MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 23 juillet 2012

P. 166. 70e anniversaire de la Rafle du Vel d'Hiv : les Justes n'ont pas été oubliés...

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Plaque commémorative de la Rafle du Vel d'Hiv (Doc. JEA/DR).

Le dimanche 22 juillet 2012, François Hollande a présidé la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv (1).

Cette cérémonie a été marquée par :
- les prières par le Grand Rabbin Alain Goldmann et le Rabbin Olivier Kaufmann,
- une allocution de Serge Klarsfeld, Vice-Président de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Président de l'Association "les fils et filles de déportés juifs de France",
- une allocution de Richard Prasquier, Président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF),
- une allocution de Raphaël Esrail, Président de l'Union des Déportés d'Auschwitz,
- le témoignage de Mme Marie Theulot, fille et petite-fille de « Justes de France »;
- le discours du Président de la République.

La question se posait de savoir comment François Hollande allait se situer entre François Mitterrand (2) et Jacques Chirac (3) face aux responsabilités françaises dans cette Rafle qui fut l'une des faces les plus honteuses de la Shoah dans l'hexagone.
Le Président de la République ne déçut pas les attentes car il ne pouvait se montrer plus explicite ni plus précis en répétant :

- "La vérité, c'est que la police française s'est chargée d'arrêter des milliers d'enfants et de familles….
La gendarmerie les a escortées jusqu'aux camps d'internement.
La vérité c'est que le crime fut commis en France par la France…
La vérité, c'est que le crime du Vel' d'Hiv' fut aussi commis contre la France, contre son honneur, contre ses valeurs, contre son idéal… Ces mêmes valeurs que la Résistance, la France libre, les Justes surent incarner dans l'honneur
."

La presse ayant donné la priorité à François Hollande, en oublia la dernière à s'exprimer avant le Président : Marie Theulot.
De crainte que ne reste trop négligé son témoignage en qualité de fille et de petite-fille de Justes, voici quelques éléments resituant celui-ci dans son contexte.


Marie Theulot et son Grand-Père, Georges Vigoureux, Juste parmi les Nations (Mont. JEA/DR).

Marie Theulot

- "Georges Vigoureux, mon grand-père, fut commissaire de police à Rosendaël de 1938 à 1942. La Gestapo de Cassel convoqua en juillet 1942 ce résistant de la première heure. Heureusement relâché, il partit dans la journée - avec sa famille - vers le sud.
En poste à Bagnères-de-Bigorre, Georges Vigoureux poursuit ses activités de résistance. Son fils (mon père) Jacques, 16 ans, y participe.
Mon père est l'un des plus jeunes Justes de France (4).
En quelques jours, tous deux ont prévenu une quarantaine de familles juives qu'elles étaient sur les listes d’arrestations et de déportations.
Si Jacques a vécu ensuite dans le maquis, échappant ainsi à la Milice, Georges a été arrêté. Il a survécu neuf mois à Dachau.
La famille n’a su que tardivement tout ce qu’ils avaient fait. Ça a sauté une génération, la mienne et ce sont mes enfants qui ont posé les questions faisant remonter ce passé à la surface."

- "Le commissaire Georges Vigoureux, de par ses fonctions, exposé plus tôt et plus souvent que les autres Français à la réalité des persécutions antijuives, a choisi l’exception en contournant les lois. La désobéissance devient une vertu lorsqu’elle place le respect de l’autre au dessus de l’autorité aveugle. En tant qu’auteur et conférencière, c’est ce message de conviction, de courage qui rend sa dignité à l’être humain, que je m’évertue de mon mieux à communiquer aux jeunes générations."

Synthèse du dossier de ces deux Justes

- "Georges Vigoureux, commissaire de police, et son fils, Jacques, pour leurs actions en 1943-44, à Bagnères-de-Bigorre, dans les Hautes-Pyrénées, figurent au nombre des Justes parmi les Nations. Ces Français qui, non juifs, ont sauvé au péril de leur vie des juifs, persécutés raciaux.
Dès le début de la Guerre le commissaire Vigoureux entra dans la Résistance, participant à des actes de sabotage contre l’ennemi. En juillet 1942, recherché par la Gestapo, il ne dut son salut qu’en s’enfuyant en zone libre avec sa famille. Lorsqu’en novembre 1942 les Allemands ont occupé la zone libre, Georges Vigoureux reprit ses activités de résistance. Plus particulièrement en prévenant des familles juives de l’imminence de leur arrestation. Les juifs étaient nombreux à séjourner à Bagnères-de-Bigorre, dans l’espoir de pouvoir passer en Espagne, toute proche.
Courant 1943, face au nombre croissant de persécutés à prévenir, le commissaire Vigoureux fit appel à son fils Jacques, qui n’avait que 16 ans. Tous deux sauvèrent ainsi plusieurs dizaines de familles juives d’une mort certaine. Mais en mai 1944 le commissaire Vigoureux tomba dans un piège tendu par la Gestapo et quelques semaines plus tard fut transféré au camp de Dachau par le trop célèbre « train de la mort » (5). En vue d’échapper à une probable arrestation, son fils Jacques prit le maquis dans les montagnes pyrénéennes." (6)

Ecole Nationale Supérieure de la Police


- "Le commissaire de police Georges Vigoureux se fait remarquer dès le début de la Seconde Guerre mondiale par ses actes de courage. Il communique à la Résistance des informations sur les mouvements des troupes allemandes. Il est condamné à mort par contumace pour sabotage par le Tribunal Militaire Allemand de Lille en 1942. Puis, à Bagnères de Bigorre, il s’engage rapidement dans la Résistance locale et aide des Juifs à fuir. Il est aussi chargé de la protection du maquis et des parachutages.
Il est arrêté par la SiPo le 6 mai 1944. Torturé à Toulouse, il ne parle pas et est déporté le 2 juillet 1944 vers Dachau. A la Libération, il fait arrêter des
criminels de guerre."
(Commissaires reconnus Justes parmi les Nations).

Marie Theulot, loin de tout Shoah-business, elle, est l'auteur d'un roman historique publié en 2009.


Marie Theulot
Le plongeon interdit, Stuttgart 1938,
préface de Simone Veil,
Ouriana, 2009, 200 p.

Editeur

- "Sur un mode romanesque, la dénonciation des dérives et des conséquences des idéologies totalitaires touche au plus profond lorsque ces dernières s'inscrivent dans un événement intolérable de l’Histoire: la Shoah. L’auteure met en exergue la souffrance des cibles de l'oppresseur mais aussi le courage de ceux qui résistent à l'intolérance. A un moment où le négationnisme tente de faire surface et où les sondages révèlent une poussée de l'antisémitisme (en période de crise, on cherche des coupables), écrire sur ce sujet, c'est faire oeuvre pédagogique, pour les jeunes générations en particulier."

4e de couverture

- "Elle est jeune, allemande et juive. Il est jeune, allemand et protestant. Des pancartes «Interdit aux Juifs» sont placardées sur les magasins et dans les lieux publics. C’est justement là, dans une piscine, qu’ils se rencontrent. Dans un contexte de montée du nazisme, l’horreur et la terreur croisent le fer avec l’amour et l’espoir. L’étau des lois de la dictature nazie se resserre sur une histoire d’amour interdite. Y survivra-t-elle ? A découvrir dans ce beau roman historique, préfacé par Simone Veil."

Site Françoise

- "Fille et petite-fille de Justes entre les Nations, Marie Theulot, retraitée de l'Education Nationale, croit "aux valeurs de tolérance et d'amour".
Son récit très attachant se fonde solidement sur de vrais témoignages, et se termine par de nombreuses références et documents qui peuvent aider à mieux comprendre cette époque, plus spécialement présentée à l'intention des jeunes générations.
Il est très important de rappeler , aujourd'hui en particulier, combien il est facile de glisser dans la haine et l'antisémitisme, combien de vies peuvent être brisées par l'ignorance et où mène le fanatisme ... mais aussi combien l'on peut avec patience contribuer à retourner une situation, aider les coeurs à s'ouvrir et les mains à se tendre, voir l'angoisse et la peur, la mort même reculer."
(24 septembre 2009).

NOTES :

(1) Lire la P. 164 : Le 16 juillet 1942, premier jour de la Rafle du Vel d'Hiv.

(2) En 1992, François Mitterrand est le premier président à assister à une cérémonie au Vel d'Hiv, cérémonie qui n’est pas encore organisée au niveau national mais par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Le président est hué par uen partie de l'assistance. Robert Badinter répond par un appel au respect des morts. Images INA : cliquer ICI.
En 1993, Mitterrand instaure par décret une "Journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite 'Gouvernement de l’Etat français'". A son estime, la responsabilité de la France n'a pas à être évoquée mais seule celle de Vichy...

(3) François Hollande tint à saluer la "lucidité" et le "courage" de Jacques Chirac :
- "Le grand mérite du président Jacques Chirac est d'avoir reconnu ici-même, le 16 juillet 1995, cette vérité. 'La France, dit-il, la France, patrie des Lumières et des droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable''. Et si fut historique ce discours du 16 juillet 1995 lors de la cérémonie de commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv, celui prononcé par Jacques Chirac le 18 janvier 2007 lors de l’hommage aux "Justes de France" au Panthéon, ne le fut pas moins.

(4) Au jour où est publiée cette page, 3.641 Justes ont été reconnus en France.
Consulter le site du Comité Français pour Yad Vashem en cliquant : ICI.
Trois pages de ce blog évoquent des Justes : les P. 147, P. 147 bis et, hélas, P. 151.

(5). Le "train de la mort" quitta Compiègne le 2 juillet 1944 avec 2.166 déportés. A son arrivée à Dachau, 536 cadavres durent retirés des wagons.

(6) Les Vigoureux Père et Fils, ont été reconnus Justes parmi les Nations en 1994. Leur dossier Yad Vashem porte la référence 6120.

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16 commentaires:

  1. pour avoir conscience de la saloperie dont sont capables certains humains il ne fat jamais oublier que l'on peut être autre

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    1. Laurent Seksik :

      - "Il s'était voulu le biographe des riches heures de l'humanité ; il ne parvenait pas à se faire le scribe d'une époque barbare..."

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  2. J'ai lu hier en effet les mots de François Hollande...
    Et j'ai aussitôt pensé à toi, me disant qu'il n'avait pas fui...disant les choses comme elles sont...

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    1. Chère Coumarine

      selon la formule d'Annette Wierviorka, nous avons été plus moins acteurs et/ou témoins d'une processus allant de l'amnésie au consensus...

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  3. Oui, enfin des paroles qui sonnent juste; mais le pire dans tout ça, c'est la honte de ceux qui sont revenus et n'arrivaient pas à dire qu'ils avaient été traités comme des animaux, la culpabilité d'être des sous-hommes!

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    1. les silences au retour ont résulté d'un mélange très complexe :
      - les témoignages de rescapés se heurtant aux murs de l'incrédibilité qui les renfermaient sur eux-mêmes
      - les réponses blessantes du style : "mais nous aussi nous avons souffert" (de la faim, du froid) ou "taisez-vous, vous nous faites trop mal"
      - le souhait de protéger les enfants des horreurs subies
      - la seule prise en considération des prisonniers de guerre et des déportés politiques (exaltation de la résistance) avec une exclusion des persécutés raciaux des cérémonies officielles etc
      - l'indifférence générale (si pas plus) vis-à-vis de l'antisémitisme et ce jusqu'aux années 70...

      E. Wiesel :

      - "Si ce n'est le suicide, c'est le silence. Ça revient au même."

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  4. Il est invraisemblable que le discours de F. Hollande fasse polémique. Oui la France a fait ça ! Était-ce la vraie France ? En tout cas des vrais Français l'ont fait....

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    1. Jusqu'à présent, trois réactions négatives.
      Mme Dati regrette qu'il n'ait pas été rappelé dans le discours de F. Hollande que "tous les Français n'ont pas été complices". Ce qui revient à refuser d'entendre les passages sur les Justes, sur le Forces Françaises Libres, sur les Résistants...
      M. Chevènement affirme que Pétain n'était pas la France. Mais Vichy abritait nombre d'ambassadeurs auprès de cette France-là, dont celui des USA jusqu'au débarquement d'Afrique du Nord.
      Quant à M. Guaino, sa mauvaise foi est totale. S'interroger quant à savoir si F. Hollande n'est pas "proche" des notables de Vichy ???

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  5. Merci JEA.
    Cette polémique me semble au plus haut point malsaine, refus de l'écouter donc.

    Soleil quand même...partout.

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    1. chère Colo

      même ici, incroyable mais vrai : soleil (pour deux jours, puis orages, puis de nouveaux désespoirs...)

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  6. Et le même jour, pas seulement au Vel d'Hiv mais partout en France avec les mêmes complicités, les mêmes haines. Ces gens-là ne pouvaient pas ignorer ce qu'ils faisaient. Nous devons en porter la honte dans les siècles et les siècles pour eux.

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    1. Peut-être un plus grand besoin de solidarité que de honte ?

      Hanna Arendt :
      - "Ceux qui furent expulsés de l'humanité et de l'histoire humaine, et qui, par là, furent privés de leur condition humaine, ont besoin de la solidarité de tous les hommes pour les assurer de leur place légitime dans la patiente chronique de l'homme."

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  7. Moins que la honte, nous devons développer la vigilance pour nous faire sentir à temps l'égarement de la violence "anti autre". Ce n'est jamais naturel tant nos cultures sont tissées sur la sélection versus l'exclusion.

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    1. Chère Zoé,

      mais aussi se souvenir de Daniel Sibony :
      - "L'origine de la haine, c'est la haine de l'origine..."

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  8. Refus d'écouter la polémique stérile aussi.
    Dossier très complet, comme toujours.

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    1. et refus de ma part que le témoignage de Mme Theulot ne soit pas réduit à une seule ligne comme dans les médias...

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