MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 29 juillet 2013

P. 252. "Le Grand' Tour" se balance des frontières entre le documentaire et la fiction...


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Site du film ? Cliquer : ICI.

Synopsis


- "Un week-end du mois d’août, une fanfare amateur emmenée par son Président s'est donné rendez-vous sur la place d’un petit village ardennais. Ils sont 10 hommes de la quarantaine, 10 amis. Ils ont décidé de se rendre au «carnaval du monde» de Stavelot qui n’a lieu qu’une fois tous les dix ans. Une belle occasion de sortir le drapeau en somme. Une marche de 4 jours à travers bois, à la boussole, sac au dos et instruments en bandoulière, en rang par trois derrière leur étendard.
Initialement, le projet de randonnée ne comportait qu'une seule étape, mais l’ivresse est trop forte et trop belle et les 10 camarades décident de la prolonger, parcourant des centaines de kilomètres et traversant toutes les fêtes, des joyeuses et des plus glauques.
Néanmoins, au fil des semaines le groupe se disloque dans cette interminable marche. Un climat différent s'installe, moins festif, plus profond. Les excès font place à l'eau et au pain sec. L'insouciance à la conscientisation.
Au début du printemps, ils ne sont plus que trois sur les routes et le président, qui semble ailleurs, n’a visiblement pas l’intention de s’arrêter…"

Le réalisateur, Jérôme le Maire


- "Quarante ans…
Ce sentiment d’avoir déjà bouclé un premier « tour de piste », d’être à un tournant, je le partage avec les gars du Grand’Tour.
Il y a trois ans, Vincent Solheid m’a proposé de le filmer, lui, et sa fanfare bidon : la « Prînten ». Fanfare d’amour et d’amitié comme le dit fièrement sa bannière. Cette bande de Valeureux voulait partir, sortir, dormir dans les bois, marcher à travers champs. Boire, chanter. Peut-être rentrer, peut-être mourir mais avant tout se sentir vivant. Alors, j’ai attrapé ma caméra et je les ai suivis sans me poser de question.
Ce long-métrage est né de cette simple invitation et de ce geste spontané pour déboucher sur un projet de vie fou, démesuré. Un road-movie intérieur, un film organique ou plus simplement un Grand'Tour...
Je ne sais toujours pas si on est plus sage à quarante ans."
(La Parti Production).

La Libre Belgique


- "Un faux docu façon "Strip Tease", comme on en voit beaucoup tournés "près de chez vous", mais inspiré et bourré de moments de grâce. Un de ces films "ovni" dont le cinéma belge a le secret, porté par une poignée de comédiens amateurs, mais vrais amis (et vrais musicos amateurs)."
(26 septembre 2012).


Halte en forêt ardennaise de la Fanfare Royale du Printemps (bannière en Wallon).

Sébastien Chapuys

- "Le Grand’Tour est un film étonnant, dont les détours inattendus entre documentaire et fiction, farce et drame, empêchent toute lecture univoque (…).
Documentaire et fiction se retrouvent inextricablement entremêlés jusqu’à ce que les auteurs eux-mêmes ne semblent plus en mesure de les distinguer l’un de l’autre. Le Grand’Tour est une sorte de jeu de rôle grandeur nature dans lequel se perdent les participants. Totalement impliqués dans le projet, ils créent l’histoire au fur et à mesure qu’elle se déroule, jusqu’à ce que leur imagination ait entièrement remodelé leur réalité.
La frontière entre le vrai et le faux s’en retrouve brouillée, incertaine, et cette ambiguïté produit des effets d’une grande richesse."
(Critikat.com, 4 juillet 2013).

Fanny Deschamps

- "Un petit tour et puis s’en vont, les quarantenaires débraillés, assoiffés de liberté, avinés de fanfare et de rires. Un petit tour et puis s’en vont les hommes, quittant ville, travail, femme et enfants, pour devenir mercenaires de l’abandon, étendards du dérisoire. Non, la fête ne s’arrêtera pas. Ils vont la boire jusqu’à la lie. Ils marcheront, résisteront. De leurs obligations, de leurs attributs, ils se délesteront. Ils avaient rendez-vous avec le carnaval du monde, et c’est avec eux-mêmes démasqués qu’ils se retrouvent. Ici, réside le grand tour illusionniste du film, glissant incidemment du documentaire potache vers la fiction dont la puissance désespérée évoque La Grande bouffe de Ferreri, l’union subversive du baroque et de la télé réalité."
(ACID).

Quentin Chirol


- "Bien amené par des interviews des différents protagonistes venant couper le récit, on suit avec attention l’effet du « Grand’Tour » sur chacun. Que ce soit une prise de conscience, un changement de vie ou alors simplement des bons souvenirs. On est alors touché par la vérité qui se dégage et on devient une partie de ce groupe de joyeux lurons. Cette liberté qui ressort du voyage et les aventures qui en découlent viennent alors s’inscrire dans nos cerveaux comme des souvenirs nous étant propres. Au final, on regarde ce film comme on regarderait un film de vacances.
Et puis, la deuxième partie arrive, avec son côté plus introspectif grâce à ce personnage de Vincent, centre du groupe, qui s’étiole petit à petit. Les gros bourrus deviennent alors plus poétiques et commencent à parler de la vie. Car, au final, c’est le sujet principal de ce film, la vie. « Le Grand’ Tour » a donc su capter l’humain autant dans ses excès que dans ses silences, sans fioritures ni artifices de quelques sortes..."
(Abus de Ciné.com, 16 juillet 2013).


Le Grand' Tour passe par... quarante brouillards.

Bruno Icher


- "Bivouac. Road et buddy-movie alcoolisé et déjanté dans une Belgique carnavalesque.
Toute l’astuce du premier long métrage réalisé par Jérôme Le Maire repose sur une navigation dans les eaux troubles du faux documentaire et de la fiction bricolée à partir de vidéos amateur. Le prétexte de cette affaire se présente sous forme d’une dizaine de quadragénaires solidement déjantés, dont l’essentiel des loisirs consiste à se déguiser en diables rouges, avec costumes grotesques et instruments à percussions, pour participer aux innombrables carnavals et fêtes de village que compte la Belgique, leur pays natal."
(Libération, 23 juillet 2013).

Sur la route du cinéma

- "Le voyage qui ne devait durer que quatre jours s’est finalement prolongé sur plusieurs mois. L’aventure festive très singulière s’est transformée en une histoire humaine unique, d’amitié, d’amour, d’intenses et profondes réflexions sur soi et sa place dans le monde. Le délire initial se charge peu à peu de mélancolie voire de métaphysique. Commencé dans le bruit et la fureur des instruments à percussion, copieusement arrosé de bière dès le réveil, rehaussé de toutes sortes de substances qui se fument et se sniffent, la folle équipée un peu sauvage évolue vers une forme de quête du silence. Le film qui offre mille occasions de hurler de rire avance peu à peu vers une mélancolie inattendue et finit par serrer le cœur."
(31 janvier 2012).

Jacques Mandelbaum


- "Une simple partie de campagne se transforme ainsi insensiblement en Graal métaphysique, le défi étant de voir combien de temps le groupe va tenir sur cette trajectoire enfumée et funambulesque avant de craquer, de se disloquer collectivement, et de revenir tout simplement au bercail. Une sorte de Délivrance burlesque, sauce wallonne. Tout cela filmé sur le vif, mais aussi dans l'après-coup, chacun des participants de l'aventure revenant a posteriori sur son expérience. Le caractère assez primitif du programme, la narration très démembrée et lacunaire plongent le spectateur dans l'incertitude profonde de ce qui appartient ici au spontané du documentaire ou à la concertation de la fiction. Mais la question se révèle rapidement hors sujet : il est clair que le vrai sujet du film est celui de l'utopie et qu'il en offre une perspective assez actuelle."
(Le Monde, 23 juillet 2013).




Beatrice Moreno


- "Ce film est un ovni qui semble trouver son inspiration dans des œuvres telles que « Les Idiots » de Lars von Trier ou « C’est arrivé près de chez vous » de Rémy Belvaux et Benoît Poelvoorde… Sans doute un style qui n’a pas fini de faire des petits…
En définitive, même sans être sous l’emprise d’une substance illicite, on sort de la salle partagé entre l’envie de tenir des propos du plus grand sérieux et celle de réprimer un immense fou rire.
Mener le spectateur à l’incohérence du ressenti à ce point, le mener littéralement « en bateau » avec une telle force de persuasion, là est la prouesse. Pour parvenir à ce ressenti, le meilleur moyen reste de se laisser faire docilement par l’aspect documentaire de ce « funny trip »."
(Rue 89, 24 juillet 2013).


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jeudi 25 juillet 2013

P. 251 : Romain Rolland et son "Journal de Vézelay" en date du 25 juillet 1940.



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Romain Rolland,
Journal de Vézelay, 1938 - 1944,
Bartillat, 2013, 1182 p.


4e de couverture

- "En juin 1938, Romain Rolland et sa femme Marie quittent la Suisse et s'installent en France, à Vézelay, où ils passeront toutes les années d'Occupation. Le grand pacifiste de 1914, "au-dessus de la mêlée", l'homme épris de culture et de musique (auteur de biographies de Michel-Ange, de Beethoven ou de Tolstoï), l'immense romancier (le roman-fleuve Jean-Christophe, qui fut un triomphe, mais aussi Colas Breugnon et L'Ame enchantée), l'éveilleur qui fit découvrir les spiritualités indiennes à l'Occident (Vivekananda, Ramakhrishna, Gandhi...) retrouve sa région d'origine. Lui qui fut un grand germanophile et un compagnon de route du Front populaire doit faire face à l'Occupation allemande et au régime de Vichy. Il n'en continue pas moins à tenir son journal, dont est publiée intégralement, dans ce volume, la partie correspondant aux années de Vézelay, de 1938 à 1944. Il s'agit du témoignage exceptionnel d'un écrivain au quotidien dans un village français pendant les années sombres. Au jour le jour, il note les faits marquants de la guerre et suit la vie à Paris, où il se rendra plusieurs fois. Le 30 décembre 1944, il s'éteint. Pendant ces années, la grande conscience que fut Rolland, lucide jusqu'à la fin, continue à s'interroger, nourrit un dialogue avec Claudel, reçoit Eluard et Le Corbusier, écrit une somme sur Charles Péguy, renoue avec des amitiés anciennes. Ce livre constitue un événement."

Florent Georgesco


- "Voici que paraît ce monumental Journal de Vézelay 1938-1944, entièrement inédit, livre d'une telle richesse, et si poignant dans sa profonde rectitude, que nul, en l'ouvrant, ne résistera au plaisir de se laisser à nouveau hanter par un grand homme d'autrefois.
Ce que l'on avait d'abord oublié, c'est à quel point ce fantôme fut glorieux. Prix Nobel 1915, passionnément lu sur tous les continents, correspondant de Freud, sujet d'une biographie de Stefan Zweig, proche de Gandhi, reçu par des chefs d'Etat, il était ce qu'on ne sait plus qu'un écrivain peut être : un pape laïc, un patron des âmes et des coeurs, un fétiche. Jean-Christophe, le cycle romanesque qui l'a imposé (1904-1912), a été un guide pour deux générations de jeunes gens ardents, qu'exaltait l'idéal de sagesse et de libération auquel il donnait une forme pour nous un peu surannée, mais alors impeccablement moderne. Il y a un génie de la coïncidence avec son temps. Romain Rolland le possédait au suprême. D'où son bonheur, et son malheur, tant il reste attaché à l'époque sur laquelle il régna (…).
En filigrane passe l'aventure d'un homme qui a voulu faire l'Histoire, et qui comprend que l'Histoire n'a plus rien à faire de lui. Trop serein. Trop civilisé. L'heure est aux brutes. Les Lumières s'éteignent.
Aussi, muré dans le silence de sa retraite de Vézelay, se transforme-t-il en pur témoin d'un monde à l'agonie. Non, certes, dans la position ronchonne de la belle âme retirée ; son souci de ne pas devenir "étranger au présent" ne faiblit pas. Il sait, lui qui ne peut plus agir, que le témoignage est une action projetée vers l'avenir, seul apport possible de la dignité humaine dans les époques d'indignité."
(Le Monde, 7 décembre 2012).

Philippe Lançon

- "Depuis le clocher de la «colline inspirée», 400 habitants, le Journal de Vézelay de Romain Rolland a pour premier mérite de restituer en détail une existence quotidienne pendant la guerre, cette atmosphère où chacun vit entre silence, pénurie, réquisitions, désespoir et corbeaux. C’est d’abord un formidable document. Essentiellement inédit, il va de 1938 à la mort de l’écrivain, le 30 décembre 1944. Jean Lacoste, traducteur de Goethe, l’a présenté et annoté avec un soin de dentellière (…).
Le modèle de Rolland pour décrire cette période est Commynes : au cœur d’un monde violent et agité, le chroniqueur du règne de Louis XI a su garder «son calme intact et son esprit d’objectivité. Voilà les vrais héros ! Ils n’ont jamais manqué en France. Je veux m’en inspirer»."
(Libération, 5 décembre 2012).


Vézelay, rue Saint-Etienne (Graph JEA/DR).

Hicham-Stéphane Afeissa

- "Las de la politique et malade, Romain Rolland s’est retiré de la vie publique, même s’il va continuer à recevoir avec chaleur les personnalités les plus diverses (Maurice Thorez, la reine Elisabeth de Belgique, Waldo Frank, Aragon, de simples militants, des prêtres, etc.). Le Journal de Vézelay n’est pas un journal de guerre, mais il n’est pas non plus – comme son titre pourrait le laisser croire, et que Jean Lacoste s’est résolu à choisir pour suggérer une unité de lieu (le Journal ayant été rédigé intégralement à Vézelay, en Bourgogne, où Romain Rolland avait acheté une maison avec sa femme), qui renforce le caractère dramatique et vivant de ce témoignage – une chronique locale, un autre "mon village à l’heure allemande". Le Journal fourmille de remarques littéraires, philosophiques, autobiographiques, à l’occasion des événements dont Romain Rolland tient la chronique, de sorte que, au final, il est peut-être moins question en ces pages de la Seconde Guerre mondiale, de Daladier, de Churchill et de Hitler que de Gide, de Stendhal, de Péguy, de Claudel, de Gandhi, de Beethoven, de son propre travail littéraire et philosophique, et des relations qu’il a pu entretenir avec les écrivains de son temps."
(nonfiction.fr, 19 juillet 2013).

JEA

- En 1939, Giono (qu'on nous a depuis conditionnés à regarder comme un doux pacifiste un peu innocent) décrète cruellement que Romain Rolland est déjà  "mort" !!! Tandis que des habitantes de Vézelay signent une pétition pour que le prix Nobel en soit chassé eu égard à ses écrits. D'ailleurs, une émeute de bourgeois électeurs de Charles Flandin - conseiller général du Canton - tentera de saccager la demeure des époux Rolland sur la colline inspirée. Ainsi va un balancier spectaculaire de l'Histoire : aujourd'hui, à Vézelay, des pubs récupèrent le nom de R. Rolland pour attirer les chalands alors qu'hier, le même intellectuel était (mal)traité en pestiféré.
Loin de ces étroits esprits, ce Journal sous apprend (ou du moins, m'apprend) qu'un soir de 1939, une frêle silhouette noire frappe à la porte des Rolland. C'est Elisabeth (1), veuve du roi Albert 1er. Retournant en Belgique, elle a vu en bord de nationale, une plaque routière indiquant : "Vézelay". La reine des Belges n'hésite pas. Elle décide d'un détour pour venir exprimer au prix Nobel toute son estime, son admiration aussi, échanger avec lui quelques pensées de haut vol.
Ce Journal n'est pas bavard. C'est le buvard précieux d'une époque qui s'étend de la montée des barbarismes jusqu'à la libération. Non sous la plume d'un fanatique ou d'un indifférent, d'un homme englué dans des compromis ou cherchant son nombril, d'un manipulateur ou d'un encenseur mais d'un Humaniste.
Seul regret : le volume est... volumineux et le brochage donne des sueurs froides !


Signature de Romain Rolland (Graph. JEA/DR).

Romain Rolland : Journal de Vézelay

1940

- "Jeudi 25 juillet.

- Pluie et brouillards. - La radio de Paris, odieuse, sanglante, aboie à mort contre les Juifs, et en particulier contre Blum. L'abominable ricanement du Ferdonnet (2). - Sombre avenir pour la France et pour le monde. La hache est dans l'arbre (...). Le soir, je joue l'adagio de l'op. 111 (3).
Nuit de pluies, très chaude. (4)

- Vendredi 26 juillet.

- Matin plus clair, mais toujours vent et pluie (...). Impression d'étouffement et d'emprisonnement pour tous (...).
Le soir, le rayon vert, magique flamboiement. (5)

- Samedi 27 juillet.

- Beau matin, frais, sous le voile brisé des brouillards et des nuages humides et brillants (...). Dijon pendant ces semaines critiques (...). Tous les possesseurs d'autos ou de véhicules de quelque sorte avaient filé, sans prévenir, ne se souciant pas de leurs devoirs, de leurs responsabilités, pas plus que de leurs amitiés - même quand ils auraient eu moyen d'emmener avec eux quelque ami. Nulle part ne s'est manifesté plus crûment l'ignoble et lâche égoïsme universel. Les autorités, les directeurs et directrices d'écoles, les services municipaux, les hôpitaux, tout s'est enfui. Le vent de la panique a soufflé même sur le maire, un Jardillier, dont on connaissait le coeur généreux et la vaillance... Il s'est sauvé pendant la nuit (...). La folie de peur a été si sauvage que ceux qui étaient chargés d'assurer la défense passive contre les attaques par avion, ont décampé en emportant les clefs des grands abris contre les bombes aménagés près de la gare de Dijon : en sorte que, quand les bombardements se sont produits, une population terrifiée s'écrasait aux portes fermées !(...) Les plus gros dégâts ont été commis par la pègre de Dijon, entre l'exode des habitants et l'arrivée des troupes allemandes. Pendant ces heures, boutiques brisées et pillées. On n'était pas rassuré, dans la nuit de silence où Dijon était livrée à ses pires éléments. - Après quelques jours, il y eu des mesures blessantes contre les Juifs. Mais la dignité de ceux qui ont su, comme Mme Bloc (6), revendiquer, contre l'offense, leur dignité de citoyens français, en a imposé, souvent. (7)

- Dimanche 28 juillet.

- Très beau temps. A l'aube, les brumes laiteuses sortent du creux des vallées, comme des coupes (...).
Au moment où les communications postales semblaient se rétablir, un nouveau coup nous frappe : interruption totale des relations entre France occupée et France non occupée... Pourquoi ? Pression sur gouvernement de Vichy, ou préparatifs d'expédition en Angleterre, qu'on veut tenir secrets ? - La France occupée est, d'une part divisée en cinq zones (8). - (Mais la nouvelle lancée par des feuilles allemandes pour soldats, d'après quelque publication de séparatiste breton, qu'un gouvernement de Bretagne indépendant venait d'être institué, est démentie - avec ménagement - par la Kommandantur allemande, à la radio). (9)

- Lundi 29 juillet.


- Temps admirable. Mer de nuages au soleil (...).
- A Clamecy, on s'est battu, le 16 juin. Un canon de 75 a été pointé sur la route d'Armes. L'ennemi a répondu. Une cinquantaine de morts et de blessés. Plusieurs obus lancés sur la ville, dont un a écorné une galerie de la jolie tour Saint-Martin. - Toutes les autorités (sous-préfet, maire, conseillers, gendarmerie, hôpitaux, etc) avaient filé. (On dirait partout un mot d'ordre de frousse !).
[Un] esprit nouveau d'égalité règne dans l'armée allemande, c'est une véritable révolution, une des plus étonnantes qui pût arriver dans ce pays et dans cette caste si fortement hiérarchisés. En dehors du service, - par exemple, dans une affluence à un magasin, l'officier prend modestement sa place à la queue, derrière le soldat, - même si les derniers venus risquent de n'être pas servis, faute de denrées. - Ils affichent aussi un égalitarisme presque bolchevik - ou même une hiérachie à rebours.
- Clamecy est comme si un vol de sauterelles avait passé. Il est impossible de s'y ravitailler, ni beurre, ni fromages, ni farine, ni légumes, etc." (10)


"Souvenir" de Vézelay (Ph. JEA/DR).

NOTES

(1) Non moins de 14 pages de ce Journal évoquent Elisabeth, reine de Belgique, veuve du Roi Albert. Elle n'est autre que "la mystérieuse dame avec chauffeur qui, à plusieurs reprises, avant et pendant la guerre, frappe à la porte de Romain Rolland à Vézelay" (P. 1135). Cette relation intellectuelle méconnue - mais qui remonte à 1914 -, appellerait une future page de ce blog, si l'avenir le permet.

(2) Paul Ferdonnet (1901-1945). Cet apologue du nazisme passa en Allemagne dès 1939 pour exercer ses talents de propagandiste en collaborant sur les ondes de Radio Stuttgart. Loin de l'aimable dilettante décrit par Wikipédia où l'on "oublie" de préciser que Ferdonnet, figure à la pointe de la guerre des ondes, signa aussi "La guerre juive", pamphlet dont voici les premières lignes :
- "Je vais vous parler d'une race maudite, de celle qui porte la haine du monde et qui trouve, dans l'horreur de la guerre, la joie sauvage de détruire la civilisation chrétienne. Oui ! Il y a des parasites qui se repaissent de leurs victimes. Il y a des étrangers qui sont des ennemis."
Symbole dès avant 1940, d'une trahison à outrance pour laquelle les nazis ne sont point des ennemis, il fut fusillé.

(3) L'Opus 111 de Beethoven et W. Kempff :
- "Lorsque les premières mesures de l'Arietta (Adagio molto semplice e cantabile) retentissent, il devient manifeste que Beethoven interprète ici, contrairement à ce qu'il fait dans le final de la Cinquième Symphonie, le passage du sombre ut mineur au lumineux ut majeur comme un dernier pas qui mène de ce monde-ci dans l'au-delà. Le changement s'accomplit en cinq variations, qui équivalent chacune à un pas de plus dans ces régions que nous ne pouvons que soupçonner. Puis lorsque le thème enfin accueilli dans l'harmonie des sphères nous guide et nous éclaire telle une étoile, nous comprenons que Beethoven, dont l'oreille ne percevait plus aucun son terrestre, a été élu pour nous "faire entendre l'inouï". (1965).

(4) P. 459.

(5) P. 460.

(6) Une amie dijonnaise de la soeur de Romain Rolland, sa "chère Madeleine".

(7) PP. 460 à 462.

(8) Une zone côtière où va se dresser le Mur de l'Atlantique. Une zone Nord rattachée au Haut commandement militaire de Bruxelles. Une zone militaire interdite réservée à des colonies agricoles (WOL) pour une partie N-E de l'Aisne et des Ardennes. L' Alsace annexée de même que la Lorraine.

(9) P. 463.

(10) PP 463 à 465.

Beethoven : Adagio molto semplice e cantabile de son op. 111. Au piano : Claudio Arrau.




NB : Mille fois hélas, aucune grande femme, aucun grand homme n'ont vécu à Cholet pour y décrire les trop longues années d'occupation. On imaginerait la valeur de leur journal-témoignage aujourd'hui :

- la lecture - Espace St-Louis à Cholet - d'extraits de ce journal, y compris ceux évoquant en temps réel la persécution des Tziganes
- entrée libre pour tous, à commencer pour les Bohémiens, Gitans et Roms
- devant le Maire actuel, Gilles Bourdouleix, qui ne pourrait fuir les questions de journalistes "merdeux"
- avec des passages rappelant Hitler et ses obsessions, ces dernières continuant à être entretenues, diffusées et instrumentalisées par des héritiers nostalgiques, enfants plus ou moins naturels et décomplexés...

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lundi 22 juillet 2013

P. 250. 22 juillet 2000 : Claude Sautet ne filme plus l'air du temps ni les choses de la vie...


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Claude Sautet

Le Nouvel Observateur

- "Le réalisateur Claude Sautet est mort samedi à Paris, à l'âge de 76 ans, des suites d'un cancer du foie, a indiqué ce lundi son producteur Alain Sarde. Il était né le 23 février 1924 à Montrouge, dans la banlieue parisienne, avait rejoint en 1946 les bancs de l'Idhec (Institut des hautes études cinématographiques) après un court passage à l'Ecole nationale supérieure des arts décoratifs (…).
Claude Sautet avait découvert le cinéma "sous l'Occupation, et surtout à la Libération, avec l'arrivée des films américains : Orson Welles, le Film noir... Avant j'avais été très impressionné par Le jour se lève de Jean Carné (1939)".
Mais le réalisateur n'est pas venu au cinéma par passion, au contraire : "C'est mon manque de développement dans la pratique de la musique et de la sculpture qui m'a fait venir au cinéma". Ce qui explique l'importance croissante de la musique dans ses films, qui lui fera dire : "aujourd'hui, quand je commence un film, l'anecdote m'ennuie, je suis contraint de fournir un minimum d'explications, mais en fait, le véritable développement du film est d'ordre musical". "Plus l'univers se standardise, plus la singularité m'intéresse", poursuit-il.
Celui que l'on nommait le "cinéaste des quadras" (Le Monde du 19/10/95) (…) répondait : (…) "Je filme l'air du temps et c'est tout".
(24 juillet 2000).

Jean-Paul Rappeneau
(1)

- "Je ne sais pas si j'ai perdu un père ou un frère, en tout cas un ami. (...). Il m'a appris -à moi comme à d'autres- l'importance d'un ressort dramatique souterrain, comme une corde cachée et tendue, courant sous le récit, avec de très brefs éclats, des ruptures violentes dont, à l'écran, les colères de Michel Piccoli auront été la plus juste expression: ces éclats étaient ceux-là mêmes dont Claude était coutumier."
(Le Monde, 23 juillet 2000).

Rodolphe Marion de Procé

- "Le cinéma de Claude Sautet constitue bien un cinéma marginal. Il n’intègre aucune tendance, et possède une touche très personnelle. C’est pour cela que Claude Sautet occupe une place particulière dans le cinéma français. Claude Sautet est un homme dont la carrière a été atypique : il a été une sorte de touche à tout dans le milieu du cinéma et dans l’univers artistique en général. Il a en même temps toujours cherché à rester humble et discret, tant au cours de son activité de « ressemeleur de scénario », qu’au moment de recevoir une récompense (…).
Si le cinéma de Claude Sautet a pu être beaucoup critiqué, ses œuvres ont ému et continuent à émouvoir. Ses films n’ont certes pas tous été des succès : certains films, comme Un mauvais fils ou Garçon !, ont représenté des échecs cinglants. Au contraire, d’autres réalisations, à l’image des Choses de la vie, ont fait l’unanimité.
Il s’agit d’un cinéma problématique, ce qui explique que bon nombre de films de Sautet ont été jugés différemment par les critiques de cinéma, les cinéphiles et le public."
(il était une fois LE CINEMA).



Les Choses de la vie

D’après le roman de Paul Guimard (2).
Tournage de juin à août 1969.
Prix Louis Delluc 1969.
Première composition de musique de film pour Philippe Sarde (3).
Avec aussi Léa Massari, Jean Buisse (4).

Synopsis


- "Un grave accident de la route rassemble badauds et policiers à un croisement. On donne les premiers soins au conducteur de l'un des véhicules, Pierre, qui vient de perdre le contrôle de sa voiture. Tandis que l'ambulance l'emmène vers l'hôpital, le moribond se souvient. A 40 ans, architecte estimé, il semble avoir parfaitement réussi sa vie. En réalité, son existence l'ennuie. Il s'est séparé de sa femme, qu'il aime peut-être encore, et étouffe sous l'amour trop exclusif de sa maîtresse, Hélène. Son fils ne cesse de lui témoigner une hostilité nourrie du dépit d'avoir été abandonné. Le jour de l'accident, Pierre décide de rompre avec Hélène, et prend la route..."

N. T. Binh (5)

- "C’est par hasard qu’un de ses amis, l’écrivain et scénariste Jean-Loup Dabadie (6), lui fait lire en 1969 un projet qui va changer sa vie. Il s’agit des Choses de la vie, d’après un roman de Paul Guimard, un drame sentimental construit en flash-back, à partir d’un accident de voiture. Pour Sautet, c’est un contre-emploi, car il n’est connu que pour des polars virils… et peu rentables. Mais il se passionne pour le projet et le film devient l’un des plus gros succès de l’année, transformant Michel Piccoli et Romy Schneider en superstars du cinéma français. Par la même occasion, Sautet devient un des metteurs en scène les plus « en vue » du moment. Pendant dix ans, il va connaître des triomphes au box-office : César et Rosalie (1972), Vincent, François, Paul… et les autres (1974), Une histoire simple (1978), autant de films écrits par le même Dabadie, où le public et la critique vont percevoir une chronique sociale douce-amère de la France des années 1970."
(Cinémathèque Québécoise, février-avril 2012)

Gérard Crespo

- "La mélancolie et la mort hantent ce film où l’humour et les agréments sont absents, cette noirceur étant d’autant plus manifeste que le récit est celui d’un homme qui se souvient des jalons de son existence au moment de son accident de la route... C’est d’ailleurs à cet égard que le montage des Choses de la vie est fabuleux, le crash de Paul donnant lieu à une série de flash back judicieusement agencés, avec pour leitmotiv le véhicule conduit par un malheureux bétailleur (Bobby Lapointe). Grand film romanesque porté par la sublime partition de Philippe Sarde, Les choses de la vie obtint le Prix Louis Delluc, connut un grand succès public et marqua un tournant dans la carrière de ses deux interprètes à qui Sautet fera de nouveau appel. Michel Piccoli, sobre et puissant, devint, avec Montand, l’acteur vedette de sa génération le plus important de la décennie. Après La piscine, Romy Schneider, superbement belle et émouvante, s’inscrivait définitivement dans le paysage du cinéma français dont elle sera la star jusqu’à sa mort."
(avoir-alire).


Pierre et Hélène (DR).

Festival du Film d’Amiens

- "Les Choses de la vie fait connaître Claude Sautet au grand public et ouvre une nouvelle étape de sa carrière. Quatre rencontres majeures sont à l’origine de cette renaissance : Romy Schneider, dont il marquera à jamais la carrière ; Michel Piccoli, qui devient son double à l’écran ; Jean-Loup Dabadie, à l’origine du projet, qui deviendra son principal scénariste ; Philippe Sarde qui signera toutes les musiques de ses films.
Les Choses de la vie n’est pas le marivaudage bourgeois que l’on imagine parfois, mais l’histoire d’un homme heureux de mourir. C’était le point de vue de Sautet, qui ne parlait pas avec la complaisance du pessimiste, mais avec la perspicacité du philosophe. Par ailleurs, la fameuse scène de l’accident demeure l’un des plus beaux moments de bravoure du cinéma français."

Guillemette Odicino

- «Les choses n'arrivent jamais comme on croit. C'est le sujet de tous mes films.» : Claude Sautet concluait ainsi ses Conversations avec Michel Boujut, parues chez Actes Sud. Foin de la bourgeoisie pompidolienne et des ambiances de bistrots à l'heure du coup de feu ! Claude Sautet fut surtout le cinéaste de l'angoisse et de la confusion de vivre, et cela dès Les Choses de la vie, son troisième film.
Avec Pierre (Piccoli, intériorisé), ce quadragénaire qui hésite entre deux vies, celle avec sa femme et celle avec sa maîtresse éprise d'absolu (Romy, frémissante), il entamait une longue liste d'hommes qui fuient. Son accident de voiture au début, filmé en divers ralentis (scène célèbre, composée de soixante-six plans, souvent citée par John Woo !), donne sa puissance tragique à ce banal dilemme. Pierre roule pour être seul et différer sa décision. Le moment euphorique du choix (oui, je l'aime) lui sera fatal. Dans les histoires de Sautet, il est quelquefois « trop tôt », souvent « trop tard », mais les femmes restent les plus beaux accidents qui puissent arriver aux hommes."
(Télérama, 11 août 2012).



La Chanson d'Hélène,
paroles de Jean-Loup Dabadie
et musique de Philippe Sarde

- "Ce soir nous sommes septembre
et j'ai fermé ma chambre
Le soleil n'y entrera plus
Tu ne m'aimes plus
Là-haut un oiseau passe comme une dédicace
Dans le ciel

Je t'aimais tant Hélène
Il faut se quitter
Les avions partiront sans nous
Je ne sais plus t'aimer Hélène

Avant dans la maison j'aimais quand nous vivions
Comme dans un dessin d'enfant
Tu ne m'aimes plus
Je regarde le soir tomber dans les miroirs
C'est ma vie

C'est mieux ainsi Hélène
C'était l'amour sans amitié
Il va falloir changer de mémoire
Je ne t'écrirai plus Hélène

L'histoire n'est plus à suivre
et j'ai fermé le livre
Le soleil n'y entrera plus
Tu ne m'aimes plus."


NOTES :

(1) Jean-Paul Rappeneau. Né le 3 avril 1932. Réalisateur (économe) de : La Vie de château (1966), Les Mariés de l'an II (1971), Le Sauvage (1975), Tout feu, tout flamme (1982), Cyrano de Bergerac (1990), Le Hussard sur le toit (1995) et de Bon voyage (2003).

(2) Paul Guimard (3 mars 1921-2 mai 2004). Epoux de Benoîte Groult.
Institut F. Mitterrand :
- "Paul Guimard eut tout au long de sa vie deux passions, la mer et l’écriture. Ce breton grand et massif était né le 3 mars 1921 à Saint-Mars-la-Jaille (Loire-Atlantique). Après des études à Nantes, Paul Guimard débute sa vie professionnelle comme journaliste en animant à la radio « La tribune de Paris » où il invitait des hommes politiques. Sa carrière littéraire commença en 1956, avec un premier roman, « Les faux frères ». Le succès fut immédiat : le livre remporte le grand prix de l’Humour. Un an plus tard, « Rue du Havre » fut couronné par le prix Interallié. Membre du jury de ce prix à partir de 1960, Paul Guimard fut également éditeur conseil chez Hachette et éditorialiste à l’hebdomadaire « L’Express », de 1971 à 1975. En 1962, il fit le tour du monde à bord du voilier La Constance et tient en direct son journal de bord pour une émission de la radiodiffusion française, « Cap à l’Ouest », qu’il poursuivit en dépit d’un grave accident qui le cloua au lit en 1963. Cette expérience lui inspira son ouvrage le plus connu, « Les choses de la vie » paru en 1967 et adapté au cinéma par Claude Sautet avec Romy Schneider et Michel Piccoli.
Vers 1965, François Mitterrand, qui appréciait ses livres, demanda à rencontrer Paul Guimard. Il participa alors à toutes les campagnes électorales et cette complicité devait amener l’écrivain peu familier des antichambres gouvernementales, à rejoindre l’Elysée en 1981."
(Hommage, 24 décembre 2004).

(3) Philippe Sarde, né le 21 juin 1948. Il est âgé de 20 printemps quand en un mois, il donne vie à sa première composition musicale pour le cinéma : Les Choses de la vie. Coup de baguette de maître ! Ensuite, son nom ne cessa de fleurir sur les affiches du 7e art. Avec une belle fidélité au long cours : 8 autres films de Sautet après Les Choses... Et pour ne citer que "quelques" exemples : 13 films réalisés par Pierre Granier-Deferre, 10 films d'André Téchiné, 6 de Bertrand Tavernier etc...
Philippe Sarde reçut le César 1977 de la meilleure musique originale pour le film Barocco d'André Téchiné (avec Isabelle Adjani, Gérard Depardieu, Marie-France Pisier et Jean-Claude Brialy).

(4) Dans la distribution, je souhaite saluer la figure de Jean Buisse, un acteur emmuré à vie professionnelle dans les seconds rôles, les mises ne valeur des grands mais toujours avec une infinie distinction, un talent tellement respectable, une humanité sans artifice.
Jean Buisse (3 juin 1929 – 6 juillet 1989), époux de l’actrice Isabelle Sadoyan (comme par hasard, sa première apparition à l'écran : Les Choses de la vie).
Jean Buisse se confirma un second rôle exceptionnel et recherché dans plus de 70 films. César 1980 du meilleur acteur de second rôle pour Coup de tête de J. J. Arnaud (avec Patrick Dewaere, France Dougnac et Michel Aumont).
Besson :
- "La disparition de Jean Buisse a été un événement affreux, affreux. Sincèrement, depuis quinze ans que je suis dans le cinéma, c'est l'être le plus adorable que j'aie rencontré. C'était un type généreux, le coeur sur la main. Le genre d'homme qui, sur un court-métrage de jeunes, prenait le chèque que les gars étaient tout fiers de pouvoir lui donner, disait merci et ne le touchait jamais... Il le déchirait en rentrant chez lui. Il avait la faculté de donner le moral à tout le monde : il arrivait quelquefois à des moments du tournage où l'on était à bout, et il racontait des histoires, il nous remontait, il insufflait la pêche à tout le plateau. Il était vraiment très positif."
(Dédicace de Nitika, dernier second rôle de Jean Buisse).

(5) N. T. Binh. Réalisateur du film : "Claude Sautet ou la magie invisible" (2003).
Co-auteur (avec Dominique Rabourdin) du livre : Sautet par Sautet, éditions de La Martinière, Paris, 2005.

(6) Jean-Loup Dabadie, né le 27 septembre 1938. Homme orchestre prolifique et inspiré : chanson, cinéma, théâtre, télévision… Pour ses rares moments de repos et faire semblant de croire à l’immortalité, il occupe le fauteuil 19 de l’Académie française depuis avril 2008.


Serge Reggiani : Le petit garçon,
paroles de Jean-Loup Dabadie,
musique de Jacques Datin.


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jeudi 18 juillet 2013

P. 249. Beaujolais Visages : toponymie...


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Vignes de Régnié (1), appellation contrôlée (Ph. JEA/DR).

Des Alouettes au Verbefière...

Crêt des Alouettes
Fontaine des Anes, les Fonts de l'Ane, la Pierre à l’Ane, la Roche à l’Ane, Tête à l’Ane, Bois Baudets, Bois Mulet
Pique-Bœuf, Point Bœuf, Vers Bœuf
Les Canards
Le Bois de Chat
Sur le Cheval
La Chevrette, la Croix de Chèvre, Rouge Chèvre, Ruisseau de la Chèvre Pendue
Dinechien
La Grenouillère
Les Grillons
Le Champ Levrier
La Croix du Lièvre
La Lionnette, les Lions
La Croix au Loup, Crot au Loup, le Cul du Loup, Fontaine au Loup, Gorge de Loup, Graloup, Tête au Loup, Trappe aux Loups, Trou du Loup, Passe Loup
Chantemerle
Croix de la Moule
Patte d'Oie
Le Papillon
La Terre aux Pies
Les Poulets
Champrenard, Crêt de la Renardière, la Croix Renard, Vauxrenard
Bois de la Vache, la Cuisse à la Vache, le Pâquier des Vaches, Vers Veau

Les Acacias, l’Amandier, l’Aubépine
Les Charmes, Châtaignier Bayard
Chêne Vert, le Chêne Pignard
Le Frêne
Les Noisetiers, le Noyer
Les Oliviers, Col de la Croix de l’Orme
Le Creux du Pin, le Pin Bouchain, les Pins Gantet, les Sapinettes
Le Prunier
Les Saules, le Sorbier

Le Bar à l'Huile

Bois Boulon, Cadet, Levent, Merlin, Retour
Bois de l'Esté, de la Moussière, de Lys, des Bisses, des Ecluses, des Epines, Dieu, du Jour, du Thym,

Bon Claude, Bon Cru

Brouillard (Ruines)

Chantoiseau

Château de la Plume, de la Ronze, de Pierreclos, de Ruti, des Fougères, d'Ornaison, Thivin

Chez Balthazard, Bardin, Bert, Bolévy, Cabin, Caton, Cœur, Coton, Dalléry, Doye, Dury, Farges, Grandgeard, Guerre, Jacquème, Jean Pont, Lafay, Laile, Lapierre, Laval, le Bret, le Tel, Liange, Martignon, Michard, Mingon, Nantin, Pelouza, Perreton, Pilon, Pirote, Roche, Vial

Chique Chair

Col de la Cambuse, de la Casse Froide, de la Croix Marchampt, de la Croix Rosier, des Labourons, du Champ Juin

Crêt de la Bonne, de la Gaîté, de l’Aïl, de la Murette, de l’Oiseau, de Maltrue, des Chers
Crêt du Chardon, du Devant, du Ris, Fourchet, Néron

Croix de la Devinière, de l’Equillon, de la Main, de Meule, de la Roue, Desplaces, de Vernebois
Croix du Carcan, du Coin, du Fût Froid, du Pendu, du Pis, du Sec, du Tu, Croix Pion

Bois Blancs, la Maison Blanche, le Moulin Blanc, Pierre Blanche, Places Blanches, le Quartier Blanc, les Vignes Blanches
Croix Bleue
Creuse Noire, Goutte Noire
Barbe Rouge, Crête Rouge, le Mont Rouge, les Terres Rouges
Bois de Vert Pré, Champvert, le Vert Coteau

Ancienne coopérative viticole à Beaujeu (Ph. JEA/DR).

Écussol

En Croitoux
En Pressavin
En Savate

Fondlong
Font Curé, Fotin
Fontmartin, Fontriante

Grille-Midi

La Grande Diane, les Grands Cours, les Grands Fers, le Petite Caqrré, le Petit Néty, le Petit Paris, le Petit Pinassé, le Petit Saint-Cyr, les Petites Trèves

La Combe Certain, du Laveur, Gelée, Vineuse

La Grange Barjot, Bourbon, des Maures, du Milieu, la Grand Grange, la Grange Forgeon
Granges d’Espagne

La Place aux Filles

La Pointe du Jour, le Point du Jour

La Roche Charmante, de la Lumière, des Fées, du Point Perdu,
La Roche Fendue, Palais, Pilée

La Source du Diable

La Tour Bourdon, de la Belle-Mère

La Triche

Le Bel Avenir

Laurier à Lantignié (Ph. JEA/DR).

L’Angleterre
Le Pérou
La Russie, le Col de la Sibérie

La Bêche, la Botte, les Bidons, les Bretelles, le Boulon
Brosse-Sabot, Brosse Vieille
Le Clairon, les Clous, les Couteaux
L'Ecuelle, les Eperons
Les Massues
Réveille-Matin
Les Torchons

Le Massacrier

Le Milhomme

Le Moulin à l’Or, de la Planche Simon, des Creux, du Prince, le Moulin Paris

Le Parasoir

Le Plâtre Durand

Les Angelards

Les Brigands

Les Ecorchés

Les Entremains

Les Marrans
Les Micholons, les Micous

Les Perdus

Les Picolières

Les Poupets, les Pourchoux, les Poutoux

Crêt des Quatre Bornes, les Quatre Cerisiers, les Quatre Chemins, les Quatre Croix, les Quatre Saisons, les Quatre Vents

Les Ravinets

Les Samsons

Les Vachats

L’Haspire

Montmerond, Propremont

Pierre à Futte, Folle, Plantée, Taillis
Planche Pierre

Pissefour, Pissevieille

Haye du Pont, le Pont Rompu

Ruisseau de Butecrot, de la Blancherie, de la Papilloud, des Gots, des Gouttes Noires, des Planches, du Bout du Monde, le Morgon, Font Froide

Seigneronces

Tempéré

Tête du Pis

Tournemidi

Tous Vents

Verbefière


Encore des vignes, toujours du Régnié (Ph. JEA/DR).

NOTE

(1) Le Régnié ? Sans vouloir blesser de respectables sensibilités, pas nécessairement le plus connu des dix crus du Beaujolais.
Sa présentation sur le site des coteaux du Régnié :
- "Au coeur des grandes appellations beaujolaises, son vignoble s'étend sur 620 hectares sur un sol de granit rose, donnant des terrains légers peu profonds, riches en éléments minéraux.
Les vignes, plantées sur des coteaux d'une altitude moyenne de 350 mètres, sont principalement orientées sud-est.
Dès 1936, à l'apparition de la notion d'Appellation d'Origine Contrôlée,
l'I.N.A.O. (Institut National des Appellations d'Origine) reconnut la grande qualité des vins de Régnié qui rejoint en 1988 les neuf autres célèbres Crus du Beaujolais."

Le Figaro

- "Cette aire d’appellation a la particularité de se situer entre 200 et 500 mètres d’altitude. Les terrains peuvent contenir jusqu’à 70% de sable, ce qui procure à la vigne des sols très pauvres, légers et superficiels, ayant un bon écoulement.
Son taux de production peut atteindre 22 787 hl/an grâce à des conditions climatiques favorables à la maturation des raisins issus du cépage Gamay.
Les vins rouges de cette appellation sont appréciés pour leur longueur en bouche.
Ils se dégustent dans les 5 ans suivant leur commercialisation pour préserver au mieux leurs arômes de fruits rouges accompagnés de notes épicées et minérale. Leur robe varie de cerise à rubis."
(Avis vin : connaître et déguster).

Hachette des vins

- "Officiellement reconnu en 1988, le plus jeune des crus s'insère entre le morgon au nord et le brouilly au sud, confortant ainsi la continuité des limites entre les dix appellations locales beaujolaises. À l'exception de 5,93 ha sur la commune voisine de Lantignié, il est totalement inclus dans le territoire de la commune de Régnié-Durette, autour de la curieuse église aux clochers jumeaux qui symbolise l'appellation.
Orienté nord-ouest-sud-est, le vignoble s'ouvre largement au soleil levant et à son zénith, ce qui a permis au vignoble de s'implanter entre 300 et 500 m d'altitude. Unique cépage de l'appellation, le gamay s'enracine dans un sous-sol sablonneux et caillouteux - le terroir s'inscrit dans le massif granitique dit de Fleurie. On trouve aussi quelques secteurs à tendance argileuse.
Aromatiques, fruités (groseille, framboise) et floraux, charnus et souples, les régnié sont parfois qualifiés de rieurs et de féminins.
(Les appellations).

Jean-Pierre Coffe

- "Le Régnié est un bonheur de rouge de Beaujolais, dense, charpenté et gai. À ne pas manquer."

Les viticulteurs de Régnié se comptent par dizaines (plus de septante/soixante-dix). La perplexité est donc de mise. Peut-être souhaiteriez-vous une suggestion de sortie à ce labyrinthe ? Un choix en toute amitié, sans un milligramme de publicité ni de duplicité, "libre comme le vent". Un Régnié valant tous les détours, est récolté à la main dans cette "exception" de la commune de Lantignié : Fontalognier.

Cliquer sur les étiquettes pour une lecture plus confortable (Ph. JEA/DR).

Domaine de Fontalognier
Régnié, appellation contrôlée
Gilles et Nel Ducroux
Viticulteurs récoltants
à Fontalognier - 69 430 Lantignié.


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lundi 15 juillet 2013

P. 248. La Marseillaise de la Paix, les jeunes de l'orphelinat de Cempuis et Paul Robin, libertaire


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Les dernières notes des derniers bals du 14 juillet s'éteignent dans une nuit que ne transfigurent plus les feux d'artifice.
Drapeaux tricolores, discours plus ou moins généreux et généraux. Marseillaises pétillantes ou sorties parfois de la naphtaline. Anciens dont certains ne savent plus très bien de quoi ils devraient se souvenir. Gosses qui apprennent par coeur des mots comme "égalité", "liberté" et "fraternité" en se demandant si ces mots-là ne finissent pas épinglés comme des papillons...
Il est à craindre que cette année, une Marseillaise soit restée oubliée : celle de la Paix.
Les paroles remontent à 1892. Leurs auteurs : les jeunes de l’orphelinat de Cempuis alors dirigé par Paul Robin.


- "De l'universelle patrie
Puisse venir le jour rêvé
De la paix, de la paix chérie
Le rameau sauveur est levé (bis)
On entendra vers les frontières
Les peuples se tendant les bras
Crier : il n'est plus de soldats !
Soyons unis, nous sommes frères.

Refrain :
Plus d'armes, citoyens !
Rompez vos bataillons !
Chantez, chantons,
Et que la paix
Féconde nos sillons !

Quoi ! d'éternelles représailles
Tiendraient en suspens notre sort !
Quoi, toujours d'horribles batailles
Le pillage, le feu, et la mort (bis)
C'est trop de siècles de souffrances
De haine et de sang répandu !
Humains, quand nous l'aurons voulu
Sonnera notre délivrance !

Refrain

Plus de fusils, plus de cartouches,
Engins maudits et destructeurs !
Plus de cris, plus de chants farouches
Outrageants et provocateurs (bis)
Pour les penseurs, quelle victoire !
De montrer à l'humanité,
De la guerre l'atrocité
Sous l'éclat d'une fausse gloire.

Refrain

Debout, pacifiques cohortes !
Hommes des champs et des cités !
Avec transport ouvrez vos portes
Aux trésors, fruits des libertés (bis)
Que le fer déchire la terre
Et pour ce combat tout d'amour,
En nobles outils de labour
Reforgeons les armes de guerre.

Refrain

En traits de feu par vous lancée
Artistes, poètes, savants
répandez partout la pensée,
L'avenir vous voit triomphants (bis)
Allez, brisez le vieux servage,
Inspirez-nous l'effort vainqueur
Pour la conquête du bonheur
Ce sont les lauriers de notre âge."

Paul Robin dans les archives judiciaires (Graph. JEA/DR).

Paul Robin

- "Laissez l'enfant faire lui-même ses découvertes, attendez ses questions, répondez-y sobrement, avec réserve, pour que son esprit continue ses propres efforts, gardez-vous par-dessus tout de lui imposer des idées toutes faites, banales, transmises par la routine irréfléchie et abrutissante."

IISH

- "Paul Robin (1837-1912) fut le véritable initiateur du néo-malthusianisme en France. Elève de l'Ecole normale supèrieure, il renonça vite à l'enseignement traditionnel pour connaître, de 1865 à 1879, une vie de militant révolutionnaire et d'exilé politique. En Belgique, d'abord, où il adhère à l'Internationale avant d'être expulsé. En Suisse, où il milite aux côtés de Bakounine. Réfugié à Londres, il entre au Conseil général de l'Internationale - dont il sera vite exclu avec Bakounine - et découvre le néo-malthusianisme.
De retour en France, il est chargé de la direction du premier internat mixte (l'orphelinat de Cempuis). La hardiesse de ses innovations pédagogiques, inspirées de l'idéal libertaire d'"éducation intégrale", lui vaut d'être radié de son poste en 1894".
(International Institute of Social History).

J. Husson

- "En 1880, Paul Robin fut appelé à diriger l'Orphelinat du Département de la Seine. Le milieu dans lequel il allait appliquer ses conceptions pédagogiques était particulièrement difficile, la liberté très limitée par la surveillance du Préfet et du Conseil Général de la Seine. Néanmoins, il trouvait là une sphère d'action qui convenait bien mieux à ses talents de pédagogue né qu'une circonscription d'inspection primaire. Durant les années où il fut le directeur de l'Orphelinat Prévost, Robin allait déployer ses dons extraordinaires d'éducateur et Cempuis peut être considéré comme la première Ecole nouvelle française, précédant de loin toutes les réalisations étrangères. Cempuis eut un véritable rayonnement. Au mois de juin 1890, après une visite de l'Inspecteur d'Académie de l'Oise, une série de conférences pédagogiques fut demandée à Robin qui, de juin à août, exposa dans une douzaine de cantons quelques-unes des méthodes en usage à l'Orphelinat. La même année, et durant les trois années suivantes, des sessions pédagogiques rassemblèrent des pédagogues venus notamment de Belgique et de Hollande. Ce furent de véritables congrès d'éducation nouvelle, illustrés par des expositions et des fêtes enfantines. Le Directeur de l'Ecole Normale d'Instituteurs de Bruxelles M. Sluys, publia dans « La Revue pédagogique belge » la première étude complète sur Cempuis (1890) et invita l'Orphelinat à un voyage en Belgique.
Pour un novateur, l'Orphelinat Prévost offrait une situation privilégiée : l'indépendance vis à vis de la pédagogie officielle, une possibilité d'expériences refusée aux écoles publiques déjà prises dans le moule de l'organisation scolaire, le plein air d'un établissement situé à la campagne, dans un milieu sain et tonifiant, riche en stimulants éducatifs de toutes sortes : l'école-foyer rassemblant des garçons et des fillettes de l'assistance publique, groupés autour d'un éducateur qui, par la coéducation, allait constituer « une famille sociétaire modelée sur la famille naturelle » (G. Giroud). Cette coéducation était une nouveauté extraordinaire en France".
(ICEM, Institut coopératif de l’école moderne – Pédagogie Freinet, Brochure d’éducation nouvelle populaire n°44, mars 1949).

Orphelins-auteurs de la Marseillaise de la Paix (Doc. JEA/DR).

Christiane Demeulenaere-Douyère

- "En 1880, le Conseil général de la Seine donne à Robin la possibilité de mettre concrètement en œuvre ses idées sur l’éducation intégrale en lui confiant, à l’initiative de Ferdinand Buisson qui toujours encouragera l’expérience et la protègera, la responsabilité de l’Orphelinat Prévost. Un de ses premiers actes de directeur est de rétablir la liberté de circulation dans l’établissement et d’instaurer de nouvelles règles de vie en commun entre garçons et filles.
Un des caractères les plus originaux de l’éducation donnée à l’Orphelinat Prévost est la mixité ou mieux la « coéducation des sexes ». Mais, paradoxalement, s’il a été un théoricien plutôt prolixe qui a laissé de nombreux textes sur l’éducation intégrale et ses avantages, Robin a peu développé le sujet de la coéducation en général. C’est certainement l’aspect le moins théorisé de sa doctrine éducative – comme si la coéducation s’imposait d’évidence – et certainement aussi celui dont l’application, dans la pratique quotidienne à Cempuis, a été la plus aboutie. S’il prend néanmoins la plume à plusieurs reprises pour en souligner les caractères positifs à l’Orphelinat Prévost, c’est plus particulièrement pour tenter de se défendre contre les attaques de la presse, et il est clair que pour Robin, la coéducation des sexes c’est d’abord et avant tout sur le terrain qu’elle se démontre et s’évalue."
Un précurseur de la mixité : Paul Robin et la coéducation des sexes », CLIO. Histoire, femmes et sociétés, mis en ligne le 10 novembre 2006, URL : http://clio.revues.org/615 ; DOI : 10.4000/clio.615).

Florence Regourd

- "Quelles leçons ( sic) tirer de l’expérience éducative de Paul Robin à Cempuis ?
La plupart des innovations pédagogiques de Paul Robin sont « banalisées » aujourd’hui, mixité, socle de connaissances pour tous, éducation du corps comme de l’esprit … mais nous ne sommes pas dans la même période et plus dans la perspective d’une émancipation des travailleurs par l’instruction comme réponse aux inégalités économiques et sociales. Certaines pratiques comme l’enseignement mutuel peuvent même, en ces temps de RGPP, se trouver dévoyées du sens qu’il leur donnait tout comme certaines expériences actuelles qualifiées improprement de libertaires ne sont que des masques cachant le travail de déconstruction, de désintégration, de destruction de l’école républicaine et de la laïcité auquel on assiste au même titre que le recul social qui nous place, par certains côtés, au moins un siècle et demi en arrière, soit avant Paul Robin."
(Paul Robin - Pédagogue, franc-maçon, libre penseur, militant révolutionnaire libertaire et néo-malthusien, Picardia l’Encyclopédie picarde, 6 mars 2012).

Paul

- "Ce qui est certain, c’est que Cempuis a été l’une des premières (sinon la première) expérience concrète d’éducation libertaire et qu’à ce titre elle servira de modèle à beaucoup d’autres. Sébastien Faure, lorsqu’il crée « la Ruche », ou Francisco Ferrer lorsqu’il ouvre son « escuela moderna » ne manqueront pas d’y faire référence. Même s’il ne le cite pas explicitement (à vérifier d’ailleurs !), un pédagogue comme Célestin Freinet a probablement appuyé sa réflexion et construit sa pratique pédagogique spécifique en s’appuyant sur les expériences de ses prédécesseurs. Il est donc légitime de rendre à Paul Robin la place de précurseur qui est la sienne, même s’il n’a laissé aucune trace écrite majeure de ses réalisations. Robin n’était pas un intellectuel de salon, c’était avant tout un homme d’action ! Je lui laisse cependant le mot de la fin en ce qui concerne le bilan de son œuvre principale : « Le premier en France, j’ai pendant quatorze ans donné à des enfants une éducation qui les a tous rendus d’une bonne vigueur physique, leur a procuré une instruction, sinon étendue au moins uniquement basée sur des vérités objectives indiscutables, leur a donné l’esprit d’observation, d’expérience, et enfin, malgré leur ignorance et leur dédain de toute conception extra-humaine, les a faits ou laissés des êtres moraux et bons. Dans l’orphelinat Prévost, cet établissement sans Dieu, les garçons et les filles de 4 à 16 et 17 ans furent élevés en commun, en grande famille, dans la plus grande liberté possible, chacun réunissant en lui les qualités des deux classes aujourd’hui ennemies, la culture du cerveau et le métier, présentant ainsi un premier type de ce que doit à court terme devenir tout être humain. »
(La feuille Charbinoise, 3 avril 2009).

jeudi 11 juillet 2013

P. 247. Portrait de Pétain dans les Carnets de Roger Stéphane


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Regard de Roger Stéphane en couverture de :
Chaque homme est lié au monde, Carnets, Août 1939 - Août 1944
Grasset, Les cahiers rouges, 2004, 466 p.


Roger Worms devenu Roger Stéphane

- "Roger Stéphane (1919-1994) a été une figure de premier plan de la vie littéraire et journalistique française. Né Roger Worms, d'une riche famille de la bourgeoisie juive parisienne, ce jeune homme frivole, passionné de littérature, homosexuel proclamé, fait très tôt la connaissance de plusieurs grands écrivains qui auront une influence déterminante sur lui, comme André Gide, Roger Martin du Gard et André Malraux, qui le font s'orienter vers la " réflexion engagée ". Entré en résistance au cours de l'été 41, Roger Stéphane est emprisonné deux fois et s'évade deux fois. Le 19 août 1944, alerté par Jean Cocteau, il va libérer l'Hôtel de Ville et, transformé en capitaine de vingt-cinq ans, prend un repos bien mérité au Ritz. En 1950, Roger Stéphane est un des co-fondateurs de L'Observateur, l'ancêtre de l'actuel Nouvel Observateur. Cela ne lui fait pas oublier ses activités d'écrivain, puisqu'il publie un de ses livres essentiels, Portrait de l'aventurier. Il s'engage en faveur de la décolonisation, conseille ses amis Mendès France et Bourguiba. En 1958, il se rallie au général de Gaulle qu'il fréquente jusqu'en 1970 et, à travers la célèbre série des " Portraits-Souvenirs ", devient un des pionniers de la télévision culturelle. A la fin de sa vie, endetté, seul, la plupart de ses amis étant morts, Roger Stéphane organise son suicide en vrai stoïcien."
Olivier Philiponnat - Patrice Lienhardt
Roger Stéphane, Biographie,
Grasset, 2004, 650 p.
4e de couverture.

Adieux de Roger Stéphane

- "J'écrivais tout à l'heure que rien n'est plus ridicule qu'un suicide sans essai ajourné. Je me trompais : un suicide manqué est encore plus ridicule. Mais je prends toutes les précautions : absorption de deux flacons de Digitaline, plus un révolver, si besoin. Je vous embrasse tous."
(Lettre à ses amis).

Michèle Cotta

- "Roger Stéphane, mon ami, s’est donné la mort à son domicile, dans la nuit de samedi à dimanche, après avoir bu une bouteille de champagne et confié son chien à Daniel Rondeau. Il était malade, encore que l’on n’ait jamais su de quelle gravité était son mal.
Il n’y a rien à dire sur cette mort, pas plus que sur d’autres. Sauf que celui-ci vivra, comme ceux-là vivent encore en moi. Tant que quelqu’un sur cette terre se souviendra d’eux, ils ne seront pas tout à fait morts."
Michèle Cotta (1)
Cahiers secrets de la Ve République, tome III, 1986-1997,
Fayard, 2009, 966 p., pp 645-646.

Pierre Assouline

- "Voilà un homme pour lequel il faudrait créer un mot. C'est dire à quel point il ne se laisse pas enfermer. Il a écrit une douzaine de livres et des milliers d'articles, fondé L'Observateur, produit et tourné des films de télévision, libéré l'Hôtel de Ville en août 44 avec son pistolet, loué de Gaulle, écouté Malraux, fréquenté Gide et Cocteau, clamé sa pédérastie, tenu table ouverte pour ses amis et bougé sans cesse. Pour autant, ceux qui ont eu le privilège de l'approcher ne songeraient pas à le définir comme un écrivain, un journaliste, un producteur, un grognard du gaullisme, un malrucien béat, un militant de la cause gay. Trop réducteur, trop incomplet. Car Roger Stéphane (1919-1994), qui était tout cela à la fois, n'était rien de cela séparément, exclusivement et totalement."
(la république des livres, 30 novembre 2004).

Roger Stéphane,
Fin d'une jeunesse, Carnets 1944-1947,
La Table Ronde, 2004, 298p.

4e de couverture :

- "Le 19 août 1944, à Paris, le «commandant» Roger Stéphane, jeune journaliste, juif, résistant, homosexuel, fou de littérature, se fait un nom lors de la prise de l'Hôtel de Ville. Soixante ans plus tard et dix ans après son suicide, voici enfin la version intégrale, non expurgée, de son journal où il chronique, de l'été 1944 au printemps 1947, la fin de l'Occupation, l'ouverture des camps, les convulsions de l'épuration, la montée du communisme. Et où il se révèle un observateur sans égal de l'après-guerre.
Car c'est d'abord en écrivain que ce spectateur engagé hante les cabinets ministériels, assiste au procès Pétain, croise Guitry à Drancy, rejoint Malraux sur le front d'Alsace, rencontre Violet Trefusis, Arthur Koestler, Cyril Connoly à Londres, arpente Saint-Germain-des-Prés en compagnie de Cocteau, Jouhandeau, Genet, Aragon, Vailland, Sartre, Mauriac. Choses vues, portraits, ou entretiens, Roger Stéphane s'impose ici par le style comme le mémorialiste exemplaire de toute une époque paradoxale, de toute une génération singulière.
Un témoignage pour l'histoire, une leçon de littérature, un livre culte."

12 juillet 1945
Roger Stéphane interroge le cdt Loustaunau-Lacau :
Pétain en prend pour son grade de... maréchal

Roger Stéphane

- "Je précise au commandant Loustaunau-Lacau (2) que je viens plus spécialement l'interroger sur ses relations avec le maréchal Pétain (3), aux côtés duquel il a travaillé de 1934 à 1938 :
..........- Puis-je vous demander ce que vous en pensez ?
..........- C'est un lâche. Il manque totalement de courage. En revanche, il a une grande habilité à se servir des hommes sans que l'on se serve de lui. Son système vital : ne jamais s'user en laissant s'user les autres. Un seul homme a fini par l'avoir : Laval (4).
.........- Se connaissaient-ils avant la guerre ?
.........- Oui, mais de là à penser qu'ils étaient d'accord, il y a une grand pas qu'il ne faut pas franchir. Ils cherchaient chacun à s'utiliser mutuellement (...). Laval, qui était le plus jeune, a fini par prendre le dessus.
........ - Croyez-vous à des relations entre le Maréchal et la Cagoule ?
.........- Je ne crois pas à une conjuration proprement dite. La seule chose qui me paraisse indéniable; c'est l'influence de Maurras (5) dans l'armée. La plupart des officiers voyaient dans le maurrasisme la seule doctrine capable de s'opposer au communisme (...).
.........- Etait-il ambitieux ?
.........- Vous savez, il était complètement gâteux. Il changeait d'avis toutes les heures, selon ses interlocuteurs (...). A partir de 40, il a rapidement été un jouet dans les mains de Laval.
.........- Est-ce une défense que vous esquissez ?
.........- Ah non ! Rien n'atténue sa responsabilité qui, pour moi, est essentiellement militaire. Elle date du moment où il était le chef d'état-major général : le Bon Dieu s'était trompé de maréchal. Pétain a fait une armée d'école et, par la suite, a accepté, comme tout le monde d'ailleurs, l'organisation d'une armée sans puissance qui coûtait des trésors (...).
.........- Etait-il intelligent ?
.........- Pas très. Mais équilibré. Il retombe magnifiquement sur ses pieds. Seul Laval l'a possédé. En ce qui me concerne, je l'ai toujours vu voler au secours de la victoire. Ceci l'explique encore : cette satisfaction d'un vieillard de voir qu'on est forcé de venir à lui.
.........- Une dernière question : si vous étiez juré, lors de son procès ?
.........- Le fait qu'il a livré des patriotes à l'ennemi suffit à justifier une condamnation à mort."
(6).


Pétain, juin 1941 (Doc. JEA/DR).

NOTES :

(1) Un aperçu des Cahiers en quatre volumes de Michèle Cotta est proposé P. 142 : "Chirac, Le Pen, Sarkozy et les élections présidentielles de 2002".

(2) Georges Loustaunau-Lacau (1894-1955). Militaire de carrière et activiste très à droite : proche de Doriot, du colonel de La Roque et de Charles Maurras. Dans les années 30, directeur de cabinet du maréchal Pétain dont il va tenter ensuite de favoriser l'accès au pouvoir (avec notamment le comité secret de "La Cagoule"). L'occupation va le voir s'écarter du maréchal et participer à la création du mouvement clandestin "L'Alliance", opposé à de Gaulle mais oeuvrant pour les Anglais. Arrêté par Vichy pour être finalement livré aux Allemands. Rescapé de Mauthausen.

(3) Lire P. 62 : le procès de Pétain, août 1945.

(4) Lire P. 192 : le procès Laval, octobre 1945.

(5) Charles Maurras (1868-1952). Vomissant la révolution de 1789, la démocratie et le régime républicain, il prit la tête de l'"Action française". Maurras rassembla dans ce mouvement d'extrême droite les partisans d'un pouvoir fort. Le régime de Vichy et sa "révolution nationale" matérialisaient une étape vers un retour à la royauté. Dès ses premiers écrits et jusqu'à son dernier souffle, cet activiste se montra d'un antisémitisme total. En 1945, il fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité mais bénéficia d'une grâce médicale en 1952. De la libération jusqu'à sa mort, l'Académie française veilla jalousement à ce que le fauteuil de Maurras reste à son nom malgré une condamnation à l'indignité nationale.

(6) Pages 107 et 108 des Carnets de Roger Stéphane.

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lundi 8 juillet 2013

P. 246. La "Jeunesse" de Justine Malle


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Justine a repris la caméra tombée des mains de son père
mais pour tourner son cinéma personnel...

Synopsis par Justine Malle

- "J’avais vingt ans en 1995, l’année de la mort de mon père, le cinéaste Louis Malle. J’étais en khâgne. Au moment même où je commençais à tomber amoureuse d’un garçon de ma classe et à rejeter l’influence de mon père, sont apparus chez lui les premiers symptômes d’une maladie. J’étais terrassée, autant par le choc de la nouvelle que par la certitude d’en être à l’origine avec mes velléités d’indépendance. Le sentiment de culpabilité que j’éprouvais m’a fait agir de façon inappropriée. Ma violente honnêteté d’alors incarne pour moi une certaine idée de la jeunesse..."

Sophie Grassin

- "A l’âge où l’on se défait de l’influence du père, une jeune fille de 20 ans, en hypokhâgne à Paris (Esther Garrel, autre fille de…), apprend la maladie dégénérative du sien, cinéaste : bientôt, il ne parlera plus, ne marchera plus… Cette fin lente et annoncée se heurte à son désir de vivre et à ses amours naissantes. Justine Malle (fille de Louis, mort en 1995, et de l’actrice Alexandra Stewart) sonde avec une honnêteté cruelle mais libératoire les sentiments contradictoires qui la traversèrent pendant le chemin de croix de son père réfugié dans le manoir où fut filmé «Black Moon», près de Cahors. Elle pioche un peu de réconfort dans le Louis Malle des Indes («Calcutta»), fouille ses propres dérobades (sa douleur l’empêche de lui dire au revoir), convoque le fantôme encore vaillant de Louis Malle…"
(CinéObs, 2 juillet 2013).

Mathilde Blottière

- "Il est des héritages qui vous compliquent la vie. Surtout s'ils sont prestigieux. Dans le premier film de Justine Malle, fille de Louis et de l'actrice Alexandra Stewart, la peur de se lancer est aussi palpable que la nécessité de raconter son histoire. Dans la bouche de ses personnages, elle sème quelques phrases qu'elle pourrait faire siennes : "Je ne sais pas si c'est une bonne idée de faire ce film", dit, par exemple, le père réalisateur à sa fille... Et ce n'est évidemment pas un hasard si elle confie à Esther Garrel, fille d'un autre grand cinéaste (Philippe Garrel), le rôle de la jeune femme qu'elle était en 1995, l'année où son père est mort... Justine avait alors 20 ans, l'envie de se forger une identité bien à elle et de tomber amoureuse comme on se fait "renverser par une voiture". A la soudaine maladie qui condamne son père (Didier Bezace), Juliette, son personnage, oppose ce côté brusque et braque de la jeunesse, cette horreur de la feinte et du compromis. Dans ce beau récit d'apprentissage, la mise en scène est sage, mais la simplicité et la délicatesse du trait touchent juste. D'un naturel bluffant, Esther Garrel est particulièrement convaincante, tour à tour têtue et fragile. Insolemment jeune."
(Télérama, 3 juillet 2013).

Esther Garrel et Didier Bezace - Justine et Louis Malle (DR).

Vincent Ostria

- "Au-delà du sujet et de cette histoire de filiation, on est frappé de voir à quel point Justine Malle entre dans le cinéma à pas feutrés et semble constamment craindre un faux pas (voire comment elle se “couvre” avec un découpage très conformiste).
Un travail poli et policé, quasiment neutre, à l’instar de ses personnages de khâgneux au langage châtié qui font des manières pour baiser (l’un d’entre eux répugne même à dire “coucher”).
Ce n’est ni lourd ni mal fait, mais il faut parfois sortir un tout petit peu de ses gonds pour exister."
(les inRoKs, 2 juillet 2013).

Sophie Benamon

- "Pour ses débuts derrière la caméra, Justine Malle, la fille de Louis, ne se cache pas et aborde d'emblée le noeud gordien de sa vie : la mort de son père. Dans cette autofiction, son double, qu'incarne Esther Garrel, fait face à l'ambivalence des sentiments qui la traversent à l'annonce de la maladie de son père. Elle dessine le portrait, sans concession, d'une jeune fille qui s'emballe pour un garçon de sa classe de khâgne, assez présomptueux. La réalisatrice montre, par petites touches, comment se partagent dans le coeur de la jeune adulte son état amoureux, ses velléités d'indépendance et la culpabilité qu'elle éprouve vis-à-vis de son père, de sa maladie soudaine. La jeune femme va même le rejeter un temps, comme pour nier la réalité, rester dans l'enfance.
Le propos est subtil, l'émotion est à fleur de peau. Esther Garrel (17 filles, L'Apollonide - souvenirs de la maison close) réussit à jouer sur la corde raide de l'adolescence, entre fragilité et assurance. Face à elle, Didier Bezace est on ne peut plus émouvant en père impuissant face à la maladie. C'est sûr, Justine Malle prend la relève en assumant son héritage (elle inclut même un extrait du documentaire de son père sur l'Inde) mais en traçant sa propre route. De beaux débuts !"
(Studio Ciné Live, 2 juillet 2013).

Les critiques de l’Express, de La Croix et du Monde sont plus tièdes…




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jeudi 4 juillet 2013

P. 245. Au panier, les crabes...



Cioran : "Lorsqu'on abuse de la tristesse, d'homme on se retrouve poète."


(Ph. JEA/DR).

Pour débuter la sixième cure
s’asseoir au bord d’un paysage vide
refuser de choisir entre midi et minuit
et ne pas confondre les sens uniques
avec des sorties de secours

se révolter
quand la plupart des pouparts
rongent la lune jusqu’à l’os
assèchent les sources solubles et
encerclent le passé avec leurs barbelés

apaiser la tristesse systématique
des prairies imprévisibles
aggraver les histoires de cœur
gravées sur des bancs publics
et par solidarité trembler avec les silences

qui regrettera le nacre du printemps ?
qui détournera les tirs sauvages
de plans sur la comète ?
qui sèmera à la folie
des herbes érudites ?

les passants perdent leur mémoire
goutte à goutte
l’horizon cherche le dernier des mots justes
les nuages ont trop de plomb dans l’aile mais
le musée des illusions recrute des guides...

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lundi 1 juillet 2013

P. 244. 2 juillet 1714 : naissance de Christoph Willibald Gluck


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La partition d'Iphigénie en Aulide et le regard de Gluck (Doc. et mont. JEA/DR).

Gluck sur les pas d'Euripide et de Racine...


Gluck

- "J'ai cherché à réduire la musique à sa véritable fonction, celle qui consiste à seconder la poésie afin de renforcer l'expression émotionnelle et l'impact des situations dramatiques sans interrompre l'action et sans l'affaiblir par des ornements superflus."

Opéra de Paris

- "Simplicité, vérité et naturel : tels sont, selon Gluck, les éternels attributs de la beauté."

France Musique

- "Mis à part des sonates en trio, quatre ballets et quelques œuvres de musique vocale, Gluck s'est consacré essentiellement à la composition d'opéras. Novateur passionné, admiré par Berlioz et Wagner, sa musique porte en elle tous les traits contradictoires d'un style en pleine mutation. Il crée des architectures monumentales où l'intensité expressive reste toujours subordonnée à l'action. A l'exception de Pergolèse, Gluck est le compositeur d'opéra le plus ancien dont les oeuvres ne disparaissent jamais complètement des scènes européennes."

Xavier Minnaert

- "L'opéra français (…) subit les assauts redoublés d'un courant d'italianisme soutenu par les Encyclopédistes et Rousseau à leur tête. Pour ceux-ci, la seule attitude véritablement défendable sur le plan musical réside dans la reconnaissance de la supériorité de l'opéra italien. Cette position résulte du fait (…) que la langue française ne convient pas à l'opéra. Il est piquant de rappeler à ce sujet la phrase célèbre de Jean-Jacques Rousseau : "Les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir, ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux !" (1753).
Gluck va quant à lui se ranger au parti adverse et donner habilement à l'Opéra de Paris son Orfeo (août 1774). (…) Il compte bénéficier de l'appui de l'épouse de Louis XVI, Marie-Antoinette, fille de Marie-Thérèse d'Autriche qu'il connaît depuis son séjour à la cour viennoise. Marie-Antoinette, effectivement, ne manquera pas de soutenir son ancien professeur de musique (…).
Gluck réussit donc, après de longues démarches, à ce que son nouvel opéra, Iphigénie en Aulide soit accepté à l'Opéra de Paris. Son amitié avec la souveraine lui permettra de surmonter les tensions qui vont surgir au cours des répétitions. Le compositeur se montre en effet d'autant plus exigeant et intransigeant qu'il sait pouvoir compter sur le soutien alors indéfectible que lui accorde la cour. La présence de Marie-Antoinette à la première, qui a lieu le 19 avril 1774, va placer le parti musical adverse dans l'obligation d'assister également au spectacle : l'opéra connaît un grand succès le jour même de sa création, malgré que l'on ait craint une certaine réserve. L'ouvrage finira même par s'imposer définitivement en raison de la remarquable qualité de cette partition."
(la-musiqueclassique).

BNF

- "Gluck avait refusé le modèle italien, alors très en vogue, et avait trouvé une nouvelle inspiration dans la tragédie grecque : la musique s'accordait mieux, selon lui, avec la situation dramatique et le chœur participait davantage à l'action. Gluck défendait aussi l'idée d'une ouverture qui "[préviendrait] les spectateurs sur le caractère de l'action [...] et leur [indiquerait] le sujet" (épître dédicatoire d'Alceste à l'archiduc Léopold). Refusant les vocalises, il tenta également d'imposer une certaine discipline aux chanteurs."

Hector Berlioz

- "Il y a deux grands dieux supérieurs dans notre art : Beethoven et Gluck. L’un règne sur l’infini de la pensée, l’autre sur l’infini de la passion ; et, quoique le premier soit fort au-dessus du second comme musicien, il y a tant de l’un dans l’autre néanmoins, que ces deux Jupiters ne font qu’un seul dieu en qui doivent s’abîmer notre admiration et notre respect."
(12 janvier 1856, lettre à Théodore Ritter).

Gluck : Iphigénie en Aulide, Opéra en trois actes (1774).

Pour faire court

- "Gluck présente l'épisode dramatique qui a précédé le départ des forces grecques pour Troie. Afin que le vent leur soit favorable, Agamemnon doit sacrifier à Diane sa fille Iphigénie, promise à Achille. Celle-ci se résigne, par amour pour son père, à subir son sort. La déesse s'interpose au moment crucial…"

Hector Berlioz

- "Les partitions me firent perdre le sommeil, oublier le boire et le manger ; j'en délirais. Et le jour où, après une anxieuse attente, il me fut enfin permis d'entendre Iphigénie... je jurai, en sortant de l'Opéra, que, malgré père, mère, oncles, tantes, grands-parents et amis, je serais musicien."
(Mémoires, V).

Classique en Provence

- "Créée à Paris, à l’Académie royale de musique, le 19 avril 1774, la tragédie-opéra en trois actes et quatre tableaux Iphigénie en Aulide repose sur un livret de François-Louis Gand Le Bland du Roullet, inspiré de Racine. Compositeur et librettiste se sont rencontrés à Vienne, alors que ce dernier est attaché d’ambassade. C’est le Français qui suggère à Gluck cet opéra adapté de Racine. Grâce au soutien de Marie-Antoinette, il s’installe dans la capitale et obtient un succès considérable avec cette première Iphigénie, qui se maintiendra sur scène jusqu’en 1824. Grand admirateur de Gluck, Richard Wagner en donne une version allemande, à Dresde, en 1847."

Opéra national du Rhin

- "L’aspect central dans Iphigénie est d’aller du point A (Mycène) au point B (Troie), l’Aulide en étant l’antichambre. Pour pouvoir aller au point B, les Grecs vont devoir trouver des solutions aux conflits qui les immobilisent. Allons-nous vers un « naufrage » ? Il est vital de pouvoir traiter ici de la solitude du politique qui se retrouve devant la fatalité de devoir donner un prix à son propre sang. Quelle est la valeur d’un sacrifice ? Combien vaut une vie en échange d’une guerre ? Gloire ou oubli ? Le tapis rouge est à la fois le symbole de l’honneur, de la route d’Agamemnon interrompue et du destin qui attend Iphigénie. Ce tapis réservé aux puissants de la terre permet de cacher le sang qu’il nécessite."
(Strasbourg, 2008).

Tristan Monségur

- "Grandeur héroïque, lyrisme sobre et sincère, toujours la musique suit la volonté de clarté et d'intelligibilité. En ce sens l'ouverture est éloquente : son souffle tragique, sa démonstration furieuse indiquent ce qui attend l'auditeur par la suite. Sur le plan de l'intrigue et de l'action poétique, il n'en va pas de même car le livret de Roullet dilue la tension, dérape souvent, répète jusqu'à l'ennui les épanchements des coeurs, les langueurs des âmes douloureuses... Pourtant, sur le plan musical, l'oeuvre offre quelque grands moments dramatiques: première scène enchaînée après l'ouverture où Agamemnon terrassé par le doute et la crainte, fait front à Calchas et un choeur furieux, par exemple. Du reste, le père d'Iphigénie est parfaitement restitué : noble basse, profonde et morale. Gluck a respecté dans son personnage l'idéalisme tendu de Racine. Les scènes collectives sont les plus inspirées : Gluck semble relire avec génie l'effet des compositions grecques sur le tympan des temples antiques. Plusieurs duos, un trio palpitant, deux quatuors font du compositeur, le fondateur de l'opéra tragique et sentimental, légitimement admiré par Berlioz et donc Wagner."
(classiquenews, 8 mars 2007).


Version des Musiciens du Louvre-Grenoble, dirigés par Marc Minkowski (2011).

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