Le Canard enchaîné, mercredi 1er février 2012, p. 5 (Mont. JEA/DR).
D. S. (Dominique Simonnot) signe en page 5 du dernier numéro du Canard enchainé, un article soutenant à très juste titre le film d'Anna Pitoun intitulé :
- "Pologne aller-retour".
Ce documentaire repose sur une originalité passionnante : suivre un groupe venant de France, composé de Tsiganes ainsi que de juifs découvrant ensemble Auschwitz... Deux mémoires se complètent face aux menaces pesant sur celle des manouches. Et de rappeler "le massacre des 250 000 à 500 000 Tsiganes assassinés par les nazis."
Mais là où la journaliste suit un mouvement du coeur, exprime de la sympathie, elle signe un passage risquant d'être involontairement porteur d'une erreur fondamentale :
- "Au Pavillon tsigane d'Auschwitz, il y a (...) une carte de France montrant les camps où ils furent internés avant d'être déportés [vers Auschwitz]."
Ou cette carte n'est pas fiable (?), ou sa lecture telle que retranscrite dans l'article, comporte une conclusion inexacte. Car si la France compta hélas une trentaine de camps derrière les barbelés desquels furent enfermés des Tsiganes, ceux-ci ne furent pas mis dans un ou plusieurs convois à destination d'Auschwitz.
L'histoire du XXe siècle restera marquée à jamais par trois génocides :
- les Arméniens,
- la Shoah,
- les Tutsis.
Ce constat n'a que faire des tentatives de récupérations/manipulations notamment politiques.
Mais il n'est pas évoqué de "génocide des Tsiganes".
Ce rappel s'inscrit très exactement dans un respect de la Mémoire de la communauté tsigane en France. Il est exclu de tenter d'établir une hiérarchie des horreurs, de participer à compétition indécente entre les destins des victimes. Mais honorer celles-ci, c'est approcher au plus près la vérité de leurs sorts respectifs. Et dès lors, en l'espèce, ne pas confondre des exterminations planifiées pour être systématiques, ne pas les confondre avec un internement - aussi injuste et pénible soit-il - derrière les barbelés d'un camp.
Déportation de Tsiganes, mais pas depuis la France (Doc. JEA/DR).
Quelques chiffres :
- Une trentaine de camps ont été le cadre de l'enfermement des Manouches en France,
dont 22 camps pour les Tsiganes seuls.
On relève dans leur triste liste : Beau-Désert (Mérignac), La Morellie (Indre-et-Loire) et Saliers (Midi)...
- Environ 3.000 gens du voyage furent internés dans des conditions cruelles. Celles-ci entraînèrent d'ailleurs des décès par sous-alimentation chronique, par manque de soins...
- La fin de la guerre ne marqua pas la fin des mesures frappant les "nomades" puisque ces derniers attendirent... 1946 pour être enfin moins maltraités.
En conclusion, la réalité en France d'une persécution raciale frappant de manière spécifique les Tsiganes s'impose sans contestation possible. Cependant, aucune "solution finale" ne leur fut appliquée.
Ainsi comme ne cessent, entre autres, de le rappeler Emmanuel Filhol, chercheur au Centre de recherches tsiganes de Paris V, et au Centre de recherches Épistémé de Talence,
ainsi que Jacques Sigot, historien du Camp de Montreuil-Bellay :
- "Les Tsiganes français n’ont pas été déportés à Auschwitz, sauf des Tsiganes raflés dans le Pas de Calais."
Car on déplore effectivement le transfert à Auschwitz de Tsiganes de France. En précisant que ces derniers ont été arrêtés dans la zone du Nord de la France dépendant du haut commandement militaire à Bruxelles (Militärbefehlshaber in Belgien und Nordfrankreich), soit les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Tous comme ceux de Belgique, ces Gitans furent enfermés dans l'unique Sammellager du Royaume, celui de la Kazerne Dossin à Malines.
Le 15 janvier 1944 partit de Malines le convoi XXIII/Z (pour Zigener). Dans les wagons à bestiaux :
- 662 juifs dont 62 enfants,
- 351 Tziganes dont 175 enfants.
A ma connaissance certes limitée, aucune étude n'a encore établi sur base des fiches de déportation la répartition entre les Tziganes du Nord de la France et ceux arrêtés dans le Royaume.
Une lecture ?
Emmanuel Filhol et Marie-Christine Hubert,
Les Tsiganes en France, un sort à part, 1939-1946,
Perrin, 2009, 318 p.
Présentation de l'Editeur :
- "A l'automne 1940, les Tsiganes de France furent rassemblés pour être transférés dans une trentaine de camps gérés par Vichy. Ces Français de souche parfois ancienne (certains sont arrivés au XVe siècle), quelquefois sédentaires mais le plus souvent nomades, étaient fichés depuis 1912 et tenus par la loi de faire valider leurs " carnets anthropométriques " auprès des gendarmeries : des fichages préalables qui facilitèrent leur internement.
Ainsi le sort des Tsiganes en France fut particulier, différent de celui qui fut fait aux Juifs déportés dans les camps de concentration et d'extermination et aux Tsiganes d'Europe. En mettant en lumière cette page ignorée de notre histoire, Marie-Christine Hubert et Emmanuel Filhol ont réalisé ici un travail inédit, souvent émouvant, grâce aux témoignages qu'ils ont retrouvés dans les archives, mais aussi auprès de survivants.
Cette histoire tragique croise celle de la Seconde Guerre mondiale avec son cortège d'horreurs - abandonnés dans leurs camps, les Tsiganes vont vivre dans des conditions misérables et ne seront libérés qu'en 1946 -, mais elle puise aussi ses sources aux fondements de la Troisième République : une république fortement attachée à façonner un citoyen français à ses normes - laïc, sédentaire, éduqué - aux antipodes d'une culture orale, nomade, et... différente."
NB : La Maison du Livre à St-Gilles (Bruxelles) propose jusqu'au 18 avril une exposition
- "Tsiganes, roms, gitans, gens du voyage entre mythes et réalités"
rue de Rome 28 à 1060 St-Gilles
du mercredi au samedi.
merci pour cette précision - il n'empêche qu'à des degrés divers le comportement de la France avec les tziganes et les gens du voyage, avant, pendant, après la guerre fut honteux
RépondreSupprimer@ brigetoun
RépondreSupprimercomme vous le soulignez et sans conteste, en France aussi, le mot "persécution" s'impose...
Merci JEA pour ce billet, vous aviez déjà signalé ce livre et je me le suis procuré mais ne l'ai pas encore lu
RépondreSupprimerL'ostracisme et le rôle de bouc émissaire n'a pas franchement évolué en France même si les moyens sont un peu moins brutaux quant aux autres pays européens pas un n'est indemne de mesures discriminatoires
@ Dominique
RépondreSupprimerchez nous les pouvoirs sont tenus par des sédentaires : le législatif, l'exécutif et le judiciaire
et les nomades ne cessent de déranger cet ordre qui n'est pas nouveau
à propos d'études rigoureuses sur la persécution des Tsiganes pendant la dernière guerre et en France, nous ne sommes toujours qu'à un début
les jeunes chercheurs ont des documents qui attendent de sortir des poussières mais de moins en moins de témoins-acteurs directs pour confier des bribes de leur mémoire...
encore faudrait-il que de nouveaux chercheurs s'y investissent pour des années
À suivre de près donc!
RépondreSupprimerMerci pour cette mise au point JEA.
La dernière fois que vos aviez parlé des gitans, j'avais fait une rapide recherche, sans grand succès, sur leur sort en Espagne. Il y a encore beaucoup à faire, partout.
Bon weekend, couvrez-vous bien.
@ Colo
RépondreSupprimerUne référence vers un site de tsiganes évoquant le rôle des gitanes dans l'Espagne contemporaine :
- http://www.rencontrestsiganes.asso.fr/spip.php?article309
(la nuit dernière, la radio évoqua du - 20° hors abri dans les Fagnes tandis que la nuit prochain est déjà annoncée comme devant être la plus froide de l'hiver...)
Merci, j'irai voir dès que Mr Internet voudra bien ne plus interrompre ses émissions à tout bout de champ, grrrrr.
Supprimer(Alors votre grand froid arrive ici poco a poco, on annonce du -10º dans la Sierra de la Tramuntana où j'habite; et de la neige. Le bois est rentré, je mettrai des photos du paysage en ligne ce weekend si c'est joli.)
N'oubliez pas le bonnet sur les oreilles!
@ Colo
RépondreSupprimerpour réveiller ce Mr Internet
ici, je porte un feutre noir pour saluer la finale de Latcho Drom :
la Caita
http://www.youtube.com/watch?v=i_VRFwz3xTI
Un éclairage et une mise au point nécessaires ! Merci.
RépondreSupprimer@ Danièle Duteil
RépondreSupprimerun demi-siècle de lecture chaque semaine du Canard et beaucoup d'estime pour le Juliénas, ça rend l'oeil brillant d'amitié, donc aussi d'appétit de vérités...
Combien de fois l'homme est-il capable de répéter les même erreurs, les mêmes horreur ?!
RépondreSupprimernous sommes certes très loin de ce qui fut sans doute la plus grande horreur du siècle mais on continue de jeter la pierre aux roms, aux gitans, aux juifs... pour un oui pour un non, on cherche un bouc émissaire, un coupable idéal...
Ne faisons pas d'amalgame bien sûr mais la discrimination quelle qu'elle soit me fait sortir de mes gongs !
@ MARIE
RépondreSupprimerIndignations partagées. Que nous soyons au moins des vigiles dignes de René Char :
- "Fermes... au-dessus du vide et proches de la terre. Ils voient le dernier et signalent le premier rayon."
...
RépondreSupprimer"Pologne aller-retour"
(Dominique Simonnot)
Merci, JEA
K.
PS. Votre blog est maintenant chez moi [List of my favourite Blogs].
RépondreSupprimerAprès la naissance de son 5ème enfant (qui est l'auteur que j'aime BCP, Charles Juliet- sa mère, gravement dépressive a été internée dans un hôpital psychiatrique
RépondreSupprimerC'était pendant la guerre...
Les "fous", les aliénés, au bout d'un temps, on ne les a plus nourris!!
Ils sont donc morts de faim (si ce n'était que de faim!!!)
CH. Juliet reconstitue l'histoire de cette mère qu'il n'a pas connue dans un petit livre poignant: Lambeaux (paru en livre de poche)
Je suis au courant bien sûr de cette expo dans ma ville
Mais hélas, je ne suis pas encore en mesure d'y aller
;-))
@ Karol Rosiak
RépondreSupprimeravec mes remerciements chargés de vous rejoindre en Pologne et en m'excusant de ne pas voir établi de liste de blog favoris...
@ chère Coumarine
RépondreSupprimertu as plus que raison d'élargir l'horizon des horreurs liées au nazisme et à la collaboration, envers et contre toutes les chapes de plomb
par exemple, il y eut d'abord en Allemagne même les sourds et les muets, stérilisés, mis en camps...
évocation sur la page 181 de mon ancien blog Mo(t)saïques :
http://motsaiques.blogspot.com/2009/10/p-181-temoins-sourds-temoins-silencieux.html
et dans la France de Pétain, comme tu le rappelles, 50.000 morts !!!, c'est effroyablement insupportable, 50.000 décès dans les "asiles" de Vichy, de malnutrition, de mauvais traitements, d'abandon total...
JEA... si ça t'intéresse, je te mets ici le lien du billet écrit sur mon ancien blog, à propos de Lambeaux de Ch.Juliet ;-))
Supprimerhttp://coumarine.canalblog.com/archives/2006/06/09/2055179.html
@ Coumarine
SupprimerGRAND merci pour ton lien
blospot ne permet hélas pas l'activation des liens mis en commentaires
mais on peut faire glisser sa flèche sur le lien puis cliquer sur "ouvrir le lien"
PS : je persiste et signe quant à l'offre d'"Une femme fuyant l'annonce"...
Merci pour la rectification.
RépondreSupprimerLe comportement haineux envers les tsiganes existe toujours et dans les écoles on parle peu de leur sinistre "internement" pendant la guerre.
Un livre, un article, un film, une expo... voilà du mouvement qui va dans le bon sens.
@ MH
RépondreSupprimerOn pourrait projeter dans les écoles le film soutenu par l'article du Canard et aussi "Liberté" (2010). Gitan cinéaste des Gitans, son réalisateur, Tony Gatlif l'évoque en ces termes :
- "Liberté est un film sur des Gitans français, qui furent arrêtés à partir de 1940 à cause de la loi de Vichy qui leur interdisait de nomadiser, de bouger. Mais ils avaient des papiers français. Des hongrois de passage se sont aussi retrouvés bloqués en France et enfermés. Ces camps étaient des camps de concentration ; ceux d’extermination se trouvaient en Allemagne, en Pologne ou en Roumanie. Mais ils mourraient aussi en France, du typhus ou de rage de dents, car dans ces conditions on peut mourir de rages de dents. Et les gosses en bas âge mourraient, car leur mère n’avait pas de lait puisqu’on ne leur donnait pas à manger. En Camargue, ils avaient déguisé le camp de Saliers à la manière d'un village à la Walt Disney, avec des petites maisons typiques pour montrer qu’on les traitait bien. Mais à l’intérieur, c’était infesté de vermine ! Les Gitans ne sont pas morts dans les chambres à gaz, mais d’injustice, de laisser-aller, de maladies, d’enfermement. Ce n’est pas excusable, c’est révoltant."
@ MH
RépondreSupprimerVérification faite, il est toujours possible de consulter la page 175 de l'ancien blog Mo(t)saïques, page saluant la "Liberté" de Gatlif :
http://motsaiques.blogspot.com/2009/09/p-175-la-liberte-de-gatlif-primee.html
Les rivières coulent plus libres que nos souvenirs...
RépondreSupprimerMerci.
@ jeandler
RépondreSupprimerTristan Tzara :
- "Derrière le mur des mémoires
la meute des brumes dissipées..."
@ JEA : ce rectificatif devrait être envoyé à LA journaliste du Canard enchaîné (pourtant rigoureuse habituellement).
RépondreSupprimerUn autre sujet pour bientôt : les archives de la SNCF sous l'Occupation enfin accessibles. Les clients pressurés du TGV apprécieront !
@ Dominique Hasselmann
RépondreSupprimerVous comprenez bien que j'ai d'abord envoyé un courriel au journaliste avant de publier, le lendemain seulement, cette page sur ce blog. De plus, j'isole une seule phrase. Tout le reste de l'article est d'un grand intérêt et remarquable le film qu'il soutient...
A propos des archives de la SNCF, je ne peux oublier qu'un seul convoi sur tous ceux partis des quatre coins de l'Europe vers Auschwitz, un seul a été arrêté par TROIS résistants sur son sinistre itinéraire. C'était la nuit du 19 au 20 avril 1943, en Belgique (Boortmeerbeek), peu après le départ de Malines du Convoi XX. Quand les nazis eurent repris la situation en main, le machiniste belge remit volontairement ce convoi en marche si lentement que d'autres évasions se déroulèrent encore jusqu'à la frontière allemande. Un total de 231 évadés est prouvé par les archives.
@ Dominique Hasselmann
Supprimer"LA" journaliste ?
pitié, je prends seulement conscience d'avoir donné de l'eau au moulin de qui m'accuse sur internet de n'être qu'une "personne prétendument non sexiste"
je corrige ma bourde et de ce pas, dans la neige...
Merci pour ces précisions effarantes et pour le lien vers l'exposition. L'histoire des Roms reste méconnue, c'est vrai.
RépondreSupprimer@ Tania
RépondreSupprimernotre compatriote, Lydia Chagoll - elle-même déportée en qualité de juive - a publié un livre intitulé : "Tsiganes sous la croix gammée" (Luc Pire, 2009, 208 p.)
au long de nombreuses années de recherches en archives, en Belgique autant qu'en France, et à l'exception de deux Tsiganes travaillant très brièvement à Bruxelles sur la mémoire des leurs sous l'occupation,
je n'ai eu à connaître professionnellement aucun(e) autre historien(ne) s'étant attaché(e) à ce sujet...
@ JEA : j'aurais dû vous envoyer cette précision par mail, mais on peut se tromper sur le prénom Dominique !
RépondreSupprimer@ Dominique Hasselmann
RépondreSupprimerJ'assume cette malheureuse erreur.
Par contre, dans son numéro du 8 février, le "Canard" reste bec cousu...