MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

jeudi 29 août 2013

P. 261. Pour floreter de photo en photo...


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Arc en fleurs (Ph. JEA/DR).


Philippe Sollers :

- "Les fleurs sont des oiseaux à l'arrêt, les oiseaux sont des fleurs qui volent..."



(Ph. JEA/DR).



(Ph. JEA/DR).

Tristan Tzara :
- "Une fleur est écrite au bout de chaque doigt..."




(Ph. JEA/DR).

Anne Sylvestre :
- "Je vous ai porté des fleurs
Je vous ai morcelé mon coeur..."




(Ph. JEA/DR).



(Ph. JEA/DR).



(Ph. JEA/DR).



(Ph. JEA/DR).



(Ph. JEA/DR).

Françoise Hardy :
- "On est bien peu de chose
Et mon amie la rose
Me l'a dit ce matin"...




(Ph. JEA/DR).



 Un balcon en forêt ardennaise (Ph. JEA/DR).



(Ph. JEA/DR).

Alain Souchon :
- "... changer le vieux monde
pour faire un jardin
tu verras
tu verras
le pouvoir des fleurs..."


(Ph. JEA/DR).




Petite fleur : Sidney Bechet et Claude Luter (1952).
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lundi 26 août 2013

P. 260. Le 26 août 1970 : hommage à la femme inconnue du soldat inconnu, acte fondateur du MLF


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L'histoire en marche, leur histoire : celle de la libération des femmes (Graph. JEA/DR).

Quelques militantes féministes choisissent l'Arc de triomphe pour (p)oser la première pierre de leur Mouvement...

Françoise Picq (1)

- "Elles étaient dix ce 26 août 1970 à déposer une gerbe à «la femme du Soldat inconnu», plus inconnue encore que le célèbre soldat sous l’Arc de triomphe. C’est ce jour-là, que les journalistes, copiant le «Women’s Lib» américain, ont parlé pour la première fois en France d’un mouvement qu’ils ont baptisé Mouvement de libération de la femme. Le singulier «la femme» a été réfuté, le mouvement de libération des femmes est alors devenu le MLF. Héritier rebelle de mai 1968, c’est un mouvement d’un type radicalement nouveau, qui s’inventait dans la rencontre des femmes sans prétendre les représenter et refusait d’être représenté par quiconque. Nulle ne devait s’approprier le nom collectif. Les tracts étaient signés «quelques militantes» ou «des militantes du MLF» ; les articles de prénoms ou de pseudonymes (…).
Le mouvement des femmes existait déjà aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, dans les pays du nord de l’Europe… Il fallait bien qu’il arrive en France, sur un terrain fertilisé par mai 1968. Si on considère généralement 1970 comme l’année initiale, c’est que la première publication collective, un numéro spécial de Partisans (mai) titrait - en toute innocence historique - «Libération des femmes, année zéro». C’est aussi que l’année 1970 fut riche en événements et manifestations."
(Libération, 7 octobre 2008).

France Soir

- "Un petit commando en jupons n’a pas réussi à déposer ses fleurs sous l’Arc de Triomphe."
(27 août 1970).

8 mars info

- "Le 26 août 1970, une douzaine de militantes anonymes déposent une gerbe sous l’Arc de Triomphe, à la gloire de la Femme du soldat inconnu. Sur leurs banderoles, il est écrit : Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme.
Elles sont aussitôt arrêtées par la police, mais dès le lendemain la presse annonce « la naissance du MLF ». « La libération des femmes, année zéro » titrait une revue.
Le MLF ne se veut ni une organisation ni un parti ; aucun leader n’est toléré. Le mouvement se compose de collectifs et groupuscules. Les militantes féministes veulent se battre sur tous les terrains, en vertu du principe que le privé est politique. Elles rejettent les canons de beauté imposés par le diktat patriarcal, réclament crèches et garderies, demandent à leurs conjoints de partager les tâches domestiques. La révolution sexuelle est passée par là : elles dénoncent viol, inceste et agressions sexuelles, luttent pour l’avortement.
C’est tout un mode de vie et de pensée que les féministes des années 70 veulent changer. Elles ne veulent rien moins que tout le droit pour toutes les femmes, comme l’avait superbement formulé Olympe de Gouge en 1792, ce qui lui valut la guillotine."
(En France, le MLF n’émerge qu’à partir de 1970).



Articulet de Combat, le 27 juillet 1970. La  militante américaine interpelée serait Namascar Shaktini (DR).

Lily Wonderverden

- "26 août 1970 : mais que font ces quelques femmes réunies devant la flamme du soldat inconnu, à Paris, sous l’Arc de Triomphe ?
Elles sont une dizaine. L’une d’entre elles porte une gerbe de fleurs où l’on peut lire : "À la femme inconnue du soldat".
Huit autres déploient des banderoles :
- "Un homme sur deux est une femme" ;
- "Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme" ;
- "Solidarité avec les femmes en lutte aux USA" :
- "Libération des Femmes".
Autour d’elles virevoltent quelques photographes et journalistes prévenus pour l’occasion. Le lendemain, leurs articles paraissent dans les journaux souvent à la Une.
Le mot de désordre est lâché : LIBÉRATION DES FEMMES. Il va courir tout au long des décennies, parfois ouvertement, souvent en sourdine, pour passer, tel un furet, d’une vie à l’autre."
(Blog Aliceswonderverden, 24 août 2010).

Sylvie Duverger


- "Le 26 août 1970, quelques rebelles insensées s'en allèrent déposer une gerbe à cette effacée de la grande histoire, plus inconnue encore que son peut-être digne et tendre époux, le fameux soldat, celui qu’on ne connaît pas, mais quand même. Le célèbre soldat inconnu… Oxymore à la hauteur du désordre symbolique, qui donne place généalogique aux hommes et efface les noms des femmes ; oxymore à la profondeur des trous de mémoire de l'Histoire, qui s'évertue à ne garder de traces que des hommes, petits ou grands soldats, et jusqu'à ceux dont nulLE n'est venuE chercher la dépouille au champ des morts.
Le 26 août 1970, 9 ou 10 jeunes insolentes – le nombre dépend des récits – signalaient à l’attention qu’ « un homme sur deux est une femme », et qu’il était temps, en somme, que les femmes jouissent des droits de l’homme : celui de disposer de son corps, en premier lieu, celui d’être reconnu comme un corps-sujet à part entière."
(Le Nouvel Observateur, Féministes en tous genres, 28 août 2012).



Photo dans France Soir. De galants policiers se proposent de porter obligeamment gerbe et banderoles. Le journal évoque "un commando en jupons", cette formule choc des mots se trouve contredite par son propre cliché ne montrant que deux robes (DR).

Benoite Groult

- "Il faudra attendre le reflux de la vague gauchiste en 70 et la déception des lendemains d'utopie, surtout pour les femmes, traditionnelles flouées de ce genre d'aventure, pour que toute une génération de filles nées après guerre comprennent que le salut ne viendrait que d'elles-mêmes et prennent conscience de la nécessité d'une lutte spécifique.
A toute révolution il faut un acte de naissance symbolique. Le nôtre date du 26 août 1970, jour où quelques militantes anonymes eurent l'idée de déposer à l'Arc de Triomphe une gerbe en hommage à la Femme du Soldat Inconnu."
(Ainsi soient-elles au xxie siècle, Grasset, 2000, 228 p.)

Parmi ces "quelques militantes anonymes" :

Cathy Bernheim (2), Julie Dassin, Emmanuelle de Lesseps (3), Christine Delphy (4), Christiane Rochefort (5), Namascar Shaktini (6), Monique Wittig (7), Anne Zelensky (8)...
(Sauf erreurs involontaires mais après croisements de documents et de témoignages).




Le Figaro, 27 août 1970, compare les femmes américaines et leurs " manifestations monstres" avec les françaises soit "un groupe d'une dizaine de militantes" (DR).

Anne Zelensky

- "L’initiative à l’Arc de triomphe a  concentré l’essence de ce qui serait notre mouvement, sa pensée, sa démarche, ses formes d’intervention. Toute la griffe MLF était là. Sauf que le label, nous ne l’avons jamais choisi, il nous a été plaqué de l’extérieur, par analogie avec le Women’s Lib américain. Nous, notre nom, c’était le Mouvement."
(L’Humanité, 26 août 2010).

Cathy Bernheim

- "Quand la libération des femmes a été à l’ordre du jour, en 1970, année surnommée par quelques-unes l’année Zéro, nous sortions de ce guêpier qu’avait été le « devenir femme ». Nous avions perdu quelques plumes quand nous avions dû nous arracher à la cage (plus ou moins dorée et confortable), de LA femme. La Femme, entité censée nous mettre à l’abri de la sauvagerie de la condition humaine, et des hommes en particulier, s’était révélée à nos yeux pour ce qu’elle était : une forteresse où l’on enfermait les petites filles pour qu’elles soient sages, avant de les lancer toutes crues, toutes nues, dans l’enclos de la foire.
Des tas de filles venues d’on ne sait où (et même si on le sait un jour, qu’importe ?) se sont liguées, liées, déliées ensemble pour se débarrasser du modèle d’armure encombrant et stérile qu’elles auraient dû revêtir avant d’oser arpenter les rues de la cité."
(Ce que l’histoire fait aux femmes, Multitudes 3/2010 (n° 42), p. 54-58).



Dans la dynamique de cette première manif à l'Arc de Triomphe, un groupe de militantes écrivent en mars 1971 un "Hymne" (des femmes, du MLF). Tant qu'à cultiver la symbolique, la musique est celle du Chant des Marais (7)...

Hymne



Nous, qui sommes sans passé, les femmes,
nous qui n'avons pas d'histoire,
depuis la nuit des temps, les femmes,
nous sommes le continent noir.

Refrain
Levons-nous, femmes esclaves
Et brisons nos entraves,
Debout ! Debout !

Asservies, humiliées, les femmes
Achetées, vendues, violées ;
Dans toutes les maisons, les femmes,
Hors du monde reléguées.

(R)

Seules dans notre malheur, les femmes
L'une de l'autre ignorée,
Ils nous ont divisées, les femmes,
Et de nos sœurs séparées.

(R)

Reconnaissons-nous, les femmes,
Parlons-nous, regardons-nous,
Ensemble on nous opprime, les femmes,
Ensemble révoltons-nous.

(R)

Le temps de la colère, les femmes,
Notre temps est arrivé
Connaissons notre force, les femmes,
Découvrons-nous des milliers.



N° double de partisans, juillet - octobre 1970 (Graph. JEA/DR).
 

NOTES

(1) Françoise Pics, Libération des femmes, 40 ans de mouvement, Ed. Dialogues, 2011, 529 p.

(2) Cathy Bernheim, Naissance d'un mouvement de femmes, 1970-1972, Ed. Félin Poche, 2010, 231 p.

(3) Emmanuelle de Lesseps, coauteure avec Christine Delphy et et Monique Piazza de Questions féministes, Ed. Syllepse, 2012, 1022 p.

(4) Christine Delphy, Un universalisme si particulier : Féminisme et exception française (1980-2010), Ed. Syllepse, 2010, 348 p.

(5) Christiane Rochefort, Oeuvre romanesque, Grasset et Fasquelle, 2004, 1493 p.

(6) Namascar Shaktini, On Monique Witting, Theoretical, Political and Literary Essays, University of Illinois Press, 2005, 288 p.

(7) Monique Witting, La pensée straight, Ed. Amsterdam, 2013, 135 p.

(8) Anne Zelensky, Histoire de vivre : mémoires d'une féministe, Calmann-Lévy, 2005, 404 p.

(9) En 1933, le "Chant des marais" fut composé au camp de Börgermoor (Basse-Saxe) où les nazis expérimentaient le système concentrationnaire. Trois des internés politiques ont signé ce Chant : Johann Esser et Wolfgang Langhoff pour les paroles ainsi que Rudy Goguel pour la musique.

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jeudi 22 août 2013

P. 259. Journal de Victor Klemperer : les mois d'août 1934, 1935, 1936 et 1937...


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Victor Klemperer
Mes soldats de papier, Journal 1933-1941

Editions du Seuil, 2000, 793 p.


4e de couverture

- "Victor Klemperer (1881-1960), cousin du célèbre chef d'orchestre Otto Klemperer (1), fils de rabbin, converti au protestantisme, était professeur de romanistique à Dresde (2). En 1934, il est destitué de ses fonctions en tant que juif et n'a plus le droit d'enseigner. Il reste à Dresde, avec sa femme Eva (3), elle-même protestante, pianiste, pendant toutes les années du nazisme. Travailler, écrire, écrire au péril de sa vie, laisser une trace authentique de l'horreur, donner une voix à ceux qui ne sont plus, c'est sa lutte à lui, ce qu'il appelle ses soldats de papier. Obstinément il poursuit sa tâche de chroniqueur et, sans même pouvoir disposer des pages écrites la veille, portées systématiquement par Eva chez une de leurs amies, note la persécution au jour le jour, dans ses moindres détails. Un document sans équivalent sur la vie quotidienne des juifs prisonniers de l'intérieur dans l'Allemagne du IIIe Reich."

Victor Klemperer

- "Je veux porter témoignage.
- Tout ce que vous écrivez, on le sait déjà, et les grandes choses, [...] vous ne les connaissez pas.
- Ce ne sont pas les grandes choses qui importent, mais la tyrannie au jour le jour que l'on va oublier. Mille piqûres de moustiques sont pires qu'un coup sur la tête. J'observe, je note les piqûres de moustiques...
Un peu plus tard :
- J'ai lu quelque part que la peur de quelque chose est pire qu'ici chose elle-même. Quelle angoisse, avant la perquisition ! Et quand la Gestapo est venue, j'étais froid et résolu. Après, qu'est-ce qu'on a bien mangé ! Toutes les bonnes choses que nous avions cachées et qu'ils n'ont pas trouvées...
- Vous voyez, voilà ce que je note :

Obligation de rester chez soi après huit ou neuf heures du soir. Contrôle ! Chassés de notre propre maison. Interdiction d’écouter la radio, interdiction d’utiliser le téléphone. Interdiction d’aller au théâtre, au cinéma, au concert, au musée. Interdiction de s’abonner à des journaux ou d’en acheter. Interdiction d’utiliser tout moyen de transport […]. Interdiction d’acheter des fleurs. […] Interdiction d’aller chez le coiffeur. […] Obligation de remettre aux autorités les machines à écrire, les fourrures et les couvertures en laine, les bicyclettes […], les chaises longues, les chiens, les chats, les oiseaux. […] interdiction d’emprunter la pelouse municipale et les rues adjacentes du Grosser Garten, interdiction… […] Voilà, je crois que c’est tout. Mais, pris tous ensemble, ces 31 points ne sont rien face au danger permanent de perquisition, de sévices, de prison, de camp de concentration et de mort violente."

J-S Félix


- « Plutôt une fin épouvantable qu'une épouvante sans fin ». Tels sont les mots d'un homme accablé par la déchéance physique et morale ; celle d'un intellectuel juif allemand, témoin de la montée en puissance et de l'avènement monstrueux du IIIe Reich. Converti au protestantisme mais persécuté en raison de ses origines hébraïques par le régime nazi, Victor Klemperer restera en Allemagne jusqu'à la fin du second conflit mondial et trouvera dans ses prises de notes quotidiennes le moyen de résister en Homme au tourbillon de brimades qui s'abattent sur la communauté juive dès 1934. Ces cahiers, qu'il parvint à conserver tant bien que mal au milieu des persécutions, ne furent jamais retouchés et nous offrent aujourd'hui un récit aussi authentique qu'effroyablement précis de la descente vers l'enfer de la Shoah. De la sorte, puissance littéraire et intérêt historique se combinent dans ces journaux de bord où l'émotion prend souvent le pas sur le témoignage atone de l'universitaire. Mémoires d'un être revenu de la nuit noire et dont l'écriture en porte encore les cruels stigmates."

Daniel Bermond

- "Voici un des témoignages les plus bouleversants sur la vie au quotidien dans la communauté juive de Dresde, ou ce qu'il en restait, décimée par les rafles, les assassinats, la faim et les maladies, à l'époque nazie. De 1933 à 1945, jour après jour, Victor Klemperer, auquel son mariage avec une "Aryenne" épargna le sort radical des autres juifs, raconta les brimades, les exécutions, les perquisitions, bref ce martyre distillé sur douze ans du ghetto juif de Dresde. Une effroyable litanie de mesquineries criminelles tout juste tempérée par une parole anonyme dans la rue, par une poignée de main à la sauvette. Certains, comme Klemperer qui se réfugie dans ses études du XVIIIe siècle français, résistent; d'autres n'en peuvent plus de tant d'humiliations et choisissent de mourir. De ces très belles pages écrites dans la clandestinité, sous la botte, se dégage une formidable leçon d'énergie à l'usage de toutes les générations, un concentré d'humanité et d'humanisme."
(Lire, 1 décembre 2000).


1934 : suite à un référendum pour le "oui" à Hitler, celui-ci décroche une dictature tant attendue (Graph. JEA/DR).

Journal de Victor Klemperer
Août 1934. Pour Hitler : 38 millions d'électeurs - Contre : 5 millions.


21 août, mardi

- "Les 5 millions de "non" et de bulletins nuls le 19 août (4), contre les 38 millions de "oui", signifient infiniment plus du point de vue éthique qu'un simple neuvième du total. Il y a fallu du courage et de la détermination. On a intimidé tous les électeurs, on les a soûlés de slogans et de bruits de fête. Un tiers a dit "oui" par peur, un tiers par ivresse, un tiers par peur et par ivresse. Quant à Eva et moi, nous n'avons coché le "non" que par un certain désespoir, et non sans peur.
Et pourtant, en dépit de la déroute morale : Hitler est le triomphateur incontesté, et la fin n'est pas en vue.
J'ai été frappé par la brièveté du feu roulant de la propagande. Il a été mis en oeuvre quelques jours seulement avant le 19, mais alors dans quelle orgie de drapeaux, de proclamations, d'allocutions radiophoniques. On spécule toujours sur la bêtise et la primitivité. On recouvre de vacarme l'histoire d'hier (...) et la pays laisse faire. On ne peut provoquer une telle anesthésie que juste avant l'opération. - Mais combien de temps cette psychose va-t-elle durer et sur qui agit-elle ? Le 17, Hitler a tenu son grand discours électoral à Hambourg, et c'est là que se trouvait l'épicentre des jubilations prescrites. Et c'est précisément à Hambourg qu'il a obtenu le plus de "non", 21% des suffrages exprimés (...).
A noter, le comportement en matière d'interdiction et d'autorisation de journaux étrangers. On ne peut plus verrouiller le lointain, il y a trop de gens qui écoutent les radios étrangères. On affecte donc le plus possible de ne pas craindre la presse de l'étranger, dans l'espoir que la masse, de toute façon, ne la lira pas."
(PP. 141-142).


Plaque à apposer sur sa façade pour participer à la "campagne antijuive" (Graph. JEA/DR).

Août 1935. "Nous ne voulons pas des Juifs".

11 août, dimanche

- "La campagne antijuive a pris une telle ampleur, pire encore que lors du premier boycott, il y a des débuts de pogroms çà et là, et nous nous attendons à être assassinés d'un jour à l'autre. Pas par les voisins, mais par les nettoyeurs que l'on mobilise tantôt ici et tantôt là en les qualifiant d'"âme du peuple". Sur les panneaux du tramway de la Prager Strasse : "Celui qui achète chez le Juif trahit le peuple" ; dans les petits magasins de Plauen (5) : sentences et vers de toutes les époques, de toutes les plumes et contextes (Marie-Thérèse (6), Goethe !, etc.), regorgeant d'insultes, et, par-dessus le marché : "Nous ne voulons pas de Juifs dans notre beau quartier de Plauen", partout (...) des histoires de profanation de la race les plus atroces, discours féroces de Goebbels - actes de violence patents dans les lieux les plus divers. - Campagne presque aussi féroce contre le catholicisme "politique", celui qui s'allie à la Kommune (7), qui souille les églises en prétendant ensuite que c'étaient les nazis (...). - Depuis des semaines, sentiment chaque jour que ça ne peut plus durer ainsi longtemps. Et ça continue pourtant."
(PP. 211-212).


Les JO à Berlin : "une opération politique" (Doc. JEA/DR).

Août 1936. "Renaissance allemande grâce à Hitler".

13 août, jeudi

- "Les jeux Olympiques (8) se terminent dimanche prochain, le congrès du NSDAP (9) s'annonce, une explosion est imminente, et il est naturel qu'on veuille d'abord se défouler contre les Juifs (...). Mussolini a impunément fait main basse sur l'Abyssinie - et depuis quelques semaines la guerre d'Espagne bat son plein. A Barcelone, quatre Allemands ont été "assassinés" par un tribunal révolutionnaire, quatre nouveaux martyrs du national-socialisme et, même avant cela, on disait déjà que les Juifs allemands émigrés menaient là-bas une campagne de haine contre l'Allemagne. Dieu sait comment tout cela va bien pouvoir tourner, mais, comme toujours, il y aura sûrement une nouvelle vague de mesures contre les Juifs (...). M. Léon Blum (10) ne peut tout de même pas ignorer ce qu'en Allemagne tous les enfants savent. Est-on si bête en France qu'on attende tout simplement d'être saigné à blanc ? Mais pourquoi a-t-on tout toléré jusqu'à présent ? En France de la part de l'Allemagne, en Angleterre de la part de l'Italie ? Tout est absolument impénétrable et obscur. Probablement personne, même parmi les gouvernants, ne connaît vraiment les forces réelle en jeu, les scrupules et les humeurs.
Les jeux Olympiques, qui se terminent bientôt, me répugnent doublement ! 1 En tant que surestimation absurde du sport; l'honneur d'un peuple dépend de ce qu'un de ses membres saute dix centimètres plus haut que les autres. Et d'ailleurs c'est un nègre des Etats-Unis qui a sauté le plus haut, et la médaille d'argent d'escrime pour l'Allemagne, c'est la Juive Hélène Meyer (11) qui l'a remportée (je ne sais pas ce qui est le plus indécent, sa participation en tant qu'Allemande du IIIe Reich ou le fait que sa performance soit revendiquée par le IIIe Reich).
(...) Et 2 si je déteste tant les jeux Olympiques, c'est parce qu'ils n'ont rien à voir avec le sport - chez nous, j'entends -, et qu'il s'agit purement et simplement d'une opération politique. J'ai lu récemment : "Renaissance allemande grâce à Hitler". On ne cesse d'inculquer au peuple et aux étrangers que ce qui se manifeste, c'est la renaissance, l'épanouissement, le nouvel esprit, l'unité, la ténacité et la magnificence et, bien entendu, l'esprit pacifique du IIIe Reich qui embrasse tendrement le monde entier."
(PP. 286-287).


10 ans : l'âge pour porter l'uniforme des jeunesses hitlériennes (DR).

Août 1937. "Entre nous..."

17 août, mardi

- "Dans le Stürmer (12) qui est affiché à chaque coin de rue, j'ai vu récemment la photographie de deux jeunes filles en costume de bain dans une station balnéaire. Au-dessus : "Interdit aux Juifs", au-dessous : "Quel bonheur d'être à nouveau entre nous !" (...) Je crois de plus en plus qu'Hitler incarne réellement l'âme populaire allemande, qu'il personnalise réellement l'"Allemagne" et que c'est justement pour cette raison qu'il se maintiendra et qu'il se maintiendra légitimement. Ce qui fait que ce n'est donc pas simplement d'un point de vue extérieur que je suis devenu apatride (...).
Dans le journal, le supplément ne s'appelle plus "L'automobile" ou "Le monde de l'automobile", ou quelque chose dans ce genre, mais "Le monde de l'automobile dans le IIIe Reich". La croix gammée doit être arborée partout. Tout doit s'y rapporter, et ne se rapporter qu'à elle."
(PP. 361-362).


Lourd de millions de morts, un "oui" à Hitler, un "non" à l'humanisme... (DR).

NOTES

(1) Otto Klemperer (1885-1973). Chef d'orchestre qui s'exila aux USA en 1933 pour échapper au nazisme. Revint en Europe après guerre mais se montra aussi rétif face au communisme. Devint citoyen d'Israël en 1970.
Charles Osborne :
- "De la génération des Bruno Walter, Wilhelm Furtwängler et Hans Knappertsbusch, chef suprême des oeuvres de Beethoven et dernier lien avec Gustav Mahler, son visage sévère masquait un sens de l'humour proverbial."

(2) Selon un recensement du 16 juin 1933, les juifs représentaient alors 0,7% de la population de Dresde, soit 4.678 habitants. Début février 1945, la ville ne comptait plus que 174 juifs ! Le bombardement de Dresde, le 14 février, désorganisa tellement les services nazis qu'il empêcha les mesures prévues à court terme pour la déportation de ces derniers juifs...

(3) Victor Klemperer épousa en 1906 Eva Schlemmer (1882-1951), pianiste et musicologue.

(4) Le 2 août 1934, mort d'Hindenburg, Président du Reich alors qu'Hitler était premier ministre (chancelier). Celui-ci organise un référendum pour le 19 août. But : son élection non comme Président mais comme Führer avec les pleins pouvoirs.

(5) Plauen. Quartier de Dresde.

(6) Marie-Thérèse (1717-1780). Impératrice d'Autriche de 1740 à 1780.

(7) Kommune. Appellation contrôlée choisie par les nazis pour désigner le mouvement communiste.

(8) En 1916, les Jeux olympiques devaient se dérouler à Berlin. La Première guerre mondiale en décida autrement. Hitler voulait une revanche. Il l'obtint en 1936, du 1er au 16 août. Preuve que ces Jeux n'étaient pas "que" sportifs : 100.000 spectateurs assistèrent à leur ouverture par un défilé des... Jeunesses hitlériennes !!! L'Allemagne décrocha 89 médailles.

(9) NSDAP : Parti national-socialiste des travailleurs allemands (les versions ne manquent pas telle : parti national-socialiste allemand du travail). Créé en 1920. Au pouvoir dès 1933 quand Hitler accède au poste de chancelier du Reich.

(10) A propos de Léon Blum, lire la page 12 de ce blog.

(11) Helene Meyer (1910-1953). Participe aux Jeux olympiques de 1928 et de 1932. L'année suivante, elle poursuit ses études aux USA et y emporte le championnat au fleuret. Elle céda aux pressions du comité olympique allemand afin d'effectuer un aller et retour au pays pour les jeux de Berlin. Seule athlète juive allemande (ou plus exactement dont le père était juif). Fera le salut nazi en recevant sa médaille d'argent. Puis retournera aux USA dont elle décroche la nationalité en 1940. Attendra 1952 pour revenir en Allemagne, s'y marier et mourir.

(12) Hebdomadaire nazi lancé en 1923. Jusqu'à sa disparition en 1945, ce journal répéta en bas de première page : "Les Juifs sont notre malheur". Son succès public tint à un mélange entre antisémitisme, anticapitalisme, mise en valeur de caricatures surdimensionnées et quelques touches de pornographie.


Die Stürmer - L'Attaquant, 1er mai 1934, avec la caricature antisémite de service dénonçant les crimes et complots attribués aux juifs et en bas de page, ce leitmotiv : "Les Juifs sont notre malheur" (Doc JEA/DR).
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lundi 19 août 2013

P. 258. je, tu, il, nous, vous, elles...


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(Ph. JEA/DR).




Aucun besoin de réveil
avidement chagrin
ni de sirène hurlant
sa migraine
pour que chaque matin
je salue la lumière
par un gargantuesque
pied de nez destiné
à ce destin requin
qui amputerait volontiers
mes lendemains de leurs
deux mains…

tu m’écris rarement
mais invariablement
des lettres invisibles
et introuvables
partout ailleurs
avec des mots de vanille
et de sureau
nés de tes seins cristallins
ces encriers
qui inspirent
la rondeur des océans
et attirent la transhumance
des terres

il n’a pas du tout neigé
ce mois d’août
alors pourquoi
s’il vous plaît
toutes ces étoiles
ayant perdu le nord
jusqu’au bord d’un silence
éphémère
et qui se laissent tomber
avec des yeux
de moins en moins
méconnaissables ?

quand elles se maquillent
maladroitement
et s’accoutrent
en courtisanes
pour une croisière
aux couleurs catastrophiques
les douleurs ne comprennent pas
pourquoi et comment
au lieu de trimer
dans leurs galères
et de nous laisser pendre
à leur misaine de misère
nous ne trahissons aucune
de nos tragi-comédies
surtout les plus rebelles
celles qui font le mur
et l’affiche rouge

à vous voir cloués
handicapés chaplinesques
au centre d’une étroite
et seule clairière
clairsemée de chardons
et de tristes intentions
les braconniers vous supposent
à tort mais non sans raisons
nés de la dernière pluie noire
incapables de dépasser
la première de vos ombres
même la plus oncogène
et de lui retirer son masque
glaçant les sangs
les plus grimaçants
pour lui offrir un aller
décalé pour Venise
et un retour aux sources

leurs lèvres
comme des livres
leurs douceurs à fleur de peau
elles architecturent leurs blogs
où se blottissent
comme sur des îles
illimitées
tous les oiseaux
ces violoncellistes de blues
ou ces choeurs baroques
ni troupeaux, ni appeaux
ni colonies
ni coquilles vides
juste des notes impalpables
et imprévisibles
en bas de page
en haut vol...




(Ph. JEA/DR).


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jeudi 15 août 2013

P. 257. Toponymie : le pays de François, le facteur de Tati...

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Sur la Place de "Follainville" : départ de votre balade à la découverte de la toponymie autour de Sainte-Sévère sur Indre (DR).

Du Champ des Alouettes au Tournebride :
c'est "Jour de fête"...


Champ des Alouettes
Chaume aux Bœufs, Pâture des Bœufs

Lac à la Cane
Chez Chapon
Fontaine au Chat, Pont à la Chatte
les Chevaux Blancs, Etrangle-Chèvre
Les Eperviers, la Grive, le Héron
Creux de la Lionne
Champ du Loup, Chemin aux Loups, Creux du Loup, Fosse au Loup, Jappeloup, le Gros Loup, Loge du Loup, Petloup, Pièce du Loup
Bon Merle, Chante-Merle, la Goutte au Merle, Ruisseau de Beau Merle
Moulin des Mouches
Côte Perdrix, la Gâne du Poux
Le Peu le Rat
Le Chêne du Renard, les Renardières
Le Pied de Vache, Pâtureau des Vaches

L’Arbre des Landes

Bois les Acacias
Champ des Châtaigniers, le Châtaignier Carabin
Breuil du Chêne, Côte aux Chênes, le Chêne des Pendus, le Chêne Rond, le Chêne Soul, les Trois Chênes 

Pièce du Frêne
Croix de l’Orme Rateau, Orme Guérin
Le Poirier du Loup, Moulin des Poiriers
Le Grand Pommier, le Petit Pommier
Brande des Sapins, Sapins de Villealaire

Beaufoin, Beaumont des Putais
Belle Etoile, Bellombre

Bois de la Brosse, de la Cousette, de la Curat, de la Fille, de la Pierre,
de l’Age, de Lélut, de Villemarteau, des Clous, des Souches, du Buisson, du Fusibet, du Rouget
Boulet, Croisé, Cury, Désert, Javel, Marteau, Pataud, Remord, Rondier


Jour de fête a inspiré bien des affiches poétiques (voir P. 256). Par contre, à droite, un inattendu Tati en facteur-Frankenstein ?!? (Mont.JEA/DR).

Borde Boucheroux, Bordessoule

Bramefaim, Bramefont

Brande de Bussières, de Corbillon, de Feuilly, de Grospaud, de Montservet, de Recueil, de St-Rémy, de Tournesac, de Vaudouan, de Verneiges
de la Couture, de la Ville aux Moines
des Boueix, des Chagnerras
du Bois Chevreau, du Bois du Mas, du Coursier, du Pré Plat, du Puy Bardin

Chambijou, Champbeaudon
Champs de Cornau, de Font, de la Treu, des Fils, Mous, Pérots, Pointu, Ralé, Renaud, Renet

Chassepain, Pain Perdu

Château de Barbe Bleue, de Font Bouillant, de Palières, de Puybarbeau
de la Commanderie, de la Forêt Grailly, de la Pérelle, du Virolan, Pointu

Chaume Blanche, Chaussade Blanche, Ferme Blanche, Fourneau Blanc, le Cheval Blanc, Pâturail Blanc, Ris-Blanc

Pierre Brune
Bruyères Jaunes
Bruyère Noire, Chambre Noire, Côte Noire, Goutte Noire, Terres Noires
Champs Rouges, Croix Rouge, Maison Rouge, Terre Rouge
Bois Vert, Croix Verte, Fonds du Vert, Pont Vert

Chez Aubernard, Bottier, Brigat, Combes, Génie, Jabier, Léger, Merlin, Nermond, Pendu, Piot, Rebillon

Les Trois Brocards, les Trois Fonds, les Trois Taillants, les Quatre Vents, Sept Fonds, les Neuf Chênes

Cluzeau de Rongères

Coupe Toussaint

Croix de l’Epinat, de Lèvres, de l’Orme à la Roue, de Rejet
des Jaux, des Ternes
du Chiez, du Marais, du Peuplé
Gamaire, Homo, Jolie

Fontaine Barillet, des Chiez, des Jarouges, du Vignot, Rouilleuse

Fossés Sarrazins

Goutasson

Goutte au Chat, aux Chênes, Berthet, Bidon, du Jeune, du Rieu, Molmond, Piraudon, Rétats

Groslards

Lavaubonneuil

La Grande Cosse, le Grand Beau, le Grand Genétou, le Grand Sou, le Grand Vengeux, les Grandes Prugnes
La Petite Betoulle, le Petit Bougnat, le Petit Mignot, le Petit Paris, le Petit Puy Maigre, les Petites Bergères, les Petites Mercuses


Venant du Purgé et, puisque toutes les routes mènent à Rome, sur celle du Vatican... (DR).

Le Purgé

Le Vatican

Les Gravedoux

Loge à Tous Vents, Brûlée, de la Boirée, de la Filaine, de la Forgette, de Pun, de Sioudray, des Aiguilles, des Gros Bois

Mas de Rose

Montaregret

Moulin à Draps, d’Herculat, de l'Ecorce
de Barre, de Béjon, de Bordesoulle, de Crachepot, de Crépon, de Fontpisse, de Pérassay, de Pondron, de Pouzoult, de Retord, de Richemont, de Verrines, de Villebertaud
de la Cellette, de la Chineau, de la Loube, de la Toinette, de la Tourette
des Fougères, des Ores
du Clou, du Râteau
Ferrat, Gras, Saulnier, Trumeau

Pas des Maîtres Sonneurs

Pâturail des Mineurs
Patural du Seignat, Jeannot
Pâtureau au Pic, de la Cocatière, des Cosses, Vieux

Peu de Brillat, de Montmort, de Praha, de Sault, de Villaine
de la Chaux, de la Croix, de la Crou, de l’Eau, de la Souche
des Moles, des Signats
du Bois,
Chevrier, Martin, Safut

Plantes à Lemme

Poirond

Pont de Noce, des Gâtines, Tracat

Poumeroux de la Garde

Pré de Chenevière, de la Foire, du Garoux, Fouilloux, la Bouchère, Préjolais, Prétabouret, Prévert, Taupin

Quéroir de la Vie

Ruisseau de la Gâne du Cluzeau, de Saint-Palais, la Couarde

Siaudits

Taille de la Fleur

Terrier Bardin, de Peirelottes, de Sugères, Jayard, Mouron, Randoin

Tournebride.


Statue de François, le facteur de Sainte-Sévère sur Indre (Graph. JEA/DR).


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lundi 12 août 2013

P. 256. "Jour de fête" dans sa version originale et restaurée...


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La version restaurée d'un film phénix...

La guerre était repartie sans avoir trop pesé sur un village comme celui-là. Mais cette France rescapée, celle que chantait avec tendresse Charles Trenet, était attendue au tournant suivant de l'histoire. Elle en sortit totalement dissoute, juste bonne à alimenter des collections de cartes postales et à susciter l'ouverture de musées nostalgiques. Heureusement, un cinéma en garda des traces, des éclats, des preuves...

Tati n'avait pas d'argent mais croyait au 7e art. Par sa grâce, des villageois comptèrent parmi les meilleurs des acteurs d'un monde en voie de disparition, au centre même de la France. Sur 365 jours, l'un au moins devint celui de la Fête. Une Fête de 1947 qui dure toujours, dont le temps n'est point parvenu à éteindre les feux malgré les rouleaux-compresseurs de l'américanisation puis de la mondialisation. Des générations se succèdent qui, avec ravissement, se passent au moins ce témoin : Jour de fête !!!

Jacques Tati

- "J’offre au spectateur un univers connu de tous et son plaisir est, je crois, de se reconnaître, de reconnaître tous les personnages de mes films..."

Synopsis

- "Dans un petit village du centre de la France, c’est jour de fête : les forains s’installent sur la place avec leurs roulottes, leur manège et leur cinéma ambulant. Les villageois découvrent alors un documentaire sur les prouesses de la poste en Amérique. François le facteur, impressionné par ce film, décide de se lancer à son tour dans une tournée "à l’américaine"…

france inter

- "C'est à Sainte-Sévère-sur-Indre que Jacques Tati a posé ses caméras en 1947 pour le tournage de Jour de fête. Un choix qui ne doit rien au hasard, puisque c'est dans une ferme des environ qu'il s'était réfugié en 1943.
Le film raconte les tribulations de François le facteur, un personnage que Tati avait créé quelques mois plus tôt pour le court métrage L'école des facteurs."

Jérôme Deschamps, neveu de Tati

- "Le rêve de Tati, avec ce film, était de faire que le village dont il parle soit un peu triste au début, et donc en noir et blanc, puis que la fête foraine amène progressivement la couleur. Il a tenté de le réaliser mais n’a pas pu le faire. Il a filmé avec deux caméras, une noir et blanc et une couleur, mais le rendu couleur était trois fois moins bien que le noir et blanc. Tati n’a pas lâché totalement son rêve, puisqu’en 1964, il s’est saisi du négatif de cette version de 1949 et il a mis des taches de couleur ici et là. Grâce à la restauration des laboratoires italiens de la cinémathèque de Bologne, on peut revoir enfin ce chef-d’œuvre de Jacques Tati dans les conditions de 1949."
(Le Soir, 31 juillet 2013).



(Mont. JEA/DR).

Keaton : "Tati a commencé là où nous nous sommes arrêtés."

Christophe Carrière

- "A l'époque du tournage, en 1947, il n'y a guère d'argent à investir dans le cinéma, a fortiori quand il s'agit du premier film d'un artiste connu dans le music-hall mais pas du grand public. Tati, né en 1907 de parents encadreurs cossus, rejoint l'entreprise familiale, avant de se découvrir des talents de pantomime lors de troisièmes mi-temps de rugby du Racing Club de France, dont il est un joueur actif. De petites représentations en modestes spectacles, il se retrouve à un gala prestigieux où l'écrivain Colette, bluffée par son talent, écrit: "Dorénavant, on ne pourra plus se passer de cet étonnant artiste qui vient d'inventer quelque chose." Et quoi, s'il vous plaît ? "Comment en raconter le plus en en montrant le moins", explique Jérôme Deschamps. D'aucuns diront que ce postulat était l'apanage des classiques du muet, rappelons les mots de Buster Keaton lui-même après avoir vu Jour de fête : "[Tati] a commencé là où nous nous sommes arrêtés."
(L’Express, 25 juillet 2013).

Estelle Bayon

- "On se souvient que la couleur pénétrait Follainville avec l’arrivée des forains, son manège, ses chevaux de bois, ses baraques. Elle venait barioler les tons beiges de ce petit village du centre de la France le temps d’un Jour de fête. Quarante ans après la réalisation du premier long-métrage de Jacques Tati sortait une version artisanale restituant ses coloris perdus. Aujourd’hui, c’est la version originale en noir et blanc qui ressort sur nos écrans grâce à la restauration initiée par Les Films de Mon Oncle. Où l’on (re)découvre que les éclats comme la patine nostalgique sont d’abord l’œuvre du rythme aussi tendre que vivace de ce poème visuel."
(Critikat, 23 juillet 2013).



Tati donnant alors envie de prénommer son fils : "François"... (DR).

Michèle Levieux

- "La silhouette du facteur de Jacques Tati, zigzaguant à bicyclette, sur les petites routes du centre de la France, a impressionné notre inconscient collectif. François, comme plus tard Monsieur Hulot, fait - définitivement - partie de notre patrimoine. Il est donc très important qu’après de nombreux avatars – tourné en pellicule Thomsoncolor impossible à développer, puis coloré au pochoir, avant de connaître une version couleur, Jour de fête retrouve son aspect d’origine : un très beau noir et blanc et une bande-son au mixage sophistiqué."
(L’Humanité, 24 juillet 2013).

Jean-Baptiste Morain

- "A revoir Jour de fête, on mesure à quel point la France a pu changer en un peu plus de soixante ans : on y croise encore des dames en costume traditionnel dans les rues d’un village plein de poussière. C’est déjà pour Tati – qui est un artiste de music-hall, un mime, un instinctif – le sujet peut-être inconscient (peu importe) de son oeuvre à venir (Mon oncle, Playtime, Trafic) : le passage d’une civilisation à une autre.
Tous les gags, tout le récit, tournent autour du conflit qui se joue dans les êtres : comment s’adapter à un monde qu’on voit filer devant soi ? Comment le rattraper, le wagon de la modernité, quand on n’a qu’un vieux vélo qui couine ? Déplacé, bousculé, inadapté, François le facteur à moustache (puis Monsieur Hulot dans les films suivants) devient dès la sortie du film (après un étrange prix du scénario à la Mostra de Venise) un personnage populaire auprès du public, en qui chacun peut reconnaître ses propres tiraillements drolatiques."
(lesinRocKs, 23 juillet 2013).

Nicolas Crousse

- "Pour son premier long-métrage, réalisé en 1949, Jacques Tati est touché par la grâce. Et impose d’emblée, sous les traits maladroits et élastiques du candide facteur, son génie comique, empruntant tout à la fois au sport, au cirque, au mime voire à la bande dessinée. A l’instar de Buster Keaton, de Groucho Marx ou de Charles Chaplin, Tati c’est une signature burlesque inimitable : qui passe par un corps et une grande carcasse, souple et dégingandée, qui plie, qui s’allonge, qui se cogne. Mais qui passe aussi par le verbe. Car Hulot ne parle pas, il baragouine, grogne ou murmure.
La version restaurée qui ressort, dans un noir et blanc sublime, renforce le caractère classique de ce petit film fauché qui n’a pas pris une seule ride. Et qui rappelle, avec une irrésistible humilité, que le bonheur est dans le pré, au bistrot ou à vélo. Et que rien ne sert de courir, n’en déplaise aux Américains."
(Le Soir, 31 juillet 2013).



(DR)

Thomas Baurez

- "Avec Jour de fête se dessine tout le génie comique de Tati (Mon oncle, Playtime...), véritable homme-orchestre au même titre que Chaplin, Keaton ou Max Linder. On est toujours surpris à la vision de cette comédie burlesque de la force athlétique de Tati, dont le corps est le véritable vecteur de l'action. En facteur intrépide, le cinéaste-interprète file à la vitesse de l'éclair avec sa bicyclette, flirtant constamment avec la catastrophe. Cette liberté teintée d'insouciance donne à Jour de fête un souffle dévastateur et le film est d'une drôlerie incomparable !"
(Studio Cine Live, 23 juillet 2013).

Paris Mômes

- "Jour de fête, premier film de Jacques Tati, invente une mécanique du rire dont le monde entier, Américains en tête, s’inspirera. Un juste retour des choses : François, le facteur, change sa tournée après avoir vu un film sur les postiers d’outre-Atlantique. Située en un jour, au cœur d’un village en ébullition, la comédie est sonore, avec des gags qui chatouillent autant les oreilles que les mirettes. Là où le film gagne en ampleur, c’est qu’au-delà de la rigolade et de la poésie, Tati se moque d’une modernité envahissante, vénérée par des consommateurs soumis. D’une acuité imparable."
(24 juillet 2013).

Utopia

- "Il y a des bonheurs de cinéma que l'on n'a pas le droit de garder pour soi, c'est comme ça. Il y a de ces films, pas si nombreux, qui, à condition qu'on les découvre au cinéma, dans le noir, sur grand écran, entouré de la foule frémissante, vous prennent fermement par la main et ne vous oublient plus jamais. Et c'est sans doute au nom de cette simple évidence que, périodiquement, dans une version ou une autre, une qu'on croyait perdue, une qu'on a nettoyée, une qui a l'imprimatur de tel ou tel indépassable spécialiste, une qui-serait-la-vraie-seule-vraie, inlassablement, Jour de fête revient sur les écrans. L'occasion, cette fois-ci, c'est donc la restauration, le nettoyage, le peaufinage de cette version originelle ou originale, comme on voudra, dans son splendide noir et blanc - et qui pour être numériques, n'en ont pas moins demandé de minutieuses attentions de la part de tous ces gens qui savent redonner amoureusement vie aux merveilles un tantinet fanées. L'occasion, c'est que les cinéma restent généralement ouverts l'été ; l'occasion, c'est que la grande méchante crise ne nous privera pas d'une petite douceur ; l'occasion c'est… mais au fait, a-t-on tellement besoin de justification ?
Retrouvailles, découverte, partage, donc, c'est selon. Mais à l'arrivée, immanquablement, pour tous, un pur instant de bonheur. Parents, faites partager à vos enfants ce bonheur-là. Enfants, rouvrez les yeux de vos parents sur ce trésor-là. Tati devrait être remboursé par la Sécurité Sociale. Tati, c’est ce que le cinéma comique français nous a offert de plus beau…"



Deux sites vous attendent :

La Maison de "Jour de Fête" : cliquer ICI
- "retrace l'aventure du film "Jour de Fête", la rencontre entre Jacques Tati et les habitants de Sainte-Sévère-sur-Indre."

Tativille : cliquer ICI
Site officiel de Jacques Tati, avec notamment « Les Films de mon Oncle » fondés en 2000 par Macha Makeïeff avec Sophie Tatischeff et Jérôme Dechamps
- "pour se consacrer au rayonnement de l’œuvre de Jacques Tati et à la restauration de son œuvre."


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jeudi 8 août 2013

P. 255 . 10 août 1707, première de la cantate de Bach : "Actus tragicus" (BWV 106).


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Bach et son "Actus tragicus" dans La version de Ton Koopman (Mont. JEA/DR).


Musique et Mémoire

- "Les musiques écrites par les compositeurs de l'époque baroque (…) pour un service funèbre font partie des pages les plus belles et les plus poignantes de l'histoire de la musique.
(…) Johann Sebastian Bach, musicien très croyant, n'emploie pas un langage musical trop pesant dans les contextes funèbres, même si des motifs ou des symboles musicaux à la tournure dramatique peuvent être utilisés (…). Dans l'évocation musicale de la mort, le calme et la sérénité de l'espérance induisent un discours apaisé, tout au plus empreint de nostalgie."
(Festival dans les Vosges Saônoises, du 19 juillet au 4 août 2013).

Chœur Al Fin Voce

- "Cette cantate de Bach, parmi ses toutes premières, évoque encore l'héritage de la vieille Allemagne des Buxtehude, Schütz et Hammerschmidt, qu'il aimait à reconnaitre parmi ses maîtres.
Y résonne cette force tranquille et pourtant passionnée, cette flamme pieuse qu’élève la rigueur d’une musique simple et âpre, aux profondes attaches luthériennes.
La cantate BWV 106 «Actus Tragicus» est une profonde méditation sur la mort qui met en abyme nos peurs et nos doutes à travers un effectif instrumental réduit à deux flûtes à bec, deux violes de gambe et un continuo, ce qui renforce l’intimité et la méditation de versets tirés de l’Ancien Testament.
Les voix se rejoignent en chœurs et ariosos avec une intensité brûlante et humble. La prestation des solistes, émouvante, incarne avec chaleur les craintes humaines, pleines de désir et d’espoir envers l’au-delà."


La partition de l'Actus tragicus (Mont. JEA/DR).

BVW 106, 3b, arioso et choral :
Der Tod ist mein Schlaf geworden.
La mort est devenue mon sommeil.


Christophe Chazot

- "Parce qu'il ne comporte ni récitatif ni aria et parce qu'il ne concède rien au piétisme, l'Actus tragicus occupe une place un peu à part dans les cantates de Bach. Par sa forme, cette pièce se rattache à la grande tradition vocale luthérienne qui relie Schütz à Buxtehude, tradition très attentive à rendre la parole expressive. L'Actus tragicus est conçu comme une succession relativement compacte de chœurs et de soli proches des petits concerts spirituels et des symphonies sacrées chers à la liturgie réformée allemande."
(2003).

Richard Letawe

- "Cette cantate utilise un instrumentarium très particulier (deux flûtes à bec, deux violes et le continuo), la tradition la destine au service funèbre d’un oncle par alliance de Bach. Sa structure est très inhabituelle, et elle ne comporte pas d’aria pour soliste distinct, les parties solistes se mêlant au chœur au sein d’un même numéro. La cantate commence par une Sinfonia dont la solennité est adoucie par les flûtes puis par un chœur commençant avec la simplicité d’une chorale enfantine mais qui se développe très vite en une fugue virtuose. Le troisième morceau est un long arioso en trois temps qui débute par une prière du ténor (lento), interrompue par un vigoureux commandement de la basse (vivace), rejointe ensuite par les autres solistes (andante). L’aria suivante repose sur le même principe d’opposition entre la prière du croyant et la réponse de Dieu : l’alto recommande son âme au Seigneur, qui par l’intermédiaire de la basse promet paix et joie au Paradis, puis le chœur chante la consolation qu’apporte cette parole divine. Après ces pages tourmentées et difficiles, le chœur final est un accomplissement joyeux, et célèbre la gloire du Seigneur en une fugue festive et vigoureuse."
(ResMusica, 2005).



Version : Collegium Vocale de Gent et Musica Antiqua d'Amsterdam sous la direction de Gustav Leonhardt.

Christoph Wolf


- "Sur le modèle de la "Christliche Betschule" de Johann Olearius (1668), le texte se compose de versets bibliques et de strophes de chorale. A une sonatine introductive succèdent deux parties composées de bout en bout, débouchant chacune sur un arrangement de choral. 

D'abord une partie en quatre sections : 2a, Actes des apôtres 17, 28; 2b, Psaume 90, 2; 2c, Isaïe 38, 1; 2d, Siracide 14, 17 et Apocalypse 22, 20 cette section s'achevant par la mélodie du choral "Ich hab mein Sach Gott heimgesteldt", interprétée sans paroles (par les deux violes de gambe). 
Puis une partie à deux sections : 3a, Psaume 31, 6; 3b, Luc 23, 43, la voix d'alto chantant à la fin le choral "Mit Fried und Freud ich fahr dahin" (M. Luther, 1524). 
Vient en conclusion un choeur (n 4) composé sur la strophe "Gloria patri" issue du choral "In dich hab ich gehoffet Herr" (E. Reusner, 1553)."
(Présentation du CC72201).

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lundi 5 août 2013

P. 254. La nuit du 4 au 5 août 1952 : moins de 200m séparent la famille Dominici de la famille Drummond qui en perd la vie...


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"P. V. de constatation à la suite de l'assassinat de la famille DRUMMOND à LURS (B. A.).
L'an mil neuf cent cinquante deux, le cinq Août
".
(Original du Procès Verbal de 11 pages, Doc. JEA/DR).

Le Figaro Magazine

- "L’affaire Dominici porte en germe, quelle que soit l’opinion que l’on porte sur la culpabilité ou l’innocence de Gaston, tous les maux dont aujourd’hui la Justice se plaint : médiatisation, politisation, ambition, approximation".
(11 novembre 1993).

Gordon Young

- "Un crime maladroitement commis, une enquête maladroitement menée, un procès maladroitement conduit, un accusé maladroitement jugé."
(Envoyé spécial du Daily Mail). (1).

Jean Laborde résume l'affaire


- "Chacun [Dominici-Drummond
] cru voir en l’autre un ennemi, une menace, un danger. Ce fut le drame, mélange de peur, de colère, d’ivresse peut-être." (2)

Dates


Basses-Alpes (futures Alpes de Haute Provence). Le soir du 4 août 1952, la famille Drummond, roule dans son Hillman sur la N 96. La voiture, immatriculée en Angleterre, vient de Digne. Les Drummond décident de dormir à la belle étoile sur le territoire de Lurs. Ils sont trois : Jack, 61 ans, Anne, 47 ans et leur fille Elizabeth, 10 ans.
Le 5 à l'aube, leurs cadavres sont retrouvés sur les lieux, soit à près de 165 mètres d’une ferme dite de la Grand-Terre. Jack et Anne Drummond sont tombés sous les balles d'une carabine US W1 Rock-Ola. Leur fille eut le crâne fracassé par la crosse de la même arme. Un éclat du bois de cette crosse fut retrouvé sous la tête de la victime. Les enquêteurs découvrirent ensuite que ce calibre 30, jeté dans un trou de la Durance toute proche, appartient aux Dominici.
Assises de Digne. Le 17 novembre 1954 débute le procès de Gaston Dominici, 77 ans, patriarche de la Grand-Terre.
Le 28 novembre, la Cour reconnaît coupable des trois meurtres Gaston Dominici qui ne bénéficie d’aucune circonstance atténuante. Sa condamnation à mort est prononcée.
En juillet 1957, le Président Cotty commue la peine en détention perpétuelle.
Le 13 juillet 1960, « le plus vieux prisonnier de France », obtient, signée par de Gaulle, une remise de peine signifiant la liberté.
Le 4 avril 1965, mort de Gaston Dominici.

Synthèse par La Libre Belgique


- "Assez rapidement, plusieurs membres de la famille Dominici apparaîtront suspects au commissaire Sébeille, chargé de l'enquête : le père Gaston et ses fils, Gustave et Clovis. Après moult péripéties, Gaston passe aux aveux, puis les rétracte, et ce à plusieurs reprises. Il est inculpé. L'affaire fait grand bruit, non seulement en France mais aussi outre-Manche. L'enquête est suivie par une nuée de journalistes, dont certains dorment en travers de la porte du commissaire pour éviter qu'il ne les sème.
Quant au procès qui s'ouvre en novembre 54, des écrivains tels que Jean Giono et Armand Salacrou en feront la relation. A l'âge de 77 ans, «le patriarche» est condamné à mort, au terme de plusieurs jours d'audience émaillés de multiples incidents."
(2006).

Gaston Dominici sous le regard et la plume de Jean Giono


- "Assassinat mis à part, tout le monde est d'accord pour reconnaître que Gaston D... est un grand caractère. Peut-être mufle, goujat et cruel, mais incontestablement courageux, fier et entier. Une hypocrisie très fine. Renaissance italienne. La Cour, les hommes habillés de rouge, les gendarmes et les soldats ne l'impressionnent guère ou, s'ils l'impressionnent, il ne le montre pas. On a vu qu'il répond du tac au tac au Président sans insolence, avec bon sens. Même à ses risques et périls, il tient tête, et malgré tout ce que disent les enquêtes psychologiques, il tient tête sans colère. Il est rusé mais il n'est pas habile. A maintes reprises, il s'est montré laid. Je le crois capable de générosité à condition que cette générosité soit un spectacle." (3)


Détective, "Le premier hebdomadaire des faits-divers", publie un semblant d' "étude" des instincts, de l'affect et de la cérébralité de Gaston Dominici (Doc. JEA/DR).

A quatre reprises, Dominici avoua le triple meurtre, par exemple dans cette déposition


- "L'homme [Jack Drummond] est venu sur moi. Il a essayé de m'enlever l'arme. Nous nous sommes débattus un instant. Nous nous trouvions à ce moment-là à l'arrière de la voiture. L'homme tenait l'arme par le canon. Je ne sais comment à un moment un coup est parti sans que j'aie volontairement appuyé sur la gâchette. J'insiste sur ce point : ce premier coup a été accidentel. La balle a traversé la main de mon adversaire qui a cependant essayé de m'attraper à la gorge. Comme je me rendais compte qu'il allait prendre le dessus (je sentais, en effet, qu'il était plus fort que moi), j'ai tiré un second coup à bout portant. Il a fui en passant derrière la voiture. Je l'ai poursuivi et alors qu'il traversait la route, j'ai tiré une troisième fois. Lorsqu'il est arrivé de l'autre côté de la chaussée, il est tombé pour tout du bon.
La femme s'est mise à crier. Me retournant vers elle, j'ai tiré dans sa direction. Je ne me souviens pas si, sur elle, j'ai tiré une fois ou deux fois.
À ce moment, la petite est sortie de la voiture par la porte arrière. Elle a un peu crié, mais guère. Elle est partie en courant en direction du pont de chemin de fer, en coupant droit entre le mûrier et les buissons. Je l'ai poursuivie. J'ai tiré une première fois. Le coup a raté. Une seconde fois, j'ai manqué mon but. Puis je me suis aperçu que je n'avais plus de balle dans le chargeur. Je n'ai pu d'ailleurs m'expliquer cette circonstance, car je croyais le chargeur plein. Certainement, j'avais dû perdre des cartouches en route."
(13 novembre 1953, 11 h 15).

Pour expliquer les crimes, Dominici affirma donc s'être rendu près de la voiture stationnée à proximité de sa ferme. Pour voir. Dans l’une de ses versions, la plus crue (je ne la publie pas in extenso sur ce blog par respect envers la victime), il aurait effectivement vu une femme, laquelle lui fit des avances… Pour aboutir à des rapports sexuels !!! Mais voilà le mari qui les surprend. Scène de violence. Coups de feu. Jack Drummond abattu, restent deux témoins à faire taire à jamais... Autant de victimes que Dominici appela ensuite : "les crevés".
Giono a choisi l'adjectif d’"immonde" pour qualifier la défense de Dominici pour justifier le triple meurtre.

Frédéric Pottecher

- "Jamais on n’avait vu une enquête judiciaire durer si longtemps : plus de quinze mois. Beaucoup de gens disaient, dès l’ouverture du procès, que le vieux Gaston ne serait pas condamné à mort… On leur répondait que le dossier accablait ce beau vieillard à tête d’honnête homme. N’avait-il pas avoué à ses deux fils que c’était lui qui « avait fait péter les Anglais » ? Bien sûr, il avait ensuite contesté ces aveux, soutenant que ses fils étaient des contrebandiers, des voleurs (…).
Il était presque impossible de douter de culpabilité des Dominici, mais ce vieillard faisait douter de tout à cause de sa bonne figure, de ses mots, de ses variations, de ses rétractations qu’on eût dites parfois géniales !... On plaignait ceux qui devaient élucider le mystère Dominici." (4)


Les lieux du triple crime. En bas, à gauche : le corps du père; sous les arbres derrière l'Hillman : le cadavre de la mère; leur fille s'est enfuie par le pont à l'extrême droite : elle sera tuée à coups de crosse (Doc. JEA/DR).

La première audience décrite par Jean-Marc Théolleyre


- "Les journalistes anglais n’en reviennent pas : « C’est vraiment toujours la même chose dans les procès, en France ? », demandait l’un d’eux, la mine complètement ahurie, à la sortie de l’audience hier soir mercredi [19 novembre 1954]. Cette stupéfaction n’avait qu’une seul motif : la façon dont le président Bousquet venait de conduire l’interrogatoire sur les faits de Gaston Dominici. Il faut bien le dire, cet interrogatoire n’avait été qu’un long monologue du magistrat, mais en forme de réquisitoire. On a eu l’impression que pendant trois heures et demie M. Bousquet cherchait le « knock-out », voulait arriver à tout prix à confondre son accusé, à lui faire lâcher un mot compromettant et irrémédiable, qu’il aurait saisi comme une balle au bond. Mais rien n’est venu : le vieux fermier a maintenu ses dénégations. Il a répété vingt fois cette même phrase à laquelle il s’accroche : « Ce n’est pas vrai : mais je vous dis ce que je sais et ce que j’ai vu. » (5)

Ecoeurement d’Armand Salacrou

- "Si j'avais su, je ne serais jamais venu à Digne ! Tout ce que l'on peut voir, entendre, tout ce que l'on peut supposer pour expliquer ce crime sans mobile et pour donner un sens à ces silences qui, deux ans plus tard, se déchirent avec la violence d'un règlement de comptes, toutes ces choses ne sortent jamais de l'horrible." (6)

L’affaire en général et le procès en particulier, servent d’enceinte au centre de laquelle se déchire cruellement toute une famille. Lourds silences, secrets et mensonges empêchent la justice de faire un peu lumière sur le cercle fermé des Dominici. Car, si Gaston Dominici a traîné le boulet de ses anciens aveux ensuite rétractés, il fut accusé par propre son fils, Gustave, lequel fluctua jusqu’à l’ignominie dans les mises en cause de son père.

Jean-Marc Théolleyre et Gustave Dominici


- "Le procès Dominici – et non le procès de Gaston Dominici – a atteint mercredi 25 novembre l’un de ses sommets. Pendant trois heures une atmosphère étouffante s’est abattue sur le prétoire. Pendant trois heures on a vu le spectacle d’un homme – Gustave Dominici - soutenant avec une passivité animale les pires absurdités. Ni le président qui menait contre lui un interrogatoire tambour battant ni les sursauts d’indignation de la salle à chacune de ses réponses ne sont parvenus à l’ébranler.
Gustave Dominici, qui avait accusé son père, qui avait été convaincu cent fois de mensonges, qui les avait reconnus, est revenu sur tout cela. Impavide, borné, ridicule et même odieux – à moins qu’il ne soit inconscient – cet homme est resté à la barre pour soutenir l’impossible (…).
Ce qui est plus grave c’est que le procès tout entier est construit sur la déposition d’un homme de cette nature." (7)

Face à la Cour, Gustave revient sur ses accusations visant son propre père et comme pour se dédouaner, il met en cause son frère Clovis.

Gustave Dominici


- "Il [Clovis] m’avait dit : « Tu le sais que c’est papa qui a tué les Anglais. » Moi, j’avais répondu : « Non », car papa n’est pas capable de faire cela. C’est là que j’ai compris que Clovis voulait me faire entendre que mon père était un assassin. Mais quand ils ont voulu me le faire avouer à la police, je n’ai pas voulu le croire car je le sais innocent !"
(Audience du 25 novembre 1954).

Du patriarche Gaston Dominici, certains s’évertuèrent – sans preuves ni témoignages convaincants - à élargir le cercle des présumés coupables à ses fils Gustave en y ajoutant son petit-fils, Roger Perrin…
Peu de partisans accordaient une innocence totale au patriarche mais du moins ne devait-il pas tomber seul.

L’Aurore veut plusieurs coupables (sans les nommer)

- "Ce procès devient terrifiant. Il va tout droit vers l'erreur judiciaire. Laquelle ? Celle-ci : il n'y aura qu'un seul condamné et il y a pourtant plusieurs coupables. La Cour n'y peut rien puisqu'elle n'a à connaître que d'un inculpé. C'est tout ce qu'une enquête de deux ans a pu lui mettre sous la dent.
Que Dominici soit l'auteur principal, il n'y a pas de doutes là-dessus, mais il n'en est pas le seul auteur : il y a au moins un co-auteur et un nombre indéterminé de complices. Complicité du silence et du mensonge."
(8e audience).

Me Emile Pollak, avocat de Gaston Dominici


- "Nous avons la certitude que tous les hommes et femmes du clan Dominici ont menti. C'est à la Grand-Terre que se trouve la vérité. Alors allez-vous vous contenter de cette victime expiatoire ? Alors qu'il y a d'autres présumés coupables comme Roger Perrin [petit-fils de l’accusé] ou Gustave Dominici. Vous allez répandre le sang de ce juste ? Pas de lâcheté ! Ne comptez que sur vous-même ! Il n'y a pas de disposition légale qui puisse sauver un vieillard de l'échafaud. Prenez garde aux erreurs judiciaires ! Dans ce dossier il n'y a pas de preuves matérielles, vous avez deux fils qui veulent assassiner leur père ! Messieurs les jurés, vous ne serez pas leurs complices !"


La famille Drummond et Gaston Dominici que son avocat qualifie de "juste" (Mont. JEA/DR).

Conclusion de Jean Laborde


- "Le commissaire et le juge se sont comportés comme des toreros qui savent amener le taureau dans l'étoffe rouge mais ne parviennent pas à le faire passer, ce qui est le but du combat. Gaston, Gustave, les autres sont restés empêtrés dans la muleta de la justice, ils l'ont secouée et déchirée, finissant cependant par mourir. Mais aucune distribution d'oreilles n'a suivi : ainsi sont sanctionnés les maestros qui ont liquidé leur taureau sans convaincre le public. 

La justice est parvenue à la vérité par de mauvais chemins. Seule compte à la guerre la dernière bataille : il est parfois difficile d'oublier celles qui ont été perdues entre-temps. Soit par honnêteté, soit parce qu'ils se sont égarés à travers les incroyables mensonges de la famille, Edmond Sébeille [le commissaire] et Roger Périès [le juge d’instruction] ont laissé dans ce dossier d'immenses trous par lesquels s'est engouffré le vent. Malgré tout, ils sont probablement parvenus à la vérité. Convaincus d'avoir raison, ils imaginaient que leur propre conviction était transmissible. Elle le fut en ce qui concerne les jurés. Elle ne le fut pas pour l'opinion qui doute encore. L'étude sans passion d'un dossier aux proportions démentielles montre que la vertu n'a pas forcément ce pouvoir percutant que lui prêtent les optimistes. Elle est la leçon d'une terrifiante et baroque histoire." (8)

Autour du triple crime de Lurs, fleurirent de fausses pistes tendant toutes à disculper Gaston Dominici.
En voici deux : celle de prétendus résistants (communistes contre d'autres) réglant la nuit du 4 au 5 août 1952 leurs comptes avec quelque retard sur la fin de la guerre. Ou encore celle d’espions russes et d’agents de l’ouest venus dans les Basses-Alpes pour une sombre histoire de services secrets impliquant Sir Drummond.

A l’exception d’Orson Welles (9), cinéma et télévision tinrent à décrocher les palmes de la confusion entre réalité et fiction à propos de cette tragédie. Un film et un téléfilm se distinguèrent par une totale absence d’objectivité sous le prétexte d’une « reconstitution fidèle » !!!
Jean Gabin dans L'Affaire Dominici de Claude Bernard-Aubert (1973) puis Michel Serrault dans L’Affaire Dominici (10) de Pierre Boutron (2003) mirent leur talent évident au service d’un patriarche dont l’innocence relevait du dogme. Le brave homme en sortait les mains blanches. Allez chercher ailleurs le ou les vrais coupables. Depuis lors, on attend toujours en vain.

Les Drummond, trois victimes trop souvent oubliées, ont bien involontairement approché la Grand-Terre. Un microcosme régi par des lois particulières, à commencer par celle du silence. Une famille Dominici dont les haines recuites ont été plus fortes que la recherche de la vérité. Ce coin des Alpes de Haute-Provence, avec la Durance pour rafraîchir une nuit étoilée, devint le décors d’un drame total. Il n’y eut pas rencontre entre des paysans et trois touristes innocents mais confrontation certes pas préméditée mais mortelle.


Sur le premier PV : les identités des trois victimes. Document signé par le Commissaire Sébeille (Doc. JEA/DR).

NOTES


(1) Gordon Young, Valley of Silence, Robert Hale Limited, London, 1955, 193 p.

(2) Jean Laborde, Un matin d’été à Lurs, Robert Laffont, Coll. Ce jour-là, 1972, 447 p.

(3) Jean Giono, Notes sur l'affaire Dominici suivi de Essai sur le caractère des personnages, Gallimard, Coll. folio, 2008, 114 p., p. 68.
Lire la P. 129 de feu « Mot(s)aïques » : Dominici sous la plume de Giono.

(4) Frédéric Pottecher, A voix haute, JClattès, 1977, 392 p., pp. 289-290.

(5) Jean-Marc Théolleyre, Gaston Dominici : le juge et le paysan in Le Monde, Les grands procès, 1944-2010, Ed. les arènes – Europe 1, 2009, 567 p., p. 119.

(6) Armand Salacrou, L’Express, Impressions d’audiences.

(7) Jean-Marc Théolleyre, op. cit., pp. 128 et 129.

(8) Jean Laborde, op. cit., p. 440.

(9) En 1955, Orson Welles entreprend de réaliser un film de 26 minutes sur l’affaire Dominici et ce, pour le lancement de la toute nouvelle chaîne de télévision britannique : ITV.
Ce document : "La Tragédie de Lurs", n’a jamais été achevé.

(10) Les correcteurs du Monde :
- "La télé repasse ce soir le téléfilm sur l'"affaire Dominici" qu'elle avait sorti en 2003, avec Michel Serrault dans le rôle titre. Sa malhonnêteté consiste à présenter comme une reconstitution historique fidèle une œuvre qui mêle histoire et fiction, à l'appui d'une des nombreuses hypothèses (et pas la plus sérieuse) qui ont été émises à l'occasion de cette affaire criminelle."
(Blog Sauce Piquante, Le Monde, 15 août 2007).