MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 12 novembre 2012

P. 197. Augustin Trébuchon, dernier poilu mort au front le 11 novembre 1918 ???


.

Augustin Trébuchon,
La croix de sa tombe au cimetière militaire de Vrigne-Meuse : "Mort pour la France le 10 11 1918",
Ministère de la Défense, Secrétariat Général pour l'Administration, Mémoire des hommes, fiche individuelle : "Mort pour la France le 10 novembre 1918" puis cette surcharge à l'ordinateur : "Vrignes sur Meuse (Ardennes) à 10H00".
(Mont. JEA/DR).

A la relecture des trois pages rédigées pour Mo(t)saïques, ancêtre de ce blog, en 2008 :
- P.42. Il faut sauver toute la mémoire du soldat Trébuchon - 1 (31 octobre 2008);
- P. 43. Idem - 2 (4 novembre 2008);
- P. 47. Les lendemains du 11 novembre à Vrigne-Meuse (15 novembre 2008);
se posait la question de leur actualisation en 2012.
Mais depuis 2008, se prolonge un statu quo sur le front des recherches à propos du dernier poilu tombé à l'ennemi, le 11 novembre 1918 : Augustin Trébuchon. RAS sinon quatre plagiats (1) d'illustrations de ces PP. 42, 43 et 47 de Mo(t)saïques malgré la mention de l'auteur et des droits réservés.

Donc les historien(ne)s sont toujours unanimes pour retenir le nom d'Augustin Trébuchon comme dernier poilu tué à l'ennemi juste avant que l'armistice ne mette fin à la Première guerre mondiale.
Très exactement à Vrigne-Meuse, sur le flanc droit du fleuve, le 11 novembre 1918 (dans le dernier quart d'heure des hostilités).
Mais face à cette unanimité, l'Armée, inflexible, persiste et signe dans sa volonté de ne retenir que la date du 10 novembre 1918 à 10h pour ce décès
. Seule concession : l'Armée a abandonné sa première affirmation selon laquelle Augustin Trébuchon serait mort à Dom-le-Mesnil (rive gauche de la Meuse) pour reconnaître que le décès se situait bien à Vrigne-Meuse (rive droite).

Trois pages n'étaient pas pléthoriques pour tenter de cerner cette dérive : les Autorités militaires ne se contentent pas de faire l'Histoire, elles entendent aussi l'écrire. Quitte à recourir à la fabrication et à l'usage de faux ! Pour couvrir, en l'espèce, de derniers ordres ayant entraîné les derniers morts de 14-18...

En complément des pages 42, 43 et 47 de Mo(t)saïques, voici trois sources fiables qui résument le contexte de ce qui reste hélas "l'affaire Augustin Trébuchon".

Général Alain Fauveau :


- "Les combats ont effectivement continué jusqu’au dernier moment. Le soldat de 1re classe Augustin Trébuchon, estafette de la 9e compagnie [415e RI], titulaire de la Croix de guerre, tué à 10 heures 50 d’une balle dans la tête alors qu’il était porteur d’un dernier message pour son capitaine, a été le dernier mort de la Première Guerre mondiale dans le secteur. Mais, officiellement, il sera déclaré mort à Vrigne-Meuse le 10 novembre 1918 à 10 heures du matin.
(...)
Les pertes subies par les formations engagées par la 163e division dans l’opération de franchissement de la Meuse et de conquête d’une tête de pont, au cours des journées du 9, 10 et 11 novembre 1918, furent de 96 tués et 198 blessés dont 68 tués et 97 blessés pour le 415e RI. Ces pertes étaient les dernières de la Grande Guerre."
(Le dernier combat : Vrigne-Meuse, 10 et 11 novembre 1918, Revue Historique des Armées).

Jean-Dominique Merchet :

- "Les autorités militaires ont choisi d'effacer des mémoires les derniers combats du 11 novembre au matin. « Comme si cela n'avait pas eu lieu » constate le général Fauveau (2). Qui en a décidé ? On l'ignore précisément, malgré les recherches effectuées au Service Historique de la Défense. Il n'était tout simplement pas possible de mourir pour la France le jour de l'armistice, le jour de la victoire. Nul ne sait donc combien d'hommes ont été tués dans les quelques heures qui ont précédés le cessez-le-feu, puisque ils ont été comptabilisés avec leurs camarades tombés la veille. On se souvient simplement d'Augustin Trébuchon, « tué à l'ennemi » à l'âge de quarante ans, après plus de quatre années de guerre."
(Libération, 11 novembre 2008).

Philippe Demenet :

- "Quatre-vingt ans plus tard, le président de la République, Jacques Chirac, et le chancelier allemand, Helmut Kohl, s'annoncent à Vrigne-Meuse pour une commémoration exceptionnelle de ce dernier combat. Georges Dommelier, le maire-adjoint, prépare la cérémonie… Finalement, aucune des personnalités annoncées ne se rendra dans la petite commune.
Trente ans plus tard, le maire-adjoint ressent toujours une cuisante déception : le dernier mort de la Grande Guerre n’a jamais été reconnu par la Nation. Et comme si ce soufflet n’était pas suffisant, la croix blanche du parvis de la petite église de Vrigne-Meuse porte une dernière injustice : « Mort pour la France, le 10 novembre 1918. »
Pourquoi pas le 11, comme le voudrait la vérité ? Pourquoi l'état civil des 21 soldats du 415e RI, tués le 11 novembre, a-t-il été « corrigé » de façon à faire croire qu'ils étaient tombés le 10 ? C'est « un signe qui ne trompe pas » écrit le général Alain Fauveau dans le Casoar (3). Pour le commandement, cette opération aurait été difficile à justifier a posteriori…"
(Le Pèlerin, 29 octobre 2008).


Stèle de l'Epine sur les hauteurs du fleuve à Vrigne-Meuse :
"A la 163e DIVISION
et à ses GLORIEUX MORTS
Le vrai Tombeau
des Morts
c'est le Coeur
des Vivants" (Ph. JEA/DR).

La stèle de la 163e Division d'Infanterie se dresse là où seul se battit le 415e R. I. - qui lui était rattaché. Comment le Journal des Marches et Opérations (4) de cette 163e Division d'Infanterie rend-il compte du dernier jour de la guerre ?

JMO, 163e DI, 11 Novembre [1918] :

- "La D. I. a l’ordre de conserver le contact étroit avec l’ennemi et d’améliorer les passages de la Meuse (ordre général 468-14e CA-10 nov.).
Toute la nuit, les mitrailleuses ennemies sont très actives ; notre artillerie répond par de nombreux tirs.
A 1h30, l’armée téléphone : «Aucun mouvement en avant ne sera exécuté sur le front de l’Armée jusqu’à nouvel ordre / en exécution des prescriptions du télégramme 7939/3 du G.A.L.).»
A 6h, arrive l’ordre du Maréchal Foch : «1°/ Les hostilités seront arrêtées sur tout le front à partir du 11 novembre, à 11 heures (heure française). 2°/ Les troupes alliées ne dépasseront pas jusqu’à nouvel ordre la ligne atteinte à cette date et à cette heure.»
Au cours de la matinée, peu d’activité de notre part. Les mitrailleuses et l’artillerie ennemies se montrent actives jusque vers 10h½.
A 11 heures, nos troupes font entendre le chant de «la Marseillaise», suivi du cri de «Vive la France».
Quelques Allemands répondent par le cri de «Vive la France» ; un petit détachement cherche à fraterniser avec nos hommes, mais est poliment éconduit.
Par ordre gal 469 (14e CA-11 Nov. 18), les éléments de la 22DI, mis à la disposition de la 163e DI, sont relevés dans la journée du 11 Novembre."


JMO, 163e DI (Fac simile JEA/DR).

- "En fin de journée, l’occupation au Nord de la Meuse est la suivante :
1 Btn du 415e, à droite ; 1 Btn du 142e, à gauche ; 2 forts groupes de part et d’autre du pont de Nouvion.
Pertes : 1 tué du 142e, à 10h30."
(26 N 455/5).

Constats :

- Ce JMO donne un décompte très exact des heures précédant l'armistice. Dès 1h30 du matin, la fin des hostilités ne fait plus aucun doute. A 6h, les ordres de Foch cadrent les modalités de la fin des combats.
- Le 11 novembre à partir de 10h30, les Allemands ne se montreraient plus actifs. Avant, ils mitraillaient tandis que les Français bombardaient.
- Après le cessez-le-feu, des Allemands vont même tenter de fraterniser.
- Pour ces dernières heures, les "pertes" (pourquoi au pluriel ?) se concrétisent par un seul mort : à 10h30, non pas au 415e R. I. mais au 142e.

Aucune relation ni même allusion à la solitude du 415e sur la rive droite de la Meuse. Occultation de la perte de plus de vingt de ses soldats, dont le dernier mort : Augustin Trébuchon.


Ministère de la Défense, SGA, Mémoire des hommes, 163e DI, JMO du 28 juillet 1918 au 30 janvier 1919 (Fac simile JEA/DR).

La logique serait alors de descendre de l'échelon de la 163e Division à celui du 415e Régiment.
A l’occasion du 90e anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, la direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives (DMPA) n'a-t-elle pas décidé de "numériser les archives de toutes les unités engagées dans ce conflit" et de les rendre ainsi accessibles au public ?
Mais si vous consultez ces archives, vous tombez dans un "trou noir" : le Journal des Marches et des Opérations du 415e R. I. est absent. Problème technique, censure ? Par définition, un JMO est "destiné à maintenir la valeur morale de l'armée". Celle-ci aurait-elle été menacée par les pages des 10 et 11 novembre 1918 du JMO du 415e R. I. ? (5)

Faute de Journal, reste l'"Historique du Régiment". Un document anonyme, sans date, non officiel, synthèse en 36 pages seulement de quatre années de guerre.

Période du 1er au 11 novembre 1918 :


- "Le Régiment, après un repos de 8 jours à Mesnil-Lepinois, est appelé à prendre part à la poussée en avant au nord de Vouziers.
La période du 1er au 5 novembre est employée au franchissement du Canal des Ardennes sur lequel l'ennemi oppose une très violente résistance. La poursuite commence le 6 et est poussée avec une telle vigueur que nos avant-gardes atteignent avant la nuit Chagny-les-Omont. Ils réalisaient ainsi une avance de plus de 12 kilomètres à vol d'oiseau, dans une seule journée et faisant tomber
partout la résistance de l'ennemi.
La poursuite se continue les 7 et 8 novembre et malgré la résistance de l'ennemi, facilitée par la traversée de bois très étendus, nos patrouilles atteignent la Meuse au nord de Dom-le-Mesnil dans la soirée du 8.
La journée du 9 est employée à reconnaître les points de passage sur le Canal de la Meuse que le Régiment réussit à franchir, par surprise, sur des passerelles de fortune, dans la nuit du 9 au 10.
Dans la matinée du 10, le Régiment passe en entier sur la rive droite de la Meuse, pousse rapidement en avant ses éléments avancés et réussit à prendre pied sur la Côte 249, capturant une cinquantaine de prisonniers de trois régiments différents. Mais les régiments de droite et de gauche n'ont pu progresser sur la rive droite de la Meuse de telle sorte que le 415e s'y trouve seul et très en flèche. Aussi, dès 11 heures, les Allemands commencent sur nos lignes une violente préparation et prononcent presque simultanément une contre-attaque sur notre front et nos deux flancs. Malgré la belle résistance offerte par les compagnies en ligne, les pertes sont telles que les éléments avancés sont obligés de se replier sur la voie ferrée qu'ils tiennent toute la journée en dépit du bombardement et des attaques répétées de l'ennemi qui y emploie des troupes d'élite (2e Régiment de la Garde, 4e Régiment et Régiment de fusiliers).
Le 11 novembre, le Régiment se trouvait encore en entier sur la rive droite de la Meuse prêt à reprendre au besoin la poussée en avant, quand vient l'ordre d'arrêter la poursuite, les hostilités cessant le 11 novembre à 11 heures.
Le passage de la Meuse et l'établissement de la rive droite fut une très dure opération pour le Régiment, elle nous coûtait 52 tués et 93 blessés. La forte proportion des tués s'explique par la résistance offerte par nos hommes aux contre-attaques ennemies au cours desquelles ils se fusillèrent à bout portant."
(P. 8).


L'Historique ne contient aucune illustration. Cette carte (origine : A. Masset) montre le franchissement de la Meuse par le 415e. La flèche rouge indique le passage du canal de la Meuse puis du fleuve lui-même. Les poilus ont dégagé une tête de pont (en bleu) face à trois Régiments allemands (en noir). Vrigne-Meuse se situe à l'Est, le long de la ligne de chemin de fer et de la route de la rive droite (Graph. JEA/DR).

Historique : Citation à l’ordre de la VIe Armée


- "Par un dernier et héroïque effort, jetant le 10 novembre ses bataillons sur la rive droite de la Meuse, sur une passerelle de fortune, battue par des mitrailleuses, a enlevé à deux Divisions de la Garde munies d'une puissante artillerie, les positions où elles se croyaient à l'abri de toute surprise.
A brisé leurs contre-attaques et imposé à l'ennemi même, étonné de ses propres pertes, le respect de tels soldats."

(s) Pétain,
Maréchal de France Commandant en Chef les Armées Françaises de l’Est.
30 décembre 1918.
(P. 11).

Historique : ÉTAT des Officiers et Hommes de Troupe du 415e Régiment d'Infanterie TUÉS A L'ENNEMI aux divers combats de 1914 à 1918

- "TRÉBUCHON Auguste, Soldat, date du décès : 10/11/18, Lieu du décès : Dom-le-Mesnil."
(P. 35).

Constats :

- 52 tués et 93 blessés selon cette version sans date. En 2008, Le Général Fauveau affirme que les pertes se montèrent en fait à 68 tués et 97 blessés. En un jour (le 10) et demi (le 11 novembre).
A en croire l'Historique, ces chiffres très lourds se justifieraient par les contre-offensives allemandes. Nulle part ne sont mentionnées la disproportion des forces et la nature du terrain. Les hommes du 415e ont été obligés de traverser à découvert le canal et la Meuse (sur une passerelle puis une écluse-barrage : voir photo en bas de page) avant de monter à l'assaut d'une rude colline où les attendaient non moins de trois Régiments d'élite (de la Garde).
- L'Historique évite de préciser le nombre de morts et de blessés pour le 11 novembre seul.
- Pétain, lui, affirme par contre que "l'ennemi" est "étonné de ses propres pertes" comme si celles-ci compensaient les sacrifices des derniers poilus tombés au front, comme si les Allemands avaient confié aux Français leurs états d'âme.
- Augustin Trébuchon figure au nombre des "morts pour la France" mais le 10 novembre et qui plus est, à Dom-le-Mesnil. Cette localité est située sur la rive gauche alors que par ailleurs, l'Historique et la Citation à l'ordre du jour signée Pétain, situent le 415e sur la rive droite qu'il a conquise au prix de son sang...
Ce mensonge est "grossier" au sens d'"incorrect".


Ministère de la Défense, SGA, Mémoire des hommes, Service de Santé en campagne, 415e R. I., JMO du 1er avril 1915 au 3 mars 1919 (Fac simile JEA/DR).

Des recherches sur le monument aux morts de 1914-1918 de ma commune ardennaise, ont confirmé l'intérêt de la consultation non seulement du JMO d'un Régiment mais encore du JMO de son Service de santé. A propos du 415 R. I., dans l'état forcément limité de mes connaissances, jamais cette source ne fut jusqu'à présent reprise comme référence ni évoquée. Or si le JMO du 415e R. I. reste "intouchable", celui de son Service de santé est consultable.
Il réserve une surprise de taille !

Journal des Marches et Opérations, Service de santé du 415e R. I. :

10 [novembre 1918]

- "Arrivée à 2h à Dom-le-Mesnil. Installation du P.S.C. sur la Grand-Route, à proximité de la piste de l’écluse ; les autres restent à 3 kil en arrière.
A 8h les 3 bataillons ont franchi la Meuse. La bataille est intense."

11

- "Le 10 et le 11, 47 blessés par E. O. et 96 par balles passent au P.S.C.
Le service marche.
Un P.S. avancé est à l’écluse.
Deux médecins sont en réserve à proximité du P.S.C. Le médecin chef dirige en personne les évacuations.
Les blessés ne séjournent pas plus de 3 minutes au P.S.C. grâce à cette organisation. La plupart sont évacués en auto deux heures après leur blessure.

Le 11 à 11 heures sonnerie de l’armistice.
Le dernier obus est tiré à 11h-5, à proximité du P.S.C., et tue un homme.

Les 10 et 11, le 415 a 47 tués sur la rive droite de la Meuse.

A 12h, le médecin chef avec des équipes de brancardiers va faire le tour des lignes pour ramasser les blessés et les morts."
(26N771/1).


Original : carte à la date 11 novembre 1918 sur le JMO du SSC.
Au Nord : la première ligne. Dos à la voie de chemin de fer, les trois Bataillons du 415e sont en contre-bas par rapport à trois Régiments allemands.

Au crayon rouge, est retracé le transport des blessés. Par-dessus le fleuve puis le canal. Un premier poste de secours est fixé à l'écluse du canal. Le poste de secours principal attend peu en arrière, à Dom-le-Mesnil. Après tri et premiers soins, des blessés sont évacués vers la route de Sapogne.
(Graph. JEA/DR).

Constats :

- 143 blessés en un jour et demi : 47 par éclats d'obus et 96 par balles. Ces précisions, dans un rapport de Service de Santé, les rendent fortement crédibles. Plus que les 93 blessés de l'Historique et que les 97 annoncés par "Le dernier combat..." du Gl Fauveau (mais a-t-il consulté le JMO du SSC ?).
- 47 tués pour les 10 et 11 novembre : 52 pour l'Historique et 68 selon les estimations du Gl Fauveau. Par contre les morts dénombrés par le Service de Santé ne peuvent être qu'avec certitude ceux de la rive gauche de la Meuse (blessés trépassant, victimes des obus...). Les cadavres des poilus tombés sur la rive droite ne commenceront à être relevés que le 11 novembre à partir de 12h. Puis les recherches continueront le lendemain et ces cadavres-là  ne sont forcément pas comptabilisées au nombre de 47 du JMO...
- Le JMO de la 163e D notait la fin des tirs allemands le 11 novembre vers 10h30. L'Historique cite 11h. Les historiens répètent qu'Augustin Trébuchon perdit la vie vers 10h50 (croix rouge du plan). Le feu ne s'est donc éteint qu'à l'armistice.
Et encore. Ce JMO porte mention d'un ultime obus passé par-dessus la Meuse, tombé à 11h05 près du Poste de Secours principal et qui "tue un homme" (croix bleue du plan).
On se souviendra que le JMO de la 163e était rédigé loin du front. L'Historique du 415e R. I., des années après les faits. Tandis que le JMO du Service de santé fut écrit "à chaud" le 11 novembre même.
- Un Allemand mit consciencieusement en joue Augustin Trébuchon pour l'abattre dix minutes avant l'armistice. Un acte volontaire, cruel, féroce, sadique. Mais pas un "crime de guerre"...
Et alors que le clairon sonnait la fin de la guerre, se trouvèrent des artilleurs allemands pour envoyer un dernier obus, mortel. Un acte collectif de mauvais perdants, dépités et déjà revanchards ?
Mais quid du côté français ? Nous ignorons tout des ultimes coups de feu et obus tirés sur les Allemands...

En conclusion :


Augustin Trébuchon
: "Tué à 10 heures 50 d’une balle dans la tête alors qu’il était porteur d’un dernier message pour son capitaine."
Lieu : sur les hauteurs de Vrigne-Meuse, rive droite du fleuve.

X : "Le dernier obus est tiré à 11h-5, à proximité du P.S.C., et tue un homme."
Impossible de déterminer si celui qui perd ainsi la vie appartenait au Service de santé, est un blessé soigné sur place ou attendant une évacuation...
Lieu : Dom-le-Ménil, rive gauche, là où l'on tenta longtemps mais en vain de faire croire que tomba A. Trébuchon.

X a perdu la vie un quart d'heure après Augustin Trébuchon !!! Un constat respectueux, ne s'inscrivant nullement dans une compétition aussi dérisoire qu'indécente pour un "titre" de dernier mort.

Néanmoins, ceci n'est pas une hypothèse. Mais le résultat de la lecture critique des documents militaires seuls, lecture à laquelle vous venez d'être associé(e)s.
Un travail de mémoire élémentaire imposerait de rendre à X son identité, son histoire. Pour ce faire, il suffirait de dépouiller toutes les fiches individuelles de soldats "morts pour la France" à Dom-le-Mesnil, le 11 novembre aux environs de 11h05...
Mais voilà ! Pour rappel, ces fiches ont été "trafiquées".

Jean-Bernard Lahausse et Romain Sertelet :

- "La mémoire du dernier mort français de la Grande Guerre est intimement liée à celle des combats de Vrigne-Meuse. Or ces derniers ont volontairement été oubliés au lendemain de la guerre. En effet, la mort de centaines d’hommes dans une offensive mal préparée et n’ayant qu’un but politique embarrassait le commandement. Pour éviter toute polémique, la date de décès des victimes du 11 novembre est d’ailleurs antidatée au 10 novembre."
(Verdun-Meuse.fr, octobre 2012).

Le sac de noeuds des mensonges officiels n'en devient que plus inextricable. Voilà un sujet de thèse pour jeune historien(ne) estimant que la vérité n'a pas à être altérée par des manoeuvres visant à camoufler une tache sur les opérations des 10 et 11 novembre 1918 sur le front de la Meuse.

Joseph Bialot :

- "Après la guerre, le plus facile consiste à déblayer les ruines et à reconstruire les villes, mais les humains aux âmes détruites, on les rebâtit comment ? Leur histoire s’écrit-elle en latin, en sanscrit, en hébreu, en farsi ? Avec quelle « casse » recompose-t-on le texte d’une vie disparue ?"
(La station St-Martin est fermée au public, Fayard, 2004, 168 p.) (6).


JMO du Service de santé du 415e R. I. à la date du 11 novembre 1918 (7) :
- "Le dernier obus est tiré à 11h- 5, à proximité du P. S. C., et tue un homme." (Fac simile JEA/DR).

NOTES

(1) Plagiats répondant à l'une des définitions de l'UCL : "Insérer dans un travail des images, des graphiques, des données, etc. provenant de sources externes sans indiquer la provenance."
Plagiat (durée : un mois) le plus inattendu : sur un site historique subventionné. Le plus folklorique (durée : deux années) : sur un site de Tourisme en Ardennes de France.

(2) L'aïeul du Général Alain Fauveau, Charles de Menditte, commandait l’un des trois bataillons du 415e à Vrigne-Meuse.
Lire : Alain Fauveau, Le vagabond de la Grande Guerre, Geste éditions, 2008, 305 p.

(3) Le Casoar : Revue publiée par la Saint-Cyrienne, avril 2008.

(4) Définition des JMO par "Mémoire des hommes" :
- "Dépourvus de tout commentaire ou appréciation personnelle, en conformité avec l'instruction du 5 décembre 1874 qui les a institués, les JMO devaient servir à la rédaction d'un historique d'ensemble, destiné à maintenir la valeur morale de l'armée. Ils n'en restent pas moins, malgré leur rigueur administrative et leur sécheresse parfois, une source irremplaçable sur la vie et la mort de millions de Français. Une certaine uniformité est visible dans la présentation des journaux, car les cahiers ont souvent un format identique, avec la date portée dans la marge gauche. Quelques cahiers percés d'une balle ou d'un éclat sont là pour rappeler que les journaux étaient rédigés sur le vif et en première ligne, quand ils ne l'étaient pas dans le secret des états-majors. La tenue des JMO, confiée à des officiers qui pouvaient en déléguer la rédaction à des sous-officiers, était en effet prescrite aux états-majors aussi bien qu'aux corps de troupes. Revêtu d'un caractère officiel, répondant à une démarche d'authentification des faits et notamment des actions d'éclat, le journal de marches constitue, en un sobre condensé des événements, un récit aussi objectif et précis que possible des combats."

(5) Le Gl Fauveau interroge :
- "Pourquoi le JMO officiel du régiment a disparu ?" (Marianne, 12 novembre 2012, l'article de J-D Merchet actualisé 3).

(6) Présentation de l'Editeur :
- "A la fin de la Seconde Guerre mondiale, un jeune homme agonisant est ramassé par des soldats américains sur une route allemande parsemée de cadavres. Surnommé Alex, il a tout oublié de l'enfer qu'il a traversé. jusqu'à son propre nom. La seule identité qui lui reste, c'est un matricule tatoué sur l'avant-bras gauche. Auschwitz. Soigné par des médecins militaires français, il réapprend à vivre et découvre l'amour avec son infirmière. Lentement, reviennent par bribes les images de son passé : l'arrestation, la détention au camp de Gurs, dans les Pyrénées, et sa déportation. Au gré de son errance dans un Paris qui, comme lui, veut panser les plaies de la guerre, les éléments épars de son existence reprennent chair. Un nom frappe sa mémoire, celui d'une station de métro, disparue au moment de la mobilisation générale. La retrouver, c'est renouer les fils d'une mémoire occultée, refaire le chemin qui mène jusqu'à soi-même."

(7) Ce fac simile est reproduit par Jean-Dominique Merchet sur son blog Secret défense -  Marianne - où il évoque la présente page et sa question finale : Augustin Trébuchon est-il vraiment le dernier mort sur le front de la Meuse, le 11 novembre 1918 ?


Le barrage sur la Meuse que les hommes du 415e R. I. franchirent, un à un, pour prendre la rive droite du fleuve (Ph. JEA/DR).


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18 commentaires:

  1. j'avoue que je ne comprends pas - qui peux avoir avantage à tricher - et comment ne pas trouver cela dérisoire (pardon)

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    1. Dans le Libé du 11 novembre 2008, J-D Merchet expliquait :
      - "Ce fut la dernière bataille et la bataille de trop. Au matin du 11 novembre 1918, dans les heures qui précédèrent l'armistice, des soldats français furent tués dans un combat inutile, à Vrigne-Meuse, dans les Ardennes. « Ils sont morts pour rien » assure aujourd'hui le petit-fils [le Gl Fauveau] de l'officier qui les commandait alors..."

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  2. Et nous revoici au 11 novembre! La der des der.... Et si on relançait l'Europe au lieu de laisser les populismes se gonfler, les Flamands et maintenant les Catalans, les marinières et l'électroménager, dérisoire!

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    1. les populismes ne font jamais que partir en guerre, ils n'arrivent qu'à multiplier les cimetières...

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  3. En vous lisant je m'étais posé la même question que Brigitte: "dans quel but inventer l'Histoire"? Mais vous y répondez, pour cacher des erreurs...
    L'Histoire est-elle faite de tentatives de dissimulations? Tout ceci laisse très très songeur.
    Admiration pour votre travail, vos recherches.

    Hier, 11 novembre, j'ai eu une nouvelle nièce: née en Suisse d'une mère anglo-belge et d'un père syrio-canadien. Il leur a semblé que naître un tel jour ne pouvait qu'être un bon signe.

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    1. Mario C. Sandoval :
      - "Cette histoire est une mouche dans la bouche d'un caméléon
      et un caméléon dans la bouche d'un serpent
      et un serpent dans la bouche d'une grotte..."

      et pour cette nouvelle vie
      Elie Wiesel :
      - "Les enfants, c'est nos souvenirs à nous..."

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  4. Fatalité cruelle pour Augustin qui trépasse "après plus de 4 années de guerre" le dernier jour et scandaleux détournement des faits !! Merci au scientifique, grand érudit et grand acharné, de dénoncer et prouver les mensonges.
    (Beauté aussi des documents(beauté formelle))

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    1. certains confondent (volontairement ou non) l'histoire et du tranxène, alors que l'histoire sert à interroger, à s'inquiéter, à progresser... sans dévotions ni modèles, sans chasser ni réduire ni chercher à séduire

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  5. Depuis 1918 il ne savent toujours pas qui est le dernier soldat tombé pour la France ? Eh bé... Ces politiques ne lasseront jamais de me surprendre. Et pendant qu'ils se pouillents là dessus, le triste spectacle continue...

    http://lunedemaledaumon.blogspot.fr/2012/11/photo-de-la-semaine-41.html

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    1. mois après mois, toujours cette même et pauvre excuse : blogspot refuse des liens directs dans les commentaires
      avec néanmoins mes remerciements pour celui-ci qui sent le gaz (lors de la première guerre mondiale, c'était l’ypérite, pour garder la mémoire du premier lieu - Ypres - où l'alliance de la science et de la guerre se conclut par le recours barbare au gaz)

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  6. La grand muette est un temple ou de défunts piliers laissent parfois échapper de confuses paroles...

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  7. Travail remarquable et o combien passionnant même s'il est macabre. La grande muette adore manipuler les chiffres, les dates, les mots aussi, tout ce qui peut nuire à son image glorieuse. "Mort pour la France"... L'un de mes grands oncles est mort le 7 janvier 1940. Drôle d'idée, puisque c'était une drôle de guerre et qu'il n'y avait pratiquement pas d'escarmouches au front. Il a eu l'idée malencontreuse de se suicider. Il n'est donc pas "mort pour la France", mais "mort aux armées". Nuance subtile n'est-ce pas ? Vous me direz que c'est mieux que "mort pour rien" ou "mort en vacances". S'il s'est suicidé, le fait qu'il soit en garnison à Toul dans une forteresse, n'avais sûrement rien à voir avec son moral...

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    1. cher Oncle Paul,
      le suicide ne portera jamais un uniforme et ne marchera jamais au pas

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  8. Heureusement, il reste encore des personnes comme vous pour honorer ces sacrifices de vie de la Première Guerre Mondiale, qui se dissolvent"dans toutes les guerres"

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    1. en 2008, temps de mes trois premiers billets, c'était le temps d'une colère et même d'une révolte face à l'absence de respect de l'Armée pour l'un de ses morts
      aujourd'hui, je ne souhaitais toujours pas être complice
      mais retourner aux sources et ne pas dévier de la critique historique
      là, je n'éprouve plus que de la tristesse à la découverte qu'Augustin Trébuchon, victime ensuite de manipulations, perdit la vie avant un X - autre soldat inconnu, autre dernier mort de 14-18...

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  9. L'Histoire - même manipulée - n'a pu être défaite (si j'ose dire) du glorieux nom de Trébuchon et de sa symbolique forte (malgré elle, malgré lui).

    Le révisionnisme, du pouvoir civil ou militaire (qu'il utilise la gomme à effacer les visages des photos ou les noms des jours) est toujours actif et vous contribuez à la lutte tenace et rigoureuse contre son avancée sournoise : soyez-en remercié une fois encore !

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  10. Bravo pour la mémoire... c'est important et rassurant de voir qu'il existe encore des gens pour la transmettre, cette mémoire qui vacille si facilement !

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