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Mémoires de Canler
ancien chef du service de sûreté
(1797-1865)
le Temps retrouvé
Mercvre de France
2006, 812 p.
Mot de l’Editeur :
- "Canler est un ancêtre du commissaire Maigret, à l'époque où s'organisait la Brigade de Sûreté qui devait devenir la Police judiciaire du Quai des Orfèvres. Ses Mémoires sont indispensables à tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de la police en France. On y trouvera une exacte description du monde du crime dans la première moitié du XIXe siècle et le récit de maintes affaires célèbres.
Ce contemporain d'Eugène Sue nous donne à lire de nouveaux Mystères de Paris où tout est vrai.
Canler nous enseigne aussi sur les réalités quotidiennes de son temps, aux divers échelons de la société, et sur les événements historiques transfigurés par la légende. Témoin privilégié des divers régimes qui se sont succédé au Premier et au Second Empire, il dévoile les dessous de la vie politique : menées des agents provocateurs, épurations, complots, attentats, émeutes, révolutions. Ce n'est pas l'aspect le moins passionnant de ces Mémoires."
Notice biographique :
- "Né le 4 avril 1797 à Saint-Omer (Pas-de-Calais). Mort le 24 octobre 1865 à Paris, rue des Charbonniers Saint-Antoine, n° 34. Père sergent des Armées de la République, puis chef de prison militaire à Namur. Admis dans le corps des enfants de troupe en qualité de tambour le 18 juin 1805. Soldat, puis caporal (1813) de l'armée napoléonienne, présent lors du siège d'Anvers (1814), à la bataille de Fleurus et, avec le 28ème de ligne, à la bataille de Waterloo, le 18 juin 1815. Quitte l'armée en décembre 1818. Marié le 24 décembre 1817 à la mairie de la Place Royale à Paris avec une demoiselle Marie Adélaïde Denisot. Employé dans une fabrique de papiers peints. Entre comme inspecteur à la préfecture de police le 25 avril 1820, sous les ordres de l'officier de paix Dabasse. Inspecteur à la 6ème brigade de la sûreté parisienne au traitement de 1200 francs annuels en 1825. Officier de paix de la préfecture de police en 1844. Nommé chef de la sûreté de la préfecture de police le 3 mars 1849. Quitte ses fonctions le 15 novembre 1851 après "31 ans et 7 mois de services administratifs". Père adoptif en janvier 1856 de deux nièces de son épouse (dont Adélaïde Louise née en avril 1834). Objet d'une "double inculpation" en 1862 après la publication de ses Mémoires dont la vente est interrompue. Adresse une supplique à l'Empereur Napoléon III à ce sujet le 9 août 1862."
(Société française d’Histoire de la Police).
Benoît Pivert :
- "Le texte est riche, savoureux, le style enlevé et le contenu propre à réjouir tous ceux pour qui l’Histoire n’est pas que le récit des hauts faits de grands hommes à la manière de Plutarque mais la somme de tous les faits culturels et sociaux jusques et y compris la vie dans ces bas-fonds rarement fouillés par la lumière des historiens. Quiconque souhaite connaître la vie du petit peuple parisien dans la première moitié du XIXème siècle, ses heurs et ses malheurs, mais aussi les turpitudes des classes plus aisées se régalera à la lecture de Canler qui possède indéniablement le sens du pittoresque. Il faut dire qu’un policier a ceci de commun avec un confesseur que rien de ce qui est humain ne lui est étranger. C’est ainsi que les mémoires de Canler offrent à l’occasion des points de convergence avec le journal plus tardif de l’abbé Mugnier également publié au Mercure de France."
(Lettres vagabondes, 14 novembre 2009).
Affiche de 1832 (Graph. JEA/DR).
"22 mars 1832 !!!
Jour à jamais néfaste...
Le choléra fit son apparition à Paris !"
Canler : ces bruits à propos d'un empoisonnement des habitants de la capitale...
- "Inconnu dans ses causes, implacable dans ses effets, le fléau avait parcouru le nord de l'Europe et couvert de deuil une partie du vieux monde. Des bruits, des fables ridicules se répandirent bientôt dans la multitude et acquirent tout à coup une importance regrettable. Suivant ces on-dit : des hommes infâmes, soudoyés par uen puissance infernale, auraient formé le projet d'empoisonner les habitants de la, capitale, en jetant sur les aliments et dans les liquides des substances vénéneuses et mortelles. Ces bruits, quelques absurdes qu'ils paraissent, reçurent cependant en quelque sorte une sanction officielle;
Le préfet de police crut faire cesser les craintes de la population, à l'égard des prétendus empoisonneurs, en publiant une ordonnance tendant à calmer les esprits surexcités par la malveillance.
(...) Cette proclamation produisit malheureusement l'effet contraire de celui qu'on en attendait.
(...) La malheureuse circulaire ne servit, hélas ! qu'à accréditer dans l'esprit du peuple les bruits ridicules et alarmants déjà répandus."
(PP. 392-393).
"Episode déplorable" :
- "Des cris discordants (...) furent bientôt répétés partout :
- C'est une empoisonneur ! à mort !
- Il a été pris sur le fait ! à mort !
- Echarpons-le !
- Pendons-le au réverbère !
- Oui, c'est cela ! pendons-le ! ils servira d'exemple aux autres !
- Oui, mais avant de le pendre, déchirons-le un peu en morceaux, pour qu'il sache ce que c'est que d'empoisonner le peuple !
A ces vociférations, mon inspecteur s'élance (...) il trouve un homme qui, balloté de mains en mains, la figure couverte de contusions et les habits en lambeaux, semblait offert en holocauste à la fureur populaire.
- Arrêtez ! (...) Je suis agent de police et je me charge de lui, il servira d'exemple pour les autres.
(...)
Hélas ! l'infortuné, victime de l'erreur populaire, ne put survivre aux émotions et aux mauvais traitements qu'il avait subis."
(PP. 393-394).
Affiche de 1832 (Graph. JEA/DR).
Mourir pour une boule de gomme :
- "Voyez ces deux hommes qui descendent le faubourg en causant de leurs affaires ou de leurs plaisirs, et se tenant cordialement par le bras ; l'un est gros, l'autre est maigre, et ce dernier vient de fouiller sa poche, d'y prendre un sac de papier contenant des boules de gomme et d'en offrir à son ami qui, étant en train de fumer un cigare, refusa.
(...)
Un petite mendiante nu-pieds, à peine couverte de quelques lambeaux de toile figurant des vêtements, vint leur demander l'aumône. L'homme au cigare lui donna un sou, l'homme au sac lui en donna également un et lui offrit une boule de gomme.
- N'prends pas ça, p'tiote, cria un chiffonnier qui passait, ça t'ferait mourir !
- Comment ! mourir ? s'exclama l'homme aux boules.
Ces mots avaient été entendus; quelques hommes s'arrêtèrent, on les entoura, on les pressa (...). On interpella les deux individus, on leur fit des questions et des menaces, on cria, on vociféra, puis des paroles on passa aux actions, on les poussa, on les ballotta, puis ensuite on parla de les pendre ou de les massacrer, et passant de la menace à l'exécution, on finit par les rouer de coups.
Mais détournez un instant les yeux; voyez cet homme qui accourt et se presse : vient-il aussi prendre part à la curée ? vient-il donner un coup, arracher une poignée de cheveux ? Non ! (...) Cet homme fouille dans sa poche, non pour chercher une arme, mais pour y prendre une égide protectrice; il en tire une écharpe tricolore qu'il ceint tout en courant; c'est un commissaire de police : M. Jacquemin. A sa vue les rangs pressés s'ouvrent pour se refermer immédiatement sur lui; mais lorsqu'il parle de délivrer ces deux malheureux, sa voix est couverte par des cris de mort.
(...)
M. Jacquemin voit que les deux victimes vont périr sous ses yeux; mais heureusement un piquet de gardes municipaux à cheval vient à passer, et le commissaire de police, les requérant aussitôt, réussit à faire mener à son bureau ces deux infortunés et leur sauve ainsi la vie."
(PP. 395-396).
François-Nicolas Chifflart, Le choléra à Paris (Doc. 1865/DR).
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Affiche de 1832 (Graph. JEA/DR).
"22 mars 1832 !!!
Jour à jamais néfaste...
Le choléra fit son apparition à Paris !"
Canler : ces bruits à propos d'un empoisonnement des habitants de la capitale...
- "Inconnu dans ses causes, implacable dans ses effets, le fléau avait parcouru le nord de l'Europe et couvert de deuil une partie du vieux monde. Des bruits, des fables ridicules se répandirent bientôt dans la multitude et acquirent tout à coup une importance regrettable. Suivant ces on-dit : des hommes infâmes, soudoyés par uen puissance infernale, auraient formé le projet d'empoisonner les habitants de la, capitale, en jetant sur les aliments et dans les liquides des substances vénéneuses et mortelles. Ces bruits, quelques absurdes qu'ils paraissent, reçurent cependant en quelque sorte une sanction officielle;
Le préfet de police crut faire cesser les craintes de la population, à l'égard des prétendus empoisonneurs, en publiant une ordonnance tendant à calmer les esprits surexcités par la malveillance.
(...) Cette proclamation produisit malheureusement l'effet contraire de celui qu'on en attendait.
(...) La malheureuse circulaire ne servit, hélas ! qu'à accréditer dans l'esprit du peuple les bruits ridicules et alarmants déjà répandus."
(PP. 392-393).
"Episode déplorable" :
- "Des cris discordants (...) furent bientôt répétés partout :
- C'est une empoisonneur ! à mort !
- Il a été pris sur le fait ! à mort !
- Echarpons-le !
- Pendons-le au réverbère !
- Oui, c'est cela ! pendons-le ! ils servira d'exemple aux autres !
- Oui, mais avant de le pendre, déchirons-le un peu en morceaux, pour qu'il sache ce que c'est que d'empoisonner le peuple !
A ces vociférations, mon inspecteur s'élance (...) il trouve un homme qui, balloté de mains en mains, la figure couverte de contusions et les habits en lambeaux, semblait offert en holocauste à la fureur populaire.
- Arrêtez ! (...) Je suis agent de police et je me charge de lui, il servira d'exemple pour les autres.
(...)
Hélas ! l'infortuné, victime de l'erreur populaire, ne put survivre aux émotions et aux mauvais traitements qu'il avait subis."
(PP. 393-394).
Affiche de 1832 (Graph. JEA/DR).
Mourir pour une boule de gomme :
- "Voyez ces deux hommes qui descendent le faubourg en causant de leurs affaires ou de leurs plaisirs, et se tenant cordialement par le bras ; l'un est gros, l'autre est maigre, et ce dernier vient de fouiller sa poche, d'y prendre un sac de papier contenant des boules de gomme et d'en offrir à son ami qui, étant en train de fumer un cigare, refusa.
(...)
Un petite mendiante nu-pieds, à peine couverte de quelques lambeaux de toile figurant des vêtements, vint leur demander l'aumône. L'homme au cigare lui donna un sou, l'homme au sac lui en donna également un et lui offrit une boule de gomme.
- N'prends pas ça, p'tiote, cria un chiffonnier qui passait, ça t'ferait mourir !
- Comment ! mourir ? s'exclama l'homme aux boules.
Ces mots avaient été entendus; quelques hommes s'arrêtèrent, on les entoura, on les pressa (...). On interpella les deux individus, on leur fit des questions et des menaces, on cria, on vociféra, puis des paroles on passa aux actions, on les poussa, on les ballotta, puis ensuite on parla de les pendre ou de les massacrer, et passant de la menace à l'exécution, on finit par les rouer de coups.
Mais détournez un instant les yeux; voyez cet homme qui accourt et se presse : vient-il aussi prendre part à la curée ? vient-il donner un coup, arracher une poignée de cheveux ? Non ! (...) Cet homme fouille dans sa poche, non pour chercher une arme, mais pour y prendre une égide protectrice; il en tire une écharpe tricolore qu'il ceint tout en courant; c'est un commissaire de police : M. Jacquemin. A sa vue les rangs pressés s'ouvrent pour se refermer immédiatement sur lui; mais lorsqu'il parle de délivrer ces deux malheureux, sa voix est couverte par des cris de mort.
(...)
M. Jacquemin voit que les deux victimes vont périr sous ses yeux; mais heureusement un piquet de gardes municipaux à cheval vient à passer, et le commissaire de police, les requérant aussitôt, réussit à faire mener à son bureau ces deux infortunés et leur sauve ainsi la vie."
(PP. 395-396).
François-Nicolas Chifflart, Le choléra à Paris (Doc. 1865/DR).
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horrible chose (et superbe tenue de cet "officier de santé" comme on le disait bellement alors)
RépondreSupprimerLa couverture propose un "Portrait d'un officier de police à Douai en 1848", une toile présentée au Musée de la Chartreuse à Douai...
SupprimerDans mes jeunes années j'ai lu un roman de Philippe Hériat qui faisait référence à cette épidémies, la fuite vers la campagne pour être à l'abri et le retour quand tout danger était écarté , les femmes partant avec bien entendu leurs bijoux cachés dans leurs dessous !!
RépondreSupprimerMerci d'élargir ainsi cette page du blog. "La Famille Boussardel" a été publiée en 1944 et reçut en 1947 le Grand Prix du Roman de l'Académie française. En 1972, René Lucot en proposa cinq épisodes télévisés (voir le catalogue de l'INA).
Supprimerje me souviens d'avoir été vaccinée contre le choléra lorsque j'étais enfant suite à une épidémie dans le sud de l'Espagne ... pas si vieux...
RépondreSupprimeret le gouvernement espagnol apporta en 2010 son aide à Haïti frappée non seulement par un terrifiant tremblement de terre mais ensuite par le choléra...
SupprimerClimat de suspicion généralisée...je viens de relire La Peste; fléau similaire s'il en est.
RépondreSupprimerLa lithographie de Chifflart, terrible et tourmentée, est parfaite ici.
Bonne journée, ciel bleu clair à 7h du matin.
7h30
Supprimergelée très blanche mais le soleil dresse déjà son chapiteau...
Je note : un ancêtre de Maigret et un "officier de paix".
RépondreSupprimerMa grand-mère priait Saint Roch pour nous protéger des maladies (entre autres).
Bonne journée, JEA. Drapeau d'azur sur Bruxelles.
par contre, il pense le plus grand mal d'Eugène-François Vidocq, estimant sa "reconversion" comme immorale, intéressée et douteuse...
Supprimerle Condroz se demande s'il va encore faire longtemps le gros dos ou se laisser convaincre par les arguments de bateleur du soleil ?
D'autres épidémies guettent encore et on ne sait si on arrivera à les éradiquer.
RépondreSupprimermais toutes ne se prêtent pas à des jeux de mots comme choléravage...
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