MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

jeudi 25 octobre 2012

P. 192. Octobre 1945 : le procès de Pierre Laval


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Maître Maurice Garçon,
Le procès Laval,
Compte-rendu sténographique du procès,

De Vecchi, 2007, 317 p.


4e de couverture

- "4 octobre 1945 : l'ancien vice-président du gouvernement de Vichy doit s'expliquer devant la Haute Cour pour son rôle pendant la collaboration et son alliance avec le régime nazi. Le procès se déroula à la hâte et dans la précipitation, Laval devant souffrir les insultes des jurés. Il se défendit avec force et vigueur, ironisant parfois, contre-attaquant sans cesse, répliquant à leurs invectives : " Vous pouvez me condamner, vous pouvez me faire périr. Vous n'avez pas le droit de m'outrager. "
Condamné à mort le 9 octobre, il fut exécuté six jours plus tard à la prison de Fresnes après avoir tenté de se suicider.

Le compte-rendu sténographique minutieux et exhaustif, présenté par Maurice Garçon, reprend l'intégralité de ce procès à l'organisation controversée parce que précipitée, qui se déroula pendant l'épuration, dans l'atmosphère encore brûlante des exactions commises durant l'Occupation."

Claude Mandel


Après l’assassinat, par des miliciens, de Georges Mandel, sa fille écrivit ces phrases prémonitoires à Pierre Laval :

- "Je suis encore bien petite et bien faible à côté de vous qui avez les Allemands pour vous défendre. Moi, j’ai les Français, c’est vrai, et c’est pourquoi je ne vous demande pas de comptes comme j’en aurais le droit. Ils s’en chargeront." (1)

Patrice Gelinet

- "Pierre Laval (…) à la tête du gouvernement de Vichy, aux pires moments de l'occupation, était devenu l'homme le plus détesté de France. Un an après la libération, quelques mois après le retour des prisonniers des rescapés des camps de concentration, Pierre Laval incarnait ce que la politique de collaboration avait pu faire de pire : la déportation des juifs, le service du travail obligatoire, les exactions de la Milice, la lutte contre la résistance et ces mots tristement célèbres que Laval avait prononcés en juin 1942, quelques jours après avoir été nommé chef du gouvernement par le maréchal Pétain :
«Je souhaite la victoire de l'Allemagne car sans elle, bientôt, le communisme s'installera partout en Europe »."
(France Inter - Émission "2000 ans d'Histoire" - 2010).

Extradé d’Espagne le 1er août 1945, enfermé à Fresnes le 2, Pierre Laval est témoin au procès Pétain dès le 3 août.
Le 4 octobre débute son propre procès.


Propagande vichyste (Doc.JEA / DR).

Un procès limité à cinq audiences seulement après une instruction squelettique (cinq interrogatoires, pas un de plus). Avec en aboutissement la salve d'un peloton d'exécution - épargnée à Pétain - comme pour mettre une pierre tombale sur la collaboration.
La Justice, un pouvoir qui avait servi Vichy puis tournait avec les vents de la politique. Personne n'en sortit grandi...

Première audience, le 4 octobre 1945.

Le banc de la défense est vide (2), celle-ci conteste l'instruction même. Le premier président Mongibeaux passe outre. Il rappelle à Laval "la poursuite des patriotes, la Milice, les cours martiales..."
quand Laval l'interrompt : "Mais vous étiez tous aux ordres du gouvernement à cette époque, vous tous qui me jugez, magistrats, et vous, Monsieur le Procureur général [Mornet]".
Le premier président : "Si vous dites quoi que ce soit qui puisse constituer un outrage à l'égard des magistrats, nous passerons outre aux débats..."
P. Laval : "Je suis français, j'aime mon pays, je n'ai servi que lui" (Bruits dans la salle).
M. Demusois, juré : "Un peu plus de modestie, fourbe."
Le procureur général : "Je vous prie de maîtriser votre indignation, Messieurs les Jurés. Elevez-vous au-dessus de ce qu'elle vaut."
(PP. 13-14) (3).

P. Laval : "Que pouvez-vous craindre d'une instruction véritable ? Elle était nécessaire non seulement pour l'exercice de mon droit naturel de me défendre, mais aussi par la contribution qu'elle aurait apporté à l'histoire de notre pays.
(...) Je n'accepte pas mais je subis la procédure arbitraire que vous m'imposez."
(P. 16).

Lecture du réquisitoire définitif. Pierre Laval est poursuivi pour :
- crime d'attentat contre la Sûreté intérieure de l'Etat;
- intelligences avec l'ennemi.
(PP. 29 à 36).

Procédant à l'interrogatoire de l'accusé, le premier président :
- "Je fais un exposé assez long..."
P. Laval : "Un peu inexact, mais cela le rend plus pittoresque."
(P. 40).
P. Laval se défend : "Vous êtes dans l'ignorance des faits (...). On me fait reproche pour les Juifs (...). Je souhaiterais n'être jugé que par des Juifs français, parce que maintenant qu'ils connaissent les faits, ils se féliciteraient de ma présence au pouvoir et ils me remercieraient de la protection que leur ai accordée. Voilà une parole que je prononce; elle peut choquer ceux qui l'entendent, mais quand ils sauront pourquoi j'ai le droit de la prononcer, elle ne choquera plus"
(P. 50).
Autre extrait du long monologue de Laval : "Vous parliez tout à l'heure de mes origines modestes (...). Savez-vous, Monsieur le Premier que la plus grande blessure dont je souffre, c'est de savoir que parmi ces humbles, parmi ces travailleurs que j'ai tant aimés, que j'ai voulu tant servir, il en est qui sont trompés, qui m'en veulent, parce que, moi, je n'ai pas changé de sentiments à leur endroit."
(P. 51).
Retournant sa veste par rapport à Pétain, Laval s'exclame : "Pour la maréchal Pétain, je me suis trompé, j'en fais humblement l'aveu devant le public. Où il eût fallu le maréchal Lyautey, nous avons eu le maréchal Pétain. C'est fait, je n'y peut rien."
(P. 55).
Après une interruption d'audience, P. Laval poursuit : "Voulez-vous que je vous dise le fond de ma pensée ? Je ne suis pas petit devant vous. J'ai occupé les plus hautes fonctions; j'ai représenté mon pays quand il était fort, victorieux; J'ai eu cette fierté. Je ne me suis jamais senti aussi grand que sur ce banc, quand vous m'accusez car c'est pour ma patrie que je souffre et que j'ai souffert."
(P. 94).
Laval monopolisant la parole, le premier président le questionne : "Est-ce que vous me laisserez parler ?"
P. Laval : "Evidemment, je n'ai pas le moyen de vous empêcher."
Un jeune homme applaudit.
Le premier président : "Arrêtez immédiatement le perturbateur."
Un juré, M. Prot : "C'est la Cinquième Colonne, la clique."
Un autre juré : "Il mérite, comme Laval, douze balles dans la peau."
Fin de cette première audience.


Caricature de Laval par Philip Zec, The Daily Mirror, 31 oct., 1940 (DR).

Audience du 5 octobre 1945.

Les trois avocats de Pierre Laval assurent sa défense. Ils déposent des conclusions selon lesquelles il y a lieu de saisir à nouveau la Commission d'instruction ou de renvoyer le procès. Conclusions rejetées par la Cour.
P. Laval provoque : "Je me tourne vers les jurés. Je ne les ai pas choisis. Il y a beaucoup de communistes, m'a-t-on dit, parmi eux. Cela m'est absolument égal. Ils sont, pour moi, des Français, et ils sont du pays de Descartes."
Un juré : "Ils l'ont prouvé."
P. Laval : "Parce qu'ils sont du pays de Descartes (...), ils savent qu'on ne peut rien contre la vérité. Eh bien, la vérité est simple. Me reprocher l'armistice, ce n'est pas une injustice, c'est plus grave qu'une injustice : (...) c'est une offense à la vérité."
(P. 151).

Le procureur général Mornet : "Si vous n'aviez aucune autorité sur le maréchal et s'il ne vous consultait jamais, s'il n'avait aucune confiance en vous, comment se fait-il qu'au lendemain du 10 juillet [1940] vous ayez été appelé à la vice-présidence du Conseil et qu'il ait fait de vous son héritier présomptif ?
P. Laval : "Vous croyez avoir dit l'histoire en disant cela ? (...) Il était mortel, le maréchal (...). Je manque de modestie aujourd'hui ? C'est possible, mais je dis qu'aucun autre nom à ce moment-là ne pouvait apparaître dans un acte constitutionnel autre que le mien."
(PP. 159-160).

P. Laval décrit Pétain : "Le maréchal (...) était un homme sans expérience politique et il avait, néanmoins, le goût de la politique, en tout cas, très certainement, le goût du pouvoir personnel, un goût immodéré. Je m'en suis rendu compte trop tard. J'ai pensé qu'en restant, j'accomplissais mieux mon devoir qu'en m'en allant, que peut-être je pourrais, à la longue et le plus rapidement possible, exercer une parcelle d'autorité ou empêcher certains actes de s'accomplir."
(P. 172).
P. Laval charge Pétain : "Un jour, excédé par l'usage de ce pouvoir personnel, je dis au maréchal : "Connaissez-vous, Monsieur le Maréchal, l'étendue de vos pouvoirs ?" Il me dit : "Non". Je dis : "Ils sont plus grands que ceux de Louis XIV, parce que Louis XIV devait soumettre ses édits au Parlement, tandis que vous, vous n'avez pas besoin de soumettre vos actes constitutionnels au Parlement, puisqu'il n'est plus là." Il me dit : "C'est vrai." (...) Eh bien, oui, il avait le goût du pouvoir personnel, et je n'étais pas assez fort pour l'empêcher de l'exercer dans es limites."
(P. 173).

P. Laval évoque la Légion : "Le maréchal n'avait pas l'idée de faire un parti unique à l'image et à l'instar du parti national-socialiste. Je me garderai bien de le prétendre, ce serait ridicule. Le maréchal avait l'intention de supprimer les partis politiques qui existaient (...). Il ne voulait qu'un parti du maréchal ; cela est clair. Eh bien, ce part du maréchal s'appelait la Légion.
(...) La Légion n'avait pas les faveurs de l'autorité d'occupation. Elle était un organisme politique à tendance réactionnaire dans la zone sud. Elle m'a gêné dans mon action gouvernementale; elle m'a obligé parfois à prendre des décisions que je n'aurais pas voulu prendre."
(P. 186).


Laval justifiant le Service de Travail obligatoire en Allemagne : "La guerre qui se poursuit à l'Est met en cause doute la civilisation européenne, dans des combats gigantesques, le Reich engage tous ses hommes, l'Allemagne a besoin de main-d'oeuvre." (DR).

Audience du 6 octobre 1945.

Le procureur général Mornet : "Si, au lendemain de la Libération, au mois d'août ou au mois de septembre 1944, Pierre Laval avait été appréhendé et conduit devant un tribunal militaire - qui ne juge pas avec toutes les formes extérieures auxquelles vous étiez astreints - eh ! bien ! sa condamnation suivie de ce que vous savez, n'eût pas été une erreur judiciaire."
P. Laval : "Cela m'aurait privé du plaisir de vous entendre !
Le procureur Mornet : "Cela aurait donné satisfaction à la conscience de tous les Français."
(PP 204-205).

Très vite, cette audience devient tellement tumultueuse que le premier président annonce une suspension. Les sténographes notent alors, en provenance des jurés et visant P. Laval :
- "Provocateur... Salaud... Douze balles... Il n'a pas changé..."
Réponse de P. Laval : "Non, et je ne changerai pas maintenant... Les jurés !... Avant de me juger !... C'est formidable..."
Un juré : "On vous a déjà jugé, et la France vous a jugé aussi !"
(P. 211).

Conséquence de cet incident de séance, l'accusé décide de ne plus comparaître et refuse de se présenter à la reprise du procès (4).
Ancien président de la République, Albert Lebrun est appelé à témoigner :
- "Il eût mieux valu pour la France et pour lui-même [P. Laval] que le pays fut administré directement par un gauleiter plutôt que par un gouvernement français qui n'allait plus avoir du pouvoir que l'apparence et dont le rôle essentiel consisterait, en somme, à avaliser toutes les décisions des autorités d'occupation."
(P. 215).

Audience du 8 octobre 1945.


Le fauteuil de Pierre Laval est vide, de même que le banc de la défense.
Déposition du général Doyen :
- "Toute politique ayant pour objet d'aider l'ennemi sous une forme ou sous une autre dans sa lutte contre l'Angleterre et ses alliés, ne pouvait que favoriser l'Allemagne dans l'obtention de ses buts de guerre, qui étaient, en premier lieu, le démembrement et la destruction de la France. Par conséquent, toute politique ayant cet objet, qu'elle s'appelle collaboration ou autre, était une politique criminelle contre le pays.
Or, il s'est trouvé une homme pour se faire le père de cette politique et l'imposer au pays. Cet homme a été M. Laval."
(P. 226).
- "Son intimité avec les Allemands était totale. Je dirais même qu'elle était indécente à un moment où nous avions plus d'un million et demi de prisonniers qui souffraient derrière des fils barbelés."
(P. 228).

Déposition du secrétaire général honoraire du Sénat, M. de Lapommeraye :
- "Cinq ou six semaines après [juillet 1940], il [P. Laval] me dit : "Et voilà comment on renverse la République".
(P. 232).

Le procureur général Mornet
: "Pierre Laval a fait notifier 33 témoins qui appartiennent à la Haute Cour, en tant qu'il peut y avoir intérêt à recevoir leurs dépositions. Je vais vous demander de prier M. l'Huissier de faire appel de ces 33 témoins."
Aucun ne répond à l'appel de son nom.
(P. 242).

A défaut d'entendre Pierre Laval devant la Cour, il est donné lecture de ses interrogatoires lors de la brève instruction.
Question : "Le 22 août 1942, c'est le débarquement manqué des Britanniques à Dieppe (5). Que dites-vous des félicitations adressées par le maréchal et par vous-même au haut commandement allemand pour le "rapide nettoyage" et du télégramme de Pétain qui faisait l'offre au Chancelier du Reich d'une collaboration militaire ?"
Réponse de P. Laval : "Je n'en ai aucun souvenir. Je n'avais pas coutume de correspondre avec les militaires allemands."
Question : "Antérieurement au 24 août 1942, se place un acte dont on a beaucoup parlé : c'est le défi qui est sorti de votre bouche le 22 juin précédent, et que la radio a diffusé aux quatre coins du monde. C'est le "Je souhaite la victoire de l'Allemagne."


"Le 15 décembre 1942, au cours d'une conférence de presse à Vichy, vous vous écriez : "Assez d'hypocrisies, il s'agit de choisir son camp sans équivoque et sans ambiguïté : je veux la victoire de l'Allemagne... Ceux qui escomptent la victoire américaine ne veulent pas comprendre que M. Roosevelt apporte dans ses bagages le double triomphe des Juifs et des communistes. Libre à certains de le souhaiter, mais je suis résolu à les briser, coûte que coûte."
Réponse de P. Laval : "Si je n'avais pas fait certaines de ces déclarations verbales, je n'aurais pas pu résister à certaines exigences allemandes, plus dures encore que celles que nous avons connues. Ces propos qui n'engagent que moi, m'ont permis de mieux accomplir ma tâche."
(P. 251 à 254).

Question : "La loi mettant les Juifs hors du droit commun n'était qu'un premier pas dans l'imitation servile de nos vainqueurs. (...). N'y eut-il jamais de Juifs arrêtés en zone libre, notamment en juillet et août 1942 ?
(...). Aussitôt après votre reprise du pouvoir en 1942, la politique soi-disant française devient une politique tout allemande : persécution contre les Juifs, on l'a dit, persécution contre les francs-maçons, qui se traduit part de nombreuses listes de noms à l'Officiel, ce qui les marque pour servir d'otages, persécution contre les communistes et résistants de tous les partis; la police française mise au service de la Gestapo; des arrestations innombrables (25.000 à Paris dans la nuit du 15 au 16 juillet) (6). Les lois d'exception toutes calquées sur le régime hitlérien et au rebours de nos traditions, vous ne laissez même pas aux vainqueurs le soin de les appliquer ?"
P. Laval : "Je répondrai par une note."
PP. 255-256).
Question : "Un article dit "loi" n° 1077 du 11 décembre 1942" publiée au Journal Officiel du 12 décembre, et signé par vous, prescrit l'apposition de la mention "Juif" sur les cartes d'identité délivrées aux Israélites français et étrangers. Voulez-vous vous expliquer sur cette prétendue loi qui est signée par vous seul ?"
P. Laval : "Je suis fatigué; exceptionnellement sur ce point je vous ferai parvenir une note."
(P. 258).


Pierre Laval à la une du magazine Time (DR).

Audience du 9 octobre 1945

En l'absence de Pierre Laval et de ses trois avocats, réquisitoire du procureur général Mornet :
- "Dans la France diminuée on espérait, avec l'aide d'hommes comme Laval, trouver (...) un pays subordonné à la politique du Reich. Aussi bien est-ce le pays où, pour mieux le mater, le nombre de déportés a été le plus élevé : déportés raciaux, cent vingt mille, sur lesquels il en est revenu quinze cents (7); déportés politiques, cent vingt mille également (8), dont beaucoup sont restés dans les camps de Dachau, de Buchenwald, et dans les chambres à gaz, sans compter les cent cinquante mille fusillés sur le sol de France (9). Je me demande dans ces conditions de quel droit Laval peut dire que s'il n'eût pas été là, la situation eût été pire.
Mais il faut considérer les choses de plus haut. La politique de Laval a fait aux Français une situation pire au point de vue moral; elle a exposé la France au soupçon de trahison envers ses alliés comme envers la cause dont elle était le champion dans le monde."
(PP. 105-106).

- "Aujourd'hui il (...) refuse de se présenter devant vous pour se défendre. C'est sa suprême ressource, et je dirai même sa suprême tactique.
Vous avez pu constater que chaque fois qu'on lui pose une question précise, il l'élude, ou promet de répondre par une note qui n'est qu'une nouvelle façon d'éluder une réponse qu'il ne peut pas faire. Alors, devant l'impossibilité de répondre à une question précise, lui, qui est un joueur, il a joué jusqu'au bout en se disant : "Ils n'oseront".
Eh bien, pour ma part, et quelque rôle pénible que dans ces conditions la loi et mon devoir m'imposent, je suis de ceux qui disent : "J'oserai" (...).
Je vous demande de prononcer la peine de mort contre Pierre Laval."
(P. 307).

Après une très longue délibération, la Haute Cour condamne Pierre Laval à la peine de mort, le déclare convaincu d'indignité nationale et prononce la confiscation de ses biens.



Signature de Pierre Laval au bas d'une lettre datée de mai 1945 (Doc. JEA/DR).

Le 13 octobre 1945, le général de Gaulle entend Mes Naud et Baraduc, lesquels demandent non pas la grâce de Pierre Laval mais de recommencer le procès. Si le chef d'Etat pouvait effectivement accorder sa grâce, juridiquement, il ne pouvait casser une décision judiciaire et ordonner la révision du procès.

Le 15 octobre, quand la cellule de Laval est ouverte à la prison de Fresnes pour le conduire à la mort, il est découvert empoisonné.
Ranimé, la majeure partie de la substance toxique éliminée, Pierre Laval est fusillé devant une butte de Fresnes où les Allemands passèrent par les armes des résistants...

NOTES

(1) Bénédicte Vergez-Chaignon, Vichy en prison, Les épurés à Fresnes après la Libération, Gallimard, 2006, 425 p., P. 22.
Georgaes Mandel (1885-1944). Ministre des PTT, des Colonies et de l'Intérieur sous la IIIe République. Voulut continuer la guerre au Maroc où l'arrêtent les autorités obéissant à Vichy. Condamné à la prison à vie par un tribunal français. Livré aux Allemands quand ils envahissent la zone dite "libre". Enfermé successivement à Orianenbourg puis à Buchenwald. Reconduit à la prison de la Santé à Paris pour être livré le 4 juillet 1944 à la Milice. Abattu par des miliciens en forêt de Fontainebleau le 7 juillet.

(2) La pagination est celle du compte-rendu sténographique.

(3) Avocats de la défense : Mes Barraduc, Joffrey et Naud.

(4) Dans une présentation tendancieuse, l'article de Wikipédia consacré à Laval affirme sans sourciller : "il [Laval] est de fait empêché de parler et de se défendre. Il est exclu de son procès." Les références demandées ne sont pas fournies, et pour cause. Le procès-verbal reproduit sous le nom même de l'un des avocats de la défense montre que celle-ci est volontairement absente, que Laval monopolise les débats en marquant son mépris aux magistrats et au jury. L'accusé ne cesse de se dérober aux questions puis il refuse de lui-même de comparaître. Par contre, il est insupportable d'entendre des jurés l'insulter en pleine audience et le condamner avant la fin du procès.

(5) L'opération Jubelee à Dieppe date plus exactement du 19 août 1942. 913 militaires venus d'Angleterre perdirent la vie dans cette tentative de tester les capacités du Mur de l'Atlantique qu'élevaient les Allemands.

(6) Allusion à la Rafle du Vel d'Hiv. Sans préciser que les victimes : 13.152 sont uniquement juives qui tombèrent dans les filets de ce "Vent printanier"...

(7) En réalité, près de 76.000 déportés raciaux dont environ 2.500 revinrent des camps.

(8) Sur un total de près de 66.000 déportés non raciaux, on dénombre 42.000 résistants reconnus. 23.000 de ces déportés étaient encore en vie à la Libération.

(9) Lors du colloque sur la Répression en France, 1940-1944, à Caen (2005), le chiffre de 4.549 fusillés a été retenu.

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16 commentaires:

  1. Le sale rôle. La haine au poing. La rage aux lèvres. Pour un sale type.

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    1. de Gaulle, Mémoires de guerre (T. III) :
      - ""Laval tenta d'abord d'exposer sa conduite, non point comme une collaboration délibérée avec le Reich, mais comme la manoeuvre d'un homme d'Etat qui composait avec le pire et limitait les dégâts. Les jurés étant des parlementaires de la veille ou du lendemain, l'accusé pouvait imaginer que le débat tournerait à une discussion politique, confrontant, entre gens du métier, des théories diverses et aboutissant à une cote mal taillée qui lui vaudrait, finalement, les circons-tances atténuantes. Cette tactique, pourtant, n'eut pas de prise sur le tribunal."

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    2. Un vrai sale type, la part sombre de l'humain... qui salit tout sur son passage, jusqu'à l'aboutissement du procès. C'est trop de le comparer au crapaud du conte, les animaux ne sont pas aussi bas.

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    3. eu égard aux stéréotypes de l'époque, je supposerais que le caricaturiste a choisi la grenouille pour un Laval de cette France horrifiant des Anglais par une gastronomie friande de cuisses de batraciens... (alors que les Anglais, eux, étaient dépeints par les sujets de sa Majesté sous forme de rosbifs...)

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  2. je ne connaissais pas la tentative de suicide finale mais elle cadre avec le personnage dans son refus de faire face à sa responsabilité

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    1. opposé à la peine de mort, je regarde cette finale avec effroi : le condamné ne peut se suicider pour échapper à la sentence, un médecin intervient donc pour qu'il puisse au moins se redresser et parler quelque peu, puis pour éviter un déplacement prévu à l'origine jusqu'au fort de Montrouge, il est fusillé à Fresnes même, lié au poteau...
      à la question de savoir comment il a pu s'empoisonner (via un proche, un avocat, un autre détenu ou un gardien complice), la question est officiellement restée sans réponse

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    2. Cette finale, cet aboutissement est absolument scandaleuse... et dire qu'il fallut attendre 81 pour qu'un homme (d'origine juive et dont le père est mort en déportation !) rende l'humain à l'humain : l'abollition de la peine de mort.

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    3. et lors de l'instruction du procès Barbie, Robert Badinter apprit la responsabilité de celui-ci dans la mort de son propre père
      malgré quoi, il resta fidèle à son opposition sans faille à la peine de mort...

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  3. Voilà deux fois ce soir que le nom et les turpitudes criminelles de Laval reviennent au premier plan puisque dans une émission on évoquait aussi Jean Jardin.
    Comme d'habitude, ici le sujet est très complet et on y apprend toujours quelque chose.

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    1. Jean Jardin : le Jardin secret de Laval, son chef de cabinet, le "nain jaune"...

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  4. Un billet passionnant, dont je vous remercie. Je ne connaissais pas la caricature de Laval en grenouille ni les quelques mots magnifiques écrits par la fille de Georges Mandel. Merci.

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    1. Hélas, pour la lettre aussi courageuse que digne signée par la fille de Mandel, Mme Vergez-Chaignon ne cite aucune référence (et donc j'en ignore le texte complet).

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  5. En amont de Laval, l'antisémitisme, la haine de l'autre et du dfférent... autant d'opinions et d'actes qui n'ont toujours pas disparu malgré les enseignements de l'Histoire (et un guignol en train d'aller à la pêche, récemment à la télévision, des voix du Front national).

    Travail d'archiviste remarquable.

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    1. J'avais aussi trouvé chez un bouquiniste :
      Jacques Baraduc, "Dans la cellule de Pierre Laval, Mon journal, Lettres et notes de Pierre Laval, Documents inédits", Self Editions, 1948, 228 p.
      ce qui permit des recoupements
      mais ce billet est déjà assez long...

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  6. Je vous lis fidèlement, je vous dis toujours merci dans mon coeur pour votre travail.
    MERCI A HAUTE VOIX, ce soir!

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    1. vieux proverbe ardennais :
      - "Remerciements du soir ? C'est tellement plus touchant que des bruits de couloir..."

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Les commentaires sont modérés dans la mesure où les spams ne sont pas vraiment les bienvenus (ils ne prennent pas de vacances)