MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 15 juillet 2013

P. 248. La Marseillaise de la Paix, les jeunes de l'orphelinat de Cempuis et Paul Robin, libertaire


.
Les dernières notes des derniers bals du 14 juillet s'éteignent dans une nuit que ne transfigurent plus les feux d'artifice.
Drapeaux tricolores, discours plus ou moins généreux et généraux. Marseillaises pétillantes ou sorties parfois de la naphtaline. Anciens dont certains ne savent plus très bien de quoi ils devraient se souvenir. Gosses qui apprennent par coeur des mots comme "égalité", "liberté" et "fraternité" en se demandant si ces mots-là ne finissent pas épinglés comme des papillons...
Il est à craindre que cette année, une Marseillaise soit restée oubliée : celle de la Paix.
Les paroles remontent à 1892. Leurs auteurs : les jeunes de l’orphelinat de Cempuis alors dirigé par Paul Robin.


- "De l'universelle patrie
Puisse venir le jour rêvé
De la paix, de la paix chérie
Le rameau sauveur est levé (bis)
On entendra vers les frontières
Les peuples se tendant les bras
Crier : il n'est plus de soldats !
Soyons unis, nous sommes frères.

Refrain :
Plus d'armes, citoyens !
Rompez vos bataillons !
Chantez, chantons,
Et que la paix
Féconde nos sillons !

Quoi ! d'éternelles représailles
Tiendraient en suspens notre sort !
Quoi, toujours d'horribles batailles
Le pillage, le feu, et la mort (bis)
C'est trop de siècles de souffrances
De haine et de sang répandu !
Humains, quand nous l'aurons voulu
Sonnera notre délivrance !

Refrain

Plus de fusils, plus de cartouches,
Engins maudits et destructeurs !
Plus de cris, plus de chants farouches
Outrageants et provocateurs (bis)
Pour les penseurs, quelle victoire !
De montrer à l'humanité,
De la guerre l'atrocité
Sous l'éclat d'une fausse gloire.

Refrain

Debout, pacifiques cohortes !
Hommes des champs et des cités !
Avec transport ouvrez vos portes
Aux trésors, fruits des libertés (bis)
Que le fer déchire la terre
Et pour ce combat tout d'amour,
En nobles outils de labour
Reforgeons les armes de guerre.

Refrain

En traits de feu par vous lancée
Artistes, poètes, savants
répandez partout la pensée,
L'avenir vous voit triomphants (bis)
Allez, brisez le vieux servage,
Inspirez-nous l'effort vainqueur
Pour la conquête du bonheur
Ce sont les lauriers de notre âge."

Paul Robin dans les archives judiciaires (Graph. JEA/DR).

Paul Robin

- "Laissez l'enfant faire lui-même ses découvertes, attendez ses questions, répondez-y sobrement, avec réserve, pour que son esprit continue ses propres efforts, gardez-vous par-dessus tout de lui imposer des idées toutes faites, banales, transmises par la routine irréfléchie et abrutissante."

IISH

- "Paul Robin (1837-1912) fut le véritable initiateur du néo-malthusianisme en France. Elève de l'Ecole normale supèrieure, il renonça vite à l'enseignement traditionnel pour connaître, de 1865 à 1879, une vie de militant révolutionnaire et d'exilé politique. En Belgique, d'abord, où il adhère à l'Internationale avant d'être expulsé. En Suisse, où il milite aux côtés de Bakounine. Réfugié à Londres, il entre au Conseil général de l'Internationale - dont il sera vite exclu avec Bakounine - et découvre le néo-malthusianisme.
De retour en France, il est chargé de la direction du premier internat mixte (l'orphelinat de Cempuis). La hardiesse de ses innovations pédagogiques, inspirées de l'idéal libertaire d'"éducation intégrale", lui vaut d'être radié de son poste en 1894".
(International Institute of Social History).

J. Husson

- "En 1880, Paul Robin fut appelé à diriger l'Orphelinat du Département de la Seine. Le milieu dans lequel il allait appliquer ses conceptions pédagogiques était particulièrement difficile, la liberté très limitée par la surveillance du Préfet et du Conseil Général de la Seine. Néanmoins, il trouvait là une sphère d'action qui convenait bien mieux à ses talents de pédagogue né qu'une circonscription d'inspection primaire. Durant les années où il fut le directeur de l'Orphelinat Prévost, Robin allait déployer ses dons extraordinaires d'éducateur et Cempuis peut être considéré comme la première Ecole nouvelle française, précédant de loin toutes les réalisations étrangères. Cempuis eut un véritable rayonnement. Au mois de juin 1890, après une visite de l'Inspecteur d'Académie de l'Oise, une série de conférences pédagogiques fut demandée à Robin qui, de juin à août, exposa dans une douzaine de cantons quelques-unes des méthodes en usage à l'Orphelinat. La même année, et durant les trois années suivantes, des sessions pédagogiques rassemblèrent des pédagogues venus notamment de Belgique et de Hollande. Ce furent de véritables congrès d'éducation nouvelle, illustrés par des expositions et des fêtes enfantines. Le Directeur de l'Ecole Normale d'Instituteurs de Bruxelles M. Sluys, publia dans « La Revue pédagogique belge » la première étude complète sur Cempuis (1890) et invita l'Orphelinat à un voyage en Belgique.
Pour un novateur, l'Orphelinat Prévost offrait une situation privilégiée : l'indépendance vis à vis de la pédagogie officielle, une possibilité d'expériences refusée aux écoles publiques déjà prises dans le moule de l'organisation scolaire, le plein air d'un établissement situé à la campagne, dans un milieu sain et tonifiant, riche en stimulants éducatifs de toutes sortes : l'école-foyer rassemblant des garçons et des fillettes de l'assistance publique, groupés autour d'un éducateur qui, par la coéducation, allait constituer « une famille sociétaire modelée sur la famille naturelle » (G. Giroud). Cette coéducation était une nouveauté extraordinaire en France".
(ICEM, Institut coopératif de l’école moderne – Pédagogie Freinet, Brochure d’éducation nouvelle populaire n°44, mars 1949).

Orphelins-auteurs de la Marseillaise de la Paix (Doc. JEA/DR).

Christiane Demeulenaere-Douyère

- "En 1880, le Conseil général de la Seine donne à Robin la possibilité de mettre concrètement en œuvre ses idées sur l’éducation intégrale en lui confiant, à l’initiative de Ferdinand Buisson qui toujours encouragera l’expérience et la protègera, la responsabilité de l’Orphelinat Prévost. Un de ses premiers actes de directeur est de rétablir la liberté de circulation dans l’établissement et d’instaurer de nouvelles règles de vie en commun entre garçons et filles.
Un des caractères les plus originaux de l’éducation donnée à l’Orphelinat Prévost est la mixité ou mieux la « coéducation des sexes ». Mais, paradoxalement, s’il a été un théoricien plutôt prolixe qui a laissé de nombreux textes sur l’éducation intégrale et ses avantages, Robin a peu développé le sujet de la coéducation en général. C’est certainement l’aspect le moins théorisé de sa doctrine éducative – comme si la coéducation s’imposait d’évidence – et certainement aussi celui dont l’application, dans la pratique quotidienne à Cempuis, a été la plus aboutie. S’il prend néanmoins la plume à plusieurs reprises pour en souligner les caractères positifs à l’Orphelinat Prévost, c’est plus particulièrement pour tenter de se défendre contre les attaques de la presse, et il est clair que pour Robin, la coéducation des sexes c’est d’abord et avant tout sur le terrain qu’elle se démontre et s’évalue."
Un précurseur de la mixité : Paul Robin et la coéducation des sexes », CLIO. Histoire, femmes et sociétés, mis en ligne le 10 novembre 2006, URL : http://clio.revues.org/615 ; DOI : 10.4000/clio.615).

Florence Regourd

- "Quelles leçons ( sic) tirer de l’expérience éducative de Paul Robin à Cempuis ?
La plupart des innovations pédagogiques de Paul Robin sont « banalisées » aujourd’hui, mixité, socle de connaissances pour tous, éducation du corps comme de l’esprit … mais nous ne sommes pas dans la même période et plus dans la perspective d’une émancipation des travailleurs par l’instruction comme réponse aux inégalités économiques et sociales. Certaines pratiques comme l’enseignement mutuel peuvent même, en ces temps de RGPP, se trouver dévoyées du sens qu’il leur donnait tout comme certaines expériences actuelles qualifiées improprement de libertaires ne sont que des masques cachant le travail de déconstruction, de désintégration, de destruction de l’école républicaine et de la laïcité auquel on assiste au même titre que le recul social qui nous place, par certains côtés, au moins un siècle et demi en arrière, soit avant Paul Robin."
(Paul Robin - Pédagogue, franc-maçon, libre penseur, militant révolutionnaire libertaire et néo-malthusien, Picardia l’Encyclopédie picarde, 6 mars 2012).

Paul

- "Ce qui est certain, c’est que Cempuis a été l’une des premières (sinon la première) expérience concrète d’éducation libertaire et qu’à ce titre elle servira de modèle à beaucoup d’autres. Sébastien Faure, lorsqu’il crée « la Ruche », ou Francisco Ferrer lorsqu’il ouvre son « escuela moderna » ne manqueront pas d’y faire référence. Même s’il ne le cite pas explicitement (à vérifier d’ailleurs !), un pédagogue comme Célestin Freinet a probablement appuyé sa réflexion et construit sa pratique pédagogique spécifique en s’appuyant sur les expériences de ses prédécesseurs. Il est donc légitime de rendre à Paul Robin la place de précurseur qui est la sienne, même s’il n’a laissé aucune trace écrite majeure de ses réalisations. Robin n’était pas un intellectuel de salon, c’était avant tout un homme d’action ! Je lui laisse cependant le mot de la fin en ce qui concerne le bilan de son œuvre principale : « Le premier en France, j’ai pendant quatorze ans donné à des enfants une éducation qui les a tous rendus d’une bonne vigueur physique, leur a procuré une instruction, sinon étendue au moins uniquement basée sur des vérités objectives indiscutables, leur a donné l’esprit d’observation, d’expérience, et enfin, malgré leur ignorance et leur dédain de toute conception extra-humaine, les a faits ou laissés des êtres moraux et bons. Dans l’orphelinat Prévost, cet établissement sans Dieu, les garçons et les filles de 4 à 16 et 17 ans furent élevés en commun, en grande famille, dans la plus grande liberté possible, chacun réunissant en lui les qualités des deux classes aujourd’hui ennemies, la culture du cerveau et le métier, présentant ainsi un premier type de ce que doit à court terme devenir tout être humain. »
(La feuille Charbinoise, 3 avril 2009).

18 commentaires:

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    1. cet orphelinat pourrait inspirer un spectacle pour Avignon, un "off" que votre blog prolongerait avec votre talent...

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  2. Je ne la connaissais pas... et suis très heureuse d'avoir fait sa connaissance:-)
    celle-ci devrait être chantée dans les écoles... et partout ailleurs! Quel dommage que la Marseillaise, comme d'autres chants "patriotiques", soit un hymne agressif et revanchard, même en tenant compte du contexte historique dans lequel elle a été composée.
    Je suis très heureuse que ta semaine de "vacances" ait été possible :-))
    Miche

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    1. merci, Miche
      mon sang (certes) impur n'a pas abreuvé les sillons de Régnié mais quelle semaine dans le triangle Juliénas - Quincié - Brouilly...

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  3. Et si la Pacifique remplaçait désormais la Guerrière ? Peut-être suis-je quelque peu naïve !
    J'ai écouté, hier, cette merveilleuse chanson de Brel " Quand on a que l'amour " ...

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    1. Pour descendre en flammes Paul Robin, mettre fin aux expériences pédagogiques de l'orphelinat et remettre la Marseillaise au centre du village de la droite pure et dure, celle-ci entama une campagne de presse. Quelques exemples du vitriol dans lequel ces journaux haineux plongeaient leur plume ?
      - Paul Robin est "un pornographe"
      "un rat démagogique"
      "un professeur d’immoralité... aux idées subversives du point de vue social"
      - L'orphelinat est "un lupanar officiel"
      "le conservatoire des sans-patrie"
      "une porcherie municipale..."
      A qui s'exclamerait que voilà des propos outranciers ne relevant que d'un lointain passé, on rappellera l'actualité récente et certaines tempêtes peu glorieuses menées par des opposants au mariage pour tous...
      D'autres castagnes ne manqueraient pas de marquer l'ouverture de la fosse commune où fut enterrée sans cérémonie la Marseillaise de la Paix !

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  4. J'ignorais l'existence de cette Marseillaise pacifique - et, je l'avoue, de Paul Robin - quel soulèvement contre ses idées et contre l'homme !

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    1. En Belgique, Paul Robin ne fut pas accueilli à bras ouverts. En 1866 ou 67 (selon les sources), il intégra la section belge de la Première internationale. Pour y défendre plus particulièrement ses propositions progressistes sur l'enseignement, la condition de la femme... Cette "agitation" n'échappe pas aux bons soins des services de police belges. Et quand Paul Robin a le malheur de vouloir manifester sa solidarité avec des grévistes du Borinage, l'occasion est toute trouvée pour l'expulser du Royaume. Il n'aura vécu chez nous que trois années grand maximum...

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  5. Il y a aussi l'anti marseillaise de Graeme Allwright distribuée en concert.
    http://mga.asso.fr/#/

    quant aux précurseurs d'un enseignementprogressiste qui réfléchit, la preuve ici qu'on ne les connaît pas forcément.
    merci pour ce billet pertinent.

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    1. merci à vous de rappeler que Graeme Allwright avait pris le relais :

      - "Pour tous les enfants de la terre
      Chantons amour et liberté.
      Contre toutes les haines et les guerres
      L'étendard d'espoir est levé
      L'étendard de justice et de paix

      Rassemblons nos forces, notre courage
      Pour vaincre la misère et la peur
      Que règnent au fond de nos coeurs
      L'amitié la joie et le partage

      {Refrain:}
      La flamme qui nous éclaire
      Traverse les frontières
      Partons, partons, amis, solidaires
      Marchons vers la lumière..."

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  6. Ce serait vraiment révolutionnaire de remplacer notre Marseillaise guerrière par ce chant de paix. Merci pour cette découverte. Et sans surprise, les avanies à l'encontre de ce pédagogue dont j'ignorais tout et qui a été tenu dans l'oubli.

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    1. Claude Duneton :
      - "Dans les couches molles de l'oubli, au milieu de ces morts qui n'existent plus...Rallumer la flamme, la vie...Frotter entre elles les pierres du silence..."

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  7. Merci de nous proposer ces paroles en ces temps troublés; il serait enfin temps d'adapter la Marseillaise à une vision plus humaniste du monde!

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    1. ... une Marseillaise dans la bouche de celles et ceux qui, non Français, loin de France, veulent l'entonner pour chanter aussi la liberté, l'égalité, la fraternité

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  8. un texte comme celui là donne envie de clamer la Marseillaise, quelle belle découverte

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  9. Ce chant de Paix me fait retrouver, aisément, joyeusement, le chemin qui mène à vous.
    L'hymne national espagnol n'a pas de paroles, les natifs l'appellent le "chounda, chounda", onomatopée sans doute. Parfois je me dis qu'il vaut peut-être mieux quand j'entends le ruissèlement du sang impur...
    J'aime beaucoup cette version pacifiste....douce journée JEA.

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    1. si longtemps avons-nous été traités de "moutons bêlants" pour cause de "pacifisme"... mais faute de n'avoir pas toujours été entendus, du moins n'avons-nous pas été tondus...

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