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L'histoire en marche, leur histoire : celle de la libération des femmes (Graph. JEA/DR).
Quelques militantes féministes choisissent l'Arc de triomphe pour (p)oser la première pierre de leur Mouvement...
Françoise Picq (1)
- "Elles étaient dix ce 26 août 1970 à déposer une gerbe à «la femme du Soldat inconnu», plus inconnue encore que le célèbre soldat sous l’Arc de triomphe. C’est ce jour-là, que les journalistes, copiant le «Women’s Lib» américain, ont parlé pour la première fois en France d’un mouvement qu’ils ont baptisé Mouvement de libération de la femme. Le singulier «la femme» a été réfuté, le mouvement de libération des femmes est alors devenu le MLF. Héritier rebelle de mai 1968, c’est un mouvement d’un type radicalement nouveau, qui s’inventait dans la rencontre des femmes sans prétendre les représenter et refusait d’être représenté par quiconque. Nulle ne devait s’approprier le nom collectif. Les tracts étaient signés «quelques militantes» ou «des militantes du MLF» ; les articles de prénoms ou de pseudonymes (…).
Le mouvement des femmes existait déjà aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, dans les pays du nord de l’Europe… Il fallait bien qu’il arrive en France, sur un terrain fertilisé par mai 1968. Si on considère généralement 1970 comme l’année initiale, c’est que la première publication collective, un numéro spécial de Partisans (mai) titrait - en toute innocence historique - «Libération des femmes, année zéro». C’est aussi que l’année 1970 fut riche en événements et manifestations."
(Libération, 7 octobre 2008).
France Soir
- "Un petit commando en jupons n’a pas réussi à déposer ses fleurs sous l’Arc de Triomphe."
(27 août 1970).
8 mars info
- "Le 26 août 1970, une douzaine de militantes anonymes déposent une gerbe sous l’Arc de Triomphe, à la gloire de la Femme du soldat inconnu. Sur leurs banderoles, il est écrit : Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme.
Elles sont aussitôt arrêtées par la police, mais dès le lendemain la presse annonce « la naissance du MLF ». « La libération des femmes, année zéro » titrait une revue.
Le MLF ne se veut ni une organisation ni un parti ; aucun leader n’est toléré. Le mouvement se compose de collectifs et groupuscules. Les militantes féministes veulent se battre sur tous les terrains, en vertu du principe que le privé est politique. Elles rejettent les canons de beauté imposés par le diktat patriarcal, réclament crèches et garderies, demandent à leurs conjoints de partager les tâches domestiques. La révolution sexuelle est passée par là : elles dénoncent viol, inceste et agressions sexuelles, luttent pour l’avortement.
C’est tout un mode de vie et de pensée que les féministes des années 70 veulent changer. Elles ne veulent rien moins que tout le droit pour toutes les femmes, comme l’avait superbement formulé Olympe de Gouge en 1792, ce qui lui valut la guillotine."
(En France, le MLF n’émerge qu’à partir de 1970).
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Articulet de Combat, le 27 juillet 1970. La militante américaine interpelée serait Namascar Shaktini (DR).
Lily Wonderverden
- "26 août 1970 : mais que font ces quelques femmes réunies devant la flamme du soldat inconnu, à Paris, sous l’Arc de Triomphe ?
Elles sont une dizaine. L’une d’entre elles porte une gerbe de fleurs où l’on peut lire : "À la femme inconnue du soldat".
Huit autres déploient des banderoles :
- "Un homme sur deux est une femme" ;
- "Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme" ;
- "Solidarité avec les femmes en lutte aux USA" :
- "Libération des Femmes".
Autour d’elles virevoltent quelques photographes et journalistes prévenus pour l’occasion. Le lendemain, leurs articles paraissent dans les journaux souvent à la Une.
Le mot de désordre est lâché : LIBÉRATION DES FEMMES. Il va courir tout au long des décennies, parfois ouvertement, souvent en sourdine, pour passer, tel un furet, d’une vie à l’autre."
(Blog Aliceswonderverden, 24 août 2010).
Sylvie Duverger
- "Le 26 août 1970, quelques rebelles insensées s'en allèrent déposer une gerbe à cette effacée de la grande histoire, plus inconnue encore que son peut-être digne et tendre époux, le fameux soldat, celui qu’on ne connaît pas, mais quand même. Le célèbre soldat inconnu… Oxymore à la hauteur du désordre symbolique, qui donne place généalogique aux hommes et efface les noms des femmes ; oxymore à la profondeur des trous de mémoire de l'Histoire, qui s'évertue à ne garder de traces que des hommes, petits ou grands soldats, et jusqu'à ceux dont nulLE n'est venuE chercher la dépouille au champ des morts.
Le 26 août 1970, 9 ou 10 jeunes insolentes – le nombre dépend des récits – signalaient à l’attention qu’ « un homme sur deux est une femme », et qu’il était temps, en somme, que les femmes jouissent des droits de l’homme : celui de disposer de son corps, en premier lieu, celui d’être reconnu comme un corps-sujet à part entière."
(Le Nouvel Observateur, Féministes en tous genres, 28 août 2012).
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Photo dans France Soir. De galants policiers se proposent de porter obligeamment gerbe et banderoles. Le journal évoque "un commando en jupons", cette formule choc des mots se trouve contredite par son propre cliché ne montrant que deux robes (DR).
Benoite Groult
- "Il faudra attendre le reflux de la vague gauchiste en 70 et la déception des lendemains d'utopie, surtout pour les femmes, traditionnelles flouées de ce genre d'aventure, pour que toute une génération de filles nées après guerre comprennent que le salut ne viendrait que d'elles-mêmes et prennent conscience de la nécessité d'une lutte spécifique.
A toute révolution il faut un acte de naissance symbolique. Le nôtre date du 26 août 1970, jour où quelques militantes anonymes eurent l'idée de déposer à l'Arc de Triomphe une gerbe en hommage à la Femme du Soldat Inconnu."
(Ainsi soient-elles au xxie siècle, Grasset, 2000, 228 p.)
Parmi ces "quelques militantes anonymes" :
Cathy Bernheim (2), Julie Dassin, Emmanuelle de Lesseps (3), Christine Delphy (4), Christiane Rochefort (5), Namascar Shaktini (6), Monique Wittig (7), Anne Zelensky (8)...
(Sauf erreurs involontaires mais après croisements de documents et de témoignages).
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Le Figaro, 27 août 1970, compare les femmes américaines et leurs " manifestations monstres" avec les françaises soit "un groupe d'une dizaine de militantes" (DR).
Anne Zelensky
- "L’initiative à l’Arc de triomphe a concentré l’essence de ce qui serait notre mouvement, sa pensée, sa démarche, ses formes d’intervention. Toute la griffe MLF était là. Sauf que le label, nous ne l’avons jamais choisi, il nous a été plaqué de l’extérieur, par analogie avec le Women’s Lib américain. Nous, notre nom, c’était le Mouvement."
(L’Humanité, 26 août 2010).
Cathy Bernheim
- "Quand la libération des femmes a été à l’ordre du jour, en 1970, année surnommée par quelques-unes l’année Zéro, nous sortions de ce guêpier qu’avait été le « devenir femme ». Nous avions perdu quelques plumes quand nous avions dû nous arracher à la cage (plus ou moins dorée et confortable), de LA femme. La Femme, entité censée nous mettre à l’abri de la sauvagerie de la condition humaine, et des hommes en particulier, s’était révélée à nos yeux pour ce qu’elle était : une forteresse où l’on enfermait les petites filles pour qu’elles soient sages, avant de les lancer toutes crues, toutes nues, dans l’enclos de la foire.
Des tas de filles venues d’on ne sait où (et même si on le sait un jour, qu’importe ?) se sont liguées, liées, déliées ensemble pour se débarrasser du modèle d’armure encombrant et stérile qu’elles auraient dû revêtir avant d’oser arpenter les rues de la cité."
(Ce que l’histoire fait aux femmes, Multitudes 3/2010 (n° 42), p. 54-58).
Dans la dynamique de cette première manif à l'Arc de Triomphe, un groupe de militantes écrivent en mars 1971 un "Hymne" (des femmes, du MLF). Tant qu'à cultiver la symbolique, la musique est celle du Chant des Marais (7)...
Hymne
Nous, qui sommes sans passé, les femmes,
nous qui n'avons pas d'histoire,
depuis la nuit des temps, les femmes,
nous sommes le continent noir.
Refrain
Levons-nous, femmes esclaves
Et brisons nos entraves,
Debout ! Debout !
Asservies, humiliées, les femmes
Achetées, vendues, violées ;
Dans toutes les maisons, les femmes,
Hors du monde reléguées.
(R)
Seules dans notre malheur, les femmes
L'une de l'autre ignorée,
Ils nous ont divisées, les femmes,
Et de nos sœurs séparées.
(R)
Reconnaissons-nous, les femmes,
Parlons-nous, regardons-nous,
Ensemble on nous opprime, les femmes,
Ensemble révoltons-nous.
(R)
Le temps de la colère, les femmes,
Notre temps est arrivé
Connaissons notre force, les femmes,
Découvrons-nous des milliers.
N° double de partisans, juillet - octobre 1970 (Graph. JEA/DR).
NOTES
(1) Françoise Pics, Libération des femmes, 40 ans de mouvement, Ed. Dialogues, 2011, 529 p.
(2) Cathy Bernheim, Naissance d'un mouvement de femmes, 1970-1972, Ed. Félin Poche, 2010, 231 p.
(3) Emmanuelle de Lesseps, coauteure avec Christine Delphy et et Monique Piazza de Questions féministes, Ed. Syllepse, 2012, 1022 p.
(4) Christine Delphy, Un universalisme si particulier : Féminisme et exception française (1980-2010), Ed. Syllepse, 2010, 348 p.
(5) Christiane Rochefort, Oeuvre romanesque, Grasset et Fasquelle, 2004, 1493 p.
(6) Namascar Shaktini, On Monique Witting, Theoretical, Political and Literary Essays, University of Illinois Press, 2005, 288 p.
(7) Monique Witting, La pensée straight, Ed. Amsterdam, 2013, 135 p.
(8) Anne Zelensky, Histoire de vivre : mémoires d'une féministe, Calmann-Lévy, 2005, 404 p.
(9) En 1933, le "Chant des marais" fut composé au camp de Börgermoor (Basse-Saxe) où les nazis expérimentaient le système concentrationnaire. Trois des internés politiques ont signé ce Chant : Johann Esser et Wolfgang Langhoff pour les paroles ainsi que Rudy Goguel pour la musique.
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