MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

jeudi 24 novembre 2011

P. 92. Les libertés de Danielle Mitterrand

.

France Libertés :

- "Agée de 87 ans, Danielle Mitterrand a porté jusqu’au bout ses idées. Elle fêtait le mois dernier le 25è anniversaire de sa Fondation entourée et écoutée, pour son plus grand bonheur, de nombreux jeunes.

Celle qui se reconnaissait dans les mots de Jean Paul Sartre "Il n’est pas juste de vouloir traiter les souffrances des hommes sans sʼengager dans la lutte contre les causes même de ces souffrances" avait créé France Libertés pour toujours rester à lʼécoute des peuples et de leurs droits et retransmettre leurs attentes.

De la résistance à la libération de Nelson Mandela en passant par le soutien du peuple Kurde ou la défense du peuple tibétain, Danielle Mitterrand a ainsi marqué son époque par sa ferveur et son énergie.

Inlassable militante, l’accès à l’eau pour tous était devenu, ces dernières années, au centre de son action et lʼobjectif de toute une vie.

Malgré son départ, Danielle Mitterrand nous laisse un message d'espoir, qui montre la voie d'un monde plus juste aux générations qui inventeront le monde de demain.
"Nouveaux résistants à l’ordre néolibéral, bâtisseurs d’un monde où chacun trouve sa part de vie, de liberté et d’action, expérimentateurs de solutions alternatives aux problèmes du temps... Qu’ils se rassemblent, s’unissent, fusionnent partout dans le monde pour mettre un terme à la dictature économique et financière, suppôt des dictateurs politiques. Celles-ci semblent être, enfin, ébranlées par la colère des peuples. C’est heureux mais ce n’est qu’un début. Je souhaite de tout cœur que nos propositions en faveur des biens communs du vivant soient comprises de tous et participent à l’urgente et indispensable métamorphose de la société humaine vers une nouvelle civilisation".
(22 novembre 2011).

Danielle Mitterrand, En toutes libertés, Ramsay, 1996, 351 p.

Seuls quelques "esprits" chagrins s'attendront à respirer ici des parfums d'encens et à lire quelques lignes d'un panégyrique plus ou moins hypocrite.

Mais quel cinéaste aurait osé, pour une fiction, filmer la séquence suivante ? 
Contexte : une France où beaucoup à droite se refusent même à envisager comme banalement démocratique une alternance avec la gauche. Images : 10 Mai 1981 en début de nuit. Le premier socialiste élu président d'une 5e République jusque-là chasse gardée, monte vers Paris. Au volant, son chauffeur éprouve des problèmes avec les essuie-glaces. Il n'a pas de permis de... conduire et n'en possèdera jamais. Des gendarmes à moto encadrent la voiture. A l'arrière, l'épouse de l'élu. Elle s'était rêvée institutrice, la voici première dame de France. Danielle chante... l'Internationale

L'Internationale se fait rare. Danielle Mitterrand n'est plus. 
Mais avant de se taire, elle retraça elle-même son itinéraire de libertés voulues et assumées et si possible, partagées, dans un livre publié en 1996 chez Ramsay.

4e de couverture :

- "1939 -1940 : c'est la drôle de guerre. J'ai quatorze ans. Ma poitrine bat la chamade : « Et je serai à Huez. Heureux si vous le voulez, malheureux s'il vous plaît. » Le coeur chavire, je lis et relis ce message. En cette année-la le monde gronde et vacille. Et moi, j'étais cette jeune fille en fleur et je croyais être amoureuse !"

C'est le début du récit que Danielle Mitterrand fait de sa vie : ses émois d'adolescente très vite balayés par la tourmente de la guerre, son engagement auprès de ses parents dans le maquis, sa rencontre avec un homme fascinant, François Mitterrand alias Morland pour la Résistance, leur mariage follement accéléré dans la joie de la Libération…

Danielle Mitterrand raconte son itinéraire de jeune épouse, de mère, puis de première dame de France - un destin de femme marqué par son attachement à un homme politique exceptionnel, par les rêves, les idéaux, les victoires et les revers partagés - ses rencontres avec les grands témoins et acteurs de l'Histoire de ces dernières décennies.

Elle se livre tout entière aussi dans son autre combat, comme présidente de la fondation France Libertés, sur le terrain humanitaire et partout où les Droits de l'homme sont menacés, aux côtés des Kurdes, du Dalaï-Lama, de Nelson Mandela ou de Fidel Castro, fustigeant la politique de tout gouvernement si sa conscience de femme libre le lui dicte.

Un destin et une mémoire hors du commun."

Danielle Mitterrand (Graph. JEA/DR).

Comme des pétales ou des épines d'une même (p)rose, voici quelques pages des mémoires de Danielle Mitterrand.

Bac Philo :

- "Le bac, je n'y pensais plus guère... pourtant la convocation aux examens arrive. C'est pour le 6 juin [1944].
Imaginez-moi, le jour du Débarquement, dans une salle du lycée Saint-Rambert à Lyon. Je dois plancher sur la psychologie, la morale, la logique ou l'empirisme (...). J'opte pour l'empirisme, seulement j'ai la tête ailleurs. Je me demande ce que font les maquisards ; cette nuit les affrontements ont été sérieux... Combien de blessés, je ne veux pas penser aux morts. Et que se passe-t-il en Normandie ce jour J ?
Je finis par rendre une copie.
Quel n'est pas mon étonnement de trouver à la sortie un agent de liaison du réseau. Il m'entraîne rapidement vers un train pour me soustraire à une arrestation probable (...).
Plus d'examens, plus d'épreuves scolaires. Je gagne un endroit plus discret. Ma vie d'étudiante tellement chaotique est finie. Je n'aurai jamais mon bac philo...
Le maquis de Cluny est très actif. Alimenté en armes par les Américains, il est codirigé par un Anglais et notre chef, Jean-Louis Delorme."
(P. 59).

Pendant la IV" République :

- "J'ai le souvenir d'une soirée officielle [à l'Elysée, F. Mitterrand est ministre] pour laquelle Madeleine Vramant, grand couturier de l'époque, me prête une robe du soir, un fourreau extrêmement moulant. Elle est magnifique, seulement, impossible de s'asseoir. Pour un dîner, c'est un vrai problème.
Tant pis, un petit mot : "Avec nos regrets de ne pouvoir assister, etc., etc." adressé par porteur à l'Elysée. François retire son smoking, je me défais de ma jolie robe de mannequin. "Et si nous allions au cinéma ?" Dans le quartier, on joue Jour de fête de Tati. Quel film idéal pour oublier..."
(P. 157).

Mitterrand n'a pas "fini de la découvrir" :

- "Je vois bien aussi que mon mari excelle dans les exercices de séduction (...). Au fil des années, plutôt agacée, je n'en suis pas atteinte outre mesure. Epouse et mère de ses fils, fidèle au poste, il n'a pas fini de me découvrir (...).
Finalement un peu lassée de ces jeux d'esprit, de situations quelques fois surréalistes... notre vie commune a pris un autre sens, plus solidement ancré à la famille. Lorsque l'on est foncièrement attachés l'un à l'autre et que l'on désire profondément rester ensemble, vivre des amours séparées n'est pas inconcevable.
La naissance de Mazarine n'a été ni une découverte ni un drame pour moi : je l'ai assumée."
(P. 115).

10 mai 1981 :

- "Premier indice du changement dans notre ordinaire : nous passons gratuitement le péage. Les motards de la gendarmerie nous attendent, ouvrent la route, entourent la voiture, et nous entrons dans Paris flanqués d'une escorte.
C'est au PS que nous arrivons en cet équipage et retrouvons une euphorie peu commune dans ce parti plutôt chagrin même les jours de victoire.
Paris s'électrise sous l'orage qui éclate et les rues sont parcourues par de joyeux fêtards qui manifestent avec exubérance leur joie.
"Tous à la Bastille !" Je veux me joindre à eux et faire la fête ; je m'apprête à suivre mes fils. "Non, madame la présidente, sécurité oblige, vous devez rester à la maison."
Et c'est ainsi que j'ai passé cette première nuit dans mon lit alors que, pour tant de Parisiens, ce soir, ce fut un 14 juillet..."
(PP. 136-137).

L'associatif :

- "Dans le milieu associatif, nous sommes nombreux à redouter cette montée d'un conservatisme nationaliste égocentrique, fermé à tout ce qui n'est pas français. Le monde peut s'écrouler, qu'importe, si la France s'enrichit, garde ses privilèges (...), ses marchés et ses vertus. Dormez paisiblement, bons Français : la maison sera bien fermée, les frontières bien gardées. On est entre nous, ne craignez plus rien.
Seulement le monde évolue autour de nous et sans nous ; certains ne s'en aperçoivent pas, trop occupés à contempler leur nombril."
(P. 151).

Signature au bas d'une lettre en date du 6 janvier 1996 (Doc. JEA/DR).

Après l'attentat perpétré contre elle au Kurdistan :

- "J'aimerais leur faire partager l'émotion qui m'a envahi l'âme lorsque, après l'attentat dirigé contre moi au Kurdistan irakien en juillet 1992, des victimes m'accueillirent à l'hôpital, me tendant les bras et murmurant : "Grâce au Ciel, vous êtes indemne, vous n'avez rien. Merci pour ce que vous avez fait pour témoigner de notre malheur et pour nous aider à vivre."
Cette générosité de coeur me confond.
Que dire... Ce gosse dont j'ai caressé la joue à l'hôpital de Sulaymaniyya, éventré par l'éclat de la bombe qui devait m'atteindre, lui seul pourrait exprimer ce que j'ai lu d'incompréhension dans son regard (...).
Je n'en ai jamais parlé encore parce que c'est inénarrable."
(PP. 174-175).

Le Che et José Marti :

- "Lequel de ma génération et de celle de mes enfants n'a placardé dans sa chambre les grands portraits du Che ? Tout en cheminant, seules les effigies de ce grand révolutionnaire attirent le regard. Ou encore placardées sur les murs les grandes pensées de José Marti (écrivain, penseur politique et philosophe reconnu de toute l'Amérique latine et des Caraïbes); on peut lire notamment : "De toutes les tâches de l'homme, la plus magnifique est d'éteindre la nuit."
(P. 252).

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28 commentaires:

  1. Elle n'aimait pas Jarnac ...

    Je n'ai donc aucune honte, y habitant, à détester la Charente ...

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  2. une grande dame !
    merci pour le choix des extraits : femme engagée, femme épouse, femme mère, femme humaine. Femme qui s'est interrogée toute sa vie pour avancer toujours dans le plus juste chemin à ses yeux.

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  3. @ brigetoun

    le livre dormait depuis trop longtemps dans mon bureau
    les circonstances obligent d'abord à le relire
    puis conduisent à partager quelques pages sur ce blog...

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  4. Merci JEA, un superbe hommage.
    Pourvu que son combat pour l'eau ne disparaisse pas avec elle!

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  5. @ Vinosse

    Jarnac : son cimetière des Grands Maisons, son circuit du Chêne, son coup en valant le coup, son espace poétique Pierre Boujut, ses étapes du Cognac, son île du Parc, ses trois Chabots et son Vinosse !!!

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  6. @ Lautreje

    De plus, elle aussi "tenait" un blog, irrégulièrement il est vrai (pour des raisons de santé conjuguées avec un débordement d'activités)

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  7. Danielle Mitterrand, femme de conviction et d'engagement (j'allais parfois sur son blog déposer un commentaire), les hommages n'ont pas manqué, le vôtre est beau et sincère.

    L'Elysée a publié, de son côté, un communiqué (repris hier sur « Le Tourne-à-gauche » en réponse à un commentaire) qui est particulièrement scandaleux dans la forme et l'irrespect ainsi manifesté au plus haut sommet (si l'on peut dire) de l'Etat : http://bit.ly/rxjD6U

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  8. @ Colo

    tant de pouvoirs économiques mais aussi de politiques aimeraient que nous fassions l'autruche à propos de l'eau...

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  9. @ Dominique Hasselmann

    Soyez remercié pour le lien que vous proposez :
    http://www.lexpress.fr/actualite/politique/l-hommage-truffe-de-fautes-de-l-elysee-a-danielle-mitterrand_1053746.html

    hélas blogspot se refuse à les activer

    hier soir, Arte avait programmé :
    - "Danielle Mitterrand, l'insoumise"
    documentaire signé par Thierry Machado qui filma pendant un an Danielle Mitterrand

    deux séquences restent révélatrices :
    - en voiture, Danielle Mitterrand entend le résultat des dernières élections présidentielles

    - chez des amis "de la base" à Château-Chinon, elle discute des affiches et slogans de la campagne menée par Sarkozy
    son calme est olympien pour exprimer un mépris profond pour les méthodes, le vocabulaire et le comportement du candidat...

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  10. Danielle Mitterrand a dit " avec François je ne me suis jamais ennuyée" ; c'est tout simplement merveilleux.

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  11. A la radio, j'ai entendu que le communiqué de l’Élysée était plein de fautes d'orthographe... C'est quand même révélateur d'un monde qui ne prend pas soin.

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  12. @ Dominique

    il est permis de supposer que ce fut réciproque...
    ne serait-ce que la manière résolue avec laquelle Danielle lui tenait tête, président ou pas

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  13. @ Chrys

    c'est le pourquoi du commentaire et du lien de Dominique Hasselmann

    le communiqué de l'Elysée se termine sur cette phrase :
    - "A côté d'un destin exceptionnel elle su faire preuve d'une indépendance d'esprit, d'une volonté et d'une dignité exceptionnelle".
    Deux fautes d'orthographe, bonjour la ponctuation et la répétition...

    comme à chaque fait divers, le gouvernement va-t-il concocter une nouvelle loi, cette fois sur la récidive en maltraitance du Français ?

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  14. J'ai connu Pierre Boujut.

    Il était vieux, j'étais jeune ...

    Le feu a consumé ma collection de "tour de feu", justement ...


    Je connais d'autres trucs sur Jarnac , mais moins intéressants: le milieu protestant des grandes maisons ...

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  15. Très bon billet sur une dame dont sa vie et son courage ne peut que nous exiger de la retenue et respect.
    Bonne journée.

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  16. ... Et une Fondation qui restera.

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  17. @ Vinosse

    Pierre Boujut s'est effacé avec beaucoup d'élégance. Laissant de l'espace aux jeunes. Dans une génération, d'autres nouveaux venus sur l'horizon de Jarnac montreront la Maison Vinosse...

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  18. @ Armando

    Merci pour votre regard en direct du Portugal...

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  19. @ Otli

    que s'épanouissent le chêne et l'olivier symbolisant cette Fondation
    (à propos d'olivier, merci encore à Laurence)

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  20. J'avais eu le plaisir d'échanger avec elle, rencontrée dans un colloque sur les nouveaux indicateurs de richesse. Elle était d'une grande modestie et son regard à la fois lucide et indulgent me reste en mémoire, comme une balise essentielle.

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  21. @ zoé lucider

    Danielle Mitterrand sous votre arbre à palabres...
    ce devait autant lui plaire qu'à vous

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  22. Un touchant hommage et qui touche pour une grande dame comme on en rencontre rarement. Une sainte laïque, ça devrait exister, rien que pour elle. Et si discrète, si efficace, elle que la dénomination de " Première Dame " du pays ne touchait pas. Merci.

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  23. @ jeandler

    le 2 juin 1900, Jules Renard écrivait déjà, pour elle :
    - "Sois modeste. Si tu te crois supérieur[e], demande pardon à ton idéal."

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  24. Fidèle au poste, à ses engagements, à elle-même : chapeau.

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  25. @ Tania

    nous n'écouterons plus les préludes 20 et 22 de Chopin sans penser aussi à elle

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  26. Voici retracé un beau parcours de femme. Bel hommage.

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  27. @ Danièle Duteil

    Un parcours unique et jusqu'à l'aboutissement choisi : une cérémonie laïque à l'ombre d'une abbaye prestigieuse...

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