MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 30 mai 2011

P. 39. Charles Belmont ne sera plus censuré

.
Charles Belmont sur fond de salle de cinéma programmant "Histoires d'A" (Mont. JEA/DR).

Page 34 de Libération, le 25 mai 2011, ce bref écho :

- "Charles Belmont est mort volontairement à Paris le 15 mai, à 75 ans (...) réalisant le Fratricide (1967), l’Ecume des jours (1968), Qui de nous deux (2006) et, surtout, Histoire d’A avec Marielle Issartel, film interdit et diffusé coûte que coûte en 1973, une date dans l’histoire du droit à l’avortement en France. Il a été inhumé lundi à Montparnasse."

Sauf erreur ou omission involontaires, pas d'autres articles dans la presse ni sur des blogs de cinéphiles et/ou de féministes.

Charles Belmont :
clap volontaire de fin

Les lampions viennent à peine de s'éteindre à Cannes. Des lauriers vont fâner.
Le temps va continuer à collectionner ses naufrages.
Alors, juste cette page, comme un arrêt sur image.
Un au revoir à Charles Belmont qui filma ailleurs et autrement, ne mettant jamais ni ses pellicules ni le public en boîte. Pas un pilier de festivals ni un invité des émissions à paillettes. Un témoin incorruptible et un acteur engagé. Un homme libre et probe ne nous faisant pas du cinéma mais amoureux du septième art.

Retour en arrière.
Les féministes ne sont pas seules à s'être indignées quand en France, le Ministre des Affaires culturelles, le pacha Druon, censura les "Histoires d'A". Car ce film prenait sa part difficile dans les chocs de blocs composés par :
- celles et ceux réclamant pour la femme la liberté de choisir une interruption volontaire de grossesse,
- et un pouvoir estimant que des lois rédigées autrefois à l'eau bénite étaient intouchables !!!
C'était en 1973.
Voici presque quarante ans, certes.
Depuis, sur le chemin des oublis, "Histoires d'A" a même perdu son S final...

Synopsis :

- "Un jeune couple dans un cabinet médical. Il s’agit d’une consultation précédant un avortement dans le centre d’orthogénie d’une grande ville de province. Cet avortement va se dérouler devant les spectateurs dans tout son réalisme.
Au-delà de ce qui devait être une court-métrage sur une méthode abortive, le film est l’histoire de la lutte des femmes pour rompre le silence."

Le synopsis du même film selon Toutleciné.com :

- "Après une "efficace" démonstration de la méthode de l'avortement dite "par aspiration", un enchevêtrement de témoignages sur les problèmes sexuels, et spécialement sur l'avortement. Film fourre-tout ne traitant aucun aspect du sujet à fond, et dont la volonté militante en faveur de l'avortement ne peut être acceptée par les chrétiens."
Que ce site n'apprécie pas "Histoires d'A", représente le moindre de ses droits. Par contre, maquiller un avis critique et négatif en synopsis officiel, se veut une manipulation assez grossière. Enfin, "les chrétiens" relève de l'abusif, de la généralisation à la recherche d'un affrontement brutal.  

Annie Buron :
 
- «Histoire d'A» (1973), A comme avortement, interdit pendant un an, jusqu'à la loi Veil, marque l'aventure Belmont. «Une partie de cache-cache avec les copies. Un vrai western», se rappelle-t-il."
(L’Express, 24 octobre 1994).


Affiche du film de Charles Belmont et de Marielle Issartel (DR). 

Bruno Frappat :
 
- "L’avortement, décidément, vaut bien des tracas à ceux qui sont chargés de faire appliquer les lois, si désuètes soient-elles. Qu’il s’en pratique tous les jours — plus ou moins clandestinement — passe encore ! Mais qu’on y consacre un film, qu’on l’interdise et qu’il soit malgré tout diffusé, voilà qui dépasse l’entendement. Cela s’explique pourtant aisément. Il faut, en effet, se souvenir de l’importante mobilisation d’une partie de l’opinion en faveur de la liberté de l’avortement qui a abouti à ces centaines d’interruptions de grossesse qui ont lieu chaque semaine à partir de permanences bien connues et dont certains journaux, comme Actuel, ont même publié les adresses. Ces militants sont les mêmes qui assurent aujourd’hui le succès d’Histoires d’A. Rarement film aura bénéficié d’un réseau de distributeurs aussi nombreux et bénévoles."
(Le Monde, 22 février 1973).

MLAC :

 
- "Le film de Marielle Issartel et Charles Belmont, Histoire d’A, qui filme un avortement et des débats du MLAC, est interdit en novembre 1973 au motif de troubles à l’ordre public. Mais les réseaux militants vont permettre sa large diffusion. Pendant un an, le film est projeté illégalement dans les locaux du MLAC ou de syndicats, et dans des usines en grève."
(Copernic, 2005).

Ciné-Club de Caen :

- "Histoires d'A
de Charles Belmont et Marielle Issartel, est un film emblématique de la lutte féministe pour la libéralisation de l'avortement. Réalisé en 1973, il est l'un des tout premiers à montrer un avortement réalisé selon une nouvelle méthode beaucoup moins dangereuse qu'auparavant, la méthode par aspiration, dite méthode Karman. Quoiqu'aussitôt interdit, il est diffusé malgré tout et fait un grand nombre d'entrées, s'inscrivant dans le grand mouvement de désobéissance civile de l'époque."
(Le cinéma français des années 70).

Laura Laufer :

- "Le film Histoire d’A de Charles Belmont et Marielle Issartel, en 1973, signe la plus grande affaire de censure de l’époque. Son interdiction par le ministre de la Culture, Maurice Druon, soulève l’indignation. Les luttes de femmes, les acquis nés de la grève générale de mai 68 ont le vent en poupe. Devant la saisie des copies du film par la police, les groupes femmes, le MLAC (Mouvement de la libération de l’avortement et de la contraception), les organisations politiques de gauche et d’extrême-gauche (à l'exception notoire du Parti communiste) organisent projections et diffusion militante. 200 000 spectateurs « sauvages » sont revendiqués.
(LCR, Montreuil).

Clémentine Autain :

- "Fin 1973, la méthode Karman pour avorter est popularisée par la projection militante du film Histoire d’A., réalisé par Charles Belmont et Marielle Issartel. L’interdiction du film fait scandale. Face à toutes ces manifestions, des voix s’élèvent de l’Eglise catholique, virulente, du conseil de l’ordre des médecins, plus nuancé, ou de l’association « Laissez-les vivre », pour qui « tout avortement est criminel »."
(Blog, 12 septembre 2006).

Films de femmes 70 :

- "S’inscrivant au cœur de la lutte pour l’avortement, les auteur-e-s montrent un avortement réalisé avec la méthode Karman, loin des clichés sordides et des préjugés sur les risques encourus. Transgressif, cru, le film est aussi une réflexion sur la condition des femmes et leur aliénation, faisant le lien entre la lutte pour l’avortement et la nécessité d’une lutte féministe globale."


Affiche de "L'Ecume des jours"
Un générique époustouflant : Annie Buron, Bernard Fresson, Samy Frey, Alexandra Stewart, Jacques Perrin, Claude Piéplu, Marie-France Pisier, Sacha Pitoëff, Delphine Seyrig… (DR)

Impossible, semble-t-il, de vous proposer un extrait des Histoires d'Avortements. La rareté même de "L' Ecume des jours" atteste du peu d'intérêt que Charles Belmont reçut en retour de ses créations.

Annie Buron :

- "En 1967, Belmont réalise «L'Ecume des jours», d'après le roman de Boris Vian (60 000 exemplaires vendus à l'époque; 4 millions aujourd'hui). Bertrand Blier, entre autres réalisateurs, s'y était en vain essayé. «C'est le coeur qui est resté», écrit Jacques Prévert. Dans cette comédie drôle et poétique, envahie par les nénuphars et louée par Jean Renoir, Sami Frey et Marie-France Pisier se disputent les brouillons de Jean-Sol Partre, Jacques Perrin s'agrippe à son pianocktail, et Godard veille. Il faut redécouvrir cette petite merveille."(L’Express, 20 octobre 1994).

Jean-Louis Bory :

- "Il faut retenir le nom du décorateur Auguste Pacé. C'est lui le triomphateur du film. Dans les beiges et dans les bleus, il a composé les harmonies du goût le plus exquis. Je ne suis pas près d'oublier la fabuleuse chambre aux nénuphars où Chloé meurt tout doucement du nénuphar qui l'étouffé : pièce où d'incroyables fleurs flottent dans des bulles de verre parmi des luisances d'aquarium, et, sur le lit, une belle au bois dormant sous enveloppe plastique qui nous propose, avec un pathétique atténué par l'humour, une image de la mort considérée comme une immersion douce dans un monde glauque et nacré."
(Le Nouvel Observateur, 13 mars 1968).

Nezumi :

- "L'adaptation au cinéma de ce roman complétement atypique était une entreprise folle.
Charles Belmont, réalisateur discret et presque inconnu réalise cependant l'exploit de rendre la poésie du livre, à l'aide de grands acteurs, alors débutants. Le film eut peu de succès, en parti éclipsé par les évènements prenant naissance en mars 1968. Même Charles Belmont, le réalisateur, préfère l’ambiance des barricades à celle des salles obscures et ne défend pas son film, baisse les bras. Il se sent à peine concerné par la présentation de son film au Festival de Venise."
(Blog, 6 mai 2011).



.

19 commentaires:

  1. Merci pour l'info passée inaperçue, et regrets pour la disparition de ce cinéaste et acteur audacieux.

    Je me souviens un tout petit peu de "L'Ecume des jours" (le film) : Sami Frey est toujours là.

    Verrait-on aujourd'hui une citation de Wilhelm Reich sur une affiche de cinéma ?

    RépondreSupprimer
  2. Un bel hommage pour cet homme qui aurait du recevoir depuis longtemps une ovation pour le respect et la discrétion ...
    J'ai vu tous ces films que vous énoncez et j'ai fais partie des indignées quand aux portes des maternités des hommes et des femmes nous fustigeaient , brandissant des bébés en plastique devant leur ventre pour dire que l'avortement rendait les femmes criminelles ! J'en ai jeté des oeufs sur leurs têtes !! :)

    Vous savez que pendant deux ans , nous avons créé et joué avec des patients adultes une pièce de théâtre intitulée "La commune " et nous l'avons bien évidemment jouée le 28 Mai:)

    RépondreSupprimer
  3. L'extrait que vous nous présentez, rend déjà bien l'ambiance de "L'Ecume des jours" avec cet humour absurde, poétique, tragique, qui nous a tous marqués.
    Peut-être que dans les prochains jours, en guise d'hommage, certaines chaînes de télévision mettront ses films à l'honneur ? A suivre.

    RépondreSupprimer
  4. Bel hommage et une grande bouffée de liberté en images. Merci de nous rendre Marie-France Pisier & Sami Frey dans cette folle jeunesse !

    RépondreSupprimer
  5. Bonjour, je suis sa fille et merci beaucoup pour ce post/hommage. N'ayant pas les droits de ces films, et certains n'ayant plus de copies (L'Écume des jours...), nous sommes en train de tout faire pour retirer des copies à partir des négatifs, organiser des projections... Nous pensons à faire un groupe de soutien pour redonner une visibilité à ses films qui ont tous eu un role social, cinématographique, politique, et les faire découvrir à tout un public.....

    RépondreSupprimer
  6. Pour qui a déjà tenu la main d'une femme en train de mourir après un avortement clandestin, il n'y a jamais plus la moindre question à se poser pour militer pour le droit à l'avortement
    j'ignorais ce cinéaste !
    Je trouve qu'il a fait un dernier pied de nez à la morale bien pensante !

    RépondreSupprimer
  7. Ici ces films ne sont passés nulle part bien sûr, j'espère aussi...-un vain espoir?- que la télévision française...
    "La nécessité d'une lutte féministe globale"...malheureusement encore à l'ordre du jour.
    Merci.

    RépondreSupprimer
  8. Extraordinaire ! Je n'ai même jamais entendu parlé de lui de ma vie !
    Mais quand je lis "Charles Belmont et Marielle Issartel, en 1973, signe la plus grande affaire de censure de l’époque. Son interdiction par le ministre de la Culture, Maurice Druon,.." Maurice Druon ! Le grand symbole de la misogynie à la francaise ! Pas étonnant que je n'ai jamais rien su de tout cela.
    Merci de cette information extrêmement importante. Je vais essayer de la relayer ces jours prochains. Un nouveau blog féministe à cinq mains, auquel je suis associée, est en train de voir le jour. Voilà un emplacement idéal pour ce faire !

    RépondreSupprimer
  9. Je ne crois pas que l'avortement soit jamais un succès, mais une dure réalité vécue part tant de femmes dans des conditions parfois abominables.
    C'était courageux et avant-gardiste d'en parler à l'époque. Tous ceux qui s'imaginent faire disparaitre les problèmes en les gommant !!!!

    RépondreSupprimer
  10. Je passais comme ça pour vous souhaiter un beau week-end prolongé ... En pilote automatique ? Wôa!! Je ne savais même pas que l'on pouvait le faire ! Les voies du net sont pour moi impénétrables ! rire
    Et il y a une boîte noire aussi ? :)
    A bientôt, nous avons besoin de vos billets et de vos commentaires truculents :)

    RépondreSupprimer
  11. Merci de rendre hommage à ce cinéaste. Sa disparition est bien passée inaperçue. Ces présentateurs de la télé préfèrent nous bassiner trois fois par jour avec des sujets inintéressants.
    Quant à la liberté d'avorter, n'oublions pas Madame Simone Veil pour son courage et son acharnement afin de faire voter cette loi. J'ai eu la joie sans me vanter, de la remercier au nom de toutes les femmes, qui, grâce à elle ne sont pas mortes après de grandes souffrances.
    Ne parlons pas de Maurice DRUON qui était reçu avec beaucoup d'honneur sur une certaine radio dont je tairai le nom pour ne pas lui faire de publicité, et qui considèrait que l'avortement est plus grave que la Shoah. Quel scandale !
    Liberté

    RépondreSupprimer
  12. Je suis la femme et collaboratrice au montage et parfois au scénario de Charles Belmont. L'Ecume des Jours est un film demandé, mais les droits sont bloqués par les héritiers de Vian, c'est pourquoi il est difficile à voir (et non par manque d'intérêt). Néanmoins, le Forum des Images le projettera en hommage le 15 mai 2012 (jour anniversaire de la mort de Charles) avec quatre autres films : RAK, Pour Clémence, Qui de Nous Deux. Je fais un blog pour faire connaître l'adaptation très personnelle de L'Ecume des Jours, et les excellentes critiques qu'il a reçue, et le soutien de Prévert, de Renoir...
    http://charlesbelmont.blogspot.fr/
    Voilà, au 15 mai pour les parisiens !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Madame,

      Le 10 mai prochain (sauf incident technique imprévu), je publierai sur ce blog un billet annonçant ces projections et il y sera insisté sur le lien placé dès aujourd'hui avec votre propre blog.

      Supprimer
  13. L'hommage à Charles Belmont a dépassé nos espérances. Beaucoup de gens, parfois pour les quatre films d'affilée. L'Ecume des Jours a fait salle pleine. Je continue le blog avec d'autres images et liens : http://charlesbelmont.blogspot.fr/

    Par ailleurs, je suis choquée chaque fois que je lis la notule de Libé que vous avez mise en tête faute de mieux à l'époque. La présentation de "réalisateur et acteur amateur" (pour quelqu'un qui n'a fait que des premiers ou seconds rôles), ou cette phrase obscure "il est passé de l'autre côté de l'objectif dans les Vierges de Mocky", ne sont que bêtises, anonymes de surcroît. En juin, est paru un article bien informé de Jean-Luc Douin dans le Monde. Ce serait mieux puisque les erreurs tournent sur le net...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Madame,
      C'est par Libération que j'ai appris dans mes très lointaines provinces étrangères que Charles Belmont ne filmerait plus.
      Actant le peu d'échos dans la presse, j'ai aussitôt tenté de laisser la trace d'une page sur ce blog dès le 30 mai.
      Et objectivement, je ne pouvais que citer ma source.
      Celle-ci vous semble peu fiable. A vous lire, même si toute forme de censure d'une critique me rend grandement nerveux, il me semble comprendre comment et pourquoi vous n'en acceptez pas les termes.
      En conséquence, j'ai réduit le déjà très bref articulet de Libé à quelques lignes essentielles.
      Et je ne puis, vous rejoignant, que suggérer aux lecteurs (masc. gram.) de ce blog, de s'en référer au vôtre (lien permanent dans la colonne de gauche) et à l'article de J-L Drouin pour qui est abonné au Monde.

      Supprimer
  14. Loin de moi l'idée de vous reprocher quoi que ce soit ! Au contraire, je vous remercie d'avoir donné l'information avec les éléments déjà publiés. C'est juste que Libé n'a pas fait de critique, ni donné de vraies informations, sans même signer. Ce qui est étrange par rapport à un cinéaste qui a toujours cherché à changer le monde. Le ton de mon commentaire ne se teintait d'acrimonie que pour la légèreté du journal, croyez-le bien.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Vous étiez crue avant même d'avoir été lue jusqu'à la dernière ligne.

      Supprimer

Les commentaires sont modérés dans la mesure où les spams ne sont pas vraiment les bienvenus (ils ne prennent pas de vacances)