MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

jeudi 8 novembre 2012

P. 196. Mona Ozouf et Jane Austen


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Mona Ozouf,
La cause des livres,

Gallimard, 2011, 547 p.


Mona Ozouf


- "J'ai réuni dans ce livre des articles que, pendant quarante ans, j'ai donnés au Nouvel Observateur. Une actualité littéraire fantasque les a souvent inspirés, les figures imposées du journal en ont toujours dicté la forme : c'est une brocante où le hasard semble avoir plus à dire que la nécessité. Et pourtant, cette promenade buissonnière à travers les livres dessine peu à peu un itinéraire familier. On retrouvera ici les aveux du roman, les mots des femmes, l'ombre portée de la Révolution sur les passions françaises, et un tableau de la France et des Français où l'on voit une diversité obstinée tenir tête à la souveraine unité de la nation. Ces rencontres d'occasion avec les œuvres et les figures du passé me renvoient donc à mes goûts et à mes attaches. Je n'ai pas de peine à reconnaître en elles des voix amicales et des présences consolantes. Mais j'y vois aussi surgir l'événement intempestif, la rencontre inattendue, la surprise des sentiments. La littérature et l'histoire, sur la chaîne usée des destinées humaines, n'ont jamais fini de broder les motifs inépuisables de la complexité. Telle est la cause des livres."
(4e de couverture).

Antoine de Baecque

- "Mona Ozouf (…) démontre sa sensibilité aux écrivains, son goût sûr pour les mémoires et les correspondances, son art du portrait, qu'il soit celui de femmes ou d'amis historiens. Surtout brille un style qui n'a que peu d'égaux dans la littérature française actuelle."
(Le Monde, 24 novembre 2011).

Grégoire Leménager


- "C'est la boutique idéale pour découvrir les secrets de Voltaire, Henry James ou Flaubert, cet « anachorète enchaîné à l'écriture »; comprendre ce que les femmes doivent à George Sand et à Mme de Staël ; entrevoir ce que peut cacher le séduisant « mépris de la politique» affiché par les écrivains de droite ; saisir, chez ceux qui lui ont survécu, comment la Révolution a « assassiné le cours paisible du temps ».
Il n'est pas étonnant que l'auteur des « Aveux du roman » tienne Jean Starobinski et Paul Bénichou pour des maîtres; comme eux, elle sait qu'il n'est pas toujours superflu de considérer un texte dans son contexte, et que la lecture tourne en rond quand elle prend la littérature pour un jeu de construction formelle.
Mais elle sait surtout, à travers des images toujours fines et pénétrantes, faire de l'érudition le plus agréable des commerces. Plaire et instruire, sans laisser voir que chaque article est bâti avec la rigueur d'une leçon d'agrégation, c'est la suprême élégance de Mona Ozouf."
(Le Nouvel Observateur, 13 octobre 2011).

Marc Riglet

- "Mona Ozouf, née en 1931, est fille d'instituteurs bretons. De son père, militant de la cause bretonne, elle tire sa sensibilité aux sentiments d'appartenance aux "petites patries". De son éducation républicaine, elle retient les valeurs de l'excellence scolaire. Normalienne, agrégée, elle se distingue par ses travaux sur la Révolution, la République et son école, les femmes de lettres et, aussi, sur les liens qui s'établissent entre la littérature et l'histoire. Chroniqueuse littéraire au Nouvel Observateur depuis près d'un demi-siècle, servie par une écriture d'une rare élégance, elle aura jeté sur les travaux de ses pairs un regard bienveillant mais justement critique."
(Lire, 21 novembre 2011).


(Mont. JEA/DR).

Chronique littéraire de Mona Ozouf : "Une vieille fille indigne"
consacrée à deux publications :
- Claire Tomalin, Jane Austen, passions discrètes, Autrement, 2000
et
- Jane Austen, Oeuvres romanesques complètes, t. 1, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2000
(Le Nouvel Observateur, 9 novembre 2000).


Le décor des romans de Jane Austen

- "Le ciel était bas, il pleuvait beaucoup. Autour des presbytères de campagne, les chemins étaient de fondrières, il fallait attendre le gel pour chausser les galoches, et tenter dans le collines des marches héroïques, vite interrompues par la bourrasque. Les demoiselles de la gentry restaient le front aux vitres, levant leur rideau de dentelle sur une pluie définitive, guettant la chaise de poste, l'invitation à un goûter, la visite porteuse des potins du village : une maison de campagne s'ouvre à un nouveau locataire; on annonce le passage d'un régiment; parfois une jeune folle s'enfuit au bras d'un galant vers l'Ecosse complaisante aux mariages clandestins, et c'est pour des semaines la promesse de délicieux commérages."
(P. 285).

Un génie féminin persécuté ?


- "Notre époque adore les victimes. Les biographes de Jane n'ont eu que trop d'inclinaison à voir en elle une génie féminin persécuté. (...)
On trouvera plus de justesse dans la méticuleuse biographie de Claire Tomalin. Grâce à elle, nous savons que le presbytère de Selborne n'était pas une résidence maussade pour la petite Jane : sept frères, une soeur, une ribambelle de cousins avec qui s'ébattre. De plus, tout le monde écrivait dans la famille Austen : le père, des sermons; la mère, des élégies; les frères, des essais pour les journaux d'Oxford; tous, des pièces de théâtre qu'on jouait en famille. La bibliothèque paternelle était libéralement ouverte aux filles comme aux garçons, romans compris. Et quand Jane se mit à écrire, loin de devoir cacher ses "histoires", elle les lisait le soir accotée à la cheminée, les dédiait à un frère, les faisait illustrer par sa soeur. Son père s'ingénia à lui trouver un éditeur, toute la famille tira orgueil de son talent. Etrange victime donc."
(PP. 285-286).

Un portrait de Jane Austen ?


- "Assez belle, avec des joues un peu pleines", dit l'un des témoins, ce qui donne peu à rêver. Au gré des observateurs, Jane était tantôt timide, tantôt intimidante, tantôt fantasque, tantôt raide. Tantôt sensible et tantôt, aux yeux de Charlotte Brontë, "absolument imperméable à la passion". Insaisissable donc : sa nouvelle biographie respecte cette évanescence en renonçant au portait en pied. Au lecteur de rassembler les indices."
(P. 286).


(Mont. JEA/DR).

Les héroïnes de Jane Austen ?


- "Elles ne sont guère plaintives, ces demoiselles. Et, circonstances aggravantes pour notre temps, fort peu révoltées. Marianne, Catherine, Elinor, Elisabeth vivent indifférentes à l'histoire, dans une époque pourtant fertile en révolutions (...). Elles ne songent pas davantage à contester l'ordre établi, même s'il est loin d'être tendre aux jeunes filles (...). Le mariage est la clé de leur destinée, mais l'argent est la clé du mariage.
(P. 287).

- "L'univers de Jane est impitoyablement rincé de tout romanesque, et pourtant cette lectrice de Rousseau n'a pas renoncé au romantisme de l'amour partagé. Elle confie à ses plus séduisantes héroïnes, comme l'Elisabeth d'Orgueil et préjugés, le soin de montrer comment on peut intelligemment interpréter la partition obligée de la chasse au mari."
(P. 288).

- "Ses héroïnes s'évertuent à passer des compromis honorables entre "Sensibility" et "Sense" (traduit ici, de façon un brin trop pascalienne à mon goût, par Le Coeur et la Raison). Elles cherchent, sans jamais crierà l'injustice du monde et des hommes, à tenir un compte équitable des heurs et des malheurs que leur réservait la destinée. Et c'est cette lucidité dénuée de ressentiment qui nous les fait aimer, elles et Miss Austen, leur mentor ironique."
(P. 289).

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15 commentaires:

  1. sont pas si peu révoltées que ça les héroïnes de Jane, disons qu'elles ne perdent pas de temps à ça, elles agissent

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  2. Le livre de Mona Ozouf est une superbe balade littéraire et historique et quel talent !!!

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    1. En m'excusant de détourner la formule de L. Ullmann, mais elle décrit si justement M. Ozouf :
      - "Les livres sont sa maison..."

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  3. Voilà une référence littéraire qui m'intéresse beaucoup;quant à Jane Austen, j'admire ses héroïnes qui avancent en dépit des événements.

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  4. J'ai lu avec plaisir le livre de Mona Ozouf, quant à jane Austen, je dois reconnaître que je l'ai lu comme Charlotte Bronte quand j'avais 16 ans et que j'avais un faible pour les Hauts de Hurlevent de cette dernière et moins de souvenir des héroïnes de Jane. Ce qu'en dit Mona ne m'y invite guère.
    PS, J'ai vu "une famille respectable". Très fort mais très dur.

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    1. Mona Ozouf pour la critique littéraire, Michel Cournot pour le cinéma, Jean-Claude Pirotte pour la poésie, Frédéric Potecher pour le judiciaire, Françoise Giroud pour la presse hebdo...
      quelques phares quand les nuits sont trop longues

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  5. il va falloir que je révise Jane Austen, lecture adolescente que j'ai un peu oubliée. quant à Mona Ozouf bons souvenirs!

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    1. il serait peut-être nécessaire de préciser que si j'ai retenu la chronique de M. Ozouf sur J. Austen, c'est tout bêtement pour une concordance de dates (9 novembre), pas pour le fond...

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  6. Une fois qu'on a découvert le style lumineux de Mona Ozouf, comment ne pas la suivre ? Merci de me rappeler "La cause des livres" que je n'ai pas encore lu. Ces recueils d'articles contiennent souvent des perles (c'est le cas pour Sollers, dans un autre genre).
    Jane Austen, lue il y a trop longtemps, un peu déformée par les beaux films inspirés de ses romans : à relire donc.

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    1. voilà, une plume telle que l'on reconnaît l'auteur avoir d'aboutir à sa signature
      et puis quelle historienne aussi alors que journalisme et histoire sont deux disciplines parfois antagonistes...

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  7. C'est bien de rectifier les fausses légendes et d'abandonner les jugements...
    Jane Austen : comme Tania, mes souvenirs du livre (lu dans la collection verte ?) sont lointains et j'ai surtout des images de films qui me reviennent à l'esprit, des robes longues et des jolies filles au visage doux dans une nature sauvage.

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    1. à propos de jugements : cet article de Charlotte Pudolwski
      http://www.slate.fr/culture/57395/jane-austen-conservateurs-developpement-personnel

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  8. Je lis et relis régulièrement Jane Austen, ne pense rien de ses héroïnes si ce n'est qu'elles me plaisent, alors je lis et relis Jane Austen, et connaître le fin mot de l'histoire ne m'empêchera jamais, je crois, de la lire et de la relire. Sans rien en dire de plus. Quant à Mona Ozouf, je l'ai entendue à la radio et ce billet me donne envie de la lire. Merci.

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