MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

jeudi 16 juin 2011

P. 44. Henri Béraud : "Haïssez de Gaulle... Crachez au visage des gaullards et des traîtrophiles..."

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L'appel du 18 juin version affiche et sa conclusion rédigée de la main de Charles de Gaulle (Mont. JEA/DR).

L'appel du 18 juin 1940 se commémore dans une ambiance de passé prenant de plus en plus ses distances. Quelques fleurs vite fânées, des uniformes et des gants, un discours souvent stéréotypé. Une ambiance hésitant entre le convivial et le guindé. Des acteurs qui se raréfient.
Cependant, ce discours symbolise un tournant fondamental de la guerre.
En France, l'extrême droite instrumentalisait la défaite pour prendre sa revanche sur la République et plus particulièrement, sur le Front Populaire. Pétain prêtait son prestige à cette manipulation antidémocratique. Entre Marianne et la collaboration avec le nazisme, le choix était pratiqué sans grands états d'âme. Vichy imposait son régime ouvrant la chasse notamment aux juifs et aux francs-maçons. Jeanne d'Arc était ressortie des images pieuses et d'Epinal pour dénoncer le véritable et éternel ennemi : l'Angleterre (1). On répétait que l'île ne pouvait que s'écrouler sous les bombes et l'invasion allemande. Et les jours étaient comptés pour les quelques individualités ayant franchi la Manche pour continuer la guerre malgré l'armistice.
Alors parle de Gaulle, dans ce climat délétère de fin d'un monde.
Quand le sort de l'Europe oscille au bord du gouffre, alors qu'Hitler et ses sbires répandent le nazisme comme une pollution mortelle et promise pour mille ans, l'appel du général servit d'amer pour nombre de celles et de ceux qui, perdus dans la tempête tourmentée de la Deuxième guerre mondiale, se demandaient quand et comment résister à l'occupant triomphant et oppressant...
Mais peut-être a-t-on perdu de vue la haine hideuse avec laquelle des pétainistes répondirent à de Gaulle ? ...
Pour mesurer à sa juste valeur cette exécration, la (re)lecture d'un Henri Béraud (2) et de ses éditoriaux dans Gringoire est éclairante, instructive, sans équivoque. En gardant en mémoire le nombre de Français (et d'Allemands) qui en 1940, assurèrent un plein succès à cette littérature implacablement fielleuse. Car, à propos de GringoireBéraud se vantait d'en avoir fait évoluer le chiffre de ventes de 336.000 à 650.000 d'exemplaires (3).

Pour Béraud, de Gaulle est tout à la fois :
" ambitieux jusqu'à la démence, aventurier sans honneur, charlatant funèbre, déserteur, fuyard de Bordeaux, honte de notre race, le pire des ennemis, mercenaire de Londres, payé par les deniers de Juda, phraseur de popotes, scapin du micro, traître..."

A qui serait tenté de sourire devant l'une ou l'autre de ces formules assassines, faut-il rappeler que l'éditorialiste Béraud ne considérait plus de Gaulle que comme un "mort qui parle" car "promis au peloton" (4) ?

- "Nous allons parler de ce M. de Gaulle, et des gaullards, ses amis.
(...)
Ce scapin du micro a ses admirateurs. Il fait honte à notre race et l'on voit des gens l'applaudir.
Quelles gens ? Il faut distinguer. Les plus actifs sont les juifs, les plus bruyants sont les snobs, les plus prudents sont les logeards, les plus amers sont les possesseurs de livres sterling, les plus malins sont les agents de l'Intelligence Service, et les plus bêtes sont les politiciens déçus.
(...)
Le condamné de Clermont-Ferrand est un mort qui parle. Ayant mis la mer entre sa poitrine et le peloton qui l'attend, il plastronne, il pérore. On l'écoute. il a ce bagout des vaniteux et des effrontés, que les simples prennent pour de l'éloquence.
(...)
Il est très vrai que de braves gens se sont laissé piper par ce charlatan funèbre. Il est très vrai que, se jouant des sentiments les plus nobles et les plus sacrés, le mercenaire de Londres a pu tromper dans leurs espérances des êtres abîmés de douleur." (5)


Affiche de l'Institut d'études des questions juives (Doc. JEA/DR).

- "Excellences au rancart, frères trois points délogés, innombrables Kahn hivernant à Cannes, cavaliers de Saint-Georges travestis en soldats de l'An II, abonnés du Times privés de lecture, doux crétins du turf et des links, dont les idées ne sont plus, hélas, blanchies à Londres, prébendiers de la Sociale rêvant que le dear major Attlee (6) leur rapportera les clefs de la caisse, tous traîtrophiles, tous suspendus aux lèvres de l'insulteur de Pétain...
(...)
De Gaulle, inconnu hier, est né de nos calamités. Anglophile déjà, et pire peut-être, il inspira les responsables de la défaite. On le vit paraître aux jours noirs de l'exode. Son ombre se profile sur la vision misérable des routes en sang, des incendies de réservoirs, des colonnes de fuyards allant à la rencontre des colonnes de prisonniers. C'est sur ce fond de désastres que de Gaulle a dressé son personnage.
(...)
Telle fut l'heure où se révéla cet homme. On peut croire qu'il l'a bien choisie. Dès cette heure, en effet, ce phraseur de popotes, ambitieux jusqu'à la démence, était mûr pour la trahison. Déjà couvait en lui cette envie, cette haine des supérieurs que nous vîmes enfin éclater.
Le jour même où la France entière se serrait autour d'un soldat sans reproche, un officier sans discipline s'évadait sur les vaisseaux de l'étranger. C'est ce déserteur qui vous insulte, Français, quand il insulte votre chef. C'est à lui que l'on dicte l'outrage et que l'on paye les deniers de Juda. Ceux de Londres et celui qui parle pour ceux de Londres sont vos ennemis - et le pire de ces ennemis n'est qu'un aventurier sans honneur.
Ne l'écoutez pas gens de chez nous. Ecoutez le Maréchal. Ecoutez le père, quand il vous dit que le pays a bien mérité le respect du monde. Allez honnêtement, bravement, fièrement, sur les pas de celui que vos foules acclament avec des larmes plein les yeux. Mais gardez un coeur ferme pour haïr les félons et les vendus. Haïssez de Gaulle, démasquez ses complices. Parlez haut, crachez au visage des gaullards et des traîtrophiles.
Car, aimer de Gaulle ne va pas sans détester Pétain. Or, qu'est-ce que l'aversion de Pétain si ce n'est l'aversion de la France ? Etre pour de Gaulle, c'est refuser son coeur au Maréchal, c'est désespérer du salut de la patrie. Etre pour de Gaulle, c'est préférer au vainqueur de Verdun le fuyard de Bordeaux. Etre pour de Gaulle, c'est prendre contre le sauveur le parti du traître." (5)


Propagande à l'eau de Vichy. Répondre à l'appel de Charles de Gaulle, c'est présenter une maladie mentale et honteuse : la Dingaullite. Avec les obsessions de service :
"Parmi les agents infectieux... citons les plus dangereux : L'IGNOBILIS YOUDICUS et le FRANCUS MACONNICUM..."
(Doc. JEA/DR).

NOTES :

(1) Henri Béraud, Faut-il réduire l'Angleterre en esclavage ?, Ed. de France, 1935, 56 p.

(2) Lire les pages 12 et 24 de ce blog.

(3) Avec 14 millions de bénéfice annuel pour les actionnaires : Henri Béraud, Les raisons d'un silence, Inter-France, 1944, 69 p., note p. 33.

(4) Le 2 août 1940, le tribunal militaire de Clermont-Ferrand prononce à l'encontre du général de Gaulle la peine de mort, la dégradation militaire et la confiscation de ses biens.
Motifs retenus par le tribunal :
- Allocutions radiodiffusées de nature à provoquer, de la part de l'Angleterre, des agissements nuisibles à la France ;
- Provocation de militaires et de marins à passer au service de l'Angleterre ;
- Risque provoqué contre les Français, en affirmant que les clauses de l'armistice ne seraient pas respectées ;
- Désertion ayant eu lieu sur un territoire en état de guerre.

(5) Henri Béraud, Gringoire, 28 novembre 1940.

(6) Clement Attlee (1883-1967). A partir de mai 1940, lord du sceau privé dans le gouvernement de Churchill qu'il est appelé à remplacer lors de ses nombreuses absences d'Angleterre.



Dédicace de la main d'Henri Béraud (Doc. JEA/DR).

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7 commentaires:

  1. ce De Gaulle là a été grand, au bon moment, au bon endroit, a relevé l'honneur et donné de l'espoir.
    Étant un être humain on peut, tout en l'admirant et le remerciant pour cela, ne pas admettre sans réserves le reste de son action

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  2. Je connais beaucoup de gens qui sont pétainistes actuellement, souvent sans avoir connu la guerre!
    Ils répètent comme leurs parents avant eux,que De Gaulle était un fuyard un traître etc.

    Et pourtant, c'est bien pendant la guerre qu'il fut vraiment quelqu'un de bien.

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  3. Du grand De Gaulle et l'oubli orchestré?
    Le devoir de mémoire de la période pour ne pas sombrer sous la coupe de démons toujours à l'affût se heurte à un oubli programmé(espéré?) avec l'empilement des générations et la disparition des témoins.

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  4. Que de haine - tous les Hector ont leur Demokos ! Merci pour ce rappel des enjeux de l'époque, où la nôtre peut encore se ressourcer.

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  5. Je ne commente guère ! Emploi du temps chargé, lassitude et morosité, mais je suis avec une attention régulière et soutenue le contenu de ce blog toujours aussi intéressant !
    Heureusement que les jours de pluie me ramènent parfois au clavier et me laissent le temps de méditer un peu !
    Je n'ai guère de sympathie pour De Gaulle mais je reconnais, comme le dit fort bien Brigetoun qu'il a été grand au bon moment et au bon endroit.
    C'est une bonne chose, de temps à autre, de remettre les pendules à l'heure.

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  6. Il a été un grand homme, autoritaire et sûr de lui. Qu'a t'il fait pour les "Déportés", pas grand chose sinon rien. Il connaissait la situation. Son objectif était de gagner la guerre avant tout.

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