MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 24 janvier 2011

P. 3. Bobigny, "Gare de la Déportation"

.
Gare de Bobigny (Graph. JEA / DR).

Reçu de Viviane, cette Invitation à partager :

Rendez-vous le mardi 25 janvier 2011 à 11 h :
ancienne gare de Bobigny.

- "La ville de Bobigny et la SNCF signeront publiquement l’acte de cession par la SNCF de l’ensemble du site à la Ville de Bobigny pour l’euro symbolique.
C’est une étape importante pour la réalisation du projet de mise en valeur de ce site.

La « Gare de la Déportation », dénomination officielle de l’ancienne gare de Bobigny, qui est déjà classée au titre des Monuments historiques, va enfin pouvoir, sans aucun obstacle administratif, devenir un lieu de préservation de la mémoire, en partenariat avec Drancy et le Mémorial de la Shoah."

Cette invitation est accompagnée d'une présentation par le site Passion-Trains :

- "Bobigny a gagné son triste rang de « gare de déportation » le 18 juillet 1943, lorsqu'un premier convoi de 1 126 prisonniers a pris la direction de l'Allemagne, vers l'un de ses camps de l'horreur. Vingt autres convois suivront durant la guerre, emportant 22 407 personnes, dont sont revenues seulement 1 515. Un peu en retrait du bâtiment voyageurs, posée comme une pâtisserie grise entre des chemins de rails, la gare de marchandises était l'ultime étape avant Auschwitz.

Lorsque le projet, évoqué une première fois il y a près de vingt ans, aura abouti, la friche de l'avenue Henri-Barbusse n'aura pas seulement rang de mémorial.
Elle deviendra aussi lieu « d'éducation citoyenne » et d'événements culturels comme celui initié, au printemps 2005, par la compagnie théâtrale de la Pierre Noire avec les « Lignes de vie », un parcours scénographique sur le thème de la déportation. D'ici là, la ville aura peut-être convaincu la SNCF de lui rétrocéder l'ensemble du terrain de 3,5 ha (Bobigny n'a acquis que 1 450 m 2 et la gare voyageurs).

La halle marchandises, d'où partaient les convois, sera réhabilitée mais en la laissant délibérément vide, « pour évoquer l'absence de tous ceux qui, un jour, ont embarqué devant ce bâtiment », expliquent les coordinateurs du projet. Bien avant cela, une étape cruciale sera franchie en septembre : le début de la restauration du bâtiment voyageurs." (1)

Le projet tel que présenté sur le site de la Ville de Bobigny.

Pour la Belgique, la question d'une "Gare de la Déportation" ne se pose pas. Le Royaume n'a compté qu'un seul Sammellager - camp de rassemblement pour juifs - sur son territoire : la Caserne Dossin à Mechelen-Malines.
28 convois en partirent du 4 août 1942 au 31 juillet 1944 avec non seulement des juifs de Belgique mais notamment aussi, ceux du Nord de la France rattaché alors au Haut commandement allemand de Bruxelles. Soit un total de 18.522 déportés raciaux, y compris 351 Tziganes (2).
Sortis de la Kazerne, les déportés n'avaient que la rue à traverser pour immédiatement monter dans les wagons stationnés sur une voie de chemin de fer construite là en prévision de la Shoah.
Il n'existe donc pas de "Gare de la Déportation" en Belgique.

En France, Drancy fut loin d'être l'unique Judenlager mais de là partirent le plus de convois vers l'extermination (3). Enfin, "de là", pas exactement.
Des autobus y embarquèrent d'abord les déportés pour la gare du Bourget, ensuite pour celle de Bobigny:

- 42 convois entre le 27 mars 1942 et le 23 juin 1943 au départ de la gare du Bourget (plus de 42.000 juifs) ;
- 21 convois du 18 juillet 1943 au 17 août 1944 depuis la gare de Bobigny (plus de 22.400 déportés).

Le convoi 57 du 18 juillet 1943 emporta 1.126 porteurs d'étoile dont 126 enfants.
Le 77 du 31 juillet 1944 engloutit dans ses wagons 1.300 persécutés raciaux au nombre desquels 330 enfants (4).
Enfin, les départs depuis Bobigny vers les camps de la mort prennent fin par l'histoire du convoi du 17 août 1944. C'en était fini pour les Nazis à Paris. Brunner, le persécuteur par horreur, décida néanmoins d'un ultime convoi. Avec des juifs, des résistants et des otages. Chef de gare de Bobigny, Georges Achille appliqua des sabotages non violents. Finalement, les nazis ne purent rassembler que trois wagons. Ils emmenèrent, avec leurs bagages de fuyards, 51 déportés entassés dans le même wagon. 21 parvinrent à s'évader de ce train 1697 (5) alors qu'il se dirigeait vers Buchenwald.

Paradoxalement, aucun wagon du souvenir n'a été placé en face de la Caserne Dossin à Malines (6).
Par contre, un wagon symbolise les déportations raciales à Drancy alors que les convois attendaient au Bourget ou à Bobigny...

Hommes, femmes et enfants à tellement plus que 40 (Graph. JEA / DR).

Le site de l'ancienne gare de Bobigny précise :

- "De l’été 1943 à l’été 1944, la gare de Bobigny, qui était alors une gare désaffectée de la grande ceinture, devint le lieu de déportation des Juifs détenus au camp de Drancy, situé à un peu plus de 2 Km. Dans ce rôle, elle succéda à la gare du Bourget qui dès mars 1942 fut utilisée comme principal lieu de déportation des Juifs de France. En 13 mois, 22 407 hommes, femmes et enfants de tous âges y furent embarqués, à Bobigny, dans des convois de wagons plombés qui devaient les mener vers le camp d’extermination d’Auschwitz où l’immense majorité d’entre eux trouva la mort.

Après la Seconde Guerre mondiale, ce site de 3,5 hectares fut utilisé à des fins industrielles par un ferrailleur. C’est aujourd’hui une friche ferroviaire inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, en raison de son utilisation durant la seconde guerre mondiale. Elle constitue, en France, le seul exemple de gare de déportation aujourd’hui désaffectée et préservée dans un état proche de sa configuration d’origine. En ce sens, c’est un lieu unique.

Désormais propriétaire du site, la ville de Bobigny entend lui redonner vie en mettre en valeur ce site en soulignant ses dimensions, paysagères, historiques et mémorielles.
Ce projet s’inscrira en complémentarité avec celui du mémorial de la Shoah qui doit voir le jour à Drancy."


Drancy (sans date) : arrivée de persécutés (Ph. DIZ Muehchen GMBH).

Dans le contexte de la cérémonie du 25 janvier, il est généralement regretté l'absence de témoignages directs sur la gare de Bobigny. Et de fait, Drancy puis les convois (sans oublier le 73) et enfin les camps d'extermination constituent autant de sujets sortis des approximations et mis en perspective. Alors que Bobigny restait plus que marginal.
Une explication réside dans son statut de gare-brève étape. Les témoins évoquent les traumas des préparatifs puis du départ de Drancy. Ensuite les douleurs des jours de transport vers l'inconnu. Puis la confrontation plus que brutale avec l'univers des camps tel Auschwitz. Et pour celles et ceux qui le purent, leurs récits de rescapés.
Dans le processus des déportations, Bobigny n'avait pas eu le temps ni de raison pour constituer en soi un sujet sur lequel s'arrêter.

On ne lira donc dans la littérature de la déportation que quelques lignes éparses. Comme dans ces souvenirs de Denise Holstein :
- "L'autobus nous emmena dans une petite gare près du camp. Là, des wagons à bestiaux nous attendent, à l'intérieur on avait déjà accumulé le ravitaillement, les seaux et même des matelas, et il fallut entasser encore 60 personnes dans le petit espace resté vide. Tant bien que mal, nous logeons les pauvres 48 gosses d'un côté du wagon et de l'autre, les 12 grandes personnes se casaient sur les ballots et à côté du ravitaillement" (7).

Lire aussi la P. 115 de ce blog : "Mémoire de la Shoah, la Gare de Bobigny".

NOTES :

(1) La photo illustrant l'article de Passions-Trains consacré à la Gare de la Déportation de Bobigny pose problème dans la mesure où elle a été prise à Auschwitz. L'instantané ne montre pas des juifs déportés depuis la France. En l'absence de ces précisions, des lecteurs pourraient être induits en erreur.

(2) Lire : Mecheln-Auschwitz, 1942-1944, Ed. VUBPress.

(3) Pour rappel, Beaune-la-Rolande, Compiègne et Pithiviers servirent également de points de départ vers les camps d'extermination.

(4) Serge Klarsfeld, Le calendrier de la persécution des Juifs de France, septembre 1942 - août 1944, Fayard, 2001, 2029 p.

(5) Lire : Jean-François Chaigneaux, Le Dernier Wagon, France Loisirs, 1982, 250 p.

(6) Par contre, un wagon a été placé sur le site du seul camp de concentration de Belgique, celui de Breendonk.

(7) S. Klarsfeld, op. cit., p. 1888.



17 commentaires:

  1. Bobigny a droit non seulement à sa Maison de la culture et à sa magnifique salle, mais aussi à ce lieu de mémoire.

    Il est bien que cela devienne le cas et que vous nous rappeliez ce pan coupé de l'Histoire.

    L'évocation de Drancy et de son wagon me rappelle un article datant du 5 octobre 2005, que je me permets de citer ici :

    http://remue.net/spip.php?article1056

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  2. @ brigetoun

    ma confusion n'est aucunement feinte...
    merci aussi pour vos mots uniques et leur musique

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  3. @ Dominique Hasselmann

    votre lien comme une racine n'attendant pas le printemps pour que remonte la sève...

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  4. Je suis un peu hors sujet mais je voulais vous remercier pour le monument de Gentioux en Creuse, je suis allée voir sur les pages qui lui sont consacrées et je reviens plus riche merci

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  5. @ Dominique

    Les maçons de la Creuse, même "montés" à Paris, ont écrit artisanalement une histoire ouvrière unique.
    Quant au monument aux morts de 14-18 à Gentioux, j'en offre encore des clichés pris sur la place déserte, avec cet écolier jamais las de montrer le poing à la guerre...

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  6. Je pense au livre de Cécile Wajsbrot " Beaune la Rolande"(Zulma,2004, 57 pages)

    p.29
    Plus tard, bien plus tard, il y aura une plaque dans la cour d'arrivée de la gare d' Austerlitz, une plaque bien cachée qu'il faut vraiment avoir envie de voir pour voir, une plaque bien tardive, mais pas plus que le reste - les procès, les jugements et les reconnaissances - pas plus que la conscience, et encore, une plaque signée de l'association des fils et filles de déportés, comme si cela ne concernait qu'eux, comme si cette partie de l'histoire ne se déroulait pas en France, ne concernait pas l'histoire de France, comme si on ne pouvait rappeler ces faits au nom de tous.
    Pourtant, en partant de Paris par la gare d'Austerlitz, pour aller à Pithiviers et à Beaune-la-Rolande, ils ne traversèrent aucune frontière, ils ne changèrent pas de pays, et cette fois, on ne leur demanda aucun papier.

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  7. "Beaune la Rolande", Cécile Wajsbrot :

    p.16
    (Je porte ces)
    images d'un autre temps, d'une autre vie,
    sans pouvoir m'en débarrasser. Depuis 1964,
    nous allons tous les ans à Beaune-le-Rolande
    entendre les mêmes discours des mêmes asso-
    ciations et des mêmes officiels, une absurde
    répétition, des vœux pieux de jamais plus, en
    même temps, cela fait vingt-six ans et je peux
    compter sur les doigts d'une main le nombre
    de fois où je n'y suis pas allée, et je donnerais
    tout, à chaque fois, pour ne pas y aller, mais
    je ne peux pas alors j'y vais, j'attends que cela passe - et cela ne passe pas vraiment. Cette
    année je n'y étais pas mais j'étais à Auschwitz.
    J'ai l'impression de traîner un poids qui
    n'est pas le mien, une vie qui n'est pas la
    mienne mais dont l'ombre varie avec les heu-
    res. Je suppose qu'il y en a d'autres, je sais
    que nous sommes nombreux, je suppose
    que cette catastrophe était trop énorme pour
    pouvoir la supporter d'un bloc et qu'il a fallu
    la morceler entre les générations.

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  8. "Beaune la Rolande", Cécile Wajsbrot :

    p.19, 20, 21
    prisonnier pour avoir obéi aux lois. A la police.
    Contrôle d'identité.
    Vos papiers, s'il vous plaît.
    Ils contrôlent, la même peur se lit sur tous
    les visages et dans tous les pays, quel que soit
    le régime, quand la police demande les
    papiers. Mais pour assister à la cérémonie de
    Beaune-la-Rolande, il n'est pas besoin de
    papiers, il suffit d'avoir un déporté dans sa
    famille, c'est facile, même pas, il suffit de s'y
    intéresser mais s'y intéresser sans avoir de
    déporté dans sa famille, c'est difficile car le
    Loiret est le pays des chasses en Sologne et non
    des chasses à l'homme, le pays des maisons de
    famille et non des camps d'internement, le pays du pâté d'alouette et non des déportés.
    Vos papiers.
    Ils cherchent dans leurs poches, leurs porte-
    feuille, ils cherchent dans leurs tiroirs quand ils
    ont des maisons et des meubles, ils cherchent
    partout, ou bien ils courent, s'enfuient, ils
    partent à la recherche d'autres frontières,
    d'autres pays.
    Vos papiers.
    Je les ai, je les ai, mais je suis du côté de ceux
    qui ne les ont pas, et je me sens plus proche
    d'eux - ceux qu'on appelle les sans-papiers,
    et tous les réfugiés, à Sangatte ou ailleurs,
    et tous ceux qu'on refuse, tous les Kurdes
    débarqués à Fréjus, les Polonais qu'on empri-
    sonne parce qu'un feu s'est déclaré dans une
    chambre étroite - plus proche d'eux que des
    nantis, des sédentaires, des dynasties.
    Beaune-la-Rolande, deux minutes d'arrêt.
    Mais ce fut une année, puis dix ans,
    cinquante ans.
    De la caserne au train, comment est-il
    allé ? En autobus, répétant avec une année d'avance le grandiose ballet de la rafle du Vel'
    d'Hiv ? En camion militaire ? En fourgon
    blindé ?
    Pour une raison mystérieuse, pensait mon
    grand-père, ils veulent nous éloigner, nous
    détacher, nous isoler du reste de la population,
    mais tôt ou tard ils nous relâcheront.
    C'est l'occupant qui les oblige, disait l'un.
    Il ne peut rien nous arriver, nous sommes
    en France.
    Liberté, égalité, fraternité.
    C'est l'occupant.
    Travail, famille, patrie.
    C'est la police française qui nous a convo-
    qués. Il ne peut rien nous arriver.
    Gare d'Austerlitz, annonça quelqu'un. On
    ne va pas en Allemagne, on descend vers le
    sud.
    Bien sûr, en y allant, ils ne le savaient pas,
    d'ailleurs, personne ne le savait, et si les lois
    raciales existaient à Vichy, la conférence de
    Wannsee établissant les règles d'une solution
    finale ne s'était pas encore tenue.

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  9. @ Michèle

    Grand merci pour votre apport qui demanderait un complément de page plutôt que de se trouver ici limité à la case "commentaires"...
    Parmi d'autres témoignages éclairants, celui d'Annette Muller que le CERCIL a réédité l'an passé :
    http://blogyadvashemfr.blogspot.com/2010/01/p-199-annette-muller-la-petite-fille-du.html
    A propos de Beaune la Rolande et de Pithiviers, je répète toute mon estime pour le travail de mémoire et à long terme mené par le CERCIL dont notamment le "Pithiviers-Auschwitz, 17 juillet 1942, 6h15" est remarquable.

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  10. Les gares où des yeux hagards ont été transportés pour ne plus jamais revenir... Il est important de se souvenir ... La mémoire de tous ces êtres innocents doit être gravée dans nos pensées chaque jour ...

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  11. @ Marie

    Hélas, nous sommes si loin des gares et de l'onirisme à la Delvaux.
    Avec toutes ces étoiles réduites à des ombres.
    Et pendant ce temps, on affirme ces derniers jours que Céline l'antisémite n'avait pas de sang sur les mains, comme pour l'innocenter, le dédouaner.
    Céline qui écrivit et publia des appels au crime comme celui-ci :
    - "Bouffer du juif, ça ne suffit pas, je le dis bien, ça tourne en rond, en rigolade, une façon de battre du tambour si on saisit pas les ficelles, qu'on les étrangle pas avec. Voilà le travail, voilà l'homme."
    (Les Beaux Draps, Denoël, 1941, p. 115).
    Voilà l'écrivain, voilà aussi l'assassin par les mots et les appels à la mort pour que d'autres se salissent les mains à sa place.

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  12. Une bonne nouvelle quand on constate encore des amnésies scandaleuses.

    Afin que nul n'oublie...

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  13. @ Danièle Duteil

    Et aussi une pensée pour la famille Lipietz qui s'est si longtemps heurtée au refus de la SNCF de reconnaître ses responsabilités.

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  14. @ Michèle

    Un oubli :
    le Cercil, "Centre d'Etude et de Recherche sur les camps d'internement dans le Loiret (Beaune-la-Rolande, Pithiviers et Jargeau) et la déportation juive"
    inaugure vendredi 28 janvier ses nou veaux locaux
    - 45 rue du Bourdon Blanc à 45000 Orléans.

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  15. Le beau texte de Milosz côtoie avec justesse ce billet d'invitation. Une balise de plus pour la mémoire de l'humanité, une bonne nouvelle par les temps qui courent.

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  16. @ Tania

    Milosz pour décrire celles et ceux qui passent par ce blog...

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Les commentaires sont modérés dans la mesure où les spams ne sont pas vraiment les bienvenus (ils ne prennent pas de vacances)