MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

jeudi 31 janvier 2013

P. 220. Le 2 février 1927, Camille Claudel écrit à sa mère : "je suis horriblement malheureuse"...


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(Mont. JEA/DR).
- Camille Claudel, Eric Liberge et Vincent Gravé, Glénat, 2012.
- 9ème Journée Internationale des Femmes : l’Association Pour Perpétuer le Souvenir des Internées des Camps de Brens et de Rieucros en partenariat avec l’association Paroles de femmes a proposé :
Camille Claudel, l’Interdite !
un spectacle théâtral de la compagnie Cornet à dés, le 4 mars 2011.

Edmonde Charles-Roux


- "Camille Claudel est née en 1864, morte en 1943. Pour mémoire : son frère est de quelques années plus jeune qu’elle (1868-1955). La date clé de la vie de Camille est mars 1913, le jour où la mère de Camille, qui n’aime pas sa fille, demande son internement. Une mesure à laquelle aucun membre de sa famille ne s’oppose. Paul Claudel est de passage en France. Il connaît le jour et la date où sa sœur sera emmenée entre deux infirmiers mais ni lui ni aucun membre de sa famille ne veulent assister à son départ. D’abord internée à Ville-Evrard, Camille en sera évacuée pour cause de Grande Guerre en 1914 et transférée à Montdevergues. Elle n’en sortira plus."
(La Provence, 30 janvier 2005).

Claudine Galéa

- "L’ex-égérie de Rodin, l’immense sculptrice des Causeuses ou de La Valse, œuvres qu’on peut admirer au musée Rodin, – il l’aura « possédée », même dans la reconnaissance du génie –, a cessé de modeler la glaise et de travailler le marbre, enfermée par sa mère, dès lors que son père – son unique protecteur – fût mort. Enfermée par sa mère, avec l’assentiment muet de son frère, Paul."
(La Marseillaise, 8 février 2004).

Gabrielle Napoli

- "L’amour de Camille pour Rodin relève de la tragédie, est synonyme de folie et de mort et ce dès la première rencontre entre les deux amants : « la grande houle dans le corps qui jouissait sans se livrer, ailleurs pour toujours, aimant et plein de haine. » Avant l’enfermement à l’asile, Camille est véritablement déshumanisée. Pensons simplement à ce passage où, tapie dans les fourrés, elle observe, en haut de la colline, la demeure de « Monsieur Rodin ». Qu’en est-il de cet amour fou qui va jusqu’à l’abdication devant l’homme « qui décidait de ces choses » ? Paul, le complice de l’enfance, l’ami, au tout début de cet amour dans lequel Camille « s’enivre de céleste » écrivait que « c’était se perdre que d’aimer de la sorte ». Amour tragique donc parce que l’on ne peut ni lutter contre ni l’assouvir, « Ils ne pouvaient ni être ensemble ni se séparer ». Une véritable fatalité pèse sur l’existence de Camille qui tel un héros tragique, boite. Cela ne peut manquer de nous rappeler l’héroïne du Soulier de Satin qui dépose aux pieds de la Vierge son soulier afin de ne s’élancer vers le mal qu’avec « un pied boiteux ». L’amour est inséparable de la mort, l’amour est la mort, pour Camille comme pour Paul : « cette femme qu’il avait aimée, il avait connu la mort qu’il lui fallait, l’amour, il n’en parlerait jamais autrement. »
(La Quinzaine littéraire, n° 872).

Mireille Tissier

- "Les relations mère-fille sont très conflictuelles : Louise ne vient jamais voir Camille mais correspond régulièrement avec elle. Elle lui envoie aussi des colis de nourriture, Camille refusant obstinément le confort de la première classe. A la mort de Louise, en 1929, Paul, frère cadet de Camille, continue de payer la pension de sa sœur. Mais il ne lui rend visite que de loin en loin, une fois par an en 1933, 1934, 1935 et 1936. Lorsque éclate la guerre, il se réfugie dans sa propriété de Brangues près de Grenoble (Paul à 71 ans).
A la date du 14 août 1942, il écrit dans son Journal : "Mauvaises nouvelles de ma sœur Camille tombée dans le gâtisme et q[ui] souffre des restrictions." Puis, à la date du 8 décembre 1942 : "Une lettre de Montdevergues m'avertit q[ue] ma pauvre sœur Camille va de plus en plus mal et me fait prévoir sa mort, q[ui] sera une délivrance, 30 ans de prison chez les fous, de 48 à 78 ans. Je me rappelle cadette jeune fille splendide, pleine de génie, mais ce caractère violent, indomptable !" Pour autant, il ne fait pas le voyage de Montdevergues où, d'après son Journal , il ne s'est pas pas rendu depuis août 1936."
(Camille Claudel – de la grâce à l’exil – la femme, la folie, la création, 20 mars 2010).

Edmonde Charles-Roux

- "Lorsqu’elle mourut (1), personne n’assista à sa mise en terre. Du reste, sa mère n’était jamais venue la voir. En 1962, lorsque le fils de Paul chercha à faire transporter les restes mortels de Camille dans le tombeau des Claudel, l’administration de l’hôpital psychiatrique fit savoir à la famille qu’il lui était impossible de retrouver la sépulture de Camille dans le cimetière."
(La Provence, 30 janvier 2005).

Mireille Tissier

- "Camille Claudel meurt le 19 octobre à 14h15. A 11 heures, Paul reçoit un premier télégramme l'informant que sa sœur est très fatiguée et que ses jours sont en danger. Puis à 5 heures un second qui l'informe qu'elle est décédée et que l'inhumation aura lieu le lendemain. "Ma sœur ! Quelle existence tragique ! A 30 ans, quand elle s'est aperçue q[ue] R[odin] ne voulait pas l'épouser, tout s'est écroulé autour d'elle et sa raison n'y a pas résisté. C'est le drame de l'Age mûr", écrit-il à cette nouvelle. Camille est enterrée dans une fosse commune du cimetière du village de Montfavet, dont dépend l'asile. Aucun membre de la famille n'assiste à la cérémonie comme en témoigne cette lettre rédigée par l'aumônier de l'asile à l'intention de Paul le 20 octobre 1943 : "Mr l'Ambassadeur - c'est l'aumônier de M[ont]devergues q[ui] vient vous présenter ses condoléances tout d'abord et ensuite v[ou] dire q[ue] Melle Claudel a été bien soignée. - Bonne nature, bien élevée, elle était très aimée dans son quartier et les infirmières avaient pour elle b[eau]c[ou]p d'attentions. L'aumônier q[ui] v[ous] écrit allait la visiter souvent et il était toujours reçu d'une façon charmante. Son agonie n'a pas été bien longue : elle s'est éteinte tout doucement après avoir reçu les sacrements."
(Camille Claudel – de la grâce à l’exil – la femme, la folie, la création, 20 mars 2010).


(Mont. JEA/DR).
Camille Claudel, jeune artiste ou vieille aliénée : toujours génie martyrisée.

A peine son père décédé, Camille Claudel est enfermée comme "folle". Abandonnée. Totalement. Punie à une lente peine de mort pour avoir porté trop d'ombre talentueuse à maître Rodin et pas assez bourgeoise grenouille de bénitier à l'estime de son frère ambassadeur (y compris des lettres).
Alors, pour traverser les murs de sa solitude plombée, Camille écrit. A son bourreau : sa propre mère, experte en tortures morales.

Camille Claudel :

  .............................................................................................."Montdevergues, 2 février 1927,

Ma chère maman, (2)

J'ai beaucoup tardé à t'écrire car il fait tellement froid que je ne pouvais plus me tenir debout.
Pour écrire, je ne puis me mettre dans la salle où se trouve tout le monde, où brûlotte un méchant petit feu, c'est un vacarme de tous les diables. Je suis forcée de me mettre dans ma chambre au second où il fait tellement glacial que j'ai l'onglée, mes doigts tremblent et ne peuvent tenir la plume. Je ne me suis pas réchauffée de tout l'hiver, je suis glacée jusqu'aux os, coupée en deux par le froid. J'ai été très enrhumée. Une de mes amies, une pauvre professeur du Lycée Fénelon qui est venue s'échouer ici, a été trouvée morte de froid dans son lit. C'est épouvantable. Rien ne peut donner l'idée des froids de Montdevergues. Et çà dure 7 mois au grand complet. Jamais tu ne peux te figurer ce que je souffre dans ces maisons. Aussi ce n'est pas sans une surprise d'épouvante que j'ai appris que Paul me faisait mettre en 1re classe. C'est curieux que vous disposez de moi comme il vous plaît sans me demander mon avis, sans savoir ce qui se passe; vous n'êtes jamais venus ici et vous savez mieux que moi ce qu'il me faut (...).
Je vous ai déjà dit que les premières classes étaient les plus malheureuses. D'abord leur salle à manger est dans le courant d'air, elles sont à une toute petite table serrées les unes contre les autres. Elles ont toujours la dissenterie d'un bout de l'année à l'autre, ce qui n'est pas le signe que la nourriture est bonne. Le fond de la nourriture est celui-ci - de la soupe (c'est-à-dire de l'eau de légumes mal cuits sans jamais de viande) un vieux ragout de boeuf en sauce noire, huileux, amère, d'un bout de l'année à l'autre, un vieux plat de macaronis qui nagent dans le cambuis, ou un vieux plat de riz du même genre en un mot le graillon jusqu'au bout, comme hors-d'oeuvre quelques minuscules tranches de jambon cru, comme dessert de vieilles dattes chauvreuses ou trois vieilles figues racornies ou trois biscottins ou un vieux morceau de fromage de bique : voilà pour vos 20F par jour; le vin c'est du vinaigre, le café c'est de l'eau de pois chiches.
C'est réellement faire preuve de folie que de dépenser un argent pareil. Quant à la chambre c'est la même chose; il n'y a rien du tout, ni un édredon, ni un seau hygiénique, rien, un méchant pot de chambre les trois quarts du temps ébréché, un méchant lit de fer où on grelotte toute la nuit (moi qui déteste les lits de fer) (...).
Je ne veux à aucun prix rester de la 1re classe et je te prie à la réception de cette lettre de me faire remettre de troisième comme j'étais avant.
Puisque tu t'obstines malgré mes objurgations à me laisser dans les maison de santé où je suis horriblement malheureuse, au mépris de toute espèces de justice, au moins économise ton argent et si c'est Paul communique-lui mes appréciations.
En as-tu des nouvelles ? Sais-tu de quel côté il est actuellement. Quelles sont ses intentions à mon égard ? A-t-il l'intention de me laisser mourir dans les asiles d'aliénés ?
(...)
Camille."
(3).


(Mont. JEA/DR)
Camille Claudel : La Valse (Dét.) et la stèle au cimetière de Montfavet où les restes de l'artiste furent mis dans la fosse commune.

NOTES :

(1) Edmonde Charles-Roux estime que Camille Claudel mourut de faim.
Ce qui rappelle "Le drame des asiles de Vichy", un article de Régis Guyotat :
- "Cinquante mille malades mentaux sont morts de faim sous l'Occupation. De nouveaux travaux d'historiens relancent un débat qui agite depuis 1987 le milieu de la psychiatrie.
Près de cinquante mille malades mentaux sont morts de faim, entre 1940 et 1944, dans les établissements psychiatriques français. L'hôpital du Vinatier, à Bron, dans la région lyonnaise, compta, à lui seul, près de deux mille victimes."
(Le Monde, 17 octobre 2003).

(2) L'orthographe de l'original a été respectée.

(3) Ce courrier a été publié par Jacques Cassar, dossier Camille Claudel, librairie séguier/archimbauld, 1988, 519 p., PP. 287 à 289.

Site de l'Association Camille Claudel ? Cliquer : ICI.

Bande annonce du film "Camille Claudel" de Bruno Nuytten (1988) avec Isabelle Adjani (coproductrice) et Gérard Depardieu (Rodin) ? Cliquer : ICI.

Plus dans l'esprit de cette page, un film de Bruno Dumont : "Camille Claudel 1915" est annoncé pour mars 2013. Avec Juliette Binoche dans le rôle de Camille. Bande annonce ? Cliquer : ICI.


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lundi 28 janvier 2013

P. 219. Dans le ventre de la baleine...


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givre (Ph. JEA/DR).


au début, la surprise est réelle, même pour les blasé(e)s de service :
dans le ventre de la baleine, l’éclairage est d’autant plus éblouissant
qu'au dehors, une tempête ténébreuse vient de passer à tabac l'océan
en brisant et en piétinant les astéries innocentes

murs et plafonds tournent en rond et ignorent les saisons
les fenêtres et autres soupiraux sont strictement prohibés
pas de coins de paradis pour les enfants ni de statues ridicules
de ces maîtres à dépecer la pensée dépassée

les passants polycopiés sont à peine plus nombreux que les trépassés à bouche baie
les premiers en bleu froissé ou en vert délavé, les autres en blanc cassé
les silences même en cendres pèsent le poids des absences
les horloges piquent les heures pour qu’elles ne recommencent pas à gémir

ce jeudi, le ventre de la baleine abrite le tournage d'un docu médical
silence ! moteur ! ça tourne ! clap début : « Rechute, 11ème »
les acteurs ne connaissent pas vraiment leur rôle ni leur texte
pourquoi s’impatienter ? il n’y a pas de sortie prévue pour les artistes



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jeudi 24 janvier 2013

P. 218. Troyes, janvier 1977, la voix de R. Badinter fait reculer la peine de mort...


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"L'Union", une du 18 février 1976 (Graph. JEA/DR).

Troyes, 21-24 janvier 1977 :
procès d’assises de Patrick Henry.


Une douzaine d’experts se sont succédé devant la cour, tous unanimes : l’accusé, vingt-quatre ans, est « normal ».
N’empêche…
Le 30 janvier 1976, il attendait le petit Philippe Bertrand, sept ans, à la sortie de son école troyenne pour l’enlever. Concrètement : le ravisseur l’enferme dans une chambre de l’Hôtel des Charmilles.
Dans la soirée, Patrick Henry est localisé alors qu’il appelle longuement les parents depuis une cabine téléphonique. Mais les gendarmes et la police judiciaire n’adoptent pas la même tactique. Les premiers échouent à lui mettre la main au collet et les seconds fulminent de voir toute filature réduite en miettes.
Pour sa part, le ravisseur affirmera lors de son procès qu’en conséquence de la tentative bruyante d’arrestation de la gendarmerie, il ne lui a plus semblé possible de libérer le petit Philippe.
Le lendemain, vers 17h et alors que le garçon regarde la télévision, Patrick Henry décrira devant le tribunal la scène fatale :
- « Il était assis. J’étais derrière lui. J’ai pris un foulard. J’ai serré. Deux minutes plus tôt, je n’y pensais pas. »

Christine Rigollet résume la suite :
- « Le 17 février, le corps du petit Philippe est découvert sous le lit d'une chambre sordide louée par Patrick Henry. Manifestement étranglé dès les premiers jours du rapt. "La France a peur", martèle Roger Gicquel en ouvrant le JT de 20 heures.
"Ce type-là n'était pas défendable", s'exclame Frédéric Pottecher, chroniqueur judiciaire (…), des appels se font entendre qui réclament la peine capitale. » (1)

Couvrant le procès pour « Le Monde » (2), Pierre Georges décrit l’auteur du rapt et de l’assassinat :
- « Qui est donc Patrick Henry ? Rien d’autre qu’un visage impassible, froid, lisse, totalement neutre, sans réaction, un bloc de glace ou de pierre, figé dans une effrayante indifférence. A-t-il des remords ? Apparemment pas. Il est comme un masque devant l’horreur. »
Grand-père de la victime, Jean Larché s’exprime en tant que témoin :
- « Il est froid comme une vipère, froid, cynique. »
Avocat des parents de la victime, Me Johannès Ambre conclut :
- « Ce procès aurait pu être celui du chagrin et de la pitié. Il s’en est fallu de peu de chose, d’un élan du cœur, d’un élan de sincérité. M. et Mme Bertrand (…) ont souhaité savoir si celui dont ils allaient rencontrer le regard correspondait à ces descriptions. Dans ce regard, ils n’ont vu aucun remord.»

Détective (Graph. JEA/DR).

Un enlèvement et un assassinat odieux. Un coupable qui ne nie pas mais s’enferme comme une momie. Des aveux. Des preuves. L’avocat général, M. Fraisse, a une autoroute qui s’ouvre devant lui pour demander la peine de mort :
« Je n’ai jamais requis une peine que, comme juré, je n’aurai pu appliquer en mon âme et conscience. En raison des faits qui sont reprochés, je vous demande de voter la mort. Je crois à la dissuasion par la peine de mort, quand il s’agit d’un crime crapuleux. Je crois surtout au devoir impérieux pour une société de protéger ses membres en prononçant une peine irrévocable. Une société n’a pas le droit de mettre en danger la vie d’innocentes victimes. Si elle faisait autrement, elle engagerait se responsabilité si d’autres actes semblables se produisaient. Sans haine, sans passion, sans faiblesse, vous appliquerez les lois de votre pays. »

A ce stade du procès, Me Badinter (3), conseil de Patrick Henry, constate froidement :
« Il n’y a pas une chance sur mille, mais, cette chance, je la disputerai jusqu’au bout ». Une chance sur mille de sauver la tête du coupable.

Liliane Schlier suit le procès pour l'Express :
« Pour défendre cet homme déjà mille fois condamné par ses semblables, il a fallu chercher Me Robert Bocquillon, bâtonnier de Chaumont, où Patrick Henry était incarcéré. Chaque jour, il reçoit son lot de lettres d'injures. D'anonymes justiciers lui souhaitent toutes les calamités du monde pour le punir d'avoir accepté la défense de celui qu'on appelle "le monstre". "Vous êtes volontaire pour défendre un assassin, je suis volontaire pour vous abattre", signé: "Votre assassin". Menaces et insultes quotidiennes viennent de toute la France. A Paris, Me Robert Badinter, le deuxième avocat de Patrick Henry, n'est pas mieux partagé. Le téléphone lui réserve aussi son paquet d'ordures vengeresses. "De ma vie je n'avais rien vu de semblable à ce qui se passe dans cette affaire", remarque Me Badinter. » (4)

Me Boquillon :
- « Je suis bien faible, je suis avocat à Chaumont ; ce n’est pas de l’émotion, c’est de l’angoisse qui m’étreint avant de parler, parce que c’est de nous, et de nous seuls, que dépend maintenant la vie de Patrick Henry. Il y a sur ce prétoire une affreuse odeur de sang, le sang de la victime, un enfant sacrifié par un autre enfant qui n’avait même pas trouvé sa maturité. Nous avons, Robert et moi-même, une responsabilité affreuse mais aussi un devoir absolu : être la défense. Ce devoir, il est tout simple, tout bête, tout clair : il est de vous dire : ne faites pas cela. Vous êtes les derniers dépositaires de l’immense intérêt que peut représenter une vie humaine. Alors, si vous le voulez, le procès de Troyes entrera dans l’histoire.
(…)
Je suis d’ici, je suis comme vous, horrifié par ce crime. Ce procès nous concerne tous. Il nous dérange tous. Le monstre, c’est le fils d’une femme qui est ici. Il pourrait être le nôtre, le mien, le fils de tout le monde. Alors cette pitié qu’il n’a pas eue pour sa victime, je vous demande de tout cœur que vous l’ayez pour lui. »

Les "bois de la Justice" (Graph. JEA/DR).

La presse de l’époque décrit le bâtonnier Bocquillon comme un homme âgé, à la voix brisée, aux mains tremblantes. Lui succède Me Badinter, blême, la voix cassée (et s’exprimant sans notes) :
- « Il n’existe pas de grands procès. On croit que, parce qu’il y a beaucoup de monde, beaucoup de journalistes, c’est un procès différent des autres. Ce n’est pas vrai. Ici c’est lui, c’est vous et c’est un tout petit peu de moi. Quand tout sera fini ce soir, ce ne sera pas fini pour lui, pour vous ; et pour moi.
(…)
Quand M. l’avocat général demande la peine de mort, c’est à vous, après, qu’il la laissera. Vous êtes seuls ; vous seuls ici avez le droit de vie et de mort sur quelqu’un. Cela vaut bien, dans une vie de femme et d’homme (5), qu’on y réfléchisse à deux fois.
(…)
L’avocat général a dit trait pour trait ce que son prédécesseur disait il y a deux siècles à propos de la torture. Il vous demande de l’expédier avec un certificat « normal, bon à exécuter ». Ce n’est pas vrai. Il y a des siècles que l’on dit cela, qu’on le répète de génération en génération et ce n’est pas vrai (…). Et s’il est un endroit où on ne peut croire à l’exemplarité de la peine de mort, eh bien ! c’est ici ; où habitait Patrick Henry quand Buffet et Bontems (6) ont été condamnés à mort ? Vous n’exécutez pas une fonction de défense sociale, avec cette fonction sanglante ; on apaise, on fait croire que l’on défend ; on trompe. A mort, à mort, c’est politiquement payant. Et moi je vous dis : si vous le coupez en deux, cela ne dissuadera personne.
(…)
L’horreur. Si vous le tuez, votre justice est injuste. Qu’est-ce que la justice quand la douleur des parents, quand les larmes d’une Mme Henry [mère] n’apaisent pas les larmes d’une Mme Bertrand ? La justice, elle, est la proclamation des valeurs d’une société ou elle n’est rien. Qu’est-ce donc qu’une société qui traîne la guillotine comme un bien de famille ? Qu’est-ce qui a légitimé le droit de tuer ?
Vous allez voter maintenant. C’est vous et vous seuls, et chacun de vos votes est acquis pour toujours. Et puis il y aura un autre crime affreux. Et puis vous y penserez. Et puis il y aura l’abolition (7). Vous direz à vos enfants que vous avez condamné un homme à mort, même un tueur d’enfant, et vous verrez leurs regards. »

La cour de l’Aube délibère une heure trente seulement. Aux six premières questions, elle répond : oui, Patrick Bertrand est coupable. A la septième, celle des éventuelles circonstances atténuantes, réponse identique : oui.
Le condamné n’aura pas la tête tranchée.

Le poids d'une plaidoirie... (DR).

NOTES :

(1) Le Point, 21 février 1998.

(2) Les grands procès, 1944-2010, sous le direction de Pascale Robert-Diard et de Didier Roux, préface de Laurent Greilsamer, Ed. les arènes/Europe 1, 2009, 567 p., P. 227.

(3) Lire la p. 33 de ce blog : Robert Badinter, Les épines et les roses, Fayard, 2011, 280 p.

(4) L'Express, 17 janvier 1977.

(5) Le jury des assises auquel s'adresse R. Badinter, est composé de trois femmes et de six hommes.

(6) Incarcérés à Clairvaux, Claude Buffet et Roger Bontems tentent de s'en évader le 21 septembre 1971. Ils prennent en otages l'infirmière de la prison, un gardien et un détenu-infirmier. L'intervention des forces de l'ordre n'empêchera pas l'égorgement de l'infirmière et du gardien.
Le procès de Buffet et de Bontems se tient à Troyes du 26 au 29 juin 1972. Les deux inculpés sont condamnés à mort. Or, il s'était avéré devant la cour que Bontems n'avait pas tué lors de cette évasion avortée. Néanmoins, en tant que complice de Buffet, il n'échappa point à l'échafaud (le 28 novembre 1972). L'un de ses défenseurs n'était autre que Robert Badinter.

(7) Cette prédiction sera réalisée en octobre 1981, Robert Badinter assumant la charge de Garde des Sceaux du gouvernement Mauroy sous la première présidence de François Mitterrand.


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lundi 21 janvier 2013

P. 217. "Les pâtissières" de J-M Piemme


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Les pâtissières.
Auteur : Jean-Marie Piemme.
Metteur(s) en scène : Nabil El Azan assisté de Théo Zachmann.
Production Co-Réalisation : Les Déchargeurs / Compagnie La Barraca, théâtre monde.
La compagnie La Barraca est conventionnée DRAC Ile de France. Le spectacle bénéficie du soutien de l'Adami et de la copie privée. En partenariat avec le Figaroscope.
Les Déchargeurs, salle Vicky Messica du 08 janvier 2013 au 02 mars 2013 à 19h30.
Lumières : Philippe Lacombe.
Durée : 1h25.
Avec : Chantal Deruaz, Christine Guerdon, Christine Murillo.
Scénographe(s) : Sophie Jacob.
Costumier : Daniéle Rozier.


Nabil El Azan, metteur en scène

- "Comme chez Tchekhov, comme chez Beckett, le temps est à l’œuvre dans Les Pâtissières. Le temps qui passe, le temps suspendu du rêve, et tous ces temps qui changent… Si bien que le discours des personnages s’en trouve modelé, malaxé, détourné, jusqu’au brouillage parfois ! Malin en effet qui puisse affirmer à quel moment exact de leur vie de retraitées ces pâtissières en sont quand elles parlent. Mais on n’est pas chez Tchekhov, ici ; encore moins chez Beckett. Avec un cadavre dans le placard et une enquête policière en cours, faut regarder plutôt du côté de chez Capra, de chez Audiard pourquoi pas, ou encore, en poussant un peu loin la fantaisie (comme j’ai envie de le faire), de chez Tim Burton.
De trompe-l’œil en faux-semblants, de simulacres en jeux de piste, la pièce avance pourtant sur des réalités familières, douloureuses même, de la vie. Ce qui me séduit particulièrement dans cette comédie grinçante c’est que les choses ne sont tout à fait pas ce qu’on croit qu’elles sont. On est bien au théâtre, au fond, avec ces Pâtissières-là. Vu sous cet angle, l’espace de la pièce, cette terrasse d’une maison de retraite où Mina, Flo et Lili « papotent », ne serait alors qu’un immense dispositif de jeu. Jeu de rôles, de miroir en abîme, jeu de massacre. Alors jouer, avec les deux Christine et la Chantal, on ne va pas se priver."

Francis Dubois

- "La première qualité de ces " Pâtissières" c’est le texte de Jean-Marie Piemme dont la structure échappe à la chronologie des événements et le ton entre la comédie, le drame en demi-teinte, la nostalgie sans excès et l’histoire policière.
Le récit jongle avec le temps, avec les époques et avec les différents genres pour le plus grand bonheur du spectateur qui s’y perd, mais s’y retrouve toujours et subit le charme d’une interprétation de haut niveau, solide et malicieuse, parfois farceuse, toujours jubilatoire."
(SNES-edu).

Gilles Costaz


- "Le dialogue semble quotidien, pas littéraire pour un sou et cache longtemps sa nature : est-ce de la rigolade ou une cuisson haut de gamme à plusieurs saveurs ? C’est tout l’art de Jean-Marie Piemme – le plus grand auteur du théâtre belge aujourd’hui – de bricoler le langage pour qu’il ait l’air de la parole gouailleuse en allant, en réalité, beaucoup plus loin que les bons mots chers aux dialoguistes de cinéma. L’air de rien, il saisit trois destins et, sans nostalgie, toute une société qui implose à travers ses trois personnages."
(Webthea).

Armelle Heliot

- "Aux Déchargeurs, viennent de débuter les représentations d'une comédie cocasse, féroce, malicieuse.
Cette création, modeste dans ses moyens financiers, mais d'une perfection formidable, bénéficie de la qualité d'une équipe remarquable.
On ne vous racontera pas l'argument d'une manière trop précise : disons qu'il y a trois soeurs, les Pâtissières. Elles avaient hérité l'affaire et l'art de petits gâteaux de leur père. Elles ont bien tenu la maison, mais voici qu'elles doivent vendre...Elles ont l'âge d'une sage retraite. Mais...
Chut ! Il y a dans ce thriller domestique, un vrai suspens...Un suspens pour rire, car l'essentiel est donné d'entrée...mais raison de plus pour ne pas en dire trop...
Jean-Marie Piemme a un excellent sens du théâtre et sa comédie est très bien construite. Ici, le plus, c'est une mise en scène précise, ludique, intelligente, tout en finesse de Nabil El Azan. Il a ici déployé un art fluide et précis, tout en détails subtils."
(Le Figaro, 11 janvier 2013).

Sylviane Bernard-Gresh

- "Le texte de Jean-Marie Piemme, sous des dehors pas très sérieux, porte un regard caustique sur notre époque. Christine Murillo est Mina, la généreuse ; Christine Guerdon, Flo, l'emmerdeuse, et Chantal Déruaz est Lili, l'enfant gâtée. Les trois comédiennes sont délicieuses, complices, drôles, acides et très bien dirigées par Nabil El-Azan."
(Télérama).


Jean-Marie Piemme,
Les Pâtissières,
Lansman Editeur, Carnières-Morlanwez, 2013, 48 p., 10 Euros.


915e ouvrage publié chez Lansman Editeur.
199e de la collection "Théâtre à Vif".

Prix des Metteurs en scène étrangers 2011-2012 décerné par le Centre des Ecritures Dramatiques Wallonie-Bruxelles.

Synopsis

- "Confrontées à des revers financiers qui les poussent à cesser leur commerce ancestral, les pâtissières - trois soeurs âgées de 60 à 70 ans - veulent entrer droites et fières dans l'éternité..."

Extraits

- "Flo : Dieu dit "l'Europe a fait son temps, c'est une volaille, je la coince entre mes genoux, je lui plume le cul". Comment être encore la reine de la basse-cour quand on a le cul plumé ? Sur ce, la pendule a sonné onze heures et j'ai pensé : la pendule aussi, il faudra la vendre."
(P. 12).

- "Flo : Je suis moche, ce matin. Mon visage est une vieille boîte en carton, les bords en sont déchirés, quelques papiers y traînent, je ne sais pas à qui ils appartiennent, le fond est humide et pour tout dire quasi percé. J'ai encore mille choses à y déposer, mais tout s'effondrera bientôt."
(P. 24).

- "Flo : On vit dans une société sale.
Mina : Pourquoi dis-tu ça ?
Flo : Perce que seule la cruauté a de l'avenir."
(P. 26).

- "Flo : Les caresses des êtres qu'on aime sont parfois douloureuses, elles pèsent sur votre peau comme une prison."
(P. 28).

- "Lili : Celle ou celui qui se résigne s'inflige une mort avant la mort."
(P. 31).

- "Flo : Les souvenirs sont plus vivants que les décombres."
(P. 44).

- "Mina : Dans cent ans, ici quelque chose enchantera les gens. Quoi ? Nous ne savons pas. Ils capteront des vibrations anciennes (...). Leur curiosité sera infinie. Ils nous imagineront. Ils nous seront reconnaissants d'avoir été là. Ils comprendront ce que nous avons voulu être. Ils diront que nous sommes une partie d'eux-mêmes enfouie dans le temps. Et dans l'éclat des yeux qui se souviennent, nous n'aurons jamais été aussi vivantes..."
(P. 46).


Simiane-la-Rotonde (Ph. JEA/DR).

La couverture de ces "pâtissières" chez Lansman Editeur, vous aura peut-être donné une vague impression de déjà vu. Et pour cause, l'illustration fut publiée sur la page 80 de ce blog (le 13 octobre 2011), page rassemblant quelques "Enseignes" rurales de France.
Loin de participer aux festins auxquels s'invitent les requins chagrins qui plagient à tort et à travers les blogs, l'éditeur espéra que cette photo pourrait lui être offerte pour la présente édition. Aussitôt demandé, aussitôt fait.

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jeudi 17 janvier 2013

P. 216. 17 janvier 1734 : naissance de F-J Gossec


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Si la photographie avait déjà été inventée... F-J Gossec (Graph. JEA/DR).

François-Joseph Gossec.
Né à Vergnies, le 17 janvier 1734 — mort à Passy, le 16 février 1829.
Son nom de famille se prête à moultes variétés orthographiques : Gaussé, Gossé, Gossée, Gossei, Gossey ou encore Gossez.

Présenté par la Médiathèque de Belgique :

- "Musicien wallon, François-Joseph Gossec se forme dans les maîtrises de la Collégiale de Walcourt et de la Cathédrale d’Anvers avant de gagner Paris où il se fait rapidement connaître. En 1760, il compose son Grand Requiem, dont l’influence sera non négligeable sur certaines œuvres sacrées de Mozart, mais aussi de Schubert. Ce Requiem sera par ailleurs exécuté lors des funérailles de Grétry."

Et par l’Orchestre Philarmonique Royal de Liège :

- "François-Joseph Gossec, compositeur hennuyer, est le protégé de Rameau. Directeur de l’Opéra de Paris, Gossec est aussi un révolutionnaire convaincu et un amoureux des grandes masses orchestrales qui ouvre la voie à Berlioz."

François-Joseph Fétis :


- "Gossec est un exemple remarquable de ce que peuvent produire le travail et l’étude. Fils d'un laboureur, dénué des avantages de la fortune et du secours des maîtres, il s'est formé seul, et s'est acheminé vers une route pure et classique, dont il semblait devoir être écarté par tout ce qui l'environnait. Placé dans une école imbue des préjugés les plus nuisibles, il a su se préserver de ses erreurs, et a jeté les bases de la splendeur où la musique française est parvenue. L'étude des modèles classiques et je ne sais quel pressentiment de la science, qui en est le génie, lui avaient fait devancer l’époque où cette science devait s'organiser et prendre de la consistance en France ; et lorsque les circonstances vinrent seconder ses vœux et ses efforts, on le vit, bravant les atteintes de l’âge, prodiguer à une jeunesse studieuse l'instruction qu'il ne devait qu'à lui-même, et qui était le fruit d'un travail constant."
(Biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique,
Paris, Firmin Didot, t. IV, 1866, pp. 60-63).


Jeton pour "Le Concert des amateurs", créé en 1769 par Gossec. Entre deux lyres, le symbole du flambeau illustre la devise : "Le même feu les anime" (Graph. JEA/DR).

Henri Radiguer

- "En 1789, Gossec avait acquis, par ses œuvres et par son zèle artistique, assez de gloire pour immortaliser son nom et mériter l'admiration reconnaissante des musiciens. Il avait ouvert la voie à ses successeurs, en donnant les premiers modèles de symphonie, en créant des concerts, en développant l'orchestre par l'introduction des clarinettes, des cors, des trombones à l'opéra, par la recherche d'effets, comme le chœur invisible de l'oratorio la Nativité, chantant dans la coupole, qu'on retrouve dans Parsifal de Richard Wagner, comme l'orchestre de trompettes, cors, trombones, clarinettes et bassons, placé dans une tribune élevée et répondant pour le « Tuba mirum » de la Messe des Morts, à l'orchestre occupant la place habituelle, exemple dont s'inspireront Lesueur et Berlioz.
On a oublié ses symphonies depuis Haydn, ses opéras depuis le triomphe de ceux de Gluck, la Messe des Morts, depuis le Requiem de Mozart, et toutes ses initiatives depuis les heureuses imitations qui en furent faites. Mais il reste à Gossec une gloire qui n'a point été éclipsée : celle d'avoir été le plus grand musicien de la Révolution."
(La musique française de 1789 à 1815, Librairie Delagrave, Paris, 1931).

Marie-Claire Lemoigne-Mussat

- "Par sa production symphonique, son rôle dans l'élargissement de l'orchestre et la constitution d'ensembles d'instruments à vent, son goût pour les effets de spatialisation du son, Gossec a exercé une grand influence sur le développement de la musique instrumentale en France. Beethoven l'a admiré. Berlioz sera son héritier."
(Dictionnaire Napoléon, p. 811).

Stéphane Guy

- "Joseph Gossec est né sous Louis XV et mort sous Charles X, fondateur du Conservatoire de Paris avec André-Modeste Grétry, et compositeur ayant connu quatre rois, la tourmente révolutionnaire, le Directoire, le Consulat et l’Empire, favorable aux idées nouvelles et contraint à la retraite lors de la seconde Restauration. On se souvient à peine de sa Missa Pro Defunctis (1760), qui annonce pourtant le Requiem (1791) de Mozart, dont il fut un proche.
(…) Son oeuvre constitue un rare témoignage musical de l’époque révolutionnaire et d’une période charnière entre classicisme et romantisme français; au surplus, elle est remarquablement bien écrite."
(ConcertoNet, 28 février 2010).


Un Requiem composé à l'âge de... 25 ans ! (DR).

Claude Role

- "Gossec passe pour le tenant parisien de cette nouveauté qu’est l’orchestre, dont les profondes mutations en cours tendent à l’établissement définitif de celui connu à partir du XIXe siècle. Effectivement, l'un des premiers en France, il en
accroît les pupitres (surtout les vents), utilisant les ressources nouvelles
d’une palette orchestrale élargie dont la Messe des Morts sera l’aboutissement provisoire. Composée vers 1758-1760 par un Gossec à peine âgé de vingt-cinq ans, exécutée pour la première fois en mai 1760, elle constitue un indéniable chef-d’oeuvre dont Mozart, à Vienne, chez le baron Van Swieten (vers 1781), aura certainement en main la partition gravée par souscription. Dès 1760 paraît cette oeuvre originale dont les échos semblent se retrouver beaucoup plus tardivement dans les Requiem de Berlioz et de Verdi."
(Une biographie de Gossec, Philidor).

Bruno Bouckaert

- "Datée de 1760 et exécutée à maintes cérémonies funèbres de grands hommes de l'époque (notamment aux obsèques du compositeur André-Ernest-Modeste Grétry en 1813), la "Grande Messe des Morts" fut particulièrement célèbre en ces temps révolutionnaires.
L'on y ressent les derniers feux du Baroque tardif ainsi que l'influence du motet versaillais, vivifiée par une sensibilité novatrice, annonçant un romantisme dont Gossec, disparu en sa vénérable quatre-vingt quinzième année, connut d'ailleurs les prémices.
Plus encore que par sa force ou sa ferveur, cette Missa pro Defunctis se caractérise par ses élégants contrepoints, son imagination (le chromatisme harmonique de la fugue « Lux perpetua ») et sa poésie touchante.
Le « Tuba mirum » recourt à un groupe instrumental (clarinettes, trompettes, cors, bassons) jouant à distance : un effet de spatialisation dont se souviendra Berlioz dans son propre Requiem".
(Blog musique.arabe, 11 janvier 2009).

Gossec, préface de la partition gravée de la Messe des Morts, dédicace à ses mécènes :

- "Des encouragements que vous donnez aux musiciens, le plus puissant, je ne crains pas de le dire, est la noble distinction avec laquelle vous les traitez. Élever l'âme des artistes, c'est travailler à l'agrandissement des arts. Voilà ce que n'ont jamais senti ceux qui usurpent le titre de protecteurs, plus soigneux de l'acheter que de le mériter."
(1780).




I. Introduzione ; II. Introitus ; III. Te decet hymnus ; IV. Exaudi ; V. Requiem aeternam ; VI. Fuga Lux perpetua ; VII. Dies Irae ; VIII. Tuba mirum ; IX. Mors stupebit ; X. Quid sum Miser ; XI. Recordare ; XII. Inter Oves ; XIII. Confutatis ; XIV. Oro supplex ; XV. Lacrimosa ; XVI. Judicandus ; XVII. Pie Jesu ; XVIII. Vado et non revertar ; XIX. Spera in Deo ; XX. Cedant ; XXI. Sanctus ; XXII. Pie Jesu ; XXIII. Agnus Dei ; XXIV. Requiem aeternam.



mardi 15 janvier 2013

P. 215. Photos de choses et d'autres...


Ni machins, ni machines
loin des trucs et des bazars, des phénomènes et des foires
nullement (in)signes (in)dignes de richesse, de dépendance
bref, pas grand-chose

mais des choses proches de la vie
celles qui ne prennent pas de poses :
quelques photos
qui, mode de rien,
marchent sur l'eau
traversent les murs
ne se perdent pas en forêts
osent tous les exodes
parlent à l'oreille des nuages
et prennent les souvenirs par la main...

Guillevic :

- "On ne s'ennuie jamais
Tous les deux.
On a tellement de choses
A ne pas se dire,
C'est comme la mer
Et la marée."


(Ph. JEA/DR).

Françoise Proust :
- "Le passé vient trop tard (son heure est passée) et l'avenir trop tôt (il n'est pas encore temps), à moins que ce ne soit le contraire : que le passé ne vienne toujours trop tôt et le futur trop tard, mais enfin, il reste que le présent n'est jamais actuel et ne saurait venir à l'heure, soit qu'il ait un air de déjà vu, soit qu'il soit du jamais vu et donc qu'il ne soit pas reconnaissable."



(Ph. JEA/DR).

Cioran :
- "Mozart, ou la mélancolie des anges."



(Ph. JEA/DR).

Annie Ernaux :
- "Ma mémoire est dans un monde et ma vie dans un autre et ça, c'est insupportable."



(Ph. JEA/DR).

Philippe Sollers :

- "Les fleurs sont des oiseaux à l'arrêt, les oiseaux sont des fleurs qui volent."



(Ph. JEA/DR).

Mallarmé :
- "Tout au monde existe pour aboutir à un livre."



(Ph. JEA/DR).

René Char :

- "La vérité attend l'aurore à côté d'une bougie."



(Ph. JEA/DR).

Milosz :
- "En chacun de nous se débat un lapin fou pendant que hurle la meute des loups, et notre seule peur, c'est que les autres ne les entendent."



(Ph. JEA/DR).

Amos Oz :
- "Cette pierre fait une petite tache de mémoire... sent l'amour de gens bien malheureux."



(Ph. JEA/DR).

Eric Orsenna :

" Certains capitaines ont pour destin de sombrer avec leur navire... D'autres, en partant, ont la générosité de nous laisser leur bateau. Comme s'ils nous appartenait désormais de continuer leur rêve."



(Ph. JEA/DR).

Tristan Tzara :

- "Minuit sonne dans les choses."



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jeudi 10 janvier 2013

P. 214. Une chanson de Mac Orlan...


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Paroles de Pierre Marc Orlan,
musique de V. Marceau


- "Un rat est venu dans ma chambre
Il a rongé la souricière
Il a arrêté la pendule
Et renversé le pot à bière
Je l'ai pris entre mes bras blancs
Il était chaud comme un enfant
Je l'ai bercé bien tendrement
Et je lui chantais doucement :

Dors mon rat, mon flic, dors mon vieux bobby
Ne siffle pas sur les quais endormis
Quand je tiendrai la main de mon chéri

Un Chinois est sorti de l'ombre
Un Chinois a regardé Londres
Sa casquette était de marine
Ornée d'une ancre coraline
Devant la porte de Charly
A Penny Fields, j'lui ai souri,
Dans le silence de la nuit
En chuchotant je lui ai dit :

Je voudrais je voudrais je n'sais trop quoi
Je voudrais ne plus entendre ma voix
J'ai peur j'ai peur de toi j'ai peur de moi

Sur son maillot de laine bleue
On pouvait lire en lettres rondes
Le nom d'une vieille "Compagnie"
Qui, paraît-il, fait l'tour du monde
Nous sommes entrés chez Charly
A Penny Fields, loin des soucis,
Et j'ai dansé toute la nuit
Avec mon Chin'toc ébloui

Et chez Charly, il faisait jour et chaud
Tess jouait "Daisy Bell" sur son vieux piano
Un piano avec des dents de chameau

J'ai conduit l'Chinois dans ma chambre
Il a mis le rat à la porte
Il a arrêté la pendule
Et renversé le pot à bière
Je l'ai pris dans mes bras tremblants
Pour le bercer comme un enfant
ll s'est endormi sur le dos...
Alors j'lui ai pris son couteau...

C'était un couteau perfide et glacé
Un sale couteau rouge de vérité
Un sale couteau sans spécialité."






NB : Remerciements à Jean Rochefort...

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lundi 7 janvier 2013

P. 213. "Faire quelque chose", le film



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Coopérative DHR, cliquer : ici.

Synopsis

- "A la rencontre des derniers résistants français de la deuxième Guerre mondiale, l’auteur recueille la parole de ces nonagénaires saisissant par leur vivacité d’esprit et la force intacte de leurs espérances. Au début des années 1940, tous ont décidé de « faire quelque chose » contre ce qui leur paraissait inacceptable. Conçu comme un dispositif de transmission générationnelle, le film est le récit de leurs combats et des valeurs qui les ont portés. Ces échanges font évoluer le temps du film du passé vers le présent et questionnent sur ce que peut être l’engagement aujourd’hui."

Vincent Goubet

- "Ce qui m’intéressait était de rendre l’histoire vivante. Que l'on puisse l’écouter comme si c’était son grand-père ou son voisin qui nous racontait son enfance. Je pense que l’histoire appartient à tout le monde et qu’il est important de savoir se l’approprier même si l'on n’est pas un expert."

Sorje Chalandon

- « Pourquoi êtes-vous entré dans la Résistance française ? »
Trente-trois clandestins répondent (…).
Français, immigrés, ils nous racontent l’humiliation de la défaite, la craie – première arme de résistance – pour tracer la victoire sur les murs occupés. Ils avouent avoir tué sans regret. Ils ont été torturés, emprisonnés, déportés. Ils en parlent aujourd’hui avec douceur et simplicité, « Il fallait le faire quoi », sourit Josette Dumeix la communiste. S’indigner, c’était combattre."
(Le Canard enchaîné, 2 janvier 2013).


Septembre 1941, deux résistants des premières heures (Doc. JEA/DR).


Coopérative Direction Humaine des Ressources

- "Le plus frappant dans Faire quelque chose, c’est l’esprit de ces témoins – de 87 à 98 ans – déconcertants d’énergie, de malice et d’espoir. Ils avaient autour de 20 ans en 1940, ils nous racontent ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont cru, ce à quoi ils croient encore, plus d’un demi-siècle après cette période à la fois obscure et mythique de notre histoire. Ils nous parlent d’une histoire « à taille humaine ». Une des particularités de ce film est de nous donner à sentir comment la Résistance fut aussi, beaucoup, faite de petits gestes, de coups de sang, d’intuitions, d’émotions.
Des actes de courage insensés, sans aucun doute, mais aussi tout un cortège d’erreurs, de tâtonnements, de déceptions, d’initiatives qui réussissent ou qui échouent à « peu de chose près »."
(Editorial).

Sandrine Marques

- "Qu'est-ce qui a poussé des hommes et des femmes à entrer dans la Résistance en 1940, au moment où la France s'engageait dans la voie délétère et nauséabonde de la Collaboration ? C'est à cette interrogation que répond le pertinent documentaire de Vincent Goubet, réalisateur engagé d'une trentaine d'années, pour qui la présence du Front National au second tour des présidentielles en 2002 a motivé la réalisation de ce film.
Grâce au soutien de Yves Blondeau, conseiller historique sur le film et à l'association pour des études sur la résistance intérieure (AERI) de Serge Ravanel, Raymond et Lucie Aubrac, le jeune documentariste a rencontré plus de trente témoins, anciens résistants. Face caméra, ils racontent d'une même voix leur indignation face à la France de Pétain qui les a conduits à vouloir infléchir le cours funeste des événements. Ils confient leur soif inextinguible de liberté, les camarades tombés aux mains de la milice, les tortures, la débâcle et le dénuement, avant la mobilisation de toutes les forces en présence."
(Le Monde, 1er janvier 2013).


Face notamment à la Résistance en France, 175 sièges de la Gestapo (Doc. JEA/DR).


Francis Dubois

- "Il n’y avait pas, comme le relatent les livres d’Histoire, que des héros et des traîtres. Et si la Résistance a bénéficié d’une belle énergie fédératrice, elle fut aussi traversée par des conflits entre les différentes tendances, communistes, socialistes, gaullistes.
On comprend mieux en écoutant les témoins qui interviennent dans le film et dont les révélations s’imbriquent à la façon d’un puzzle, les raisons qui les ont amenés à s’impliquer : une force d’indignation, de défense et de refus, une aspiration à entrer instinctivement en opposition avec l’occupant pour gagner du terrain jusqu’à aboutir à l’édification audacieuse d’un programme national de résistance."
(Le SNES, 1er janvier 2013).

Nicolas Didier

- "Beaucoup se sont sentis « trahis » par de Gaulle, quand, en 1944, il s'est progressivement éloigné du CNR (Conseil national de la Résistance). Des années plus tard, il y a ceux qui ont décidé de témoigner— comme Raymond Aubrac, toujours plein d'humour, lors de ses interventions dans les écoles et les facs. Ceux dont l'engagement s'est mué en bénévolat associatif — comme Jean-Marie Delabre, qui fait régulièrement la lecture à des gamins de banlieue. Le plus émouvant, ce sont les plongées fugaces et poétiques dans le quotidien de ces hommes, anciens membres de « l'armée des ombres », redevenus, pour certains, anonymes à la Libération."
(Télérama, 2 janvier 2013).


Cheminots résistants de la gare d'Amagne-Lucquy (Ardennes de France). L'un d'entre eux permit l'évasion de dix juifs du Judenlager des Mazures transportés par wagons à bestiaux de Charleville vers Drancy, le 5 janvier 1944.
Debouts, de g. à dr. : Gaston VENET, FFI, employé de chemin de fer du dépôt, maire après guerre,
Yves CHAUDRON, moniteur d'éducation physique au centre SNCF,
Emile LEDUC, employé de chemin de fer au dépôt d'Amagne-Lucquy,
Robert AUBRY, gendarme,

A l'avant plan : Charles Imard, réfractaire au STO, futur engagé dans l'armée de l'Air,
Jean GUILLON, gendarme à Lucquy.
Cette photo fut prise à la libération. Auparavant, soit le 24 juin 1944, quatre résistants de ce groupe avaient été fusillés : René Arnould, Georges Boillot, Lucien Maisonneuve et Robert Stadler.
(Arch. JEA/Droits réservés).





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jeudi 3 janvier 2013

P. 212. Messages de Nouvel An dans... la presse clandestine belge


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C'était au temps où l'on risquait sa vie pour rédiger, imprimer, distribuer, lire un journal clandestin... Pour découvrir et se nourrir d'autres mots que la bouillie de la propagande nazie et les échos collabos des serviteurs de l'occupant.
Voici quelques souhaits marquant comme des pierres blanches le Nouvel An au fur et à mesure d'une occupation si longue.
Ces articles ne sont pas écrits par des figures charismatiques de la Résistance, ils n'ont pas été signés par des plumes justement célèbres. Ils témoignent simplement, parmi des centaines de publications clandestines, d'un refus absolu et partagé de perdre sa dignité, de trahir l'humanisme même aux heures les plus noires de l'histoire.



1er janvier 1941 : L'ECHASSEUR


2e année, N°1, Rédaction et Administration : 34, rue de l'Ange, NAMUR, Editeur responsable : M. V. ROQUES (Doc. JEA/DR).

- "SOUHAITS.

La rédaction de "L'ECHASSEUR" (1) vous prie, chers lecteurs, de trouver dans ces lignes l'expression de ses voeux les plus ardents pour vous, pour vos familles, pour vos prisonniers, et aussi pour la Patrie, pour tous ses enfants et pour tous ceux qui travaillent à son embellissement, à sa prospérité dans la confiance de ses destinées immortelles.
Inutile de vous dire que nous vous souhaitons aussi un bon ravitaillement, un poids constant, un moral élevé et un pouls calme, même quand vous avez envie de vous fâcher.
ELEVONS-NOUS !
Pour nous élever, nous devons beaucoup lire."


1er janvier 1942 : Bric à Brac


Bric à Brac (2), Modeste bulletin de propagande patriotique, de combat et de soutien moral (Doc JEA/DR).

- "NOS BIEN CHERS LECTEURS !"

Nous ne pouvons vous crier que ces seuls mots : COURAGE, PERSEVERANCE, ESPOIR et CONFIANCE, confiance surtout.
Nous vous souhaitons la force de suivre l'enseignement de nos aînés de 1914 / 18, qui durant quatre années affrontèrent stoïquement tous les revers, soutenus par une confiance inébranlable.
(...) Vous le voyez, nos voeux sont les vôtres. Nous n'avons qu'un regret : celui de ne pouvoir serrer la main à chacun en échangeant les paroles optimistes qui nous brûlent les lèvres.
Patientons encore un peu. Déjà l'aurore se dessine au lointain pour se lever sur des temps meilleurs, des jours d'ivresse et de bonheur.
(...) Aux efforts de l'ennemi commun de dehors et de certains éléments subversifs de l'intérieur, nous opposerons, plus encore que par le passé, nos efforts tendant vers l'UNION DE TOUS LES BELGES DIGNES DE CE NOM."


LA LIBRE BELGIQUE



(Doc. JEA/DR).

Cette Libre Belgique (3), pour les voeux de 1942, offre cette caricature d'un "Pilier et Pilleur de "l'Ordre Nouveau".


(Doc. JEA/DR).


LE MONDE DU TRAVAIL


Numéro spécial de Noël et de Nouvel An, Le Numéro : 1 Franc, COURAGE - CONFIANCE (Doc. JEA/DR).

LE MONDE DU TRAVAIL SOUHAITE :

° Au Peuple Belge, à tous les Peuples ployés sous le joug de l'esclavage fasciste, aux Peuples Alliés, luttant pour la Liberté du Monde, de terrasser ceux qui ont jeté l'Humanité dans la misère, la douleur et le deuil.
° Aux brigands nazis et fascistes de connaître bientôt la défaite; de voir leur incommensurable orgueil sombrer dans la honte et le mépris universel; de les voir au plus tôt quitter cette terre qu'ils ont souillée de leurs tortures, de leur vandalisme et de leurs crimes.
° A tous les Peuples Libres et Souverains d'organiser enfin le Monde, afin que leurs enfants ne connaissent plus et ne souffrent plus de cette monstrueuse hérésie qu'est la GUERRE.
° Aux Travailleurs de tous les Pays, de s'unir pour faire régner LA LIBERTÉ, L’ÉGALITÉ, LA FRATERNITÉ.

Bas de première page, en colonne de gauche, LE MONDE DU TRAVAIL (4) publia une photo de Georges TRUFFAUT.

Georges Truffaut (Doc JEA/DR, cette photo n'est pas celle publiée par le journal clandestin liégeois).
Avec cette légende :
- "Député Socialiste, Echevin des Travaux de Liège, depuis le 10 mai lutte aux côtés des Alliés pour notre libération" (5).


Janvier 1943 : Le Coup de Queue



Journal non "Vendu", N°33, 10 janvier 1943, Editeur Responsable : "L'Hosquétia", Administration : Kommandantur St-Ghislain (Doc. JEA/DR).

- "NOUVELLE ANNEE
Le Comité de Rédaction du "Coup de Queue" (6) présente à ses chers lecteurs, ses meilleurs voeux pour l'Année 1943. Jamais Année nouvelle ne s'est ouverte sous de meilleurs auspices. Partout, les forces d'agression sont en recul ou sur la défensive; partout les phalanges de la trahison commencent à suer la peur !
A tous les bons patriotes, à tous ceux qui dans les moments les plus durs n'ont jamais douté ni perdu l'espoir, nous disons :
Voici l'année décisive ! Courage, la récompense est proche ! Hardi ! On les aura ! et bientôt !"


POURQUOI PAS NOUS ?



1 Franc, Numéro 21, JANVIER 1943, JOURNAL ADHERANT AU "FRONT DE L'INDEPENDANCE" (7), A tos nos braves prîsonîrs èt deportés (Doc. JEA/DR).

- "LU NOYE 1942

Nos passerîs pous voltî lu Noyé sins bouquète
Su n'ravîs tos nos fis que les boches ont rèclôs
Avous zels nos tchanterîs come dès p'titès pâquètes :
Gloria, Gloria in excelsis Deo !

Mais leû plèce dumans vude duvins tant dès coulêyes
Et d'vant l'Efant-Jésus dès pauves pitits priyèt
Po l'papa prîsononîr qui, lu même, pâtriês
Pace qu'i n'a pus qu'çoula, lî sonle-t-i, qu'è l'sâverè...

Les coûrs tirèt si fwèrt après les cis qu'on z-aime
Quu les djôyes de l'Noyé sont toûrnêyes a dusplis
Et portant cisse fiesse-là c'est-one grande fiesse qwand même
Quu nouk, même les Allemands, n'sârit maye dumoli." (8)


Janvier 1944 : La Libre Belgique (Liège)



ses meilleurs voeux d'année heureuse, de libération prochaine (Doc. JEA/DR).
Evidemment notre bonheur eût été bien plus grand encore si la marche accélérée des événements avait permis de rompre avec cette tradition, vieille de quatre ans déjà. Notre coeur se serre à la pensée que la coupe d'amertume n'est pas encore vidée, que l'horreur et la souffrance n'ont pas encore atteint leur paroxysme, et que le salut exige de beaucoup d'entre nous une endurance et des sacrifices qu'ont aurait cru hors de proportion avec toutes les possibilités physiques et morales.
Mais si le sang coule encore, si Noël 1943 n'a pas encore apporté sur notre terre la paix promise aux hommes de bonne volonté, notre amertume et notre déception ne doivent pas nous rendre injustes, nous faire sous estimer les résultats indéniablement acquis. Après janvier 1941, prostré dans la douleur et dans l'humiliation; après janvier 1942, gros événements en gestation dans toutes les parties du monde; après janvier 1943, illuminé d'espoir après le débarquement allié en Afrique du Nord, voici venir janvier 1944, chargé de larmes et de deuils, mais porteur aussi de présages favorables. Accueillons-le comme une promesse, comme la première lueur indécise d'une interminable nuit de tempête." (9)


L'alouette



NUMERO 12, ORGANE INDEPENDANT (10), Le 1er janvier 1944 (Doc. JEA/DR).

- "SOUHAITS

1944 : Année du Débarquement. Année de la Victoire des Alliés : Victoire qui sera la nôtre et qui mettra un terme à l'affreux cauchemar que nous visons. Année de la Paix.
Nous savons bien que le débarquement des Anglo-Saxons sera dur pour eux et pour nous.
(...)
Puis viendra la Victoire qui nous apportera la Paix.
"Une Paix qui sera conforme au voeu de l'écrasante majorité des peuples du monde et qui bannira le fléau et la terreur de la guerre pour de nombreuses générations." (Téhéran 1/12/1943).
Une paix qui nous fera oublier nos maux et nos sacrifices passés.
Et dans un monde nouveau, la Belgique, par le courage et le labeur de ses enfants se taillera une place honorable dans la grande famille des peuples."


L'alouette N°16, Caricature de couverture : "Plus dur à croquer que je ne le croyais" (Doc. JEA/DR).


NOTES

(1) Bi-mensuel de Victor Valair, royaliste. 92 numéros, 32.000 exemplaires du 15 octobre 1940 au 15 août 1944. Victime d'un bombardement allié le 18 août 1944, son rédacteur ne connut hélas pas la libération de Namur.

(2) "Belges nous sommes, Belges nous resterons" - "Magasin ouvert pour la durée de la guerre" - "Belge 100%". Publication à Dolhain.

(3) Le titre de "Libre Belgique" a été repris par plusieurs journaux clandestins en souvenir de celui qui, de 1914 à 1918, concrétisa la résistance à une première occupation allemande. La "Libre" reproduite ici et dite "Peter Pan" s'inspirait directement de l'en-tête célèbre de la série sortie lors de la première guerre.
Premier numéro cyclostylé : 15 août 1940. Le N°9 d'avril 1941 marqua le passage à l'imprimerie. 84 numéros au total dont certains auraient dépassé les soixante mille.
Ce succès déchaîna les nazis qui mirent notamment à mort : Marie-Louise Henin (décapitée à Berlin-Plotensee), Mathieu De Jonge, François de Kinder, le Major Lecornez, Michel Devienne, Georges De Gueldre, Jean Dhenin, Victor Deleux...

(4) Le premier journal clandestin publié en Belgique avec "Chut !" (Bruxelles). Date de publication : le 15 juin 1940 (à Liège).
Au départ, un stencil mensuel puis hebdomadaire. A partir du n°12, soit en janvier 1941, ce journal socialiste est imprimé et atteindra le chiffre incroyable de plus d'un million et demi d'exemplaires.

(5) Georges Truffaut (1901-1942). Homme politique (député socialiste de Liège) mais aussi journaliste (La Wallonie). Rejoint Londres pour y continuer la résistance face aux nazis. Mort lors de manoeuvres militaires à Hereford, le 3 avril 1942.

(6) Le titre évoque le légendaire combat, à Mons, entre Saint-Georges et le Dragon se défendant à coups de queue. De septembre 1940 à l'automne 1944, 49 numéros grâce à Emile Housiau, à Emile Minette, aux abbés Remi Devoghel et Robert Marot, à la famille Jules Lardinois et à Pierre Couneson.

(7) Implanté à Verviers, ce clandestin organisa en outre l'aide aux illégaux et aux réfractaires. Soit l'impression de près de 400 fausses cartes d'identité et le sauvetage de près de 200 évadés.
Trois membres de ce journal furent fusillés : Dumortier, J. Lacrosse et Jean Mollers tandis que six de leurs camarades devaient mourir en déportation.

(8) Nul en Wallon de Verviers, trop respectueux des auteurs anonymes (et des lecteurs), je n'ose que ce début d'interprétation :
- "A tous nos braves prisonniers et déportés.
La Noël 1942.
Nous passerions volontiers la Noël sans bouquètes (petites crèpes de sarazin)
Si nous revoyons tous nos fils que les boches ont enfermés
Avec eux nous chanterions comme (le nom d'un jeu de cartes ? celui de petites fleurs ?)
Gloria..."

(9) Cette "Libre" qui n'est pas la plus célèbre, celle de "Peter Pan", était animée à Liège par Frans Hentjens. A l'origine : deux ou trois exemplaires copiés à la main de La Libre Belgique ressuscitée (à Bruxelles). Puis, dès janvier 1941, des copies originales et dactylographiées. En tout, 85 numéros distribués aussi en France. Quatorze résistants payèrent de leur vie cette "Libre".

(10) Feuille bimensuelle polycopiée. 28 numéros dont le premier remonte à août 1943. Noms à retenir : Hélène Huppez, Joseph Depaepe, Jean Rapaille et Pierre Ruelle. L'alouette était non seulement lue en pays de Mons mais même sur les ondes de la B.B.C.

Trois titres de la presse clandestine néerlandophone. Cette presse n'a nullement été exclue de cette revue mais aurait imposé d'inévitables problèmes de traduction (Doc. JEA/DR).


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