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Laurence Thirion,Les Ombres de l'Adret ,
Memory Press, 2012, 207 p.
La photo de couverture est de Laurence Thirion (DR).
L’Editeur :
- "L'adret : versant de la montagne ensoleillé la plupart du temps... L'Adret, c'est aussi le nom du hameau qui surplombe Cornillac, ce mini-village isolé de la Drôme où Elise, qui vient de quitter Pierre, son compagnon, a choisi de venir passer quelques semaines de repos, avec sa petite fille et sa mère.
Cet endroit, extrêmement isolé, revêtait aux yeux d'Elise le symbole de la paix et du bonheur ; elle y avait en effet vécu de très heureux moments avec Pierre, les années précédentes.
Mais qui a-t-elle fui ? Son compagnon ? Son père ? Les hommes ? Sa propre vie ?
Mais, derrière les belles apparences, un couple se déchire à l'Adret.
Mais, derrière le sourire sa cache la tristesse d'une vérité qui vient lentement au jour.
Mais, derrière l'image d'une vie épanouie se dissimulent les ombres des regrets, des déceptions et des désillusions.
Mais, derrière la grande vieillesse et la folie sénile se dissimulent l'acidité et l'aigreur d'un caractère insupportable.
Chaque versant dissimule une autre vérité, chaque personne est porteuse de sa propre zone d'ombre... Elise trouvera-t-elle sa route parmi ces enchevêtrements d'épines égayées malgré tout par les splendeurs printanières ... ou par l'une ou l'autre rencontre tout-à-fait inattendue?
Les chapitres, entremêlés les uns dans les autres, traduisent aussi bien la quiétude naïve du passé d'Elise que sa découverte étonnée et souvent déçue de la réalité de ces personnes qui, en fait, ne sont ni meilleures, ni pires que les autres : elles sont, tout simplement , dans l'ordinaire de leurs jours, et dans l'extraordinaire de leurs chagrins; les hommes sont-ils tous les mêmes ? Les femmes ont-elles toutes les mêmes attentes et les mêmes désillusions ? Elise parviendra-t-elle à franchir le pas ? Son propre comportement la déroute : elle fuit les hommes et pourtant les recherche, elle s'isole et pourtant sort le soir, seule, pour espérer une rencontre...
Le lecteur va suivre, pas à pas, le lent cheminement de l'héroïne vers elle-même, vers la découverte de ses propres besoins, de ses propres élans, ... de ses retours aussi, de ses refus... chacun va retrouver dans ce roman une part de lui-même, peut-être d'une manière éclatante, peut-être simplement en filigrane, mais jamais, jamais, totalement absente.
Un livre empli de finesse et de vérité."
Laurence Thirion (4e de couverture) :
- "Née à Bruxelles en 1978, romaniste et professeur de français, Laurence Thirion enseigne depuis douze ans. Elle a principalement travaillé dans les Hautes Ecoles de Tournai, Namur et Liège.
Mère de deux petites filles, elle vit actuellement dans la région namuroise, en Belgique. « Les Ombres de l’Adret » est son deuxième roman."
Professeur, écrivain, photographe, céramiste : Laurence Thirion (Ph. JEA/DR).
La page 100 de feu le blog Mo(t)saïques soulignait que : "deux années durant, Laurence fut élève sur le banc de l'une mes classes. Et plus encore, embarquée comme louve de fleuves sur une péniche au pavois marquant la fin des examens. Pour deux navigations illustrant la "douceur mosane" et pour une échappée en pays parallèle de Loire. Elle lisait comme d'autres respirent. Tête dans les nuages des pages. Ombre glissant sur l'eau complice, Παντα ρει και ουδεν μενει. Jusqu'à cette fête de la musique, dans un Charleville méconnaissable, où elle disparut vraiment. Partie à la recherche d'un Rimbaud peut-être de retour, incognito et resté aussi inspiré que désespéré.
En résumé, en notre Athénée, sa classe dégustait avec un appétit juvénile le Boris Vian du Goûter des généraux puis, avec elle, la péniche devenait bateau livre.
Depuis, il nous arrive volontairement d'accoster encore aux mêmes rives. Le temps d'apprendre que nous ne rajeunissons pas et que là n'est point l'essentiel.
Mais voici qu'elle publie pour, à son tour, offrir à lire à de futures louvettes, elles qui pousseront d'autres fleuves à quitter leur lit."
Terminé en octobre 2007, son deuxième roman est enfin publié. Un jeu savant de miroirs communicants et déconcertants. Quand l'un de ces miroirs se brise, les éclats ne laissent pas intactes les mains qui tiennent le livre. Mais pas un roman qui s'accroche à un mur, se glisse dans une bibliothèque. Le livre se métamorphose aussi parfois en "une eau écumeuse". Celle qui emporte sans prévenir les mots, les images trop faussement sages, les points d'interrogations, les passiflores, les Ombres d'un Adret : théâtre souvent tragique, jamais comique.
Au pays de Cornillac , voici quelques passages que seule la lecture du roman permet d'emprunter.
La fontaine de Cornillac (Ph. Laurence Thirion/DR).
Première phrase ?
- "Train à destination de Valence. Quai numéro 7. Départ : 9h41."
(P. 5).
Le couple Elise-Pierre ?
- "Elise n’envisageait pas la vie sans homme mais cette vie commune ne lui convenait pas. Ces trois dernières années ne l’avaient pas épanouie. Elle s’était enfoncé dans un quotidien dominé par les tâches ménagères et les obligations (…). Après l’achat de la maison et la naissance de l’enfant, les problèmes financiers étaient nés. Afin d’éviter de terminer chaque mois en négatif, ils s’étaient progressivement passés de restaurants, de cinémas, de sorties. Ces privations les frustraient l’un et l’autre et ils ne pouvaient s’empêcher de se le reprocher mutuellement. Ils ne parlaient plus d’amour, seulement de griefs. Chaque repas ou presque se terminait avec les larmes d’Elise et la colère irritée de Pierre. Les désespoirs d’Elise ne le touchaient plus maintenant qu’ils étaient quotidiens."
(P. 66).
Cornillac ?
- "A Cornillac, il n’y avait plus aucun natif à l’exception de deux vieux garçons.
(…)
Une petite Renault grise s’arrêta sur la place, deux femmes en descendirent, elles grimpèrent à pied l’unique route de Cornillac. La fontaine surplombait la mairie, Elise put donc les suivre des yeux. Elles étaient chacune chargée d’une encombrante caisse. Elles arrivèrent à leur hauteur, saluèrent Elise et déposèrent leur chargement empli de vivres. Elles étaient mère et fille, on ne pouvait en douter, la ressemblance était incontestable. La mère embrassa la vieille femme [venue faire sa vaisselle à la fontaine] qui, étonnée, répondit : « Bonjour Madame, je vous connais ? » La dame avait le visage las et résigné, « Je suis ta fille, Maman ! » La vieille s’offusqua « Ce n’est pas possible, ma fille ne vient jamais me voir ! » La dame l’arrêta dans sa complainte en lui rappelant sèchement qu’elle passait tous les jours lui apporter ses repas."
(PP. 31-32).
Dieu ?
- "Laure demanda : « Mamou, ça veut dire quoi dedieu ? » Sa grand-mère ouvrit les yeux et la reprit : « Tu veux dire Dieu ? » Elle était à présent complètement réveillée. Sans hésitation, la biologiste répondit : « C’est une invention des Hommes. »
(P. 46).
Elise ?
- "Elise parle un peu d’elle-même, de sa nature soucieuse et Isa l’interrompt : « Tu ferais bien de te désangoisser avant de faire des enfants… Sinon tu seras incapable de gérer ta vie ! »
(…) A chaque retour de vacances, quand il s’agit de reprendre une vie normale, elle est la petite fille qui n’a pas envie de sa rentrée de classes. Elle redoute ses clients mécontents, les nouveaux projets d’architecture à gérer, le travail excessif, les heures supplémentaires, la fatigue et les aubes frissonnantes."
(P. 43).
- "Elise parfois prenait conscience de son ambivalence. Elle détestait les hommes et les aimait avec élan. Cette contradiction la déchirait, elle se sentait écartelée par ce double « moi ». Elle ne trouvait jamais le repos, le contentement, le plaisir d’être là simplement puisque son être bouillonnait soit de rage et de révolte, soit de passion amoureuse. (…).
Gide lui aurait murmuré… Entre le désir et l’ennui, notre inquiétude balance. Et la nature entière se tourmente, entre soif de repos et soif de volupté."
(PP. 77-76).
- "Les yeux d’un homme, un désir mutuel et elle avait des ailes. Sa mère était contente de voir enfin un peu de jeunesse chez sa fille. Hélas ! la joie était cyclique (…).
Elise, elle, avait toujours eu en horreur les maris qu’elle imaginait vieux, bourgeois et moustachus. Raides et figés comme sur les photos d’un autre siècle."
(P. 127).
- "Elle a toujours eu peur de la folie.
Elle ne craint pas le mot s’il désigne la joie, l’euphorie, la passion. Elle craint la vraie folie, celle qui métamorphose un être, qui le rend dangereux, étranger à lui-même.
D’où lui vient cette terreur ? Aussi loin que remontent ses souvenirs, depuis l’enfance, elle côtoie cette fièvre, la graine sournoise, le gène tordu…"
(P. 191).
Cornillac (PH. Laurence Thirion/DR).
Sa fille, Laure ?
- "Je me plains, tu ne peux pas dormir, une fois de plus. Je t’explique que je suis triste et découragée de te voir si « rebelle », si peu raisonnable et tu me dis, sur un ton de conseil, « Pleure, Maman, pleure ! » Du genre « Tu verras, ça te soulageras ». J’en grince des dents !"
(P. 114).
- "Je t’ai trouvée vautrée sur une montagne de vêtements : tu avais vidé une bonne partie de la commode. Ton linge patiemment repassé et plié, jonchait le sol en un fatras épouvantable. Les larmes aux yeux, je n’ai même plus le courage de me fâcher… Je me suis assise, découragée.
Et pourtant, il t’arrive d’être merveilleuse, tu me répètes « Je te taime, Maman chérie, je te taime » mais au milieu de cette marre de vêtements chiffonnés, tes phrases ont peine à apaiser ma lassitude. Tu t’approches de moi et d’un air angélique d’enfant qui se soumet à la raison, tu me dits : « Pardon, Maman chérie à moi. » Je te demande : « Tu mens ? » Et tu réponds en souriant : « Oui, un peu ! »
(P. 139).
Son père ?
- "Il ne lui reste que des images figées : un visage tordu par la rage, une main terrible enserrant le genou de sa sœur, une baguette qui s’agite dans l’air, des hurlements, des injures et des jurons."
(P. 134).
- "Tout ce qui lui rappelle son père, elle rejette, elle déteste, instinctivement.
(…) Elle ne supporte rien qui soit lui. Elle ne supporte pas les cris, les injures, les colères folles, la violence, le bruit d’une radio dans la cuisine, les traces de bottes dans un living encore humide de nettoyage. La nausée la prend au souvenir du son d’une radio française en plein été dans une voiture surchauffée. Elle craint les fêtes d’anniversaire, elle les fuit, elle a peur de sa détresse passée… Elle se souvient trop bien de ses années d’enfance où tout se terminait toujours dans le drame, les cris, les larmes."
(P. 182).
Son ancien compagnon, Pierre ?
- "A l’instant où la lumière s’enfuyait, Elise aurait voulu que Pierre soit là, à ses côtés, comme avant, apaisant, réconfortant. Regretter Pierre, c’était le paradoxe d’Elise : elle ne cessait de le critiquer, elle ne le supportait plus, elle avait besoin pourtant de ses bras et de son corps pour la protéger d’elle-même, de ses peurs, de ses angoisses, de ses délires.
Pierre s’était lassé des problèmes d’Elise. Elle, de son côté, n’avait plus vu en lui que les défauts des hommes."
(P. 52).
- "Encore une fois, Elise se battait avec elle-même et ses contradictions. Pourtant, quand elle entendit la voix de Pierre au téléphone, elle en fut étrangement heureuse (…). Il prenait des nouvelles. Les rancoeurs d’Elise s’étaient évanouies. Elle cherchait au fond d’elle les raisons de leurs cris, de toutes les larmes versées et elle ne trouvait plus le véritable motif de leur séparation. Il est vrai qu’elle supportait seule l’ensemble des tâches ménagères, qu’elle occupait un temps plein et que, le soir, les colères de Laure achevaient de l’épuiser. Ne pouvait-elle pas avoir la force d’assumer « en toute liberté » toutes ses responsabilités ? Elle aurait le bonheur d’être indépendante et amoureuse. Mais dans ces conditions, pourrait-elle l’être ? Elise se voulait pragmatique et chassait ce doute car, à choisir, ne valait-il pas mieux la présence d’un homme à ses côtés plutôt que la même vie surchargée et un lit froid la nuit venue ? Pierre avait raison. Il était inutile de s’épuiser à modifier les gens. Qu’elle prenne ce qu’il donnait et accepte, avec philosophie, sa vie de femme."
(PP. 143-144).
Un maçon drômois, un autre Pierre ?
- "Pierre descendit du véhicule, lui fit signe de la main, il fronçait les sourcils, le soleil l’aveuglait. Dans ces plis sur le front, dans cette grimace à la lumière, Elise lisait l’âge de cet homme. Il était beaucoup plus vieux qu’elle. Sans doute était-ce cela qui lui plaisait chez lui. Cette maturité qui rassure qui semble au-dessus des inquiétudes existentielles.
Pierre était à l’aise. Elise, d’emblée, se faisait charmeuse et rougissait de ce rôle qui s’imposait à elle (…). Elle se débattait avec elle-même, avec ce rejet des hommes et cette envie, pourtant, de se jeter sur ce corps qui l’attirait."
(PP. 104-105).
- "Un chien aboya, une porte claqua. Elle entendit les cailloux du chemin crisser sous un pas de bottines. Le village était plongé dans l’ombre, seuls quelques réverbères éclairaient, ça et là, les façades des maisons mais Elise reconnut la silhouette de Pierre. Il la salua, le sourire moqueur, pensa-t-elle à nouveau. Pierre devait lire sur son visage le désir qu’elle tentait de dissimuler. Elise se sentait vulnérable. Elle prit un ton détaché pour lui faire remarquer que sa femme devait s’impatienter à cette heure… Pierre se contenta de rire, de ce rire un peu rauque et d’ajouter « Elle attendra encore un peu » et il s’assit sur le muret à côté d’Elise. Dans leur dos s’ouvrait le précipice. Il fit mine de l’y renverser. Elle hurla, vraiment effrayée. Il riait encore !"
(P. 116).
Un villageois, Rainer ?
- "Rainer leur confia qu’il n’osait penser à un hiver seul à l’Adret. Il deviendrait fou. Il partirait si Isa ne revenait pas. Il n’avait pas l’envie de finir comme le Gérard de Tamizat qui s’était tiré une balle dans la tête. Il s’était raté et n’avait pas eu le courage de recommencer. Défiguré, son visage aujourd’hui était un masque grimaçant. A présent, on le trouvait assis au comptoir à Rémuzat, dès dix heures du matin. Rainer redoutait cette solitude. Cornillac n’avait aucun charme pour les célibataires."
(P. 181).
Dernière phrase ?
- "Elle se surprend parfois à envier ses filles qui n’ont pas connu cet homme-là."
(P. 207).
Cornillac sous l'objectif de Laurence Thirion (DR).
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