'il réclame, puis bien d'autres choses. Après avoir apitoyé ou amusé, il agace, importune, puis encombre et effraie. On le rabroue, il se cabre et vous traite d'inhumain."
(9 mai 1940, p. 188).

Vérole

- "Tout ce monde radical et socialiste est vérolé de Juifs et de Juives. Que pense un franc-maçon qui se sent livré aux Juifs ? Il en prend son parti, crâne et s'exerce à les aimer."
(13 octobre 1939, p. 94).


Membre du Parti Populaire Français, Drieu ne pouvait qu'encenser le "chef" Doriot (Doc. JEA/DR).

NOTES :

(1) Brasillach décrit par Drieu :
- "Il y a des pédérastes, des gousses et des opiomanes de droite : Brasillach." (24 octobre 1939, p. 108).

(2) Pierre Drieu la Rochelle, Journal, 1939-1945, Présenté et annoté par Julien Hervier, Col. Témoins Gallimard, 2009, 520 p.
Les références de l'abécédaire antisémite dressé ici, se rapportent à ce Journal.

(3) Benjamin Crémieux (1888-1944). Ecrivain. Déporté racial mort à Buchenwald.

(4) Georges Mandel (1885-1944). Ministre de l'Intérieur en 1940. Interné par Vhicy qui le livra aux Allemands. Ceux-ci finirent par le remettre à la Milice qui l'assassina le 7 juillet 1944.

(5) Ses obsessions morbides lui font dénoncer à tort Aragon, Laval, Marat, Gaston Palewski et Weygand comme présentant des origines juives.

(6) Des juifs ayant fui l'Allemagne et l'Autriche pour se réfugier en France, furent internés dans des camps à la sinistre réputation amplement méritée tels Milles, Gurs, Le Vernet et Saint-Cyprien...

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jeudi 26 avril 2012

P. 138. Ferrat interdit d'ORTF pour cause de "Potemkine"...

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Fac-similé de la lettre ouverte par laquelle de grands noms de la chanson française marquent leur solidarité avec Jean Ferrat, le 26 avril 1965 (Doc. JEA/DR).

1965. Des responsables gaullistes ont dédouané une France très majoritairement passive pendant l'occupation pour la repeindre avec des couleurs plus honorables, plus valorisantes et plus exaltantes : celles de la Résistance. Tandis que des responsables communistes exigent le label de "parti des fusillés" pour le PCF tout en jetant aux oubliettes les chefs de leurs réseaux.
Aux militants sincères des deux bords de s'y retrouver.
Les Gaullistes sont au pouvoir. Ils l'exercent y compris avec le bras armé des ciseaux de la censure. Sans épargner le monde des arts. Surtout si des communistes s'y illustrent.

1965. C'est dans ce contexte d'une France divisée en deux, n'imaginant pas d'alternance politique à court ni à moyen terme, que Jean Ferrat a composé, sur des paroles de Georges Coulonges, une chanson qui va bien malgré elle, servir de révélateur. Une révolution perdue et bien dépassée puisque datant de 1905, reste un cadavre qui ne doit plus bouger...

"Potemkine"


La version retenue à l'origine pour ce blog : Ferrat chantant sur des images du film d'Eisenstein (1915), semble ne pouvoir être visionnée en France. D'où cette autre version, avec l'espoir qu'elle pose moins de problèmes.

- "M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Qui chante au fond de moi au bruit de l'océan
M'en voudrez-vous beaucoup si la révolte gronde
Dans ce nom que je dis au vent des quatre vents

Ma mémoire chante en sourdine
Potemkine

Ils étaient des marins durs à la discipline
Ils étaient des marins, ils étaient des guerriers
Et le cœur d'un marin au grand vent se burine
Ils étaient des marins sur un grand cuirassé

Sur les flots je t'imagine
Potemkine

M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Où celui qui a faim va être fusillé
Le crime se prépare et la mer est profonde
Que face aux révoltés montent les fusiliers

C'est mon frère qu'on assassine
Potemkine

Mon frère, mon ami, mon fils, mon camarade
Tu ne tireras pas sur qui souffre et se plaint
Mon frère, mon ami, je te fais notre alcade
Marin ne tire pas sur un autre marin

Ils tournèrent leurs carabines
Potemkine

M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Où l'on punit ainsi qui veut donner la mort
M'en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Où l'on n'est pas toujours du côté du plus fort

Ce soir j'aime la marine
Potemkine..."

Le pouvoir et ses censeurs prendront Ferrat au pied de la lettre. Ils lui en voudront tellement que toute tentative de défense de sa part relèvera du dialogue de sourds. Tel celui-ci avec un adjoint à la direction de l'ORTF :

ORTF : Nous sommes désolés, M. Ferrat... Personnellement j'aime beaucoup votre chanson, mais il nous est impossible de la diffuser actuellement sur les ondes...
Jean Ferrat : Pourquoi ?
ORTF : Comprenez-nous : nous sommes en période électorale... Après le 5 décembre, si vous voulez... car les paroles...
JF : Ont-elles quelque chose de répréhensible ? de scandaleux ?
ORTF : Je ne dis pas ça... Mais nous avons déjà eu l'affaire Bécaud avec "Vous le regretterez "...
JF : Ce n'est pas comparable. Elle parle d'un fait historique vieux de 60 ans ! Elle n'a rien à voir avec la campagne électorale.
ORTF : Chantez autre chose ...
(NB : la chanson de Bécaud, elle, cirait les chaussures de De Gaulle).


De Marcel Amont à Cora Vaucaire et à Claude Vinci, les artistes ayant pris la défense de Jean Ferrat face au mur de l'ORTF (Doc. JEA/DR).

La censure n'en était pas à son premier essai. En 1963, elle avait déjà prouvé et sa redoutable bêtise et sa provisoire efficacité.
Jean Ferrat était le fils de Macha Tenenbaum, d'origine russe mais naturalisé français. Juif arrêté en cette qualité, interné à Drancy avant d'être déporté (n°6 de la liste 4) vers Auschwitz par le convoi 39 du 30 septembre 1942. Victime de la Shoah.
Enfant caché, orphelin d'une victime du judéocide, Jean Ferrat parvint à dépasser son histoire personnelle pour composer une chanson à la mémoire de tous les déportés que le nazisme voulut réduire en cendres.
1963 sera donc l'année de son "Nuit et brouillard". Mais alors, de Gaulle, lui, fait de la vraie, de la haute politique. Il recherche un rapprochement franco-allemand. Ce n'est pas le moment de laisser une petite chanson parasiter le grand bal feutré des chancelleries.
Le pouvoir et ses serviteurs "déconseillent" donc la diffusion de "Nuit et Brouillard" pour cause d'"inopportunité". Auteur mettant des gants pour ne pas laisser trop transpirer son malaise, Jacques Pessis excuse cette réal politique par ces mots :
- "Sans doute pour ne pas poser de problème au général De Gaulle à l’heure d’une réconciliation franco-allemande"... (Chronique de la chanson française, Ed. Chronique-Dargaud, 2003).


Fac-similé de la liste du convoi 39 : Macha Tenenbaum, né le 15 août 1886 à Ekatérinoslaw, de nationalité française, domicilié 3 avenue de St-Cloud à Versailles, bijoutier (Doc. JEA/DR).

Nuit et brouillard :

- "Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent

Ils se croyaient des hommes, n'étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu'une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été

La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d'arrêts et de départs
Qui n'en finissent pas de distiller l'espoir

Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou
D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux

Ils n'arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux
Ils essaient d'oublier, étonnés qu'à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues

Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers

On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours
Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire
Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare

Mais qui donc est de taille à pouvoir m'arrêter ?
L'ombre s'est faite humaine, aujourd'hui c'est l'été
Je twisterais les mots s'il fallait les twister
Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez

Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent..."


Les tentatives de mise en sourdine restèrent vaines. Le public empêcha cette chanson d'être abandonnée aux oubliettes...

1963, 1965, jamais deux sans trois !
En 1966, Jean Ferrat est à nouveau interdit des plateaux des mass media
. La raison ? Il vient de poser sa candidature sur la liste communiste aux élections municipales d’Antraigues-sur-Volane, village d’Ardèche, dans cette montagne qu'il a chanté comme personne...
La médiocrité, la mesquinerie ont la rancune bétonnée !

Cette page concrétise une promesse exprimée voici près d'une année à Colo et à ma "soeur" Viviane.


Partition de "Nuit et brouillard" (Doc. JEA/DR).

Autres "artistes de variétés" sur le phono de ce blog :

- P. 48. Graeme Allwright, P. 27 et P. 85. Barbara, P. 90. Julos Beaucarne, P. 15. Bourvil, P. 43. Georges Brassens, P. 27. Jacques Brel, P. 85. Robert Charlebois, P. 48. Leonard Cohen, P. 48. Judy Collins, P. 50. William Dunker, P. 27. Thomas Dutronc, P. 110. El Gusto, P. 15 et P. 85. Léo Ferré, P. 48. Françoise Hardy, P. 85. Félix Leclerc, P. 85. Philippe Léotard, P. 63. aLLain Leprest, P. 55. Paul Louka, P. 48. Maurane, P. 27. Melanesian Choirs, P. 27. Claude Nougaro, P. 27. Nicole Obele, P. 95. Michel Polnareff, P. 72. Cora Vaucaire, P. 85. Gilles Vigneau.


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lundi 23 avril 2012

P. 137. Nana, le film de Valérie Massadian

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EPICENTRE films.

Synopsis :

- "Nana a quatre ans et vit dans une maison de pierres par delà la forêt. De retour de l’école, une fin d'après-midi, elle ne trouve plus dans la maison que le silence. Un voyage dans la nuit de son enfance. Le monde à sa hauteur."

Valérie Massadian :

- "Je voulais filmer l'enfant, la filmer elle. J'ai passé énormément de temps seule avec Kelyna. Temps nécessaire pour s'apprivoiser mutuellement. S'entendre, comprendre où se trouvait son acharnement, ce qu'elle aimait, sa rythmique, ce qui était pour elle un défi, là ou elle s'ennuierait... Je n'avais qu'une obsession en tête face à elle et ses quatre ans, ne pas imposer mes mots, mes gestes, mes idées ou mes émotions de réalisatrice, ne pas la trahir parce que je la respecte énormément. Si Kelyna avait dit une seule chose soufflée par moi, Nana serait un autre film, et sûrement pas celui que je voulais essayer de faire. Pour Kelyna, faire un film c'est un jeu, c'est passer du temps avec moi."
(Interview par Gregory Coutaut, FdC).

- "C’est drôle, parce que les enfants et les adultes réagissent au film de manière diamétralement opposée. Là où les adultes voient un drame, une histoire triste, les mômes voient le contraire. Ils s’approprient l’énergie de Kelyna. Quand elle se retrouve toute seule, on ne sait pas ce qu’est devenue sa mère : est-ce qu’elle est morte… est-ce qu’elle est partie… ça n’a pas vraiment d’importance. Ce qui compte, c’est la force de Kelyna, son acharnement, la façon dont elle conquiert le monde. Je voulais filmer l’effort, ce corps d’enfant d’une puissance incroyable, alors que la plupart du temps, on représente les mômes comme de petites choses fragiles qu’ils ne sont pas.
J’avais pensé à une structure plus narrative, plus explicative, et puis j’ai renoncé. Quand on est devant une peinture, ce n’est pas dictatorial. On se débrouille avec son imagination. J’aime que ce soit pareil au cinéma. Nana est entre le réel et la fiction : à la place du conte, de la culture orale.
(Interview par Cécile Mury, Télérama, 12 avril 2012).


Nana - Kelyna Lecomte (DR).

Jean-Marc Lalanne :

- "Lorsqu’on lui demande d’où vient Nana, petite fille élevée en forêt par une mère célibataire, elle répond : “Elle vient de l’animal que j’ai été, que je suis encore et que je crois que je ne lâcherai jamais.”
(les inROCKS, 14 avril 2012).

Didier Péron :

- "Nana, qui dure 1 h08, a été réalisé avec l’aide du Centre national du cinéma (CNC) qui avait accordé une somme pour faire un court métrage. Du coup, elle a fait un court (Ninouche, déjà diffusé sur Arte) et un long pour le même prix et avec la même petite fille, Kelyna Lecomte, rencontré par hasard dans la province du Perche, entre Beauce et Normandie. Tourner avec une si jeune actrice, qui n’a évidemment pas lu le scénario et à qui la réalisatrice s’est toujours refusée à donner la moindre ligne de dialogue fictif à dire, s’est transformé en expérience artistique de la patience et de l’imprévu. En fait, le montage a consisté à ramasser soixante heures de rushes. L’équipe technique n’a jamais excédé cinq personnes et la cinéaste a précisément pensé le projet comme quelque chose qui ne requiert pas un plan de travail implacable mais une disponibilité et une écoute sur plusieurs jours, oubliant le scénario."
(Libération, 10 avril 2012).

Xavier Leherpeur :

- "Dans une maison isolée à la campagne, Nana vit seule avec une mère affectueuse mais instable. Réfutant toute scénarisation, le premier film de la talentueuse Valérie Massadian est une succession de séquences filmées en plans fixes. Chaque séquence, superbement mise en cadre et en scène, fait à la fois ressentir le monde intérieur, cocasse et insouciant de cette enfant livrée à elle-même et éprouver sa solitude poignante. Rarement épure cinématographique aura été si généreuse en sensations et émotions."
(CinéObs, 13 avril 2012).

Gregory Coutaut :

- "Voilà un film fort singulier que Nana, premier long-métrage de Valérie Massadian, qui vient tout juste de remporter le Léopard du meilleur premier film au dernier Festival de Locarno. Un film tout court mais ambitieux, discret mais brillant, exigeant et pourtant très simple. Le film commence sur des apparences trompeuses : celles d’un hyperréalisme agricole et enfantin un brin austère, où la parole se fait rarissime. Pourtant Nana ne fait même pas semblant de se réclamer de la grande famille des films à-enfants-qui-découvrent-la-nature, et évite tous les trucs et tics des enfants acteurs, du misérabilisme ou de l’émerveillement toc que le spectateur pourrait projeter sur la fillette éponyme. Valérie Massadian affiche en effet rapidement une manière bien à elle de mixer la fiction et le documentaire. Pas au sens classique ou attendu du terme, mais dans le sens où chaque élément narratif (Qui est qui ? Que de passe-t-il réellement ?) est ici à deviner, laissé au soin de la capacité du spectateur à lire entre les lignes, et donné à voir à travers le prisme d’une héroïne dont on ne sait jamais vraiment ce qu’elle sait ou comprend du monde qui l’entoure.
Car Nana est surtout un film rempli de mystère."
(FILMdeCULTE).


Nana, enfant actrice qui ne... joue pas (DOC).

Fabien Reyre :

- "Si les jeux de l’enfant et les délices de l’improvisation ont permis, au montage, de construire un semblant de fiction, la thématique dominante s’impose d’emblée, telle une évidence. La mort est partout, s’immisçant dans tous les recoins du décor (une ferme quelque part dans le Perche), dans un quotidien si morne et difficile que chaque geste des adultes (la mère, en particulier) semble esquissé pour tendre vers l’instinct de survie qui permet de rester debout. Dès le premier plan (la saignée d’un cochon, à laquelle assiste la petite fille), le ton est donné : rien n’est et ne sera facile dans ce monde brut où la terre reste sous les ongles, où la frontière entre le dedans et le dehors est si mince que l’on ne sait plus bien à quoi servent les portes, où même les rares instants de détente (un jeu où la mère et sa fille s’amusent avec une bouteille d’eau, la lecture à voix haute d’un conte au coin du feu) sont empreints d’une redoutable violence que les rires et les chuchotements parviennent à peine à dissimuler."
(Critikat, 10 avril 2012).

Emile Breton :

- "Nana ne joue pas pour 
la caméra, mais pour elle, qu’elle marche dans le sous-bois d’un sentier de campagne ou qu’elle installe un lit comme elle l’a vu faire à sa mère. Elle est elle-même, pas un enfant en représentation. C’est évidemment à cette condition seule que le film pouvait être ce qu’il est : 
un roman d’apprentissage. Cette distance de la caméra 
à son « sujet », la fillette ou la campagne, la mort 
d’un animal ou la percée des premières fleurs annonçant 
le retour de la vie, fait que rien n’est imposé, sinon cette idée qu’il faut prendre le temps de voir. Et que vivre s’apprend. Au spectateur de lier l’un à l’autre les épisodes de cette découverte de la vie au plus près de la nature. Telle est la secrète beauté de ce film."
(L’Humanité, 11 avril 2012).

BANDE ANNONCE :






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jeudi 19 avril 2012

P. 136. Yom HaShoah - témoignages de rescapés : A. Appelfeld, J. Bialot, I. Kertész, P. Schaffer, S. Veil, E. Wiesel et E. Zilberberg...

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Vieillards d'un convoi hongrois parvenu à Auschwitz (Doc. JEA/DR).

19 avril 2012 : Yom HaShoah, journée d'hommage aux six millions de juifs victimes des nazis et de leurs collaborateurs durant la Seconde guerre mondiale.

Jacob Glatstein :
- "La nuit est éternelle pour un peuple mort.
Ciel et terre effacés."
("Sans Juifs", Fun main gantzer mi, De toute ma peine)

Sur cette page, quelques flammes fragiles de bougies allumées par des rescapés...



Aharon Appelfeld
Histoire d'une vie
Editions de l'Oliver, 2004, 238 p.

Aharon Appelfeld :

- "La parole ne me vint pas facilement, et ce n'est pas étonnant : on ne parlait pas pendant la guerre. Chaque catastrophe semble répéter : qu'y a-t-il à dire ? Il n'y a rien à dire. Celui qui a été dans un ghetto, dans un camp ou dans les forêts, connaît physiquement le silence. Durant la guerre, on ne débat pas, on n'insiste pas sur les divergences. La guerre est une serre pour l'attention et le mutisme. La faim, la soif, la peur de la mort rendent les mots superflus (....).
Pendant la guerre ce n'étaient pas les mots qui parlaient, mais le visage et les mains. Du visage vous appreniez dans quelle mesure l'homme à qui vous aviez affaire voulait vous aider ou vous agresser. Les mots n'aidaient en rien la compréhension. Les sens apportaient la bonne information. La faim vous ramène à l'instinct, à la parole d'avant la parole (...).
Ce n'est qu'après guerre que les mots refirent surface. Les gens recommencèrent à poser des questions, abasourdis, et ceux qui n'avaient pas été là-bas réclamaient des explications. C'étaient de misérables et ridicules explications, mais le besoin d'expliquer et de donner un sens est, semble-t-il tellement ancré en nous que, même si on connaît leur peu de valeur, on ne peut s'empêcher de les fournir. C'est évident : il y avait dans ces tentatives un effort pour revenir à une vie civile normale, mais rien n'y faisait, l'effort était ridicule.
(P. 124 à 127).


Joseph Bialot
C'est en hiver que les jours rallongent
Seuil, 2002; 281 p.

Joseph Bialot :

- "Je n'ai rien à dire aux vivants.
Etre libéré ne signifie pas être libre. Je réalisais mal que j'avais un fil à la patte, lien qui s'allongerait au fur et à mesure de ma marche vers la normalité. Mais il était là, invisible, impalpable, me ramenant sans cesse à des flashes incontrôlables. Une odeur ? Et ça repartait, vers les rangées de châlits et leurs parfums insoutenables. Une guele ? Et revenait aussitôt le visage d'un garçon croisé au Lager. Une couleur ? Auschwitz dans ma mémoire était gris, couleur anthracite, mais les uniformes avaient une teinte, le ciel, la terre, les outils, les miradors, les armes possédaient leurs nuances et émergeaient de la grisaille installée dans mes pensées.
Toutes ces années après, cette chaîne, je la trimballe toujours avec moi. Elle me suit dans Paris, dans mes voyages, des mes rencontres. Personne, hormis ma femme, n'en a connaissance. C'est elle qui bénéficie de mes cris lorsqu'il m'arrive, la nuit, de me réveiller en hurlant (...).
Combien de fois à la vue d'un enfant, surtout des tout-petits, me ramène-t-elle, bouleversé aussitôt, à Birkenau(...).
Dans ma vie professionnelle, dans ma vie affective, avec mes amis, mes intimes, mes femmes, le Lager a été, est sans cesse, présent, partout, mais pour moi tout seul."
(PP. 226-227).


Imre Kertész
Etre sans destin
Actes Sud, 1998, 397 p.

Imre Kertész :

- "Grosso modo, je pouvais déjà me considérer comme sain et sauf, hormis quelques bizarreries, quelques insuffisances de moindre importance. Ainsi, par exemple, quand j'enfonçais mon doigt à l'importe quel endroit de ma chair, on y voyait longtmeps la trace, comme si je l'avais enfoncé dans une espèce de matière sans vie, sans élasticité, du formage ou de la cire, disons. Mon visage aussi m'a surpris un peu quand je l'ai vu dans une chambre confortable munie d'un miroir de l'ancien hôpital des SS, car j'avais gardé le, souvenir d'un autre visage. Celui que je voyais maintenant avait un front très bas sous des cheveux qui avaient déjà repoussé de quelques centimètres, et les deux toutes nouvelles enflures difformes près des lobes auriculaires étrangement écartés, les cernes, poches flasques, étaient dans l'ensemble - du moins selon ce que j'avais pu apprendre dans mes anciennes lectures - plutôt les traits, plis et rides caractéristiques des hommes que l'abus du luxe et des plaisirs a fait vieillir avant l'âge, quant à ces yeux devenus minuscules, j'avais en mémoire un regard plus amical, qui inspirait plus confiance, dirais-je (...).
Des femmes, des vieux, des hommes et toutes sortes de gens se sont rassemblés autour de nous. Ils nous demandaient si nous venions d'un camp de concentration, et ils questionnaient beaucoup d'entre nous, y compris moi-même, pour savoir si je n'avais pas rencontré par hasard un de leurs proches, qui s'appelait comme ci ou comme ça. Je leur ai dit que dans les camps de concentration les gens n'avaient en général pas de nom. Alors ils s'efforçaient de décrire leur apparence, leur visage, la couleur de leurs cheveux, leurs traits caractéristiques, et, moi, j'essayais de leur faire comprendre que cela ne servait à rien, puisque dans les camps de concentration, la plupart des gens changeaient beaucoup. Alors ils se sont dispersés, à l'exception d'un seul (...). Il était curieux de savoir, et cela m'a fait un peu sourire, si j'avais vu les chambres à gaz. Je lui dis : "Alors, on ne serait pas là en train de parler."
(PP. 327 à 332).

Paul Schaffer
Le soleil voilé, Auschwitz 1942 - 1945
Préface de Simone Veil
Société des Ecrivains, 2002, 231p.

Paul Schaffer :

- "Bien sûr tout le monde me posait des questions sur ces années passées dans les camps. Il ne m'était pas facile de trouver les mots justes pour expliquer un univers monstrueux, infernal.: la peur, la faim, le froid, les humiliations, les souffrances physiques et morales et la mort constamment présente.
Confucius écrivait :
"Si je détenais le pouvoir absolu je m'efforcerais de rendre aux mots leur juste sens."
Parler, c'est porter le monde à l'échelle de l'humanité. Comment dire l'inhumain sans en trahir la signification ?
Ce que je venais de vivre me hantait encore. Je m'étais tenu à la frontière de l'être et du non-être. Je revenais d'un monde où l'espace et le temps avaient perdu leur juste valeur, un mondé dénué de tout repère, un monde où le néant s'était substitué à la conscience.
Il s'était agi d'admettre comme possible ce qui avait été considéré jusqu'ici comme impossible. Nous nous adressions à une région de la conscience encore inexplorée.
A notre retour, nous avons été souvent contraints au silence par ceux qui ne désiraient pas savoir et espéraient aveuglément en la paix retrouvée, alors que la lutte contre le nazisme et ses crimes devaient se poursuivre bien après leur défaite militaire.
Peut-être parce que trop fragile et sensible, j'ai cru à tort que mes auditeurs se lassaient vite et je mettais fin à mes tentatives de rendre compte de mon passé (...).
Le retour de déportation des résistants fut célébré dans la joie ; quoi de plus naturel et de plus juste que de rendre hommage à ceux qui avaient tant souffert ! Leurs récits entraient dans un schéma plus classique et pouvaient s'inscrire immédiatement dans le cours de l'histoire. Contrairement à ceux des Juifs qui embarrassaient et rendaient mal à l'aise. Que faire de ces témoignages tout à la fois bouleversants et inconcevables ? Comment et où les classer ? Notre statut de victimes non identifiables désemparaient ceux auxquels nous en parlions !
A quelle catégorie appartenaient donc les crimes commis par les nazis ? L'histoire ne pouvait encore assimiler Auschwitz."
(PP 132-133)..

Simone Veil
Une vie
Stock, 2007, 398 p.

Simone Veil :


- "Dès le retour des camps, nous avons entendu des propos plus déplaisants encore qu'incongrus, des jugements à l'emporte-pièce, des analyses géopolitiques aussi péremptoires que creuses. Mais il n'y a pas que de tels propos que nous aurions voulu ne jamais entendre. Nous nous serions dispensés de certains regards fuyants qui nous rendaient transparents. Et puis, combien de fois ai-je entendu des gens s'étonner : "Comment, ils sont revenus ? Ça prouve bien que ce n'était pas si terrible que ça." Quelques années plus tard, en 1950 ou 1951, lors d'une réception dans une ambassade, un fonctionnaire français de haut niveau, je dois le dire, pointant du doigt mon avant-bras et mon numéro de déportée, m'a demandé avec le sourire si c'était mon numéro de vestiaire ! Après cela, pendant des années, j'ai privilégié les manches longues.
Plus généralement, dans ces années d'après-guerre, les gens disaient des choses épouvantables. Nous avons oublié tout l'antisémitisme rampant dont certains faisaient étalage. Aussi, dès 1945, suis-je devenue, non pas cynique, car ce n'est pas ma nature, mais dénuée de toute illusion (...).
En 1959, j'étais magistrat au ministère de la Justice, en poste à l'administration pénitentiaire. Mon directeur reçoit un jour un magistrat retraité qui vient lui demander de présider un comité en faveur des libérés conditionnels. Il accepte (...) mais l'informe ultérieurement que le magistrat qui s'occupe de ces questions dans son service le représentera. C'était moi. Réponse de l'ancien président du tribunal de Poitiers : "Comment ? Une femme et une Juive ? Mais je ne la recevrai pas !"
(...) Pendant longtemps, les déportés ont dérangé. Beaucoup de nos compatriotes voulaient à tout prix oublier ce à quoi nous ne pouvions nous arracher ; ce qui, en nous, est gravé à vie. Nous souhaitions parler, et on ne voulait pas nous écouter.
(...) Mais au-delà des horreurs, seuls importent les morts. La chambre à gaz pour les enfants, les femmes, les vieillards, pour ceux qui attrapent la gale, qui clopinent, qui ont mauvaise mine ; et pour les autres, la mort lente. Il n'y a que la Shoah. L'atmosphère de crématoire, de fumée et de puanteur de Birkenau, je ne l'oublierai jamais. Là-bas, dans les plaines allemandes et polonaises, s'étendent désormais des espaces dénudés sur lesquels règne le silence ; c'est le poids effrayant du vide que l'oubli n'a pas le droit de combler, et que la mémoire des vivants habitera toujours."
(P. 97 à 103).

Georges Waysand
Estoucha
Denoël, 1997, 438 p.

Georges Waysand, au nom de sa mère : Estoucha, Esther Zilberberg :

- "Tu sais, nous allons rentrer, mais personne ne nous attend."
Cette phrase, Estoucha attendit des dizaines d'années avant de me la répéter (...).
A leur arrivée en Suisse {un convoi du CICR provenant de Mauthausen}, deux écoles de Saint-Gall les accueillirent. A la Hadwigschule ce fut le premier des ces rituels conjuratoires qu'elles allaient connaître à chaque étape : aspersion au D.D.T. qui provoquait des troubles pulmonaires, douche qui les refroidissait, désinfection avec, comme au camp, l'humiliant coup de pinceau.(...). Estoucha revenait toujours avec une colère froide sur cet hygiénisme obligatoire et meurtrier. Tout cela brûlait leurs dernières forces, alors qu'elles effectuaient un travail psychique formidable pour remettre en branle ce qui de leur conscience et de leur mémoire avait été étouffé au camp (...). Elles étaient en quarantaine et n'avaient le droit de sortir que dans la cour de l'école. Les Suisses venaient les voir en foule comme si elles étaient des bêtes curieuses et leur passaient des cigarettes dont les plus jeunes s'étourdissaient.
(...) Paris enfin avec le centre de triage installé à l'hôtel Lutétia. Une plaque sur la façade rappelle le souvenir du retour des déportés; bien avant qu'elle y fût apposée, le Lutétia faisait partie de ma mémoire. Son comité d'accueil n'était pas seulement constitué par ces femmes rebondies, les cheveux soigneusement frisés et portant un uniforme comme on le voit sur les photos prises à l'époque. Il y avait aussi des agents de police parmi lesquels des déportées communistes parisiennes reconnurent ceux-là mêmes qui les avaient arrêtées et qui, sans gêne aucune, étaient de service au Lutétia, comme si de rien n'était.
(...) Le Dr Cordonnier, qui était maintenant maire de Lille, avait fait publier dans les journaux un avis demandant aux personnes qui avaient des nouvelles de la femme {Estoucha} de Jean Waysand et de son fils {Georges} de se mettre en contact avec lui (...). Elle patientait depuis assez longtemps dans l'antichambre de son bureau à la mairie quand, enfin, la porte s'ouvrit. L'homme qui sortit jeta par curiosité professionnelle un regard sur les personnes qui attendaient pour être reçues. Estoucha, machinalement, leva les yeux, leurs regards se croisèrent, chacun reconnut l'autre dans l'instant. Pour lui, elle était un spectre. Jusqu'à cet instant il avait été sûr de ne jamais la revoir; surtout en cet endroit où il ne comprenait pas ce qu'elle était venue faire. Stupéfait, il le prit de haut :
"Qu'est-ce que vous faites ici ?"
C'était Dubois, le commissaire français qui participait aux interrogatoires. Suffoquée, elle riposta quand même.
"Mais vous, de quel droit, vous, êtes-vous ici ?"
Dubois changea immédiatement de ton. Il protesta qu'il ne l'avait jamais frappée - c'est vrai -,; qu'elle veuille bien s'en souvenir, il obéissait aux ordres."
(P. 246 à 259).

Elie Wiesel
tous les fleuves vont à la mer
Mémoires

Seuil, 1994, 559 p.

Elie Wiesel :

- "La vérité, il faut la crier sur tous les toits : le malheur des survivants ne se limita pas à la durée de la guerre ; la société ne voulait d'eux ni pendant ni après. Pendant la guerre, on leur avait fermé les portes. Après la guerre aussi. Les preuves sont irréfutables : on les gardait dans les endroits mêmes où ils avaient souffert. Certes, après un certain temps, on les logeait (dans des baraques), on les nourrissait (mal), on les habillait (pitoyablement), mais on leur faisait sentir qu'ils étaient des parents pauvres, des mendiants, des bouches inutiles, des êtres superflus. Ils étaient en trop.
Le temps ne guérit pas toutes les blessures ; certaines restent ouvertes, vives, telles des brûlures.
Les rescapés, même en Amérique, on s'employait à les tenir à l'écart, en marge. Tarés, hantés, diminués, ils menaient une existence en marge, confinés dans une sorte de ghetto invisible (...).
Au lieu d'accueillir les revenants avec des fleurs (comme ce fut le cas au Danemark), au lieu de fêter leur retour, leur survie, en leur demandant pardon, en les entourant d'égards et de chaleur, on les considérait avec suspicion et rancune : "Vous voilà de retour, vous aussi ? Auschwitz n'était donc pas si terrible que ça, hein ?"
(...) Kielce, en Pologne, fut le théâtre d'un véritable pogrom. Plus de cinquante survivants juifs furent massacrés par la population en plein jour. Ailleurs, le nombre de victimes fut moins élevé, pas assez sans doute pour que la presse en fasse mention. Mais dans tous les milieux, on était au courant : une fois de plus, les Juifs subirent la haine et la terreur.
(...) Un jour, on pardonnera peut-être au citoyens du monde libre d'avoir si peu fait pour sauver les Juifs européens; on pensera : après tout, ils ne savaient pas, et s'ils savaient, ils ne croyaient pas, et s'ils croyaient, ils ne comprenaient pas, et s'ils comprenaient, ils se savaient impuissants à changer les faits. Et puis, il y avait la guerre, la guerre mondiale; il fallait détruire le régime hitlérien. On pourra donc évoquer pour eux des circonstances atténuantes. Mais on ne leur pardonnera jamais leur comportement à l'égard des victimes après la défaite allemande. Après la guerre, on savait tout, on ne pouvait plus se mentir à soi-même ni mentir aux autres."
(PP 179-180).


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lundi 16 avril 2012

P. 135. Dans les bras de morphine

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(Ph. JEA/DR).

La lune avait oublié
la clef des mensonges
sous un paillasson de nuages

dans les bras de morphine
les déprimes sont plus
dérivantes que morbides

les ténèbres marchent pieds nus
quand elles portent en terre
les souhaits suicidés

un seul cri et lâchant la crinière
de la mer, le cheval tombe
dans une fosse commune

le sel des étoiles les étrille
pour qu’elles brillent malgré
les trous de mémoire

mais tant d’arbres podagres
raturent rageusement
les parchemins des écoliers

des pénombres sans nombre
tendent leurs pièges aux gitans
qui marchent ou rêvent

ce temps redoutablement
combustible et bavard
est pavé de natures mortes

la solitude ne prend plus
les vestiges du dépassé
pour des lanternes sourdes


(JEA/DR).

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jeudi 12 avril 2012

P. 134. Photos de sables mouvants : Prévert dans la Baie du Mont St-Michel...

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(Ph. JEA/DR).

Pour le film de Marcel Carné, "Les visiteurs du soir" (1942), Jacques Prévert écrivit cette chanson des sables mouvants mise en musique par Maurice Thiriet.

Sables mouvants


Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée

Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.



(Ph. JEA/DR).

A l'est, deux fleuves : la Sée et la Sélune, ne suffisent pas à empêcher l'invasion de marchands du temple...


(Ph. JEA/DR).

Antonio Tabucchi : "La nostalgie : ce vide qu'il nous faut absolument remplir, même avec du négatif."


(Ph. JEA/DR).

Prévert : "Au loin déjà la mer s'est retirée..."


(Ph. JEA/DR).

André Rollin : "La mer est un drôle de miroir et la nuit, une confidente instable."


(Ph. JEA/DR).

Me zo ganet e kreiz ar mor (je suis né au milieu de la mer).


(Ph. JEA/DR).

Amos Oz : "La souffrance est une île de certitude dans un océan d'incertitudes."


(Ph. JEA/DR).

Françoise d'Eaubonne : "Est-ce que je l'aime cet univers où je n'ai pas choisi de surgir ni de dégringoler ?"


(Ph. JEA/DR).

Quand un oiseau de Prévert survole une encre de Victor Hugo.


(Ph. JEA/DR).

Crépuscule des cieux et des lieux.

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P. 134 bis. Raymond Aubrac, 10 avril 2012.

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(Ph. JEA/DR).
Puisse-t-il être "parti dans l'ivresse" (Seuil, 1984)...

Raymond Aubrac devant le monument aux Résistants des Glières, le 17 mai 2009 :

- "Ces hommes courageux dont nous sommes les héritiers vont du souci de soi au souci des autres, et c’est cet avenir qu’il nous faut définir. Il est construit sur les valeurs qui ont construit leur combat : des volontaires, des solidaires, des tolérants, des courageux, des patriotes, peut-être des européens, des hommes et des femmes qui veulent pratiquer la justice, y compris dans le maintien et le partage des ressources vulnérables de la planète. Et nous avons besoin non seulement d’un programme commun, mais aussi de projets communs.
Voilà une des grandes lacunes de notre temps, et de notre pays. Nous ne savons pas vers quoi nous allons, dans un monde de plus en plus complexe. Il nous faut ces projets, par respect pour ceux qui se sont battus pour élaborer cette promesse d’avenir. Il nous faut aussi cet optimisme que partageaient tous les Résistants, sans exception, et qui les persuadaient d’être, à travers tant de dangers, avançant vers leur but : plus de liberté, plus d’égalité, plus de fraternité."

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lundi 9 avril 2012

P. 133. Abbaye de St-Michel en Thiérarche : Festival 2012

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Couverture du programme du 26e Festival en l'Abbaye de St-Michel en Thiérache (DR).

La 25e page de ce blog proposait le programme du 25e Festival de musique ancienne et baroque se déroulant dans le cadre à la beauté insoupçonnée de l'Abbaye (quelque peu malmenée par la Révolution) de Saint-Michel en Thiérache. Cette page connut un afflux inattendu et régulier de consultations. Au point de se situer, s'il faut en croire le "classement" blogspot, en septième position sur plus de cent vingt pages constituant ce blog.
Un tel intérêt encourage à offrir une nouvelle publicité totalement désintéressée au 26e Festival qui s'inscrira sur les calendriers du trois juin au premier juillet.

Sur la page 25, nous écrivions :


- "Un Festival en marge - au moins géographique - de la France. Les musiciens et les auditeurs s'y sentent chez eux, sans se demander si les voisins sont des étrangers. La musique embellit les moeurs..."
Un an écoulé, nous persistons et signons : la Thiérache reste épargnée par les invasions touristiques mais collectionne les paysages (é)mouvants. Le Festival n'oblige pas les auditeurs (masc. gram.) à escalader les échelles discriminatoires des prix. Pour une place à un concert, comptez 27 Euros en tarif plein et 22 Euros pour les moins de 18 ans, les étudiants et les plus de 65 ans. Visiblement, les musiciens apprécient le lieu et le public leur rend spontanément leur générosité...

Présentation :

- "Tout en renouvelant en permanence l'offre artistique, le Festival demeure fidèle aux trois grands principes ayant fondé son identité :
Celui de l'adéquation naturelle entre le projet musical et le site qui l'inspire(...).
Mais aussi celui de la formule des dimanches complets de musique : treize concerts en 2012 au fil de cinq dimanches consécutifs avec deux ou trois programmes différents par journée autour d'une idée thématique (...).
Enfin celui de la conjugaison d'une haute exigence artistique avec la plus simple convivialité."


Abbaye de St-Michel en Thiérache (Ph. JEA/DR).

Dimanche 3 juin 2012.
Polyphonies et Nuove Musiche, de la Renaissance tardive au Baroque,
de Gesualdo à Monteverdi, de Venosa à Mantova, les métamorphoses du chant et du langage musical européen.


11h30
La Vexiana, direction Claudio Cavina.
Il concerto della dame di Ferrara.
Luzzasco Luzzaschi - Claudio Monteverdi
Giulio Caccini - Girolamo Frescobaldi
Madrigaux.


Con che soavita, madrigal de Claudio Monteverdi par "La Vexiana" dirigée par Claudio Cavina.

14h30
Liuwe Tamminga, orgue et Bruce Dickey, cornet
Canzoni, toccate e partie
Giovanni Gabriellei - Giovanni Maria Trabaci
Ascanio Mayone - Giovanni da Palestrina
Ottavio Bargnani - Giuseppe Guami - Gaetano Greco

16h30
Collegium Vocale Gent, dir. Philippe Herreweghe
Carlo Gesualdo
Motets
Responsoria et alia ad Officium Hebdomadae Sanctae spectantia

Dimanche 10 juin

Nouveaux mondes de la Castille aux Amériques,
le rayonnement ibérique en Europe et en Amérique du sud, du théâtre à l'église, entre profane et sacré.


11h30
La Caccia
Apogée du chant baroque castillan
Lucas Luiz de Ribayaz - Juan Hidalgo
Benedetto Sanseverino - Henry du Bailly
Jean-Baptiste Lully - José Marin
Airs en langue castillane.

14h30
Jean-Luc Ho
Récital à l'orgue historique de l'Abbaye
Les Voyages royaux d'Antonio de Cabezon
Tientos,Diferencias, toccatas et variations.


Sanctus (Missa bonae voluntatis) de Matheo Romera, version du Choeur de Chambre de Namur.

16h30
Choeur de Chambre de Namur
Cappella Mediterranea
Ensemble Clemantis, dir. Leonardo Garcia-Alarcon
Carmina Latina
Tomas Louis de Victoria - Juan José Cabanilles
Matheo Romero - Juan José Cabanilles
Francisco Correa de Araujo
Joan Cererols : Missa de Batalla.

Programme officiel (DR).

Dimanche 17 juin

Mosaïque baroque au coeur de l'Europe,
de Vienne à Leipzig
L'Empire romain-germanique au centre des brassages culturels, entre tradition luthérienne, emprise franco-italienne et influences ottomanes.


11h30
Ensemble Accentus Austria, dir. Thomas Wimmer
Suites et danses austro-hongroises
Johann Heinrich Schmelzer - Johann Joseph Fux
Partita, Balletti et Symphonia
Codices Caioni - Vietoris - Anna Szirmay Keczer
Janos Madach-Rimay
Danses et chants populaires transylvaniens.

16h30
Ensemble Le Banquet céleste, dir. Damien Guillon
Johann Sebastian Bach
Cantates
Geist und Selle wird verwirret BWV 35
Vernügte Ruh, beliebte Seelenlust
BWV 170
Aria de la Cantate BWV 115
Ach Schläfrige Seele
Ouverture n°1 en Do majeur BWV 1066


J. S. Bach : Ouverture n°1 en Do majeur BWV 1066 (version de l'Academy of St Martin-in-the-Fields, Sir Neville Marriner).

Dimanche 24 juin
Arie di Opera
Triomphe vocal de Venise à Londres,
de Vivaldi à Handel, d'arias en symphonies, une apothéose de la scène baroque tardive.


11h30
Ensemble Auser Musici, dir. Carlo Ipata
Francesco Gaspirini en son temps
Alessandro Scarlatti
Georg Philipp Telemann
Antonio Vivaldi
Arias, symphonies et concertos.

16h30
Ensemble Orféo 55, dir. Nathalie Stuzmann
Duello Amoroso
George Frideric Handel
Duetti e arie d'opera
Rinaldo - Floridante - Solomon
Rodelinda - Giuglio Cesare



Rinaldo, HWV 7 : aria Lascia ch'io pianga (version de l'Ensemble Orféo 55, Nathalie Stutzmann contralto et direction).

Dimanche 1er juillet 2012
Magies napolitaines
La chaleureuse intensité du sud de l'Italie,
entre tradition populaire des Pouilles et sophistication napolitaine.


11h30
Pino de Vittorio
Voix - chittara battente
Sortilèges de l'Italie du sud
Chants et musiques traditionnelles des Pouilles.

14h30
Enrico Baiano, clavecin
Domenico Scarlati
Sonates.

16h30
La Risonanza, dir. Fabio Bonizzoni
George Frideric Handel
Aci, Galatea e Polifemo
Livret de Nicola Giuvo
HWV 72


Aci, Galatea e Polifemo : Sorge il di (version du Concert d'Astrée, Emmanuelle Haïm, Sandrine Piau).

Réservations :


Par téléphone : 03 23 58 23 74 (du lundi au vendredi 14h-18h, le samedi 9h-12h).
Par courriel : festival.saintmichel@laposte.net
Par courrier : Festival, BP 18 à 02830 Saint-Michel.

Tarifs :

Un concert à 11h30 ou 16h30 : 27 Euros (22 pour les moins de 18 ans, les étudiants et les plus de 65 ans).
Un concert à 14h30 : 19 E.
Forfait pour une journée de deux concerts : 41 E. (34 E.)
Forfait pour une journée de trois concerts : 55 E. (47 E.)
Des forfaits sont également prévus pour des journées complètes avec déjeuner réservé.



jeudi 5 avril 2012

P. 132. "Le policier" : film israélien...

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Site du film ? Cliquer : ICI.

Prix spécial du jury international au Festival du Film de Locarno, 2011.

Synopsis :

- "Yaron se trouve au cœur d’un groupe de policiers d’élite, appartenant à une unité anti-terroriste israélienne. Ses compagnons et lui sont l’arme, le fusil pointé par l’Etat sur ses adversaires, « l’ennemi arabe ». Yaron adore l’unité, la camaraderie masculine, son corps musclé, sa beauté.
Yaron est très excité, sa femme, enceinte est sur le point d’accoucher ; il pourrait devenir père d’un moment à l’autre. Sa rencontre avec un groupe peu commun, violent, radical, le confrontera à la guerre des classes israélienne et à celle qu’il livre à l’intérieur de lui-même."

Le réalisateur :

- "Nadav Lapid a réalisé plusieurs courts métrages lors de ses études à l’École de Cinéma Sam Spiegel, films qui furent projetés à Cannes, à Berlin et Locarno. Son film de fin d’études, «La Petite Amie d’Émile» (50 minutes) a notamment été distribué en France.
Il a participé à la Résidence du Festival de Cannes où il écrivit le scénario du «Policier». Le projet a gagné le prix du Festival du Film de Jérusalem et du Festival du Film de Thessaloniki en 2008.
Son livre de nouvelles, «Danse Encore» a été publié en Israël et en France.
Nadav Lapid a étudié la philosophie et l’histoire et a travaillé comme journaliste pour le sport et la culture, été critique de télévision et cadreur sur des documentaires."
(Rencontres internationales du cinéma, Vincennes, 27-30 janvier 2012).

Nadav Lapid à propos de ses personnages, policiers ou révolutionnaires :


- "Tous sont complètement prisonniers de leur propre univers, de leur propre système moral. Une forme d’innocence mortelle, un dévouement total à leurs causes, à la fois impressionnant et terrifiant, un autisme existentiel leur permettent peut-être d’agir, mais rendent certain leur échec à apporter un changement.

Nadav Lapid à la question : "Comment le film a-t-il été reçu en Israël ?"

- "Il a provoqué de multiples réactions. À mon grand bonheur, la presse et les critiques l’ont aimé et défendu. Par contre, le film a fait l’objet d’une censure souterraine. Il a été interdit aux moins de 18 ans, ce qui est très rare en Israël, alors qu’il ne comporte aucune scène de violence ou de sexe explicites. Cela a provoqué un scandale. Des journaux ont parlé de censure politique. Même le Ministère de la Culture a demandé de réviser cette interdiction. Un journal a raconté les nouvelles délibérations. Ce qui choquait, visiblement, c’était la violence des révolutionnaires qui kidnappent des milliardaires. Certains trouvaient qu’ils pouvaient avoir un rôle dangereusement incitatif pour la jeunesse. A contrario, la violence des policiers ne dérangeait pas du tout. La violence, c’est toujours celle des autres…"
(Actualité Israël, 27 mars 2012).

Des policiers d'élite déboussolés...(DR).

Des policiers du "plus beau pays du monde"
confrontés à la guerre... des classes !


Pamela Pianezza :

- "D’un côté, un policier anti-terroriste charismatique, musclé et respecté. De l’autre, une frêle étudiante aux idéaux communistes révolutionnaires préparant la prise en otage d’un riche patron de Jérusalem. Leurs routes se croiseront, mais Nadav Lapid prend d’abord le temps de les suivre au cours d’une journée ordinaire dans un surprenant récit en deux chapitres. Délaissant le conflit judéo musulman, il ausculte l’ennemi intérieur, dissèque les contradictions de la société israélienne et prophétise une inévitable guerre des classes."
(Première).

Camille Esnault :

- "Le Policier de Nadav Lapid avait un sujet fort et pertinent, parler du terrorisme en Israël, mais au sein même de la communauté juive. L'ennemi n'est plus la Palestine, il se trouve à l'intérieur, dans les âmes les plus pures, les enfants. Le réalisateur nous montre en effet, que la société israélienne souffre du même mal que toutes les autres, des inégalités de classe, des jeunes sans opportunités d'avenir, un système qui enrichit les riches, et appauvrit les pauvres. Dans ce chaos ambiant, un groupe de jeunes décide que ces riches doivent mourir, alors qu'un policier anti-terroriste, Yaron, entraîné pour tuer des poseurs de bombe palestiniens et non des enfants de son pays, va donner vie à une petite fille. Les deux parcours sont mis en parallèle et en même temps très nettement séparés au sein de l'économie narrative. La première partie est celle consacrée à Yaron, policier qui aime la vie, sa famille, son métier, ses coéquipiers et surtout son pays, « le plus beau du monde ». La deuxième partie est celle de Shira, jeune fille issue d'un milieu bourgeois, intégrant un groupe de jeunes révolutionnaires décidé, par tous les moyens, à redonner la parole aux classes populaires."
(toutlecinecom).

Isabelle Regnier :

- "Dans ce film, la guerre qui ronge Israël est une guerre des classes, la religion dominante est celle du confort matériel et de l'ultra-libéralisme. Volontairement maintenu hors champ, le conflit israélo-palestinien n'entre dans le film que par la bande, lorsque l'on comprend que la brigade d'élite est inquiétée pour avoir causé la mort d'un vieillard et d'un enfant palestiniens. Le fait divers lui-même est contourné, le film se concentrant sur la manière dont les policiers choisissent de sacrifier le plus faible d'entre eux pour s'éviter la sanction disciplinaire.
Israël apparaît comme une sorte de Far West où les dominants asphyxient jusqu'à leur faire rendre gorge les plus faibles, ce qui inclut bien entendu les Palestiniens. Pour autant, et sans qu'elle donne la moindre illusion quant à une possible réconciliation, la fin est porteuse d'une secrète espérance. Dans un final surprenant, très beau, dont on se gardera de révéler la teneur, une croyance dans l'humanité tout entière affleure avec une douceur inouïe. Le film n'en est que plus fort."
(Le Monde, 27 mars 2012).

Policiers - terroristes : un affrontement entre Israéliens (DR).

Corinne Renou-Nativel :

- "La mise en scène, intrigante et froide, comme à distance, reflète la psychologie des personnages. Lors de sa sortie en juillet 2011, le film a provoqué une vive polémique en Israël : il évoque la fracture sociale d’une économie développée où sévissent les plus fortes inégalités, rendue taboue jusque-là par la cohésion nationale contre les Palestiniens. Depuis l’été dernier, la contestation sociale a pris une place tout à fait inédite en Israël."
(La Croix, 27 mars 2012).

Alliance :

- "Si les policiers sont les représentants de l’ordre, ils n’en sont pas moins les premières victimes d’un système qui exploite leur naïveté, tandis que les jeunes gauchistes sont issus d’un milieu bourgeois favorisé. Même si leurs intentions sont louables, la méthode violente employée est forcément vouée à l’échec. Le dernier plan qui nous montre le doute s’emparer du policier peut sans doute s’apparenter au désarroi d’un réalisateur constatant que l’époque où l’ennemi venait de l’extérieur est révolue. Désormais, l’Etat d’Israël, inclus dans la mondialisation libérale, est traversé par les mêmes lignes de faille que toutes les grandes puissances du globe, à savoir un écart de plus en plus intolérable entre les plus pauvres et les plus riches. Jusqu’au point de rupture…"
(27 mars 2012).

Julien Mathon :


- "Dans cette tragédie grecque, Nadav Lapid impose toutefois la pudeur : évitant le piège narratif facile de la scène de tuerie hollywoodienne, un écran noir masque ce qui aurait pu être du voyeurisme. Y aurait-il des limites à un cinéma qui est présenté par son auteur comme réaliste ? Déjà, les terroristes, aux physiques de mannequins font vaciller la crédibilité du scénario.
Quelqu’un sort-il grandi de cette prise d’otage à grande échelle ? La scène finale, tuerie générale dont les seuls survivants et vainqueurs sont les personnages les plus forts, laisse un arrière goût de pessimisme… On en sort avec le sentiment d’avoir été soi-même otage d’un réel sans issue."
(critique-film.fr).





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