MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

jeudi 30 août 2012

P. 177. Cartes postales de la Dombes

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Réverbère à Saint-Paul de Varax (Ph. JEA/DR).

Comprenant et partageant votre lassitude de ne recevoir que des cartes postales de
champignonnières peu hospitalières,
forêts réduites à du charbon de bois,
nuits aux pelages de chats malades,
ruisseaux en fauteuil roulant,
nuages en blouse blanche...
Je me suis évadé quelques heures. Quatre peut-être ? Je ne les ai pas comptées, trop craintif de perdre du temps alors qu'en chemin pullulent des fanatiques cherchant à tirer une croix sur une ambulance.
Pour vous envoyer quelques cartes postales depuis Saint-Paul de Varax, dans la Dombes.
Pourquoi ce Varax-là ?
Peut-être parce qu'à l'origine, j'avais lu sur une plaque blanche et rouge : "Carax".
En réalité, un cercle de maisons presque disparu au milieu d'un puzzle d'étangs énigmatiques. Ce cercle, je l'ai choisi et franchi parce que vous aussi, vous aimez les réverbères. Et que ce Saint-Paul-là n'en est pas avare.



(Ph. JEA/DR).

L'itinéraire pour rejoindre Saint-Paul de Varax ?
Quitter (très provisoirement) les hauts monts du Haut-Beaujolais. Traverser (ou marcher sur) la Saône sans trop s'interroger sur les couleurs troubles de ses yeux. Affronter des barrières agressives de chardons devenant ardents sous un soleil rond comme pas possible. Lui, il roule au milieu du ciel, en décapotable rutilante. Les phares et les feux de détresse tape à l'oeil. Et il n'a même pas d'éthylotest dans sa caisse...
A propos de mal de tête, et si vous acceptez un conseil amical, restez à l'écart de la querelle entre partisans de :
- "la" Dombes
et de :
- "les" Dombes.
Il paraît que ceux dont les ancêtres peuplent les cimetières locaux, n'évoquent jamais que LA Dombes. Tandis que tous les autres, les étrangers étrangleurs d'exceptions françaises, se trahissent en se croyant obligés de faire précéder le S de Dombes par un article marquant le pluriel...


Terres de La Lanterne (Ph. JEA/DR).

Le même soleil qui se complait éperdument dans un proche coma éthylique, a généreusement semé des plaines entières de phaétons. Lesquels enfants naturels ne resplendissent pas de bonheur, pour (presque) tout vous dire. On croirait plus des souffre-douleurs mis en maisons de correction que de joyeux mouflets envoyés en vraies colos. Pas très rigolo comme atmosphère.
On se souvient alors de Van Gogh. Lui qui se coupa une oreille pour tenter de ne plus entendre les folies que lui répétait un vent ne lui lâchant pas les godasses.
Mais les Dombes ne sont pas le Midi, même à douze heures. Le soleil fait écrire n'importe quoi...


Etang Bataillard (Ph. JEA/DR).

Ayant échappé aux griffes des chardons puis aux champs chaud devant de tournesols, vous voici enfin devant les étangs de la Dombes.
En surface : plus de plomb fondu sous le soleil exactement que d'eau. Autrement dit : c'est du solide avec très peu de liquide. Et j'interpelle les Associations de protection : "Les oiseaux d'ici boivent-ils assez de lait pour ne pas trop souffrir de saturnisme ?" Question se comprenant d'autant mieux quand on constate de loin mais en toute objectivité, que les volatiles d'ici ressemblent à des flamands roses (il fait heureusement beaucoup trop torride pour réveiller la guerre linguistique entre francophones et néerlandophones).
Une personne ayant du temps à perdre compta ici jusqu'à mille étangs. Pour qu'y barbotent, précisent les dépliants touristiques, "27% des carpes et 21% des brochets élevés dans toute la France"... "Elevés", certes mais comment ? Les carpes restent muettes sur leur sort et les brochets évitent des querelles qui rappellent trop la phonétique des quenelles.


Tympan (Ph. JEA/DR).

L'église romane de Saint-Paul de Varax fut bâtie entre 1103 et 1150. Depuis sa butte culminant à 240m, elle pose pour les passants qui, à des kilomètres à la ronde, slaloment entre entre les étangs, faute de ne savoir marcher sur les eaux.
Sous une mandale ouvragée, les pieds d'un Christ de l'Ascension reposent sur le symbole de la Jérusalem céleste. Las, lui comme ses deux anges ont perdu la tête lors de la tourmente révolutionnaire. Il y a de quoi être furax...


Rue du Pont Rouge (Ph. JEA/DR).

Le chemin de fer passe par ce St-Paul-là depuis septembre 1866. Les registres municipaux annoncent 1100 habitants en ce XXIe siècle. Et cependant, pas un chat ni une chauve-souris à l'horizon. Personne n'est cependant tombé dans le Vieux Jonc, seul ruisseau traversant la commune.
Un silence circonspect. Même la boulangerie semble à l'abandon (sincèrement, le pain ne vaut pas le plus petit détour). Un tilleul se bourre lentement une pipe de vieux Jean Bart (grosse coupe) puis se la glisse en poche, il fumera quand les thermomètres cesseront de flirter avec ceux du Sahara...


(Ph. JEA/DR).

Pour économiser les mouvements sous la dictature solaire, d'une photo, en extraire trois. Votre regard perspicace sur la rue du Pont Rouge n'aura pas laissé s'échapper ce réverbère se glissant à l'ombre en attendant des heures plus légères...


(P. JEA/DR).

Et de trois. Toujours rue du Pont Rouge, vous ne passâtes point à côté de ces rideaux de chevaux rêvant d'être au moins des figurants dans une nouvelle version de Crin blanc... Ils galopent dans l'écume de ce jour-là et le poète saluerait volontiers leur courage !


(Ph. JEA/DR).

Voilà. J'espérais vous offrir quelques cartes postales de la Dombes. Pas des passe-partout, ni des passe-passe, si possible pas des passe-temps... Plutôt mes chimères.
Quelque part, une cloche ayant la gorge trop sèche, sonne la fin de la récréation des touristes. Je sortais ma boussole de son sommeil quand une pierre sourit ! Un réflexe et voilà un instantané au mille millième de seconde (au moins). Preuve que ce sourire n'était point un mirage. Ou qu'un mirage peut être photographié sans trucage.

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lundi 27 août 2012

P. 176. (Im) - Mobile home, le film

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Site du film ? Cliquer : ICI.

Synopsis

- "Simon a quitté son travail et son amie en ville pour rentrer dans son village natal où vivent ses parents retraités. Il y retrouve Julien, son copain d'enfance, lequel vit avec son père qui se relève d'une grave maladie.
Un soir, sur un coup de tête, ces deux trentenaires décident de réaliser un rêve d'adolescence : partir à l'aventure sur les routes. Ils achètent un camping-car, et se lancent dans leur projet avec enthousiasme, mais une panne les retarde. Qu'à cela ne tienne, ils commenceront leur voyage... sur place.
Cette première étape qui s'éternise, les petits boulots qu'ils doivent trouver pour survivre et les rencontres qui s'ensuivent leur ouvrent d'autres perspectives sur leurs désirs réels et sur cet avenir qu'ils ont, un peu vite, rêvé..."

François Pirot

- "Mobile Home pose la question du choix. Une interrogation, qui, à un certain moment de la vie, est inévitable et un peu angoissante quand, justement, on refuse d’avoir à choisir. À un certain âge, il devient nécessaire de se positionner, donc de faire certains choix, si on veut avancer plus loin et se donner la chance de construire quelque chose. Bien sûr, cela est angoissant, parce que le cadre qui définit notre vie se précise, et se réduit. Simon, angoissé à l’idée de se positionner, préfère «ouvrir toutes les portes» à nouveau. Dans le film, on découvre les deux personnages principaux, Simon et Julien, à ce moment charnière de leur vie, dans cet entre-deux où tout peut basculer. Ils préfèrent, dans un mouvement assez régressif, s’accrocher tant qu’ils peuvent aux dernières branches de l’enfance.

AFP

- "Simon et Julien font le voyage dans leur tête, dès qu'ils décident de partir", a indiqué pour sa part Arthur Dupont. La grande complicité des deux acteurs dans le film s'explique par le fait qu'ils sont aussi copains dans la vie. "On se connaissait déjà avant, et on a découvert avoir été sélectionnés tous les deux par le casting", a ajouté Arthur Dupont."
(4 août 2012).

Hugues Dayez

- "Une comédie pleine d'auto-dérision et légèrement désenchantée….un road movie totalement immobile. Extrêmement casse-gueule mais c'est écrit avec tellement de tendresse et tellement de justesse, c'est admirablement joué par deux comédiens, français, Arthur Dupont et Guillaume Gouix, mais malgré tout on a le sentiment d'être pleinement dans un film belge parce que j'y vois une allégorie de beaucoup de jeunes artistes en Belgique : qu'est-ce que je vais faire? Est-ce qu'on reste? Est-ce qu'on s'accroche à ses racines ou on ose la grande aventure, on ose partir, on ose s'exporter, quitte à y perdre complément son âme et se diluer comme ça dans un voyage vers un but incertain. Donc c'est très très profond et en même temps c'est souvent très drôle. C'est très très juste. C'est une très jolie découverte. Je suis tout à fait réjoui de pouvoir dire tout mon enthousiasme pour ce film. Retenez ce titre et retenez le nom du réalisateur parce que c'est une très belle entrée dans le cinéma…"
(RTBF).


"Simon et Julien font leur voyage dans leur tête..."

Waltraud Verlaguet

- "Un road movie sans road. Ou plutôt une route qui se limite aux détours et retours entre départs manqués et départs différés. Aucun drame n'entrave la vie des deux jeunes anti-héros, Julien, le tendre, et Simon au désarroi fanfaron, parfaite illustration d'une génération qui a du mal à trouver sa place dans la vie, emmêlée dans des bouts de rêves non assumés et des attentes.
Julien, par amour pour son père et celui, naissant, pour Valérie, finit par rester. Simon, trop abîmé par la succession de frustrations, finit quand-même par partir, le mobile home rempli de toutes ses affaires que son ex lui a collées devant la maison de ses parents - à l'image de tout ce qui encombre sa vie et qu'il n'arrive pas à ranger. Mais le jour se lève sur sa route."
(Pro-Fil).

Jean-Pierre Ricard

- « La sortie d’un film est parfois trompeuse et même cruelle. C’est fragile. Il y a la réalité du marché. Il est important que le nombre de spectateurs soit suffisant dès le premier jour », confie le cinéaste.
La plupart des séquences de Mobile Home ont été tournées dans la province du Luxembourg, mais aussi dans les Ardennes à la frontière luxembourgeoise et allemande.
« J’ai voulu raconter une histoire de jeunes gens issus de la classe moyenne. Ils approchent la trentaine et leur vieux rêve se réalise : partir en camping-car à l’aventure », explique François Pirot. Guillaume Gouix et Arthur Dupont, qui sont amis à la ville, campent deux personnages immatures, Julien et Simon. Ils ont du mal à couper les ponts avec leurs parents. Les situations sont cocasses, franches, limpides et tendres. Le jeu de rôle sonne juste chez ces jeunes acteurs, vrais espoirs du cinéma. Arthur Dupont a déjà été nominé.
Mobile Home apporte un bain de jouvence à des situations que le spectateur a pu lui-même connaître."
(Le Républicain Lorrain, 25 août 2012).

Phil Siné

- "François Pirot filme ses personnages avec une belle affection : s’il se moque parfois un peu d’eux et de leurs airs d’« adolescents » incapables de s’inscrire dans l’âge adulte, il les accompagne avec beaucoup de respect et surtout une grande humanité… Guillaume Gouix et Arthur Dupont forment un duo d’acteurs très réussi et très attachant dans ces rôles de paumés qui ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent, souvent hésitants ou ridicules dans leurs choix, toujours furieusement proches de nous… Comment s’inscrire dans le monde ? Faut-il renoncer à ses rêves ? Au gré de diverses rencontres et de situations insolites, les projets de Simon et Julien ne vont finalement jamais aller dans la direction qu’ils pensaient… Si Simon reste persuadé que sa liberté passera par la fuite de ce qui l’entoure (et l’enchaîne ?) ici, Julien finira au contraire par se rendre compte que son désir de partir l’amène à redécouvrir un bonheur qui se trouvait peut-être sur place… Les deux amis seraient-ils finalement en train de grandir pour se rendre compte qu’ils ne sont peut-être plus tout à fait les mêmes et qu’ils doivent du coup faire des choix différents en se séparant ?"
(La cinémathèque de Phil Siné, 16 juillet 2012).


Les trois personnages principaux : Simon, Julien et le mobile homme...

Nicolas Crousse


- "Avec Mobile home, François Pirot ne rate pas son entrée dans le cinéma. On lui devait deux ou trois courts-métrages, quelques scénarios (Nue propriété, Elève libre). Le voilà désormais dans la cour des grands.

Mobile home repose sur une jolie idée. On peut dire que c'est un road-movie immobile, dans la mesure où il raconte l'histoire de deux jeunes hommes (excellents Arthur Dupont et Guillaume Gouix), adolescents attardés peinant à quitter leur cocon familial mais qui s'y résolvent malgré tout un jour et qui achètent un camping-car sur un coup de tête, en estimant que la vraie vie est ailleurs, et certainement pas dans ce trou ardennais où ils se meurent d'ennui. Le problème, quand on vise une destination lointaine pleine de promesses, ce n'est pas le voyage en soi. Pas même la destination. Non : c'est qu'il faut tout simplement partir, claquer la porte ou embrasser ses parents... qu'importe, mais partir ! Et c'est là que ça va se corser, pour ces Tanguy losers rêvant d'aventures "into the wild", alors qu'ils ne sont pas foutus de couper le cordon avec Papa-Maman. Ce premier long est un mélange assez réussi de tendresse, d'humour et de cruauté."
(Le Soir, 22 août 2012).

Dimitra Bouras

- "Dans le titre du film tout est dit; le personnage principal étant un mobile home, un lieu de séjour itinérant. Les habitants ? Deux trentenaires qui, voyant les années s’écouler à grande vitesse, décident de rattraper leurs rêves d’adolescents, quand ils passaient des nuits blanches à noircir du papier gras et remplir des casiers de vidanges de bière, de chanter et de gratter les cordes de la guitare. A l’âge tendre de la peau délicate et du regard toujours clair, le sac à dos et la tente étaient presque superflus à la panoplie du globe-trotteur. Une dizaine d’années plus tard, on pense à préserver ses os et ses muscles et on opte pour la couche d’un matelas plutôt que celle des herbes folles. Et si l’option toit, douche, cuisine, etc. est fournie avec, pourquoi pas ?"
(La Libre Belgique, 14 août 2012).

CinéFemme

- "Chouette surprise par le regard attachant et tendre qu’il pose sur ses personnages un peu paumés, un peu déjantés, « Mobile home » séduit par la belle lumière qui l’habite.
Cette lumière qui non seulement donne aux paysages wallons une beauté magique et inspirante - la référence à Bouli Lanners est incontournable - mais encore procure au spectateur un inattendu apaisement.
Parce qu’il intuitionne que les problèmes rencontrés par le duo en goguette, leurs parents et leurs amours même s’ils sont graves - la maladie, le vieillissement, la peur de la solitude, la difficulté à trouver sa place dans le monde des adultes - trouveront une résolution.
Actionnée par un sentiment que le cinéma ne privilégie que trop rarement : l’affection.
Cette affection qui sans effets de manches et paroles mielleuses permet de se comprendre et de s’aider.
Avec délicatesse, générosité (métaphorisée par le recours généralisé aux plans larges) et sensibilité. Toutes les trois déclinées sur un mode léger, parfois burlesque, dont l’intention de fraternité bienveillante dérape souvent vers un décalé involontaire qui surgit, tel un sourire inattendu, des situations les plus banales."

Cyrille Falisse

- "Alors que l'on comprend que Simon et Julien ne partiront jamais, on s'attache instantanément à cette justesse de ton dans l'analyse des rapports sociaux et familiaux. Il y a une belle mélancolie qui s'échappe du film notamment à travers l'angulaire relation entre Julien et son père tout juste remis d'une grave maladie. La relation d'inter-dépendance qu'ils nouent entre eux est excessivement touchante et pourtant Pirot ne joue jamais la corde du pathos. C'est un écueil qu'il évite avec intelligence. La relation d'amitié qui unit les deux garçons est aussi intéressante sur la nécessité de la contradiction silencieuse pour se fixer des objectifs dans la vie."
(lepasseurcritique, 21 août 2012).



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jeudi 23 août 2012

P. 175. 23 août 1927 : Sacco et Vanzetti sur la chaise électrique

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Menottés : Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti (Cad.JEA/DR).

Alternative libertaire

- "Le 5 mai 1920, aux États-Unis, deux militants anarchistes d’origine italienne, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, sont appréhendés par la police de New York, dans un contexte social d’une extrême violence. Accusés d’un crime qu’ils n’ont pas commis, ils sont condamnés à la chaise électrique. Initiée par leurs camarades, la campagne pour leur amnistie, passionnelle, va gagner le monde entier (…).
Le profil de Sacco et Vanzetti correspond à l’idée que la police se fait des criminels qu’ils recherchent pour les affaires de droit commun. La veille de Noël de l’année 1919, dans la ville de Bridgewater (Massachusetts), une camionnette transportant une importante somme d’argent est attaquée. La camionnette percute un arbre, mais les assaillants prennent la fuite sans même s’emparer du butin potentiel. Interrogés par la police, les convoyeurs donnent le signalement d’un homme portant une moustache.
Le 15 avril 1920, dans la ville de South Braintree, important bassin industriel en banlieue de Boston, deux hommes armés tuent l’intendant et le responsable de la sécurité d’une usine et repartent aussitôt à bord d’une voiture avec 16.000 dollars.
Dans la nuit du 5 mai, la police arrête Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti. Les enquêteurs sont sûrs de tenir les coupables des crimes de Bridgewater et de South Braintree. Sacco, moustachu, est accusé du premier coup. Pour le second, ce sont les deux anarchistes qui sont mis en cause (…).
En juillet 1921, la sentence tombe : Sacco et Vanzetti sont condamnés à mort. S’ensuivent plusieurs années d’appels et de contre-appels (…).
Malgré un mouvement national et international de solidarité, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti sont exécutés sur la chaise électrique le 23 août 1927 à minuit."
(N° 195, mai 2010).

Pierre Milza


- "Depuis la fin de la guerre, il règne aux États-Unis un climat d'hystérie collective, dirigé contre les « rouges » et contre tous ceux dont la présence est jugée dangereuse pour la préservation de la "paix sociale" et de l'américanité. Avec les Juifs polonais, considérés comme les principaux "agents fourriers du bolchevisme", les Italiens sont directement visés par la chasse aux sorcières qui se développe à cette date dans les régions de forte immigration récente. On trouve nombre d'entre eux parmi les acteurs des batailles rangées avec la police, à New York ou à Cleveland, ou avec les anciens combattants de la très réactionnaire American Legion, ou encore dans les listes de suspects et d'expulsés qui sont dressés à la suite des fameux "raids" lancés par le ministre de la Justice Palmer dans les banlieues ouvrières de la côte Est (4000 arrestations dans la nuit du 2 janvier 1920).
Lors du procès de Dedham, Sacco et Vanzetti doivent affronter deux personnalités emblématiques de la bonne société bostonienne : le juge Webster Thayer, qui avait condamné Vanzetti à quinze ans de prison pour le crime de Bridgewater - et avait obtenu, contrairement aux usages, de juger aussi l'affaire de South Braintree -, et l'attorney de district Katzmann, lui aussi partie prenante dans l'affaire précédente. L'un et l'autre étaient connus pour leurs préventions politiques et xénophobes. Quant au jury, il avait été choisi en majorité parmi les "citoyens représentatifs" de la Nouvelle-Angleterre, "intelligents" et de "situation solide", au-dessus de tout soupçon certes, sinon celui de croire comme le juge Thayer que la "conscience d'avoir fait le mal" suffit à établir la culpabilité d'un homme."
(l’Histoire, 7 juillet 2012).


Pétition du comité de défense de Sacco et de Vanzetti à Boston (Doc. JEA/DR).

Lucien Degoy

- "À Washington, le président Coolidge, puritain de choc, refuse la grâce. En France, l’affaire est suivie quotidiennement par l’Humanité. Jusqu’au fatidique 23 août, où l’assassinat des deux hommes occupe la totalité de la une d’une édition spéciale sous le titre « Électrocutés ! Le prolétariat les vengera ». « C’est le dernier mot de la « civilisation » capitaliste », écrit Vaillant-Couturier dans son éditorial. L’annonce de l’exécution provoque un ouragan d’indignation. Des foules immenses se rassemblent à New York, Detroit, Philadelphie… Les obsèques sont suivies par 400 000 personnes portant le brassard « La justice est crucifiée. Souvenez-vous du 23 août 1927 ». Quatre-vingts ans ont passé. L’inique procès n’a jamais été révisé. Sacco et Vanzetti ont, indirectement, été réhabilités en 1977, lors du cinquantième anniversaire de l’exécution, par la bouche du gouverneur du Massachusetts, Mike Dukakis, reconnaissant dans un communiqué qu’ils n’avaient pas bénéficié d’un procès équitable. Il y a dix ans, la ville de Boston a fini par inaugurer un bas-relief réalisé par le sculpteur Gutzon Borglum… dans les années trente. Il rappelle les paroles de Vanzetti espérant que leur cas apporte « une leçon aux forces de la liberté ». On n’oublie pas Sacco et Vanzetti."
(L’Humanité, 23 août 2007).

Union anarchiste

- "Comme il fallait des coupables à la justice et qu’elle ne pouvait mettre la main sur eux, elle inculpa deux révolutionnaires : Sacco et Vanzetti. À l’instruction, ceux-ci démontrèrent l’inanité de l’inculpation puisqu’ils prouvèrent que le jour de l’assassinat, ils étaient loin du lieu de l’attentat. Ils furent toutefois traduits devant un tribunal qui refusa d’entendre leurs témoins à décharge et fit seulement le procès des idées des accusés. Nos camarades se réclamèrent hautement de notre idéal, mais s’élevèrent contre l’accusation monstrueuse qui pesait contre eux. Ils eurent une attitude réellement belle qui à plusieurs reprises remua profondément l’assistance et lui arracha des larmes. Mais ils se débattirent vainement contre l’ignoble inculpation ; les jurés n’écoutant point la raison, se moquant des sentiments les plus nobles et piétinant leur propre légalité, prononcèrent la peine de mort contre Sacco et Vanzetti.
À l’énoncé de cette sentence, un cri strident retentit, c’était la compagne de Sacco qui, délirante, se jetait sur la cage où était enfermé son compagnon et, se glissant auprès de lui à travers les barreaux, le serrait dans ses bras. L’émotion fut à son comble lorsque à la sortie des jurés Sacco, droit pâle, énergique et le doigt tendu leur cria : Vous assassinez deux innocents !"
(Tract, septembre 1921).


B. Sacco sur la chaise électrique d'après Hugo Gellert - campagne contre l'exécution des deux anarchistes, en décembre 1926 (Doc. JEA/DR).

Ronald Craigh

- "C’est à la fois un procès d’opinion et un affrontement de classes. Chacun sait que c’est l’anarchisme qui est en réalité dans le box. La personnalité très digne et respectable des accusés en fait des figures emblématiques de la souffrance ouvrière. Elle touche les humanistes de toute obédience. Vanzetti a tellement appris en prison que son discours devant le tribunal est devenu un classique d’éloquence judiciaire. Et, par un effet de retour du politique, ce sera la première fois que la réputation de l’Amérique est mise à mal à la face du monde. Aux États-Unis, le procès a laissé une trace profonde dans le monde judiciaire, il constitue un cas d’espèce qui a conduit à réviser nombre de procédures, notamment celle du recours."
(L’Affaire Sacco et Vanzetti, Éditions de Paris et Atelier de création libertaire, 2007).

Bartolomeo Vanzetti au juge Thayer :

- "Si cette chose n’était pas arrivée, j’aurais passé toute ma vie à parler au coin des rues à des hommes méprisants. J’aurais pu mourir inconnu, ignoré : un raté. Ceci est notre carrière et notre triomphe. Jamais, dans toute notre vie, nous n’aurions pu espérer faire pour la tolérance, pour la justice, pour la compréhension mutuelle des hommes, ce que nous faisons aujourd’hui par hasard. Nos paroles, nos vies, nos souffrances ne sont rien. Mais qu’on nous prenne nos vies, vies d’un bon cordonnier et d’un pauvre vendeur de poissons, c’est cela qui est tout ! Ce dernier moment est le nôtre. Cette agonie est notre triomphe."

Vanzetti au fils de Sacco :

- "Rappelle-toi, Dante, rappelle-toi toujours ces choses. Nous ne sommes pas des criminels. On nous a condamnés sur un tissu d'inventions, on nous a refusé un nouveau jugement, et si l'on nous exécute après sept ans, quatre mois, onze jours de souffrances inexprimables, c'est pour les raisons que je t'ai dites, parce que nous étions pour les pauvres et contre l'exploitation et l'oppression de l'homme par l'homme."
(Lettre rédigée juste avant son exécution).


L'une des affiches du film engagé de Giulano Montaldo (DR).

Synopsis

- "New York, 1920. Deux Italiens, Nicola Sacco, cordonnier, et Bartolomeo Vanzetti, marchand de poissons anarchiste, sont arrêtés et accusés du meurtre de deux hommes commis au cours d'un hold-up. Fred Moore, leur avocat, démontre leur innocence mais le procureur et le juge développent une argumentation imprégnée de xénophobie et de paranoïa antibolchevique. Le jury condamne à mort les deux Italiens."

Varlin

- "Il y a des films qui comptent dans la vie d'un cinéphile (…) : celui-ci en fait indéniablement partie.
Cependant, autant vous prévenir tout de suite, ce film est très difficile à se procurer, il faut croire que les idées véhiculées par celui-ci font toujours peur.
L'Anarchie ferait-elle peur, cette idéologie fondée sur l'égalité absolue entre les hommes (je résume honteusement...) ?
Ce film, réalisé par Giuliano Montaldo, est tiré d'un fait réel au point que tout les faits et personnages sont véridiques.
C'est d'ailleurs précisé au début du film, non sans une certaine ironie.
Que dire de l'interprétation, si ce n'est qu'elle est remarquable, et que Riccardo Cucciola recevra le prix d'interprétation à Cannes en 1971 ? Quant à Gian Maria Volonte, l'acteur est exceptionnel."
(Naveton cinéma, 16 septembre 2011).



VO.

Si le film, malgré un succès médiatique à Cannes mais surtout un accueil chaleureux du public, fut ensuite recouvert par trop de poussières du temps, la chanson de Joan Baez extraite de la bande originale, n'a pas pris une ride.

Géraldine Peteytas


- "Surnommée "la reine du folk", Joan Baez est l'une des chanteuses américaines populaires des années 60; soprano, elle est autant connue et appréciée pour sa voix extraordinaire que pour son engagement politique.

Née en 1941 à New-York, Joan Baez aura son premier acte de désobéissance civile à seulement 15 ans lorsqu'elle refusera de participer à la simulation d'un bombardement et d'évacuer l'école pour se réfugier dans des bunkers (…).
Dans les années 60 elle a rejoint le Mouvement pour les droits civiques aux Etats Unis, puis celui de la liberté de parole et lorsque la guerre du Vietnam éclate, bien entendu en désaccord Joan Baez participe aux différentes marches et concerts organisés en faveur du combat anti-guerre.
Dans les années 70, elle adhère à Amnesty International et crée sa propre association intitulée Humanitas International, cette dernière a pour but de lutter et dénoncer les violations aux droits de l'homme.
Indivisible de sa carrière musicale, son engagement politique trouve ancrage et résonnance dans les chansons qu'elle chante et/ou écrit."
(Musique@suite101, 26 octobre 2010).

Pour les paroles de sa Marche composée pour la bande originale du film de Montaldo, Joan Baez s'est inspirée des déclarations de Vanzetti au juge Thayer. La musique est signée Ennio Morricone.

- "Here's to you, Nicola and Bart
Rest forever here in our hearts
The last and final moment is yours
That agony is your triumph

Father
Yes, I am a prisoner
Oui, je suis en prison
Fear not to relay my crime.
N'aie pas peur de rappeler mon crime
The crime is loving the forsaken
Le crime est d'aimer les abandonnés
Only silence is shame
Seul le silence est honteux

And now I'll tell you what's against us
Et maintenant je vais vous dire ce qui est contre nous
An art that's lived for centuries
Un art qui s’impose depuis des siècles
Go through the years and you will find
Traversez les années et vous trouverez
What's blackened all of history
Ce qui a occulté toute l'Histoire
Against us is the law with its immensity of strength and power
Contre nous est la loi avec l'immensité de ses force et pouvoir
Against us is the law !
Contre nous est la loi !
Police know how to make a man a guilty or an innocent
La police sait comment faire d'un homme un coupable ou un innocent
Against us is the power of police !
Contre nous est le pouvoir de la police !
The shameless lies that men have told will ever more be paid in gold
Les mensonges sans scrupules que ces hommes ont répandus seront encore payés d'or
Against us is the power of the gold !
Contre nous est le pouvoir de l'or !
Against us is racial hatred and the simple fact
Contre nous est la haine raciale et le simple fait
That we are poor
Que nous sommes pauvres.

My father dear,
Mon cher père,
I am a prisoner
Je suis en prison
Don't be ashamed to tell my crime
N'aie pas honte de raconter mon crime
The crime of love and brotherhood
Le crime d'amour et de fraternité
And only silence is shame
Et seul le silence est honteux.

With me I have my love, my innocence, the workers, and the poor
Pour moi j'ai mon amour, mon innocence, les travailleurs et les pauvres
For all of this I'm safe and strong and hope is mine
Pour tout cela je suis sauf et fort, et l'espoir est mien
Rebellion, revolution don't need dollars they need this instead
La rébellion, la révolution n'ont pas besoin de dollars mais de ceci
Imagination, suffering, light and love
Imagination, souffrance, lumière et amour
And care for every human being
Et considération pour tout être humain
You never steal, you never kill
Tu ne voles jamais, tu ne tues jamais,
You are a part of hope and life
Tu portes une part d’espoir et de vie
The revolution goes from man to man and heart to heart
La révolution va d'homme en homme et de coeur en coeur
And I sense when I look at the stars
Et je sens quand je regarde les étoiles
That we are children of life
Que nous sommes les enfants de la vie
Death is small.
La mort est petite en comparaison..."




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lundi 20 août 2012

P. 174. 18 août 1705 : J-F Rebel rejoint les 24 violons du Roi

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Violon du Roy. Gravure (1688) de Nicolas Arnault. Musée du Carnavalet (DR).

L’Express

- "Jean-Féry Rebel, ou Jean-Ferry Rebel, (18 avril 1666 - 2 janvier 1747) est un violoniste et compositeur français de l'époque baroque. Il était fils d'un chanteur, et fut remarqué pour ses dons, dès huit ans, par Lully, auquel il doit sa formation. Sa soeur, une chanteuse, épousa le compositeur Michel-Richard Delalande. En 1705, il fut recruté parmi les Vingt-quatre Violons du Roi ; il devint plus tard maître de musique à l' Académie royale de Musique (1716), puis compositeur de la Chambre du roi en 1726, enfin maître de musique de l'Académie Française en 1742."

A partir du 18 août 1705, Jean-Fery Rebel devient l'un des « 24 Violons du Roi »


Centre de musique baroque de Versailles

- "Les Vingt-quatre Violons du Roi, appelés également La Grande Bande, ou encore Les Violons Ordinaires de la Chambre du Roi est une formation musicale qui, de 1577 jusqu'à sa suppression par un édit de 1761, fut destinée aux divertissements et cérémonies officielles de la Cour de France. Renforcée à de maintes reprises par les 12 Grands Hautbois de la Grande Écurie, elle est le premier exemple d'orchestre formel, constitué sur la base d'un groupe d'instruments à cordes (…).
L’Orchestre était de tous les divertissements donnés à la Cour - bals, ballets, concerts - et de toutes les cérémonies officielles, réception de souverains, pompes funèbres... Il se joignait au besoin à l'orchestre de l'opéra. D’après Voltaire dans Le Siècle de Louis XIV, les Vingt-quatre Violons « étaient toute la musique de la France ». Ils ne jouissaient pas moins d’une vaste réputation à l’étranger, grâce aux recueils de danses françaises, notamment en Allemagne, en Suède, et en Angleterre."

Camille Larbey


- "A la différence des autres grands ensembles étrangers, celui-ci a pour particularité de rassembler non pas quatre, mais cinq familles de violons. Chacune a une dimension et un timbre spécifiques.
Mais la montée en puissance au XVIIIe siècle de l’orchestre italien – à quatre parties et qui joue notamment sur des altos, violoncelles et contrebasses – détrône les 24 Violons du roi. L’orchestre est supprimé en 1761. Avec lui disparaissent la plupart de ses instruments d’époque.
(Rue 89, 8 juillet 2012).

1761 : les 24 violons se taisent.
2012 : le Centre de musique baroque de Versailles les fait renaître dans toute leur splendeur.





Mais revenons à Jean-Féry Rebel.
Les Eléments marquent dès leur première audition. Et persistent ensuite à troubler, à questionner, à revenir aux quatre fondamentaux que sont l'eau, l'air, le feu, la terre. Au départ d'un Chaos extraordinaire.

Catherine Cessac

- "Musicien quelque peu oublié de nos jours, en retrait des grandes figures d'André Campra, de Jean-Philippe Rameau, ou encore de son beau-frère, Michel-Richard de Lalande, Jean-Féry Rebel mérite cependant une meilleure place. Ses multiples activités au sein des illustres institutions que furent la Musique de la Chambre du Roi et l'Académie Royale de Musique, son appartenance à une dynastie de musiciens qui s'étendit sur trois générations, ses compositions enfin, notamment dans le domaine de la sonate (dont il fut l'un des premiers représentants en France et sûrement le plus brillant) et de la symphonie de danse (Les élémens constituant la dernière œuvre du compositeur fut considérée en son temps et toujours aujourd'hui comme un chef-d'œuvre) en font une figure majeure de l'histoire de la musique française de la première moitié du XVIIIe siècle."

Marie-Geneviève Massé

- "Rebel dépasse le concept de l’esthétique de l’imitation en ouvrant la voie à la musique pure par un langage audacieux de l’harmonie. Son génie se révèle aussi dans l’agencement des pièces, des effets de juxtaposition, des rythmes exceptionnels et un jeu infini dans la variété des sonorités."
(Compagnie de l’Eventail).

Médiathèque


- "Jean-Féry (…) revient à la composition à 73 ans avec Les Eléments, « symphonie » considérée comme l’une des plus abouties du genre au XVIIIème siècle. Cette suite de danses et de morceaux de fantaisie fait évoluer les motifs de la Terre, de l’Eau, du Feu et de l’Air dans des combinaisons instrumentales changeantes et colorées. Un impressionnant prologue non dansé, Le Chaos, y est joint quelques mois plus tard. Son langage harmonique et sa conception générale ne cessent de nous surprendre aujourd’hui encore.

Seule une soixantaine d’œuvres de Jean-Féry Rebel nous sont parvenues, dont aucune de l’époque où il était compositeur de la Chambre du Roi. Il lègue à la postérité une image de novateur, et l’on a tôt fait d’oublier son unique et peu originale tragédie lyrique Ulysse, composée à 37 ans. Jean-Féry Rebel se décharge progressivement de ses nombreuses responsabilités sur son fils aîné François grâce à la survivance de ses charges, tout en gardant son poste parmi les « Vingt-Quatre ». Il est inhumé à plus de 80 ans aux côtés du jardinier Le Nôtre, de Racine et de Thomas Corneille."
(Cité de la Musique).


Avertissement manuscrit de J-F Rebel (Mont. JEA/DR).

Avertissement aux Eléments

- "Les Elemens peints par la danse et par la Musique m’ont paru susceptibles d’une variété agréable, tant par rapport aux differens genres de musique, que par raport aux habits et aux pas des danseurs.
L’introduction a cette symphonie étoit naturelle ; C’éstoit Le Chaos même, cette confusion qui régnoit entre Les Elemens avant L’instant ou, assujettis a des loix invariables, ils ont pris la place qui leur est prescrite dans L’ordre de la Nature.
Pour désigner, dans cette confusion, chaque Element en particulier je me suis asservi aux conventions les plus reçues.
La Basse exprime la Terre par ses notes liées ensemble et qui se jouent par secousses ; Les Flutes par des traits de chant qui montent et qui descendent imitent le cours et le murmure de L’eau ; L’air est peint par des tenües suivies de cadences que forment les petites flutes ; Enfin les Violons par des traits vifs et brillans réprésentent l’activité du feu.
Ces caracteres distinctifs des Elemens se font reconnoître, séparés ou confondus,en tout ou partie, dans diverses reprises que J’appelle du nom de Chaos, et qui marquent les efforts que font les uns des autres. Au 7e Chaos ces efforts diminuent a proportion que l’entier débrouillement approche.
Cette premiere idée m’a mené plus loin. J’ai osé entreprendre de joindre a l’idée de la confusion des Elemens celle de la confusion de L’harmonie. J’ai hazardé de faire entendre dabord tous les sons mélés ensemble, ou plutost toutes les notes de l’Octave réunies dans un seul son. Ces notes se développent ensuite, en montant a L’unisson dans la progression qui leur est naturelle, et, après une Dissonance, on entend L’accord parfait.
J’ai crû enfin que ce seroit rendre encore mieux Le Cahos de l’harmonie si, en me promenant dans les differents Cahos sur differentes cordes, Je pouvois, sans choquer l’oreille, rendre le ton final indécis, jusqu’a ce qu’il revint indéterminé au moment du débrouillement."

Le Chaos

- "Cette pièce visionnaire se situe à la charnière de deux époques, entre musique imitative et musique pure. On pourrait alors prêter à Rebel les propos de Rameau, jugeant que l’harmonie « est l’unique base de la musique, et le principe de ses plus grands effets ». Rebel choisit ainsi ses accords et leur agencement de façon à ce qu’ils expriment le chaos par eux-mêmes, sans recours à la voix ou à un décor."
(Médiathèque, la Musique de Versailles).


Version Musica Antiqua Köln sous la direction de Reinhard Goebel.


Christopher Hogwood à la tête de l'Academy of Ancient Music.

A lire

- Cessac Catherine, Jean-Féry Rebel, « Sciences de la musique », CNRS Éditions, Paris 2007, 192 p.

Et cette perle de culture, trouvée sur
Concerts.fr :

- "Pour ne plus rien manquer concernant Jean-Féry Rebel, recevez gratuitement son actualité dans votre boîte mail : ses passages à la télé, au cinéma, en spectacle ou en concert."

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jeudi 16 août 2012

P. 173. "Tourbillon", le film

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Site : http://www.tourbillon-lefilm.com/

Synopsis

- "Elle a 81 ans et elle danse encore. Au Brésil, Bastu vit au rythme des fêtes de son village, de la musique traditionnelle, de ses imaginations surréalistes et des rêves qui ont composé sa vie.
Un matin, elle découvre son mari décédé dans son sommeil. Malgré le deuil soudain et l'impression de réapparitions incessantes, elle conserve tout son esprit, ses notes d'humour, son envie de s'amuser et de vivre."

Dossier de presse

- « Bon, tu es mort, ça suffit maintenant, qu’est-ce que tu veux encore ? » Dans sa maison de São Romão, au coeur du Sertão brésilien, l’octogénaire Bastú ne verse pas une larme quand elle trouve son mari Feliciano mort dans son lit. Mais l’impassibilité dont elle fait preuve face à ses petits-enfants masque un travail de deuil complexe : la présence du mort la tourmente, elle l’entend travailler la nuit dans son atelier de maréchal-ferrant. Comment aurait-elle peur, elle qui rappelle que jeune fille, elle aimait s’amuser à tirer au pistolet ?
Dans une veine ethnographique nourrie de musique locale (les magnifiques séquences de chant de Maria, l’amie de la grand-mère) comme de réalisme magique (les réalisateurs se réfèrent aux romanciers João Guimarães Rosa et Gabriel Garcia Marques), cette fiction fait jouer leur propre rôle à des acteurs non professionnels filmés dans leur intérieur, avec leurs objets quotidiens."

Helvécio Marins Jr. et Clarissa Campolina


- "Bastu et Maria, toutes deux octogénaires, sont deux femmes fortes et pleines de vie. Elles conduisent la narration de TOURBILLON aux côtés de leurs petits-enfants et neveux. Maria, c’est le mystère, la sagesse et la force du Sertão. Très ancrée dans les traditions locales, Maria a hérité de ses parents l’art des percussions. Sa musique, simple et authentique, évoque le temps passé et le monde qui l’entoure, ses croyances, l’amour, la souffrance et les rêves. Par son mystère, elle nous montre des vérités et des motivations qui nous resteront inaccessibles. Nous trouvons qu’il y a une véritable beauté dans cette incompréhension.
Bastu est plus sage, joyeuse, c’est une qui personne comprend les transformations de la vie. Elle est capable de dissoudre les frontières entre la réalité et l’imagination. Sa façon de voir les choses inspire une forme différente d’interaction avec le monde. TOURBILLON commence avec la mort de Feliciano, le mari de Bastu, et suit cette dernière dans ses questionnements et son désir de se rétablir dans une nouvelle vie. Lors de cette quête, le film dérive et dévoile son environnement, faisant ainsi la place aux plus jeunes et au paysage local. Ceci apporte l’atmosphère de leur vie contemporaine. Les jeunes personnages ont un rôle important dans le film. Ils portent de nouvelles formes de relation à la ville, au mariage et aux traditions. Ils ont un regard différent sur le monde et de nouvelles perspectives de la réalité. Dans ce contexte, les relations entre les personnages révèlent une tension subtile entre la réalité et l’imagination, entre la tradition et le mode de vie contemporain, entre la vie et la mort, le temps passé et le présent."


Maria (DR).

Xavier Leherpeur

- "Entre ses amis, sa famille, son goût pour la fête et la récente perte de son époux, Marie, 81 ans au compteur, continue de tracer sa route, répondant aux coups du sort par un large sourire jamais résigné. Le documentaire de Helvécio Marins Jr. et Clarissa Campolina évite l’écueil du pittoresque enjoué pour dessiner le portrait contrasté, entre énergie débordante et mélancolie profonde, d’une femme haute en couleur, digne des romans de García Márquez ou Juan Rulfo."
(CinéObs, 14 août 2012).

Journal cinéphile lyonnais

- "Un objet cinématographique un peu déroutant, dont on ne sait pas très bien s’il s’agit d’un docu-fiction, ou quoi… Fiction, assument les réalisateurs, mais basée sur la vie de personnages existants… Tourné avec des non professionnels, le film est « rattaché à la réalité de ses acteurs ».
Helvécio Marins Jr. s’est lancé dans la réalisation de Tourbillon, son premier long métrage, après avoir été récompensé pour plusieurs courts métrages.
Clarissa Campolina, spécialisée en arts plastiques et réalisatrice de courts elle aussi, l’a suivi dans l’aventure avec la même envie de faire découvrir au public, une population et un lieu qui les a fascinés tous les deux."
(13 août 2012).

Jacques Mandelbaum

- "Le personnage principal, Bastu, est une vieille et forte femme, férue de tir au pistolet et peu encline au sentimentalisme, qui vient de perdre son mari. Celui-ci lui rend depuis lors des visites régulières et inopportunes, à la faveur de la nuit, qui laissent penser à Bastu qu'il est "encore pire qu'avant". Le naturel avec lequel Bastu entremêle la réalité et le songe détermine la tenue du film et le type de rapports entre les personnages.
D'un côté Maria, la copine octogénaire de Bastu, complice en sortilèges et en humour, chanteuse et percussionniste hors pair. De l'autre, les petits-enfants des deux grands-mères, qui éprouvent tendresse et affection pour les ancêtres, ce qui ne les empêche pas de cultiver un rapport plus contemporain au monde.
Le film, qui fait de l'absence jamais justifiée de la génération intermédiaire l'une des clés de sa beauté et de son mystère, divague sans objectif précis, si ce n'est celui de composer une sorte de fugue où la présence somptueuse de la nature, l'incantation chantée, l'esprit des mots et l'inquiétude de l'avenir forment un tableau comme suspendu dans le temps.
On pense, plus d'une fois, à la superbe indolence de l'été portugais mise en scène dans Ce cher mois d'août (2008) de Miguel Gomes. Rythmée par le cours infini de la rivière proche, le Sao Francisco, la magie endeuillée de Tourbillon opère ainsi sans qu'on y prenne garde. Comme le dit Bastu, "ce n'est pas le temps qui s'arrête, c'est nous qui nous arrêtons".
(Le Monde, 14 août 2012).


Bastu (DR).

Thomas Roland

- "Cette œuvre sur le deuil peut en rebuter plus d’un par son refus d’utiliser la grammaire cinématographique, ses dialogues qui semblent improvisés tout en étant didactiques, ses acteurs non dirigés et son absence de réelle histoire. Une intrigue légère où des personnages apparaissent et disparaissent dans le quotidien de Bastu rendent le tout un brin décousu. Comme dans la vie. Pourtant, Tourbillon bénéficie d’un beau travail de photographie, arrive à capter le réel pour mieux le rendre palpable malgré la barrière de l’écran. Parfois, l’ambiance flirte avec le fantastique, notamment lors d’une scène de rituel dans une rivière, le plus beau passage du film, qui par son traitement du son acquiert des accents tarkovskiens."
(Mondomix, 15 août 2012).

Jean-Baptiste Viaud

- Tourbillon est un film de musique, en forme de mélodie même, rythmé par les chansons traditionnelles que Bastu fredonne tout le temps et dans lesquelles elle puise joie et conseils de vie. « Je vais cesser de t’aimer pour pouvoir enfin vivre. » À 81 ans, il est encore temps. Et puis elle rit, elle rit toujours, à gorge déployée même si sa voix ne porte plus autant qu’avant. Elle rit parce que c’est drôle, en fin de compte, cette vie qu’elle aime mais qui n’a pas de sens. « Nous n’avons ni début, ni fin. Nous ne sommes ni jeunes, ni vieux. Nous vivons, c’est tout. » Tourbillon n’oublie pas d’être un film de cinéma, et pas une œuvre de ciné-club en terra incognita. Marins Jr. et Campolina font s’alterner plans serrés pour les petits détails du quotidien, comme ratisser les feuilles sur son perron ou faire du thé ; et plans larges pour les vastes paysages, ces paysages infinis du Brésil, tout autour et juste à côté, dans lesquels Bastu ne s’aventure que rarement."
(Il était une fois le cinéma, webzine).

Virgile Dumez

- "Pétri de références prestigieuses, le travail des deux novices se glisse dans les pas rigoureux de cinéastes aussi intransigeants que Carlos Reygadas, Nuri Bilge Ceylan ou encore Apichatpong Weerasethakul. Sublimé par une photographie très travaillée, Tourbillon offre de purs moments contemplatifs qui devraient bouleverser tous les amateurs de cinéma exigeant. Grâce à une attention maniaque apportée à la prise de son, les auteurs parviennent à saisir les moindres nuances d’un intérieur et à faire des éléments naturels une symphonie. Autant d’éléments qui font de cet hymne à la vie une expérience sensorielle unique."
(avoir-alire.com).





Julien Gester

- "Le film tisse ainsi son joli mystère, tournoyant élégamment autour de quelques béances jamais expliquées - grands-mères et petits-enfants vivent ensemble, mais où sont les fils et les filles ? De sa protagoniste, il adopte le singulier régime d’appréhension du monde, comme pour mieux scruter ce qui en elle résiste furtivement au deuil.
Quand le village pleure le défunt, Bastu demeure en effet impassible, pareille aux eaux du fleuve São Sebastião, qui chemine non loin et par lequel désertent peu à peu les jeunes gens. Alors qu’elle perd la vue, elle songe, pleine de gourmandise, à São Paulo et ses lumières - elle connaît, elle aime bien, elle y est allée de nombreuses fois (mais seulement en rêve, bien évidemment). Elle ne verse pas une larme, tout juste se rappelle-t-elle avoir pleuré une fois, il y a longtemps."
(Libération, 15 août 2012).

Autres films à l'affiche de ce cinéma rural ? Cliquer : ICI.

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lundi 13 août 2012

P. 172. Un bia bouquet de dix gaillardes pour Christian Delwiche

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Six pages de ce blog ont été rédigées et illustrées par des invité(e)s :

- "Imaginez un pays", la Belgique de Jean-Charles Verlinden, P. 18
- "Haïkus du bord de mer" et de Danièle Duteil, P. 26
- "Li Bia Bouquet" de Christian Delwiche, P. 40
- "Julos Beaucarne" sur l'île aux trésors de Colo, P. 90
- "Cette si petite surface du globe" d'Isabelle C..., p. 105
- "La Mère Castor peint-et-rature", p. 159.

En introduction à la P. 40 du 2 juin 2011, ces quelques mots présentaient la capitale de la Wallonie devenue petit oiseau sortant de l'appareil photo de Christian Delwiche :

- "Depuis 2002, il arpente Namur
en long, en large, en marge,
à pied, à cheval sur les lignes blanches, en voiture électrique, en Namourette (1),
prenant des airs de rien et de beaucoup
en vrai lumeçon (2), en authentique sosson (3)
en Namurois, quoi...
chaque semaine, son site met en vitrine un nouvel album de près de 80 photos et l'on se bouscule, venu parfois de très très loin, pour ne pas laisser se perdre ces moments de rêver encore, de peaufiner ses nostalgies, de rire avec les trognes du coin, de revenir sur ses propres pas, de repartir vers d'autres lendemains qui chantonneront en Wallon..."

Ce 15 août 2012, Christian Delwiche, fête les dix ans de son "Bia Bouquet" (4). Soit près de 29.000 photos sur un seul sujet polymorphe : Namur. La ville et ses passants se révèlent, semaine après semaine, des phénix renaissant des cendres de nos souvenirs. Et le photographe, un artiste dont on ne sait jamais par quelle grâce il va sortir de son chapeau des moments magiques...

Rendez-vous est dont donné ce 15 août à 15h15, à l'ombre de la Maison de la Culture de Namur, à quelques pas de la Porte de Sambre et Meuse (5), sur un espace de verdure entre pierres et rivière. Non pour une cérémonie avec un pesant concours de discours. Mais d'abord pour un rendez-vous de copines et de copains rassemblés comme un Bia Bouquet de dix gaillardes (6) offertes à Christian Delwiche (dont voici quelques clichés récents publiés grâce à sa générosité).


(Ph. C. Delwiche).
Namur : bien plus que des décors pour cartes postales. La Sambre depuis la Citadelle.



(Ph. C. Delwiche).
Les Namurois et leur humour teinté d'auto-dérision et accessible aux lents et même très lents d'esprit (7).



(Ph. C. Delwiche).
Histoires namuroises. 1660 : l'école dominicale pour les pauvres, 20 rue Rupplémont (8).



(Ph. C. Delwiche).
Namur insolite pour des piétons pas pressés...



(Ph. C. Delwiche).
Les Namurois et leur sens de la fête. Ici une enseigne de croustillons (9).



(Ph. C. Delwiche).
Namur et ses rêveries qui ne trompent pas l'oeil...



(Ph. C. Drelwiche).
Namur qui refait le monde...



(Ph. C. Delwiche).
Départ en musique, depuis le Marché aux Légumes, pour aller rejoindre le 15 à 15h15, la bande sons et lumières des sossons de C. Delwiche.



(Ph. C. Delwiche).
Que vous veniez à pied, à cheval, si possible pas en voiture, mais pourquoi pas en Namourette ?



Message de Christian Delwiche...


NOTES

(1) Navette fluviale. Elle flotte les mois d'été sur la Sambre aussi bien que sur la Meuse. Une manière originale d'échapper aux embouteillages et autres problèmes insolubles de parking.

(2) Une limace. En Wallon, un escargot se dit : "caracole". Allusion à la lenteur proverbiale des Namurois.

(3) Un ami, un compère, un joyeux compagnon.

(4) "Li Bia Bouquet : Le Beau Bouquet". Chanson composée par Nicolas Bosret en 1856. Notamment air des Fêtes de Wallonie, à Namur. A la fin des années 1950, il était toujours obligatoire de l'apprendre dans l'enseignement secondaire.
Refrain :
- "C’èst d’mwin li djoû di m’ mariadje,
Aprèstez, aprèstez tos vos bouquèts.
Nos lès mètrans au cwârsadje
Dès bauchèles di nosse banquèt.
Mins c’èst l’ mène li pus djolîye
Ossi vraîmint dji m’ rafîye
Di lî doner li bouquèt.
Elle aurè li bia bouquèt."

(5) Erigée en 1728, cette porte monumentale est l'oeuvre de Denis Georges Bayar (1690-1774), architecte et sculpteur namurois.

(6) La Gaillardia grandiflora rappelle les couleurs du drapeau wallon : un coq rouge sur fond jaune or.

(7) Place de la Bourse à Namur. Djoseph et Francwès sont deux personnages sortis de l'imagination de Jean Legrand et qui symbolisent à eux deux les spécificités des Namurois.

(8) L'Ecole des Pauvres, propriété de l'abbaye de Floreffe, fut louée à la Ville de Namur. Puis au XIXe, les Jésuites y donnèrent des cours de catéchisme. Leur succédèrent des instituteurs laïcs pour les enfants du quartier. Puis les Frères des Écoles chrétiennes y enseignèrent à leur tour. Jusqu'au mayorat de Louis Namèche (1977-1982) sous lequel elle devint une école communale.
L'ASBL «Escholle Dominicale pour les Pauvres», à caractère social, anime ce bâtiment historique depuis janvier 2008.

(9) Recette de croustillons (beignets) : Battre des œufs et du sucre, ajouter du lait, de la farine et de la levure. Chauffer une friteuse à 180°c. A l'aide de deux cuillères à café, façonner de petites boules de pâte à confier à la friteuse. Les laisser dorer en les retournant. Les boules ne doivent être ni trop mollassonnes ni trop costaudes. Les égoutter sur du papier absorbant et les servir saupoudrées de sucre glace. Les croustillons peuvent être parfumés avec de la cannelle, de la vanille, de la fleur d'orange etc...


(Ph. C. Delwiche).
Lieu de rendez-vous pour la fête à Christian Delwiche, le 15 août.


Autres pages dans l'album photos de ce blog ? Cliquer : ICI.



jeudi 9 août 2012

P. 171. Le fond de l'air est moins rouge depuis la mort de C. Marker

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Gilles Jacob

- "Esprit curieux, cinéaste infatigable, poète amoureux des chats, vidéaste, personnage secret, immense talent, sommes orphelins de Chris Marker."

Thomas Sotinel


- "Refusant de se laisser photographier ou interviewer, Chris Marker n'était pas pour autant un misanthrope, comme en témoignent ses nombreux proches. "C'était un homme profondément honnête, politiquement et cinématographiquement", a dit au Monde l'un de ses proches, le cinéaste Costa-Gavras."
(Le Monde, 30 juillet 2012).

Dominique Poiret

- "Il était l’un des grands cinéastes de notre temps mais le plus secret aussi. On lui doit des chefs-d’œuvre témoins du temps, notamment, La Jetée en 1962, dont s’était inspiré Terry Gilliam pour L’Armée des douze singes, et qui aurait donné son nom à un bar, à Tokyo, dans le quartier de Shinjuku. Marker entretenait des relations très privilégiées avec ce pays, qui lui vouait un culte particulier.
Il a toujours préféré laisser parler ses images plutôt que son image : moins d’une dizaine de photos de lui existent, ses interviews sont encore plus rares."
(Libération, 30 juillet 2012).

Jean-Michel Frodon

- "Chris Marker était cinéaste, mais aussi… mais aussi voyageur, bidouilleur de machines, chercheur en poésie, internaute insomniaque, étudiant en sciences politiques, observateur des pratiques des autres artistes, mélomane. Chercheur, anthropologue, savant, pataphysicien. Et, donc, écrivain, éditeur, photographe, vidéaste. Et cinéaste."
(Projection publique).




Gérard Lefort, Olivier Séguret, Julien Gester


- "Soyons respectueux, mais soyons prudents : Chris Marker est peut-être mort, dimanche 29 juillet, chez lui, à Paris, le jour même de son 91e anniversaire. Peut-être mort, car on aimerait en douter, mais aussi pour rendre un hommage approprié à sa très versatile personne, à sa très ondoyante identité, cette capacité qu’a toujours démontrée Chris Marker à organiser son propre effacement, sa propre disparition, bien avant que la mort n’en décide.
Avant d’être une suite factuelle d’événements tangibles, la biographie de Chris Marker est donc à considérer d’abord comme le champ d’intervention, libre et mouvant, d’un artiste multipolaire, où les dédoublements, les inventions et les avatars se confondent avec les faits. Ceux-ci nous enseignent que Chris Marker est né sous l’état civil de Christian-François Bouche-Villeneuve, le 29 juillet 1921 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), et non à Oulan-Bator, capitale de la Mongolie, comme il s’est amusé à le faire croire.
(…)
Marker, sans l’avoir décidé ou choisi, a eu une très puissante fonction d’éminence auprès de ses contemporains, influençant une cohorte considérable d’artistes et modifiant la route d’aventuriers de tous poils. Ses compagnonnages et collaborations remplissent un livre d’or et d’amitié où s’entremêlent les noms d’Alain Resnais, Agnès Varda, Jorge Semprún, Constantin Costa-Gavras, Simone Signoret et Yves Montand, Yannick Bellon, Alexandre Medvedkine, William Klein, Joris Ivens, Haroun Tazieff, Akira Kurosawa, Patricio Guzmán ou Isild Le Besco."
(Libération, 30 juillet 2012).

Jean-Baptiste Morain

- "Qu’est-ce que mourir pour un homme comme Chris Marker ? A la fin de notre entretien de 2008, il nous avait dit qu’il avait été un chat dans une vie antérieure (il en avait d’ailleurs créé un, Guillaume, qu’il dessinait un peu partout, comme une signature ou un autre avatar). Que sera-t-il dans la suivante ? Qui sait ? A moins qu’il ne se soit retiré sur Second Life, où il regrettait de ne pas pouvoir vivre à longueur de temps. Chris Marker vient d’entrer dans l’éternelle virtualité pour un voyage qu’on lui souhaite sans fin."
(les inRocKs, 30 juillet 2012).

Agnès Varda

- "Il s’en va, sachant qu’il a été admiré et très aimé. Je le rencontrais avec plaisir, mais quand je l’ai filmé dans son atelier, son antre de création, on l’entend, mais on ne le voit pas. Il a choisi depuis longtemps de se faire connaître par son travail et non par son visage ou par sa vie personnelle (…).
Le voilà dans sa troisième vie. Longue vie là-bas !"
(30 juillet 2012).

Rue 89

- "De son vrai nom Christian François Bouche-Villeneuve, celui qui se qualifiait lui-même d’« artisan bricoleur » laisse une cinquantaine de films documentaires qui ont profondément marqué et influencé le cinéma mondial, parmi lesquels « Dimanche à Pékin » (1956), « Lettre de Sibérie » (1957), « Description d’un combat » (1961) ou les films ouvriers extrêmement frappants réalisés dans le cadre des « groupes Medvedkine », du nom de ce cinéaste soviétique auquel il consacra aussi un film « en solo », « Le Tombeau d’Alexandre ».
Proche d’Alain Resnais et d’Agnès Varda dans les années 50, ami intime de Simone Signoret (à qui il dédie « Mémoires pour Simone » en 1986), son grand chef-d’œuvre reste « La Jetée », moyen-métrage ultra poétique de 28 minutes, réalisé à partir d’une succession de plans fixes (1962)."
(30 juillet 2012).


Chris Marker tel qu'il se montrait (DR).


"La Jetée"

Synopsis


- "L'histoire débute à Paris, après la " Troisième Guerre mondiale " et la destruction nucléaire de toute la surface de la Terre. Le héros est le cobaye de scientifiques qui cherchent à rétablir un corridor temporel afin de permettre aux hommes du futur de transporter des vivres, des médicaments et des sources d'énergies : "D'appeler le passé et l'avenir au secours du présent". Il a été choisi en raison de sa très bonne mémoire visuelle : il garde une image très forte et présente d'un événement vécu pendant son enfance, lors d'une promenade avec sa mère sur la jetée de l'aéroport d'Orly."

Hervé Ratel


- "Ce film de 28 minutes datant de 1962 et composé pour l’essentiel d’un diaporama de photographies en noir et blanc est considéré comme un chef d’oeuvre absolu par beaucoup de cinéastes. C’est au moins une oeuvre saisissante et d’un modernisme insensé dont il n’existe aucun équivalent."
(Sciences et Avenir, 2 août 2012).

Extrait

- "Une fois sur la grande jetée d'Orly, dans ce chaud dimanche d'avant-guerre où il allait pouvoir demeurer, il pensa avec un peu de vertige que l'enfant qu'il avait été devait se trouver là aussi, à regarder les avions. Mais il chercha d'abord le visage d'une femme, au bout de la jetée. Il courut vers elle. Et lorsqu'il reconnut l'homme qui l'avait suivi depuis le camp souterrain, il comprit qu'on ne s'évadait pas du Temps, et que cet instant qu'il lui avait été donné de voir enfant, et qui n'avait pas cessé de l'obséder, c'était celui de sa propre mort."

Nicolas Schmidt

- "Photo-roman comme l'appelle lui-même Chris Marker, le film est composé d'une suite de photographies en noir et blanc à l'exception d'un plan d'images animées lorsque la jeune femme se réveille et qu'elle bat des paupières. Aucun dialogue, une voix off rappelle le parcours des personnages, de la musique, des sons (décollage des avions, battement de cœurs) ; des bruits des voix ; une atmosphère crépusculaire ; les restes de Paris dévasté et d'autres images lumineuses, empreintes de sérénité du temps de paix et des visages : les savants qui expérimentent."
(Chris Marker, voyages en [immémoire], Eclipses n°40, 2007.)

Florence Coronel

- "La Jetée n'est pas un film-prétexte à la pratique citationnelle creuse mais est une véritable réécriture, comme si toute fiction se tissait à partir d'un fonds d'images déjà là. Qu'est-ce que le cinéma, si ce n'est un travail du temps, une lutte contre la mort, ontologiquement voué à la reprise, à la mémoire et au palimpseste ?"
(Cadrage.net, mars 2007).





J'avais inscrit, début des années 80, son "Fond de l'air est rouge" au programme d'un festival ciné en Pays noir. Las, quelques jours avant l'ouverture, la copie réservée est soudain refusée par le distributeur. Stupeur et catastrophe !
Un cinéaste ami me propose de ne pas rester le dos au mur. Soit de téléphoner directement à Chris Marker. Inconscience et désespoir se conjuguent pour concrétiser cette démarche. Il décroche. Grogne. N'est pas du tout content : "Ça ne va pas se passer comme ça." Demande de rappeler dans le quart d'heure. Résultat au bout d'une dizaine de minutes : une copie neuve est réservée pour le festival...

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