MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

jeudi 30 juin 2011

P. 48. Suzanne, Leonard Cohen, Judy Collins, Graeme Allwright, Maurane, Françoise Hardy...

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Le Prix Prince des Asturies des Lettres 2011 vient d'être attribué à Leonard Cohen.
Le jury a récompensé :
- «Le poète et romancier Leonard Cohen pour l'ensemble de son travail littéraire, qui a influencé trois générations à travers le monde entier, grâce à la création d'images et d'émotions où poésie et musique se fondent, en une oeuvre d'une valeur immuable. Le passage du temps, les relations sentimentales, les traditions mystiques orientales et occidentales, et la vie chantée comme une ballade sans fin nourrissent l'ensemble d'un travail qui reste associé à certains changements décisifs de la fin du XXème et du début de XXIe siècles.»


Leonard Cohen, manuscrit de "Suzanne" (DR).

Su,
"à ses côtés",
"même les yeux fermés"...

- "Suzanne takes you down to her place near the river
You can hear the boats go by
You can spend the night beside her
And you know that she's half crazy
But that's why you want to be there
And she feeds you tea and oranges
That come all the way from China
And just when you mean to tell her
That you have no love to give her
Then she gets you on her wavelength
And she lets the river answer
That you've always been her lover
And you want to travel with her
And you want to travel blind
And you know that she will trust you
For you've touched her perfect body with your mind.
And Jesus was a sailor
When he walked upon the water
And he spent a long time watching
From his lonely wooden tower
And when he knew for certain
Only drowning men could see him
He said "All men will be sailors then
Until the sea shall free them"
But he himself was broken
Long before the sky would open
Forsaken, almost human
He sank beneath your wisdom like a stone
And you want to travel with him
And you want to travel blind
And you think maybe you'll trust him
For he's touched your perfect body with his mind."



- "Now Suzanne takes your hand
And she leads you to the river
She is wearing rags and feathers
From Salvation Army counters
And the sun pours down like honey
On our lady of the harbour
And she shows you where to look
Among the garbage and the flowers
There are heroes in the seaweed
There are children in the morning
They are leaning out for love
And they will lean that way forever
While Suzanne holds the mirror
And you want to travel with her
And you want to travel blind
And you know that you can trust her
For she's touched your perfect body with her mind."



Adaptation française de Graeme Allwright

- "Suzanne t'emmène écouter les sirènes
Elle te prend par la main
Pour passer une nuit sans fin
Tu sais qu'elle est à moitié folle
C'est pourquoi tu veux rester
Sur un plateau d'argent
Elle te sert du thé au jasmin
Et quand tu voudrais lui dire
Tu n'as pas d'amour pour elle
Elle t'appelle dans ses ondes
Et laisse la mer répondre
Que depuis toujours tu l'aimes

Tu veux rester à ses côtés
Maintenant, tu n'as plus peur
De voyager les yeux fermés
Une flamme brûle dans ton cœur

Il était un pêcheur venu sur la terre
Qui a veillé très longtemps
Du haut d'une tour solitaire
Quand il a compris que seuls
Les hommes perdus le voyaient
Il a dit qu'on voguerait
Jusqu'à ce que les vagues nous libèrent
Mais lui-même fut brisé
Bien avant que le ciel s'ouvre
Délaissé et presqu'un homme
Il a coulé sous votre sagesse
Comme une pierre

Tu veux rester à ses côtés
Maintenant, tu n'as plus peur
De voyager les yeux fermés
Une flamme brûle dans ton cœur."



- "Suzanne t'emmène écouter les sirènes
Elle te prend par la main
Pour passer une nuit sans fin
Comme du miel, le soleil coule
Sur Notre Dame des Pleurs
Elle te montre où chercher
Parmi les déchets et les fleurs
Dans les algues, il y a des rêves
Des enfants au petit matin
Qui se penchent vers l'amour
Ils se penchent comme ça toujours
Et Suzanne tient le miroir

Tu veux rester à ses côtés
Maintenant, tu n'as plus peur
De voyager les yeux fermés
Une blessure étrange dans ton cœur."



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lundi 27 juin 2011

P. 47. La nuit tenait la route....




(Ph. JEA/DR).


La nuit tenait la route
à coup de cafés de plus en plus
noirs

tout ça pour retrouver
une impasse
au fin fond de laquelle
même un oiseau ayant abusé
de gros rouge qui tache les brumes
ne penserait jamais qu'à déchanter

la terre a tellement peur
des heures que sa peau en crevasse
à la surface des lassitudes

des nuages épongent les traces
de nos dépassés déchiffrés et
des futurs défrichés

nos mémoires plurielles et dépavées
s’écriront seulement après
que toutes les barricades des devoirs
aient été renversées
comme des encriers

aux quatre coins
de notre planète faisant sa ronde
ces panneaux dans lesquels
ne pas tomber : pièges
poisons et chasses privées
aux enfants plus attirés
par les secrets à l'abandon
que par les jardins publics

dans une autre vie
la mort était grossiste
en fruits de mer périmée

elle reste une cleptomane quinteuse
et incorrigible
dont le grenier ressemble
à une brocante fichtrement
foutraque


Distillation clandestine d'eau de survie (Ph. JEA/DR).

NB

En vous priant d'excuser les décalages horaires entre un monde qui tourne mal et celui qui vous tourne le dos...
Quatre lignes dans le Libé du 13 juin (Rubrique "les gens"), entre la mort du peintre Bernhard Heisig et Dave opéré du coeur :

- "L'auteur de chansons Claude Léveillée est mort à 78 ans. Figure marquante de l'émergence de la culture québécoise dans les années 60, il avait écrit pour Edith Piaf Boulevard du crime, Ouragan, la Voix et les Vieux Pianos."

Il était aussi l'auteur-compositeur-interprète de Frédéric, sur l'un des premiers 45t que je me sois offert au début des années 60 :
- "On n'était pas des poètes, ni curés, ni malins..."




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jeudi 23 juin 2011

P. 46. "Mafrouza", cinq films en un

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Emmanuelle Demoris ne doute de rien... Deux années durant, elle filme un quartier condamné du côté d'Alexandrie. Elle ne s'encombre ni d'acteurs, ni de mises en scène. Elle tourne sans scénario, sans décors. Elle tourne avec les gens qui ne jouent pas mais qui existent tels quels. La cinéaste tourne toujours sans jamais tricher, eux non plus. Elle prend tout son temps, elle ne vole pas le leur !!!
Puis Emmanuelle Demoris revient d'Egypte avec des heures et des heures de pellicules. Un long fleuve qu'elle ne va pas formater, canaliser à tort et à travers, détourner au service d'on ne sait quel voyeurisme. Les habitants de Mafrouza ne seront pas réduits à des caricatures, à des : "vous avez 50 secondes pour m'expliquer votre misère..."
Sans eux, elle ne serait qu'une cinéaste avec une caméra comme une coquille vide. Sans elle, le 7e art n'aurait pas été partagé avec les Mafrouzains (?).
Et les spectateurs tirent mentalement leur chapeau et expriment toute leur gratitude à cette réalisatrice si généreusement talentueuse.
Et les salles obscures nous éclairent gravement. 

Synopsis :

- "Mafrouza est un film en 5 parties tourné par Emmanuelle Demoris au fil de deux années passées à Mafrouza, bidonville d’Alexandrie construit sur le site d’une nécropole gréco-romaine. Partant des premières rencontres avec ses habitants, Mafrouza raconte les destins de quelques personnes qui se répondent en une chronique polyphonique.
Si la vie est dure à Mafrouza, tous résistent avec grâce et force. Adel et Gahda, jeune couple à la recherche du bonheur, Mohamed Khattab, épicier-cheikh humaniste, Hassan, voyou chanteur épris de liberté, Abu Hosny, vieux solitaire au logement inondé, la paysanne Om Bassiouni et son four à pain, les Chenabou, famille de chiffonniers, Gihad, jeune lutteuse, tous incarnent et racontent cette résistance qui est la leur et qui fait de leur quartier un espace de liberté et de vitalité.
Mafrouza prend le temps de rentrer dans ce monde pour en saisir les complexités, mais aussi pour raconter à travers ces histoires la rencontre entre ces personnes de Mafrouza et celle qui vient les filmer. Car cette expérience de rencontre pose des questions de cinéma et interroge le regard que nous portons sur l’autre. Et si Mafrouza donne l’occasion de battre en brèche les idées reçues sur les pauvres, l’Orient ou l’Islam, il questionne ainsi aussi en miroir notre façon de regarder et de vivre (en Europe ou ailleurs)."


Mafrouza :
"Mille petites subvertions
en permanence..."

Emmanuelle Demoris :

- "Ce qui me frappait, c’était la lucidité que les gens de Mafrouza avaient par rapport à leur intervention dans le film. Un tiers du temps que j’ai passé dans le quartier s’est passé à expliquer le pourquoi et le comment du film, notamment pour dissiper le risque d’un voyeurisme sur la pauvreté. Et je ne voulais pas établir de barrière entre ces moments et le reste de ce que je filmais."
(Interview par Nicolas Feodoroff, FID Marseille).

- "Les Egyptiens qui ont vu Mafrouza ont exprimé leur admiration pour les habitants de ce quartier informel, qui ont construit leur monde et leurs lois, sans rendre de comptes à une autorité. En dépit de la pauvreté et des difficultés quotidiennes (les rats, la montée des nappes phréatiques, etc.), ils s'organisaient comme ils voulaient. Lors du débat qui a suivi une projection, l'un des personnages du film, Adel, a même dit : "On pouvait être spontanés et libres."
Mafrouza, c'était mille petites subversions en permanence. Un peu comme sur la place Tahrir, pendant la révolution : les manifestants se sont organisés. Ils n'avaient pas besoin d'un chef pour avancer. Un spectateur m'a avoué qu'au départ, il était contre la révolution. Et lorsqu'il a découvert la misère des quartiers pendant le mouvement de contestation, il a décidé de la rejoindre. "Il fallait reprendre le pays en main", m'a-t-il dit."
(Interview par Clarisse Fabre , Le Monde, 15 juin 2011).


Cati Couteau :

- "Mafrouza, le choc filmique d’Emmanuelle Demoris n’est rien moins qu’un film-monde dont les thèmes et les espaces, loin d’être des îlots découpés selon un regard préconçu, livre le continuum d’une expérience autant de cinéma que d’humanité lumineuse, celle des gens de Mafrouza, dont l’art de l’oralité et la précarité flamboyante font raison à Pasolini qui savait que les bidonvilles recèlent les héros de la tradition."
(Texte de soutien de l’ACID).

Samuel Douhaire :

- "Ses films sont très ancrés dans la société égyptienne des années Moubarak (il y est notamment question de l'influence croissante des Frères musulmans), mais les sentiments qu'ils décrivent sont universels : la complexité des relations familiales, l'aspiration au bonheur, le droit à choisir sa vie. Chaque épisode peut se voir isolément, mais on suggère de découvrir Mafrouza dans l'ordre chronologique. Pour mieux apprécier le parcours et l'évolution des protagonistes, y compris dans leur rapport avec la caméra. Ou comment la méfiance initiale se transforme, avec des hauts et des bas, en une amitié complice puis en une vraie tristesse au moment des adieux..."
(Télérama, 18 juin 2011).

Jacques Mandelbaum :

- "Un tombeau poétique, une prophétie politique, un film d'amour. On pense, naturellement, à un pendant documentaire de l'oeuvre du grand cinéaste égyptien Youssef Chahine. On pense, plus encore, à deux références contemporaines, dont Mafrouza partage la préoccupation morale, l'engagement sur le long terme, l'enjeu esthétique. La série cinématographique du Portugais Pedro Costa sur les laissés-pour-compte du bidonville de Fontainhas (Ossos, 1997 ; Dans la chambre de Wanda, 2000 ; En avant jeunesse !, 2006). Le monument du Chinois Wang Bing consacré à la perdition des ouvriers victimes du démantèlement d'un complexe industriel (A l'ouest des rails, 2003). A leur suite, Mafrouza imprime la vraie légende des parias de notre temps."
(Le Monde, 14 juin 2011).


Serge Kaganski :

- "Le quartier de Mafrouza est un lieu de cinéma en soi : lacis de ruelles étroites (le travelling avant dans ces coursives labyrinthiques est la figure esthétique qui scande les films), constructions en mauvais matériaux et tôle ondulée, pièces troglodytes, dépôt d’ordures à ciel ouvert, ânes, moutons, poules, le tout souligné par les musiques arabes, le son des téléviseurs ou le chant des muezzins.
Une symphonie vivante de bruits et de couleurs, c’est le premier effet global de ces films.
En entrant un peu plus dedans se dessinent les personnages. Hassan, le voyou-glandeur sympathique sorti de chez Pasolini, par ailleurs étonnant poète-rappeur à l’égyptienne.
Abu Hosny, vieil homme solitaire dont le taudis est toujours inondé.
Un couple qui attend un bébé. Un autre qui pense à divorcer.
Mohamed Khattab, l’épicier-imam de la mosquée locale en conflit avec les intégristes.
Des femmes qui parlent de leur condition… et de leurs films et feuilletons préférés.
S’élabore au fil des films une puissante fresque humaine et sociale, captée avant 2007 et la destruction du bidonville, contrastant avec les 40 milliards amassés par Moubarak au cours de son règne prédateur, éclairant de l’intérieur les ferments qui ont conduit aux révolutions égyptienne et arabes."
(les Inrocks, 14 juin 2011).

Philippe Azouri :

- "Emmanuelle Demoris ne court pas après le sujet, la bonne histoire : tout l’intéresse et rien ne la dérange. Si quelqu’un passe devant la caméra pendant qu’elle filme, elle ne coupe pas. Si quelqu’un s’interrompt en plein récit et lui propose une cigarette, elle l’accepte et elle la fume. Et garde ce geste au montage. On est là, avec elle, touchés par ce temps doux, où chaque prise correspond à une ou deux clopes partagées. Si bien que ces douze heures dans les sillons du dénuement, cette nécropole peuplée de grands vivants, ont une valeur politique inestimable."
(Libération, 15 juin 2011).

Marjolaine Jarry :

- "Un projet hors norme où le temps s’étire pour mieux faire durer le présent. Un film-monde qui nous fait découvrir chaque venelle d’un bidonville égyptien. Une saga, tissée de chansons et d’histoires, qui parle de liberté… Le documentaire d’Emmanuelle Demoris est tout cela à la fois. Cette fresque en cinq volets (qui peuvent se voir indépendamment les uns des autres) nous emmène à la rencontre des habitants de Mafrouza, un bidonville d’Alexandrie, aujourd’hui rasé. Vous craignez la peinture misérabiliste ? Rassurez-vous, ce film-fleuve dynamite toutes espèces de clichés. Bien sûr, le quotidien est souvent un combat à Mafrouza, mais dans ce monde de bric et de broc, il n’est pas interdit de se bricoler la vie que l’on désire. On sort plus forts de cette rencontre inattendue, avec une envie, soufflée par les habitants de Mafrouza : réinventer le réel."
(Le Nouvel Observateur, 15 juin 2011).

Olivier Barlet :

- "Ce bidonville de Mafrouza, aujourd'hui détruit tandis que les
habitants ont été relogés dans des HLM à 15 km de la ville, dans une zone à la fois désertique et industrielle, est comme tant d'autres endroits de la planète que le cinéma peut nous rendre proches s'il accepte d'en intégrer l'opacité pour en révéler l'énergie créatrice, c'est-à-dire de ne pas filtrer la réalité à l'aune de notre seule compassion ou compréhension : un lieu qui nous apprend à vivre le chaos du monde."
(Africultures, 6 juin 2011).



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lundi 20 juin 2011

P. 45. César Fauxbras : "La Débâcle"

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César Fauxbras,
La Débâcle. Les raisons, exposées par lui-même, qu'avait au mois de mai le soldat français réserviste de ne pas vouloir mourir pour Dantzig,
Editions Allia, 2011, 158 p.

Résumé :

- "Un nombre impressionnant de soldats français, dont énormément de réservistes, sont faits prisonniers par l'armée allemande lors de l'été 40. Alors qu'il est lui-même fait prisonnier à Ledringhem, près de Dunkerque, César Fauxbras se met à consigner tous les propos de ses compagnons de fortune. La prison se fait lieu de libération de la parole, jusqu'alors bâillonnée par le "devoir" de réserve et la peur des représailles. Les opinions sondées sont celles d'hommes habituellement muets, s'exprimant ici sans détours, bien loin du panache militaire et des opinions officielles évoquant notamment la vaillance des soldats de l'armée française. Le ton est enlevé, gouailleur. Il sert une autre vision de l'Histoire. Les soldats cherchent à comprendre la situation, à expliquer les raisons de la défaite et de leur détention. Deux causes sont invoquées : la faiblesse de l'armée française face à l'efficacité de l'armée allemande ou bien le défaut de motivation des trouffions. C'est cette vie de trouffion qui est ici rapportée, les inquiétudes des uns, les regrets des autres – notamment le tiercé du dimanche ou l'éventuel raccourcissement du Tour de France causé par cette guerre… Les plaisanteries qui fusent sont des merveilles de français argotique. Des projets d'évasion franchement loufoques se profilent. Le texte montre au final les limites du patriotisme et de la désertion. Grand roman de la débâcle, écrit par les mobilisés eux-mêmes, qui se pensent victimes d'une vaste "couillonnade"…

4e de couverture :

- "Où qu’ils vont le mettre, ce coup-ci, le troufion inconnu ?
A Perpignan ?"

L’auteur selon les Ed. Allia :

- "Publiant sous le pseudonyme de César Fauxbras, Gaston Sterckeman (1899-1968) reste un journaliste et auteur méconnu. Pourtant, il fut un reporter de premier plan parce que lui-même acteur. En 1914, il est incorporé comme mousse à bord de l'Armorique à Brest. Entre 1915 et 1916, il sert sur le cuirassé Danton, expérience qui lui inspire un roman : Jean Le Gouin. Affecté en 1919 sur les bases navales de Bizerte et Sidi Abdallah, il recueille les témoignages directs sur les mutineries ; ce sera Mer Noire. Après la guerre de 14, il cofonde le Syndicat CGT des Officiers de la Marine Marchande au Havre puis, devenu expert-comptable, multiplie les écrits anti-militaristes. En 1940, il est envoyé dans un stalag en Autriche."

Courriers du Stalag XVII A - Kaisersteinbruck (Autriche) derrière les barbelés duquel fut enfermé Gaston Sterckeman (Doc. et mont. JEA/DR).

Antisémitisme dès le 21 juin 1940
au Stalag XVII A
"21 juin

- J'ai eu un moment de trouille quand on est passé devant l'expert aryen. Les copains, il les avait à peine regardés, mais à moi, il m'a dit, ce mauvais, avec l'air d'être en colère : "Comment que vous appelez ? Clin ?" J'y ai répondu : "Oui, Clin Alfred, comme vous voyez sur le papier." "Et d'où que vous êtes ?", qu'il me demande. "De la Sarthe", que j'y réponds. "Et qu'est-ce que vous faites comme métier ?", qu'il me demande. "Garde-chasse", que j'y réponds. "C'est pas vrai, vous êtes chuif !", qu'il se met à gueuler, en plein dans ma figure. Et il me commande : "Laissez tomber cette couverture", et me voilà donc tout nu. Il me dit : "Couvrez-vous !..." Je me rentortille dans ma couverture. Il me dit : "Pourquoi que vous vous appelez Clin si vous n'êtes pas chuif ?" J'y réponds : "Parce que mon père s'appelle comme ça, Clin Alfred. Chez nous, vous avez toujours le même nom que votre père." Il me dit : "Et votre mère, comment qu'elle s'appelle de son nom de jeune fille ?" J'y réponds: "Ma mère, c'est une demoiselle Bastard, Marie-Louise de son petit nom." Il crie encore une fois : "Quand on s'appelle Clin, on doit être chuif !" J'y réponds : "Ecoutez, moi j'ai jamais vu de chuif, je ne sais pas ce que c'est, mais je suis pas le gars contrariant, et si ça peut vous faire plaisir, je veux bien être chuif." Là, il se marre, et puis il me dit : "A quel âge avez-vous fait votre première communion ?" J'y réponds : "A onze-douze ans. J'étais même premier en catéchisme." Il dit : "Je vous salue, Marie. Vous continuez !..." Je continue : "Pleine de grâce..." Il dit : "Arrêtez, c'est suffisant, vous êtes pas chuif, malgré que vous appelez Clin. Au suivant !..." Le suivant, il avait tout écouté. Vous vous rappelez qu'en sortant de l'expert aryen, on avait droit à la soupe ? Le suivant, il passe à la soupe après moi, et il me dit : "T'as eu tout du con de lui dire que tu voulais bien être juif, tu vois les emmerdements que tu aurais eus ?" Je lui réponds : "Non, je vois pas. Quels emmerdements ? Même que je serais juif, je suis prisonnier de guerre comme tout le monde, non ? Pourquoi que comme juif j'aurais des emmerdements de plus que les autres copains ?" Il dit : "Ce serait trop long à t'expliquer..."
(PP. 127-128).

Allemands sur la ligne Maginot (d'après une photo Bundesarchiv, doc. JEA/DR). 

Histoires, dont une belge... 

Suite des notes de César Fauxbras.

- "Si les lignes Maginot étaient aussi solides qu'on le racontait, les Belges en auraient mis une tout autour de leur pays. Ils auraient été dans une île, comme les Anglais. Après ça, ils auraient pu nous dire, à nous et aux Fridolins : "Maintenant, foutez-vous sur la gueule à tour de bras, mais passez à côté, s.v.p. Nous, on en a marre d'être depuis des siècles victimes de vos Waterloo !..."
(21 juin 1940, p. 129).

- "Aux dernières nouvelles, le roi d'Angleterre s'est barré en Amérique avec la reine et ses deux moujingues. Churchill s'est nommé furère. Pétain a signé l'armistice mais ça ne comptera que quand Mussolini aura dit oui. C'est les Macaronis qui commandent, maintenant !... On aura tout vu !... Hitler a un million de parachutistes qu'il va lâcher sur Londres, en plus de ceux qui vont y aller en péniche. C'est pas mauvais, tout ça, hein ? Ca sent la classe à bref délai."
(23 juin 1940, p. 133).

Montage : la même voiture, vue de face - couverture du livre - et son profil gauche - doc. (Mont. JEA/DR).

Ma seule intervention personnelle sur ce livre se limitera à son illustration de couverture. Pour exprimer un malaise profond. En effet, la photo retenue pour symboliser la débâcle de 1940 est incongrue dans la mesure où elle se révèle totalement anachronique et induit une déplorable confusion entre deux drames.

En effet, la carcasse de voiture ainsi photographiée gît sur le site de l'ancien village d'Oradour-sur-Glanne. Cette localité du Limousin ne connut de la débâcle que des réfugiés et se situa en zone dite "libre" jusqu'à l'invasion de celle-ci en 1942.
Par contre et même si des révisionnistes de service le contestent, en un seul jour, le funeste 10 juin 1944, des SS de la division Das Reich voulurent rayer Oradour de la carte, réduisant cette localité à des ruines fumantes, laissant derrière eux 642 cadavres (dont 349 femmes et enfants enfermés dans l'église).

Pourquoi retenir un document photographique lié au 10 juin 1944 dans le Limousin, pour une histoire s'étendant du 29 mai au 6 juillet 1940, dans le Nord de la France puis au stalag XVII A en Autriche ? La réponse appartient aux Editions Allia.

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jeudi 16 juin 2011

P. 44. Henri Béraud : "Haïssez de Gaulle... Crachez au visage des gaullards et des traîtrophiles..."

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L'appel du 18 juin version affiche et sa conclusion rédigée de la main de Charles de Gaulle (Mont. JEA/DR).

L'appel du 18 juin 1940 se commémore dans une ambiance de passé prenant de plus en plus ses distances. Quelques fleurs vite fânées, des uniformes et des gants, un discours souvent stéréotypé. Une ambiance hésitant entre le convivial et le guindé. Des acteurs qui se raréfient.
Cependant, ce discours symbolise un tournant fondamental de la guerre.
En France, l'extrême droite instrumentalisait la défaite pour prendre sa revanche sur la République et plus particulièrement, sur le Front Populaire. Pétain prêtait son prestige à cette manipulation antidémocratique. Entre Marianne et la collaboration avec le nazisme, le choix était pratiqué sans grands états d'âme. Vichy imposait son régime ouvrant la chasse notamment aux juifs et aux francs-maçons. Jeanne d'Arc était ressortie des images pieuses et d'Epinal pour dénoncer le véritable et éternel ennemi : l'Angleterre (1). On répétait que l'île ne pouvait que s'écrouler sous les bombes et l'invasion allemande. Et les jours étaient comptés pour les quelques individualités ayant franchi la Manche pour continuer la guerre malgré l'armistice.
Alors parle de Gaulle, dans ce climat délétère de fin d'un monde.
Quand le sort de l'Europe oscille au bord du gouffre, alors qu'Hitler et ses sbires répandent le nazisme comme une pollution mortelle et promise pour mille ans, l'appel du général servit d'amer pour nombre de celles et de ceux qui, perdus dans la tempête tourmentée de la Deuxième guerre mondiale, se demandaient quand et comment résister à l'occupant triomphant et oppressant...
Mais peut-être a-t-on perdu de vue la haine hideuse avec laquelle des pétainistes répondirent à de Gaulle ? ...
Pour mesurer à sa juste valeur cette exécration, la (re)lecture d'un Henri Béraud (2) et de ses éditoriaux dans Gringoire est éclairante, instructive, sans équivoque. En gardant en mémoire le nombre de Français (et d'Allemands) qui en 1940, assurèrent un plein succès à cette littérature implacablement fielleuse. Car, à propos de GringoireBéraud se vantait d'en avoir fait évoluer le chiffre de ventes de 336.000 à 650.000 d'exemplaires (3).

Pour Béraud, de Gaulle est tout à la fois :
" ambitieux jusqu'à la démence, aventurier sans honneur, charlatant funèbre, déserteur, fuyard de Bordeaux, honte de notre race, le pire des ennemis, mercenaire de Londres, payé par les deniers de Juda, phraseur de popotes, scapin du micro, traître..."

A qui serait tenté de sourire devant l'une ou l'autre de ces formules assassines, faut-il rappeler que l'éditorialiste Béraud ne considérait plus de Gaulle que comme un "mort qui parle" car "promis au peloton" (4) ?

- "Nous allons parler de ce M. de Gaulle, et des gaullards, ses amis.
(...)
Ce scapin du micro a ses admirateurs. Il fait honte à notre race et l'on voit des gens l'applaudir.
Quelles gens ? Il faut distinguer. Les plus actifs sont les juifs, les plus bruyants sont les snobs, les plus prudents sont les logeards, les plus amers sont les possesseurs de livres sterling, les plus malins sont les agents de l'Intelligence Service, et les plus bêtes sont les politiciens déçus.
(...)
Le condamné de Clermont-Ferrand est un mort qui parle. Ayant mis la mer entre sa poitrine et le peloton qui l'attend, il plastronne, il pérore. On l'écoute. il a ce bagout des vaniteux et des effrontés, que les simples prennent pour de l'éloquence.
(...)
Il est très vrai que de braves gens se sont laissé piper par ce charlatan funèbre. Il est très vrai que, se jouant des sentiments les plus nobles et les plus sacrés, le mercenaire de Londres a pu tromper dans leurs espérances des êtres abîmés de douleur." (5)


Affiche de l'Institut d'études des questions juives (Doc. JEA/DR).

- "Excellences au rancart, frères trois points délogés, innombrables Kahn hivernant à Cannes, cavaliers de Saint-Georges travestis en soldats de l'An II, abonnés du Times privés de lecture, doux crétins du turf et des links, dont les idées ne sont plus, hélas, blanchies à Londres, prébendiers de la Sociale rêvant que le dear major Attlee (6) leur rapportera les clefs de la caisse, tous traîtrophiles, tous suspendus aux lèvres de l'insulteur de Pétain...
(...)
De Gaulle, inconnu hier, est né de nos calamités. Anglophile déjà, et pire peut-être, il inspira les responsables de la défaite. On le vit paraître aux jours noirs de l'exode. Son ombre se profile sur la vision misérable des routes en sang, des incendies de réservoirs, des colonnes de fuyards allant à la rencontre des colonnes de prisonniers. C'est sur ce fond de désastres que de Gaulle a dressé son personnage.
(...)
Telle fut l'heure où se révéla cet homme. On peut croire qu'il l'a bien choisie. Dès cette heure, en effet, ce phraseur de popotes, ambitieux jusqu'à la démence, était mûr pour la trahison. Déjà couvait en lui cette envie, cette haine des supérieurs que nous vîmes enfin éclater.
Le jour même où la France entière se serrait autour d'un soldat sans reproche, un officier sans discipline s'évadait sur les vaisseaux de l'étranger. C'est ce déserteur qui vous insulte, Français, quand il insulte votre chef. C'est à lui que l'on dicte l'outrage et que l'on paye les deniers de Juda. Ceux de Londres et celui qui parle pour ceux de Londres sont vos ennemis - et le pire de ces ennemis n'est qu'un aventurier sans honneur.
Ne l'écoutez pas gens de chez nous. Ecoutez le Maréchal. Ecoutez le père, quand il vous dit que le pays a bien mérité le respect du monde. Allez honnêtement, bravement, fièrement, sur les pas de celui que vos foules acclament avec des larmes plein les yeux. Mais gardez un coeur ferme pour haïr les félons et les vendus. Haïssez de Gaulle, démasquez ses complices. Parlez haut, crachez au visage des gaullards et des traîtrophiles.
Car, aimer de Gaulle ne va pas sans détester Pétain. Or, qu'est-ce que l'aversion de Pétain si ce n'est l'aversion de la France ? Etre pour de Gaulle, c'est refuser son coeur au Maréchal, c'est désespérer du salut de la patrie. Etre pour de Gaulle, c'est préférer au vainqueur de Verdun le fuyard de Bordeaux. Etre pour de Gaulle, c'est prendre contre le sauveur le parti du traître." (5)


Propagande à l'eau de Vichy. Répondre à l'appel de Charles de Gaulle, c'est présenter une maladie mentale et honteuse : la Dingaullite. Avec les obsessions de service :
"Parmi les agents infectieux... citons les plus dangereux : L'IGNOBILIS YOUDICUS et le FRANCUS MACONNICUM..."
(Doc. JEA/DR).

NOTES :

(1) Henri Béraud, Faut-il réduire l'Angleterre en esclavage ?, Ed. de France, 1935, 56 p.

(2) Lire les pages 12 et 24 de ce blog.

(3) Avec 14 millions de bénéfice annuel pour les actionnaires : Henri Béraud, Les raisons d'un silence, Inter-France, 1944, 69 p., note p. 33.

(4) Le 2 août 1940, le tribunal militaire de Clermont-Ferrand prononce à l'encontre du général de Gaulle la peine de mort, la dégradation militaire et la confiscation de ses biens.
Motifs retenus par le tribunal :
- Allocutions radiodiffusées de nature à provoquer, de la part de l'Angleterre, des agissements nuisibles à la France ;
- Provocation de militaires et de marins à passer au service de l'Angleterre ;
- Risque provoqué contre les Français, en affirmant que les clauses de l'armistice ne seraient pas respectées ;
- Désertion ayant eu lieu sur un territoire en état de guerre.

(5) Henri Béraud, Gringoire, 28 novembre 1940.

(6) Clement Attlee (1883-1967). A partir de mai 1940, lord du sceau privé dans le gouvernement de Churchill qu'il est appelé à remplacer lors de ses nombreuses absences d'Angleterre.



Dédicace de la main d'Henri Béraud (Doc. JEA/DR).

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lundi 13 juin 2011

P. 43. "La mauvaise réputation" de Brassens

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(Mont. JEA/DR).

Près de 1600 écoles et lycées, rues et places de France portent son nom. On pourrait le craindre définitivement récupéré et momifié. Mais chassez le naturel d'une société facilement faux cul et ce naturel - répressif autant qu'intolérant - revient à la charge !
Car chanter Brassens en 2011 peut encore vous conduire dans un hôtel de... police. Pour outrages forcément insupportables aux dignes représentants de la force publique...  

Libé-Toulouse :

- "L’audition de ce jeudi 9 juin au commissariat central de Toulouse a-t-elle à voir avec le casting de la prochaine Star Academy ? L'agent de faction à l’entrée de l'hôtel de police n'apprécie que moyennement la question.
L’affaire est sérieuse : 29 choristes de La Canaille du Midi sont convoqués pour avoir, la veille, entonné la chanson Hécatombe de Georges Brassens devant le palais de justice et ledit commissariat. Ils doivent y répondre du délit d’outrages à agents dépositaires de la force publique.
Les auteurs du délit, plutôt jeunes tendance libertaire, partagent le petit-déjeuner sur le trottoir jouxtant le commissariat. Biscuits, café et commentaires : «Si on ne peut plus se moquer du pouvoir, ce n’est pas possible, dit Julien, électricien. D’un côté il ya des ministres qui démissionnent pour des faits graves et de l’autre, on interpelle des gens pour un simple charivari»
«C’est complètement idiot de les poursuivre pour avoir chanté du Brassens, renchérit Marie-Paule, 77 ans, alertée par un message diffusé sur la toile. Si ça continue, on va se retrouver un jour devant des bâtiments officiels avec en façade la devise Travail, Famille, Patrie.»
10h00 Julie, l’une des premières auditionnée sort du commissariat. La jeune femme rend compte à ses camarades : «Ils ne nous ont pas mis en garde à vue, dit elle. Ils ont juste pris nos identités. L’un des policiers a évoqué la possibilité d’un relevé d’ADN, mais les autres ne l’ont pas suivi».
En attendant leur tour de passer à ce casting policier, certains répètent déjà de nouvelles chansons. Julien prévient: «S'il nous est fait procès, nous chanterons Gare au gorille à l’audience»."
(10 juin 2011).

Ce vif intérêt et cette sensibilité policière pour l'oeuvre de Brassens remontent au moins à 1954. Si l'on en croit les archives des Renseignements Généraux.


Fac simile de la note des RG (Doc. JEA/DR).

14 juin 1954 : selon les RG,
"Brassens est un anarchiste
arrivé"...


Voici in extenso, la note à "ne pas communiquer" et rédigée en date du 14 juin 1954 par un policier connaissant la musique (au moins celle de la garde républicaine), habile à flatter le voyeurisme de ses supérieurs, pas entièrement dupe de son rôle de délateur et protégé par l'anonymat d'une note blanche...

          "En avril dernier, il a été écrit de Georges BRASSENS,
après une audition de ses oeuvres à la Maison de la Pensée -
dont il était l'un des principaux invités - :

          "BRASSENS est un gorille qui est encore dans la
forêt vierge.....! Profitez-en ....!".

          Dans sa concision cette boutade campe magistralement
l'actuelle personnalité de ce jeune chansonnier d'avant garde.  
                                 
                               ***

          Georges Charles BRASSENS est né le 22 octobre 1921 à
Sète (Hérault), de Jean Louis et de DAGROSA Elvire, Français
par filiation, il est célibataire, sans enfant. Il est domi-
cilié 9 impasse Florimond à Paris (14e), chez une dame PLANCHE
depuis le 1er janvier 1939.

          On le remarque à Paris depuis 1942, où il s'inscrit
à la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique
(S.A.C.E.M.)

          Dès la Libération, il se dit "homme de lettres" et
collabore occasionnellement à divers journaux et revues.

          Il passe pour anarchiste: l'hebdomadaire "Le Libertai-
re" organe de la Fédération Anarchiste, l'indique en effet à
cette époque, comme l'un de ses rédacteurs.

          Dans un article de lui intitulé "Trois Petites Let-
tres" paru en avril 1947 dans le premier numéro du "Combat
Syndicaliste", il critique la C.G.T., fail l'apologie de la
Centrale Syndicaliste Anarchiste et attire l'attention des au-
torités par le côté acerbe de ses critiques des institutions
de notre régime.

          Mais son activité "anarchisante" s'arrête là.....
ou plutôt s'exprime de toute autre façon, en s'évadant en poèmes
et chansons...

          Il y a dans ses oeuvres de la rancoeur, de l'acidité
mais toujours de la poésie, avec assez facilement une pointe
de gaillardise.

          Chansons poétiques : "Le Fossoyeur" - La Chasse

                                                                             /...

aux papillons" - "Il n'y a pas d'amour heureux" - où il a
mis en musique des vers d'Aragon; 

          - gaillardes : "Le Gorille" - "Hécatombe" - etc.... 

          En tout une soixantaine de chansons, dont : "La Mau-
vaison réputation" - "Le Parapluie" - "Le Petit Cheval" -
"Corne d'Auroch" - "Le Vent" - "J'ai rendez-vous avec vous" -
"Bancs publics" - "Ballade des dames du temps jadis" - "Comme
hier" - "Pauvre Martin" - Brave Margot" - "Il suffit de passer
le pont" etc....

          Sa notoriété grandit tandis que diminue son intellec-
tualisme anarchiste ..... Il se produit maintenant à la Radio-
diffusion et à la Télévision française, et devient une vedette
des cabarets et théâtres de chansonniers.

          Peut-être pour rester un peu fidèle à lui même, il
garde au physique le rude aspect de ses débuts : l'oeil dur
et le poil hirsute, il promène sa grande silhouette très Saint-
Germain des Prés..... Mais le costume, déjà, provient d'un bon
faiseur.... Georges BRASSENS est maintenant un "anarchiste arri-
vé"!"?

                                  ***

          Comme à toute vedette masculine à belle stature
(1m77) - cheveux bruns - yeux marrons foncé - teint très mat -
les succès féminins jalonnent sa route.... Il semble en profi-
ter sans exagération, et nu-lle liaison connue ne trahit son
indépendance affichée.... Petite anicroche, cependant, en
1953, où il aurait été mis en cause, pour complicité d'adultère.

          L'affaire est en cours et deviendra peut être pour lui
sujet à chanson nouvelle.

                                  *** 

          Au demeurant, Georges BRASSENS est un nom qui n'a
pas encore pris toute sa valeur commerciale, et le rustre chan-
sonnier de ses débuts sera probablement dans son genre - l'âge
et la pondération aidant - une grande vedette de la chanson.

          Il a été récemment élu Grand Prix du Disque 1954
(Académie Charles CROS).

                                  *** 

          Georges Charles BRASSENS n'est pas noté aux Sommiers
Judiciaires."


Délivrée le 20 février 1967, la carte nationale d'identité de Georges Brassens - l'original porte aussi une empreinte digitale sous la signature (Doc. JEA/DR).

Ce rapport des RG était présenté à l'exposition "Brassens ou la liberté", Cité de la Musique, ouverte du 15 mars au 21 août 2010.

A vous qui souhaiteriez un autre éclairage que policier sur le thème "Brassens et l'anarchisme", il est proposé de feuilleter Le Libertaire du début des années 70...

Henry Bouyé et Georges Fontenis :

- "Un jour au courrier, entre autres articles, nous en trouvâmes un, non signé, remarquablement bien écrit, traitant avec un humour féroce, des variations de comportement propres à un policier conscient de la dignité de sa fonction……Nous décidâmes de le publier. Le lendemain de la mise en vente du journal, nous vîmes arriver au bureau, un gaillard tout souriant et étonné. Il ne pensait pas que quelqu’un pût publier un papier semblable, car bien trop incisif. Telle fût l’entrée en matière entre Brassens et les Anarchistes. C’est à la suite de ce premier contact, que G. Brassens voulut bien nous fournir des articles qui ne démentirent jamais la richesse de sa plume. Un beau jour, il fut désigné comme Secrétaire de Rédaction, mais vint un moment où il décida de cesser toute collaboration.  
Nous tenons à souligner car le cas est rare, que Georges malgré la promiscuité due à son métier, malgré les succès monstres qu’il a connus (….) est resté toujours le même. Il n’a jamais été gagné par le cabotinisme, c’est là le propre d’une personnalité comme on en voit peu dans son milieu professionnel."
(Le Libertaire, Nouvelle série, n°6, 1971).

Et pour ne pas laisser aux RG le monopole de la critique musicale, ce "fragment" rédigé deux mois avant le rapport policier.

Roger Toussenot : 

- "Jamais homme vivant et lyrique abstrait ne m’a autant bouleversé. Il est seul. Cette voix étrange contient toute la richesse tragique et profonde de Villon, la pitié philosophique de Shakespeare, et l’ardente poésie du sentiment anarchiste. Cet homme qui chante la révolte est un doux, ce pur poète, si dignement dépouillé, est une conscience…" 
(Fragments, Mars 1954).

La conclusion sera laissée à l'un de ses meilleurs copains d'alors.

René Fallet :

- "[Georges Brassens est] un bon gros camion de routiers lancé à tout berzingue sur les chemins de la liberté."
(1953).



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jeudi 9 juin 2011

P. 42. "Une séparation", de Asghar Farhadi

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(DR).

Synopsis :

- "Lorsque sa femme Simin le quitte, Nader engage une aide-soignante pour s'occuper de son père malade. Il ignore alors que la jeune femme est enceinte et a accepté ce travail sans l'accord de son mari, un homme psychologiquement instable…"

Asghar Farhadi :

- "En Iran, la radio et la télévision sont complètement contrôlées par l'État. Et le théâtre reste encore, chez nous, un art intellectuel que n'apprécient que les classes aisées et éduquées. Du coup, l'audience en est restreinte. Le cinéma est un art populaire qui touche plus de monde et me permet plus facilement de parler de l'Iran d'aujourd'hui. J'y gagne à la fois plus de public et de liberté. De plus, la langue y est beaucoup plus moderne, et il me semble qu'ainsi je traite mieux des thèmes complexes. Je peux travailler sur plusieurs niveaux. Et si je n'ai pas envie d'attaquer frontalement les choses, je peux les cacher dans les couches et sous-couches que représentent mes personnages."
(Interview par Xavier Leherpeur, L’Express, 6 juin 2011).

Leila Hatami (rôle de Simin) :

- "Question : Comment décririez-vous Simin ?
Réponse : C’est une Iranienne de la classe moyenne qui veut quitter Nader, son mari, pour partir vivre à l’étranger. En désertant le foyer, elle provoque le recrutement de Razieh, une aide-soignante enceinte chargée de veiller sur le père de Nader atteint d’Alzheimer. Or, Nader va molester Razieh qui perd son enfant. Le film pose la question de la culpabilité du mari (connaissait-il ou non la grossesse de cette femme ?), du mensonge, de l’affrontement des classes sociales (Razieh, très religieuse, sort des couches populaires), et évoque une condition humaine faillible : oui, nous commettons tous des fautes."
(Interview par Ségolène Wacrenier, madame Le Figaro, 30 mai 2011).

Les censures ne sont pas parvenues
à se payer la peau de ce film
qui reçut l'Ours d'or à Berlin...

Thomas Sotinel :

- "Une banque iranienne a financé Une séparation. Il a fallu ensuite soumettre un synopsis au ministère de la culture, négocier le scénario définitif pour obtenir l'autorisation de tournage. Asghar Farhadi soupire sur les humeurs fluctuantes des censeurs qui peuvent transformer n'importe quelle journée en cauchemar. Au bout de quinze jours de tournage, il a fallu s'arrêter. C'était en septembre 2010. Lors de la cérémonie annuelle des trophées du cinéma iranien, Asghar Farhadi avait déclaré, le Prix du meilleur film entre les mains : "Je souhaite que les réalisateurs qui sont hors d'Iran, ou ceux qui y vivent mais n'ont pas la possibilité de travailler, puissent concourir lors de la prochaine cérémonie." Cette allusion à Mohsen Makhmalbaf, exilé, et à Jafar Panahi, sous le coup d'une interdiction professionnelle et d'une condamnation à six ans de prison, a tellement déplu qu'Asghar Farhadi s'est à son tour vu interdire l'exercice de son métier. "Mais la réaction des médias et du public a été telle, que nous n'avons dû suspendre le tournage qu'une semaine", raconte Asghar Farhadi."
(Le Monde, 18 février 2011).

Paula Jacques :

- "C’est au cours du tournage de son troisième film « Une séparation » qu’Asghar Farhadi a eu maille à partir avec la censure iranienne. Point tant pour le sujet de son film : Guerre des sexes et lutte des classes entre deux couples à la dérive que pour avoir dénoncé l’emprisonnement de Jafar Panahi, son compatriote. En obtenant l’Ours d’or à Berlin pour « Une Séparation », il fait non seulement la nique aux empêcheurs de tourner mais aussi et surtout un film d’une subtilité et d’une puissance prodigieuses."
(France Inter cosmopolitaine, 5 juin 2011).


Leila Hatami (DR).

Jérôme Garcin :

- "Du concentré de cinéma. Un film arborescent aux ramifications multiples. On peut le voir, au choix, sous l'angle du drame social, de la comédie de moeurs, de la fable politique, du documentaire, du thriller ou de l'enquête policière. Il y est question à la fois de divorce, de la maladie d'Alzheimer, d'éducation, de justice, de chômage, de religion.
On hésite même à dire que c'est un film sur l'Iran contemporain (et la guerre féroce que s'y livrent la tradition et la modernité) tellement il est universel. D'ailleurs, Asghar Farhadi demande au spectateur, quel qu'il soit et où qu'il se trouve, de jouer ici le rôle du témoin et d'agir lui-même sur le scénario."
(Le Nouvel Observateur, 2 juin 2011).

Nicolas Bardot :

- "Ours d'or, prix d'interprétation féminine, prix d'interprétation masculine: Une séparation, le nouveau film du réalisateur iranien Asghar Farhadi, a fait une vraie petite razzia lors de la dernière Berlinale. Loin du cinéma théorique d'un Abbas Kiarostami ou du didactisme des Makhmalbaf (leurs cahiers, leurs tableaux noirs, leurs taille-crayons), Farhadi privilégie, comme dans La Fête du feu ou A propos d'Elly..., ses deux précédents longs métrages, des portraits de groupes scrutés par une caméra très mobile. Au-delà du (sortez vos petits abrégés de la lecture des films pour les nuls) regard-complexe-sur-l'Iran-aujourd'hui, Farhadi pose finalement des questions assez universelles, sur la morale, sur la parole, sur la justice."
(FILMdeCULTE).

Olivier Bachelard :

- "Le scénario passionnant d'Asghar Farhadi reflète l'humanité dans toute sa complexité. Complexité des relations homme-femme, non dits, attentes de l'un vis à vis de l'autre, souffrance de la fille prise en étau entre les deux, choix impossibles, les tenants et aboutissants d'une relation de couple moderne sont tous là, traités avec une justesse incroyable. Le film est reparti de Berlin avec un prix d'interprétation collective pour les acteurs, un autre pour les actrices, mais aussi avec un Ours d'or amplement mérité. Le signe que malgré l'emprisonnement de Jafar Panahi, le cinéma iranien a un bel avenir devant lui."
(ABUSdeCINE).

Peyman Moaadi (DR).

Frédéric de Vençay :

- "Si Une séparation est d’abord le portrait (remarquable) d’une poignée d’êtres humains, il montre aussi que le poids de la religion musulmane, très contraignante, pèse quotidiennement sur les épaules de tous les Iraniens. Les doctrines religieuses leur imposent de nombreux interdits. Lors d’une scène étonnante, la jeune Razieh hésite à venir en aide au vieux père malade de Nader, craignant de "toucher" un homme autre que son mari, même pour des raisons médicales. Logées dans un "ciel" abstrait, ne s’accordant pas toujours avec les situations pratiques ou les impératifs humains, ces contraintes conduiront les personnages vers un drame à l’issue bouleversante. On le voit, même si elle se joue sur des détails ou des situations anodines, même si elle n’est jamais claironnée à grand renfort d’effets de manche, la portée idéologique et politique d’Une séparation est énorme. Son propos est d’autant plus fort que son traitement reste sobre et ne prend jamais les airs d’une "démonstration".
(avoir-alire).

Nicolas Crousse :

- "La vérité, c’est que la « Séparation » de Farhadi est tout simplement un grand film, qui part d’une situation simple et universelle (un couple se sépare et se déchire, sous le regard d’un enfant bouleversé) pour virer à l’engrenage judiciaire et inviter à une réflexion forte (et pourtant fine) sur l’Iran, tiraillé entre tradition et modernité. Pour le public occidental, c’est en passant l’occasion de corriger certains vilains clichés : les femmes ont ici les rôles moteurs. Et l’Iran apparaît comme une société profondément complexe.
Basé sur un scénario puissant, parsemé de quelques coups de théâtres, le film de Farhadi tire une partie de sa puissance émotionnelle d’un formidable art de l’ellipse, qui pousse le spectateur à s’investir personnellement. On ne voit pas tout. C’est dès lors à nous de remplir les blancs."
(Le Soir, 19 février 2011).

Alain Lorfèvre :

- "Ce cinéaste venu du théâtre démontre une fois de plus sa rigueur formelle, dénuée de tout effet inutile, sa précision narrative, sa rigueur dramatique. Les acteurs achèvent de faire de "Une séparation" une grande œuvre de cinéma. Qui, dans son plan final, oblige chacun à faire son choix. Manière, aussi élégante que pertinente, de suggérer que personne sauf les intéressés ne peut juger de ce qui se passe en Iran. Et que c’est à eux qu’il appartient de déterminer leur avenir et d’agir en conséquence. Farhadi, lui, a choisi : il filmera et s’exprimera tant qu’il le pourra."
(La Libre Belgique, 8 juin 2011).



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