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Les Français parlent aux Français,19 juin 1941 - 7 novembre 1942,
Choix, commentaires, avant-propos de Jacques Pessis,
Conseils historiques, préface de Jean-Louis Crémieux-Brilhac,
omnibus, 2011, 1571 p.
4e de couverture :
- "18 juin 1941 : un an d'antenne, un an de messages d'espérance et de combat diffusés depuis Londres par une poignée de réfractaires qui, autour du général de Gaulle, ont refusé la défaite et la mainmise nazie sur la France. Malgré le brouillage et les arrestations, l'audience grandit sur le continent, alors que la résistance s'organise et que la guerre, désormais mondiale après l'engagement des Etats-Unis, est à un tournant.
Ce deuxième volume (1) des chroniques de Radio Londres couvre en effet une période cruciale : c'est l'attaque de l'URSS par l'Allemagne, les premiers revers des forces de l'Axe en Afrique du Nord, le retour de Pierre Laval aux affaires, la naissance du STO... Les Français qui parlent aux Français sont aussi les premiers à révéler l'ampleur de la persécution des Juifs, des rafles, des déportations, en particulier en Europe de l'Est.
Sous la plume de chroniqueurs réguliers comme Maurice Schumann (2) ou Jacques Duchesne (3), de personnalités telles que Georges Bernanos (4), René Cassin (5), Jacques Maritain (6) ou Miriam Cendrars (7), d'acteurs et de témoins, on découvrira, jour après jour, la réalité du conflit par les commentaires de l'actualité, les messages de résistance et d'espoir, pour la plupart méconnus ou inédits, contre-propagande à l'idéologie nazie et vichyste."
Trésor du Patrimoine :
- "Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la radio est une arme décisive, un vecteur de propagande essentiel. Voici les textes et chroniques de l’émission « Les Français parlent aux Français » créée à la BBC de Londres par la France Libre, et destinée aux compatriotes restés sous la botte nazie. Les voix de Maurice Schumann , René Cassin, ou de Jacques Duchesne devenues familières, se mêlent avec celles des témoins tels que Georges Bernanos ou Jules Romains (8). Toutes clament leur foi en la France et en la victoire finale !"
Extrait de l'avant-propos de Jacques Pessis :
- "Dès le premier jour de l'Occupation, les Allemands ont interdit l'écoute de Radio Londres sous peine de prison. Des auditeurs parisiens ayant répandu par écrit des informations données par la BBC ont été condamnés à mort. Le 28 octobre 1941, une ordonnance du gouvernement de Vichy annonce qu'une sanction allant jusqu'à trois ans de prison punira celles et ceux qui, en "zone libre" seront pris en train d'écouter chez eux les programmes de la BBC. Les Allemands songent aussi à confisquer les postes de TSF recensés chez les particuliers. Au micro de la BBC, les speakers mettent en garde contre ces dangers (...). En dépit des menaces, l'audience des "Français parlent aux Français" ne cesse de croître. A partir de l'été 1942, elle est si forte entre 20h15 et 21 heures qu'elle entraîne un pic de la consommation d'électricité en France.
Les trois grands jalons de l'évolution de l'opinion publique dans la période que couvre ce volume sont l'entrée en guerre des Etats-Unis, les fusillades collectives d'otages d'octobre et de décembre 1941 et la déclaration radiodiffusée de Laval (9) du 22 juin 1942. rappelé au pouvoir par Pétain en avril, il affirme ce jour-là "qu'il souhaite la victoire de l'Allemagne parce que, sans elle, le bolchevisme s'installerait partout."
(...) La cote des "Français parlent aux Français" monte alors en flèche dans l'opinion publique. les émissions, reçues au départ comme des messages d'espoir, sont désormais des armes de guerre."
De g. à dr. : Jean Oberlé et Jacques Duchesne (Doc. JEA/DR).
Emission du 2 avril 1942 :
"Augmentation de la délation"
dialogue entre Jean Oberlé et Jacques Duchesne
- "Oberlé (10) - Tu sais ce qu'un Américain de mes amis a vu, de ses yeux vu, à Toulouse : un jeune homme, les menottes aux mains, emmené entre deux gendarmes. Il criait : Je voudrais qu'on me photographie comme ça pour montrer après la guerre.
Duchesne - Qu'est-ce qu'il avait fait ?
O. - Il avait dit que les Français Libres ont raison de continuer la lutte et que la collaboration avec les Allemands est une infamie.
D. - Il n'en faut pas plus pour aller en prison en France aujourd'hui. C'est un des moindres aspects de la terreur policière qui sévit en France. Encore, dans la zone occupée par les Allemands, on comprendrait à la rigueur que ceux-ci soient très durs ; ils sont dans leur rôle d'oppresseurs et d'occupants d'un pays ennemi. Mais en zone libre...
O. - La zone libre, elle ne l'est pas, libre (11). Zone non-occupée lui va mieux. C'est dans cette zone que le mouchardage, la délation, la contrainte se sont développés depuis l'armistice dans des proportions inimaginables.
D. Ce qui est particulièrement abominable, c'est qu'en France, ce qui était le plus cher au coeur de tous les Français, c'était le sentiment de la liberté. Dire de quelqu'un qu'il était un mouchard était en France la pire des insultes. L'idée qu'en France on ne peut plus s'exprimer librement, qu'on ne peut plus discuter des événements, de la politique, des membres du gouvernement - ce que les Français aimaient faire par-dessus tout - et qu'il faut se méfier de ses voisins et de ses amis prouve qu'en dix-huit mois le microbe nazi a bien contaminé la France.
O. - Mais c'est ça l'ordre nouveau : Hitler déclare bien haut que la France était dégénérée, pourrie, remplie de tous les vices, et que la pureté nazie lui fera le plus grand bien, et en fait de pureté qu'est-ce qu'on voit : on voit qu'on peut acheter les fonctionnaires allemands, du plus petit jusqu'au plus grand, pour quelques billets comme de simples fonctionnaires italiens, on les voit trafiquer au marché noir, on les voit voler, se conduire comme des voyous, toute cela sous la protection de leur police et de la nôtre par-dessus le marché.
D. - Mais s'il n'y a pas de police, il n'y a pas de gouvernement de Vichy. Dans tous les pays où elle a de l'influence, l'Allemagne impose ses propres caractéristiques : la police et dans chaque maison un espion de cette police. Pucheu (12) et la Légion des combattants (13), les Allemands voudraient que ce soit l'équivalent de Himmler et de ses chemises brunes.
(...) Mais si on vous flanque en prison parce qu'on crie Vive de Gaulle ou Vive l'Angleterre, qu'est-ce qu'on vous fait si vous criez Vive l'Allemagne ?
O. - C'est bien simple : on vous nomme commissaire de police ou sous-préfet."
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Conclusion d'une lettre (anonyme) de délation (Doc. JEA/DR).
Un exemple concret de mouchardage en zone dite libre :
- "Me Jean Grégoire
Suppléant du Juge de Paix
Notaire à Ispagnac (Lozère)
Le 5-1-42
Je vous signale à toutes fins utiles, que mon confrère Me Cazes, Notaire à Florac, Vice-Président démissionnaire de la Légion, s'occupe depuis quelques temps de "donner" la nationalité françaises à certains Juifs de Nîmes, tels que les Crémieux, Bloch etc. Il est secondé dans cette tâche par M. l'Abbé Amat, aumônier des prisons de Nîmes, originaire d'Ispagnac, Prêtre mondain, etc...
Il paraît que cela leur rapporte gros...
(...) Signé : Grégoire."
NOTES :
(1) Lire la page 8 de ce blog : "10 février 1941 : les Français parlent aux Français" ainsi que la page 104 : "Ici Londres, 1er janvier 1944, les voeux de Pierre Dac."
(2) Maurice Schumann (1911-1998). Porte-parole de la France Libre. Sa voix ne pouvait que devenir familière à tout qui écoutait Londres : entre juillet 1940 et mai 1944, il y interviendra à plus de mille reprises.
(3) Michel Saint Denis (1897-1971) prit à Londres le pseudonyme de Jacques Duchesne en clin au célèbre Père Duchesne de la Révolution française. Composa l'équipe qui depuis Londres, le 14 juillet 1940, parla pour le première fois aux Français occupés. Cette émission entra dans l'histoire (et à partir d'octobre) sous le nom des "Français parlent aux Français"...
Jacques Duchesne (3) : portrait par Jean Oberlé (10) et photo prise au micro de la BBC (Mont. JEA/DR).
(4) Georges Bernanos (1888-1948). Exilé au Brésil mais rallié à l'appel du général de Gaille le 18 juin 1940. Par refus d'un Pétain que Bernanos accusait d'être un "vieux traître". Rédigea de nombreuses communications pour soutenir la France libre.
(5) René Cassin (1887-1976). Rejoint de Gaulle dès le 23 juin 1940. En conséquence, privé de la nationalité française et condamné à mort par Vichy. Rédacteur des statuts de la France libre. Sera successivement secrétaire permanent du Conseil de la défense de l'Empire, commissaire national à la Justice et à l'Education, président de la commission juridique du Comité français de la Libération nationale à Alger.
(6) Jacques Maritain (1882-1973). Réfugié en Amérique du nord mais opposant farouche du régime de Vichy. Rédigea des communications pour les émissions françaises à Londres.
(7) Fille de Blaise Cendrars. L'une des lectrices des "messages personnels" à la BBC. Anima une émission pour les enfants dans le cadre des "Français parlent aux Français".
(8) Louis Farigoule dit Jules Romains (1885-1972). Exilé aux USA d'où il dénonça Vichy notamment sur les ondes de la Voice of America (émissions dont certaines furent relayées par les Français de Londres).
(9) Pierre Laval (1883-1945). Un des artisans les plus efficaces de la chute de la IIIe République pour laisser place à l'Etat français. Néanmoins limogé par Pétain en décembre 1940. Sous les pressions allemandes et collaborationnistes, revient en grâce auprès de Pétain. Sera chef du gouvernement de Vichy entre avril 1942 et août 1944. A la Libération, fuit en Espagne mais le régime de Franco le livre aux nouvelles autorités françaises. En octobre 1945, condamné à mort par la Haute Cour de Justice pour haute trahison. Fusillé.
(10) Jean Oberlé (1900-1961). Etait déjà à Londres quand, le 18 juin 1940, de Gaulle y lança son appel. Il fut l'un des animateurs les plus écoutés des émissions "les Français parlent aux Français" pour lesquelles il peaufina des trouvailles telles que : "Radio Paris ment - Radio Paris est allemand !"
(11) Résultant de l'armistice du 22 juin 1940, cette zone non occupée fut néanmoins envahie par les troupes allemandes le 11 novembre 1942, en conséquence du débarquement allié en Afrique du nord.
(12) Pierre Pucheu (1899-1944). A Vichy, fut successivement secrétaire d'Etat à la production industrielle puis à l'Intérieur et enfin ministre de l'Intérieur. Sa mémoire est salie par les désignations d'otages guillotinés ou fusillés ou par des déclarations favorables à une collaboration entre les troupes françaises de Tunisie et celles de Rommel. En novembre 1942, le débarquement allié en Afrique du nord le pousse à abandonner Vichy. Il gagne l'Espagne pour arriver à Casablanca en mai 1943. Il comparaît devant un tribunal militaire en mars 1944 pour haute trahison. Condamné à mort, sera fusillé.
(13) En août 1940, Vichy promulgue la dissolution de toutes les associations d'anciens combattants. Elles sont replacées par la Ligue Française des Combattants (sous la présidence de Pétain). En novembre 1941, cette Ligue est élargie aux volontaires de la Révolution nationale. En janvier 1942, en naîtra le Service d'Ordre Légionnaire puis en 1943 la Milice française, cette dernière se distinguant comme bras armés du régime et chargé notamment de la répression de la Résistance ainsi que de la persécution des juifs.
(14) André Halimi, La délation sous l'occupation, Alain Moreau, 1983, 306 p., p. 94.
Jean Oberlé (10) : portrait en 1924 et ses "souvenirs de cinq années à Londres", Ed. la Jeune Parque, 1945, 313 p. (Mont. JEA/DR).
la nature humaine
RépondreSupprimerVengeance, mesquinerie, crapulerie, jalousie, envie .............des "qualités" qui en temps de paix sont détestables et deviennent criminelles en temps de guerre !
RépondreSupprimerCes émissions qu'on écoutait tous ensemble,"en regardant le poste" me disait mon père.
RépondreSupprimerUne période que je ne me lasse pas d'essayer de comprendre dans les comportements. Et immanquablement revient la question: que se passerait-il aujourd'hui si... Vengeance, mesquinerie, crapulerie, jalousie, envie...des mots que j'emprunte à Dominique.
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