MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

jeudi 16 février 2012

P. 118. Le 16 février 1885 : la police à l'enterrement de Jules Vallès

.
Son premier numéro salua la Commune : "Le Cri du Peuple". Annonce des funérailles de son fondateur, Jules Vallès (Doc. JEA/DR).

Rapport de police :
- "Le corbillard était de dernière classe." 

Moeurs policières d'hier ou de (quasi) toujours ???
La Préfecture de Police maintint Jules Vallès dans son viseur au-delà même de la mort. Un rapport de "surveillance" est rédigé le 16 février 1885, soit le jour même des funérailles du "farouche communard" (1), par un Officier de Paix. Ce dernier rend compte de l'enterrement au "Chef de la Police Municipale" (2). Un éclatant exemple de littérature flicarde rédigée dans le sens du vent attendu par la hiérarchie, avec manipulations et médiocrités à la clef...

- "Le convoi s'est engagé sur le pont [Sully] à 1h35 et il n'a quitté le Bd Henri IV qu'à 1h55 ; il lui a fallu 20 minutes pour faire un trajet qui n'a pas 900 mètres de longueur.
Il allait d'ailleurs à une allure beaucoup trop lente pour ne pas être préméditée.
(...)
Il y a donc eu grand concours de curieux sur le Bd Henri IV ; et comme le convoi était accompagné sur les trottoirs par beaucoup d'autres curieux, qui ont débouché avec lui du Bd Dt-Germain, il y a eu sur le Bd Henri IV, tant qu'a duré le défilé, une véritable foule, mais sans qu'il y ait jamais eu interruption de la circulation pour les piétons.
Quant au convoi proprement dit, il ne comprenait guère plus de 2000 personnes dont trop peu de femmes, et la plupart des gens qui le composaient avaient assez mauvaise mine, de même que ceux qui le suivaient sur le trottoir.
Le corbillard était de dernière classe. Derrière, on voyait une couronne d'immortelles rouge, une jaune, avec l'inscription : "A Vallès" ; et une couronne en immortelles jaune et mousse avec une cartouche portant cette inscription : "Les socialistes allemands à Paris" (...) puis venaient quatre drapeaux rouges ; l'un avec cette inscription : "10e Arrt. Vive la Commune" ; un autre : "19e Arrt" ; un troisième : "Libre-Pensée et socialistes du 16e Arrt, groupe Kléber" ; le 4e : "Les Athées de Clichy" ; enfin la bannière du Cercle "Les Egaux" ; et un drapeau noir.
Sur le cercueil, se voyait une couronne de fleurs, entourée de la ceinture de membre de la Commune.
Les bouquets d'immortelles portés à la boutonnière étaient relativement peu nombreux, le rouge y dominait."


Illustration d'Eloi Valat (3).

- "En résumé, l'ensemble du convoi était piteux, et les physionomies qu'on y remarquait peu faites pour rassurer les bourgeois qui les regardaient passer. Aussi si des cris, peu fournis, de "Vive la Commune et la Révolution Sociale !" éclataient de distance en distance derrière le corbillard, les curieux ne se gênaient pas pour y répondre par des exclamations contraires. Par exemple, sur le pont Sully, ils ont crié : "A bas et à l'eau les Allemands" ; ensuite sur le Bd Henri IV, ce sont de véritables clameurs qui ont retenti, surtout après avoir passé la caserne des Célestins, devant laquelle la bande du "Cri du Peuple" venait de hurler à la vue de quelques gardes républicains : "A bas les mouchards ! A bas la rousse !" et cela de manière à faire craindre une collision. Les cris de la foule ont été : "A bas les drapeaux rouges ! A bas la Commune ! A bas l'anarchie ! A bas les Allemands !
Puis comme le groupe de drapeaux rouges passait devant un tas de sable et de cailloux, ces matériaux ont été ramassés à poignées et jetés sur les drapeaux. Quelques-uns de ceux qui accompagnaient les porteurs de drapeaux se sont précipités alors sur un bourgeois et l'ont frappé.
(...)
La seule marque de sympathie que les révolutionnaires aient recueillie leur a été donnée par une partie des ouvriers occupés à une construction sise à l'angle de l'Ile-St-Louis."

C'est sur ces mots et une signature illisible que se termine ce rapport destiné enterrer dans le mépris Jules Vallès et à cracher à l'avance sur sa tombe...


Signature de Jules Vallès (Doc JEA/DR).


L'adieu d'Eugène Pottier (4) au "député des fusillés" :

- "Paris vient de lui dire : Adieu!
Le Paris des grandes journées,
Avec la parole de feu
Qui sort des foules spontanées.
Et cent mille hommes réveillés
Accompagnent au cimetière
Le candidat de la misère,
Le député des fusillés.

D'idéal n'ayant pas changé
La masse qui se retrouve une,
Fait la conduite à l'Insurgé
Aux cris de : Vive la Commune!
Les drapeaux rouges déployés
Font un triomphe populaire
Au candidat de la misère,
Au député des fusillés.

Car vous aimez les tâcherons
De l'idée et ceux qui la sèment,
Vous les blouses, les bourgerons,
Vous aimez les vrais qui vous aiment.
Dans votre geôle, verrouillés,
Vous receviez espoir, lumière,
Du candidat de la misère,
Du député des fusillés.

Votre député le voici,
Fronts ouverts par les mitrailleuses,
Fédérés hachés sans merci,
Ambulancières pétroleuses.
Voici, vaincus, foulés aux pieds,
Voici Varlin, Duval, Millière,
Le candidat de la misère,
Le député des fusillés.

Et vous les petits coeurs brisés,
A Vingtras formez un cortège,
Venez, vous, les martyrisés
De la famille et du collège!
Jusqu'au sang il les a fouaillés
Vos tyrans: le cuistre et le père,
Ce candidat de la misère,
Ce député des fusillés.

Creusant à vif, palpant à nu,
Ce robuste en littérature
S'est assis sur le convenu
Et pour calque a pris la nature.
Sanglots navrants, rires mouillés,
Il vécut tout: joie et colère,
Ce candidat de la misère,
Ce député des fusillés.

Malgré Bismarck et ses valets,
L'internationale existe
Et l'Allemagne offre à Vallès
Sa couronne socialiste.
A vous, bourgeois entripaillés,
A vous seuls il faisait la guerre
Le candidat de la misère
Le député des fusillés.

Il vient le jour de l'action,
Où la féroce bourgeoisie
Entendra, Révolution,
Crépiter un vaste incendie ;
Allumé par vous dépouillés,
Qu'il soit le bûcher funéraire
Du candidat de la misère,
Du député des fusillés." 

"Le Réfractaire", autre journal marqué par le talent de Jules Vallès (Doc. JEA/DR).

NOTES :

(1) Retrouver la chanson de Jean Ferrat, en cliquant : ICI.

(1) Rapport de police de novembre 1884.

(2) A lire : Bruno Feligni, La police des écrivains, 2e édition, Horay, 2011, 249 p.

(3) Eloi Valat, L'Enterrement de Jules Vallès, Ed. Bleu autour, Coll. d'un regard l'autre, 2010, 157 p.
Présentation par l'Editeur :
- "Après Le Journal de la Commune, L'Enterrement de Jules Vallès, par le même Eloi Valat. Ce 16 février 1885, cinq ans après l'amnistie et le retour des communards exilés, il y a foule entre le Quartier latin et le Père-Lachaise. Les amis pleurent. Des provocateurs sont éconduits. La police de la " République bourgeoise " encore chancelante se fait discrète. Le cortège funèbre réveille le spectre des insurgés, dont Vallès, avec son Cri du Peuple, fut et demeure la voix. Une journée particulière. A travers elle ressurgit une époque sous le trait heurté et les à-plats de couleur de l'auteur. " Eloi Valat, dit la préfacière, sait tordre les détails en les faisant parfois crier. " En regard, il donne à lire des textes écrits sur le vif par des fidèles de Vallès, des détracteurs aussi. Saisissants entrechoquements. Vallès est là, tout proche."

(4) Son "Internationale", dans la version de Jean Renoir pour "La vie est à nous", cliquer : ICI.

Mon encrier (Ph. JEA/DR).

Autres dates historiques au calendrier de ce blog ? Cliquer : ICI.



32 commentaires:

  1. en fait c'est surtout les assistants qu'elle venait surveiller la police - pour avoir cette surprise : c'étaient pas vraiment des bourgeois

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  2. @ brigetoun

    à propos de police politique, je proposerai une page le 22 mars prochain sur base des notes de Canler, chef de la Sûreté quelques années auparavant, c'est aussi éclairant que navrant...

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  3. Qu'est-ce que j'aimerais avoir été membre d'un mouvement qui s'appelait: "Les Athées de Clichy"...

    Quelle époque.

    J'ose pas dire merveilleuse !

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  4. @ Vinosse

    Ce n'était pas une époque de "jours tranquilles à Clichy"...

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    1. Parfaitement, d'ailleurs j'ai hésité à employer le mot "merveilleuse" au risque qu'il soit pris au 1er degré...

      Je voulais dire qu'on avait les mots pour dire haut notre opinion et que se proclamer athée aujourd'hui risque fort de nous faire couvrir d'insanités...

      Et pourtant... j'emmerde tous les curés et tous les prêtres du monde... sans exception de genre ni de style et de n'importe quelle fabrique.

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    2. @ Vinosse

      plus prosaïquement, je faisais allusion ou bouquin de Miller et au film de Chabrol...

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  5. je viens m'instruire un peu parce que Vallès pour moi c'est d'abord "l'enfant" qui m'avait absolument ahuri à sa lecture, j'étais jeune et n'imaginais même pas que de telles choses puissent arriver, j'ai fait quelques progrès depuis mais Vallès est resté comme un petit phare clignotant

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  6. @ Christophe

    l'écho prend son élan du Condroz vers la capitale : merci aussi...

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  7. @ Dominique

    vous le rappelez très justement, le fil rouge de Vallès commence par cet "enfant" présenté ainsi en 4e de couverture dans l'édition du LdP :
    - "Fils d'un professeur de collège méprisé et d'une paysanne bornée, Jules Vallès raconte : « Ma mère dit qu'il ne faut pas gâter les enfants et elle me fouette tous les matins. Quand elle n'a pas le temps le matin, c'est pour midi et rarement plus tard que quatre heures. » Cette enfance ratée, son engagement politique pour créer un monde meilleur, l'insurrection de la Commune, jules Vallès les évoqua, à la fin de sa vie, dans une trilogie : "L'Enfant", "Le Bachelier" et "L'Insurgé". La langue de Jules Vallès est extrêmement moderne. Pourtant l'histoire de Jacques Vingtras fut écrite en 1875 et c'est celle des mal-aimés de tous les temps !"

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  8. Époque je connais peu mais, comme Dominique, je me suis instruite; rêve de tout savoir, merci.
    Par contre la chanson de Ferrat, oui:
    Il y a cent ans commun commune
    Comme un espoir mis au charnier..
    Bonne fin de journée JEA.

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  9. "A tous ceux
    qui crevèrent d'ennui au collège
    ou
    qu'on fit pleurer dans la famille,
    qui, pendant leur enfance,
    furent tyrannisés par leurs maîtres
    ou
    rossés par leurs parents,
    je dédie ce livre."
    Jules Vallès, "L'enfant"

    "A ceux
    qui
    nourris de grec et de latin
    sont morts de faim,
    je dédie ce livre."
    Jules Vallès, "Le bachelier"

    "Aux morts de 1871.
    A tous ceux qui, victimes de l'injustice sociale,
    prirent les armes contre un monde mal fait
    et formèrent, sous le drapeau de la Commune,
    la grande fédération des douleurs,
    je dédie ce livre."
    Jules Vallès, "L'insurgé"

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  10. Gros plan sur l'Histoire. Merci pour ces mises en lumière de personnages et moments clés du 20e siècle.

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  11. @ Colo

    j'ai terminé les secondaires sans jamais avoir entendu un seul mot à propos de la Commune en murs scolaires...

    paroles de Georges Coulonges, chantées par Ferrat (une page promise) :

    - "Il y a cent ans commun commune
    Comme un espoir mis au charnier
    Ils voyaient mourir la Commune
    Ah ! Laissez-moi chanter Potier
    Il y a cent ans commun commune
    Comme une étoile au firmament
    Ils s'éteignaient pour la Commune
    Ecoute bien chanter Clément..."

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  12. @ Tania

    Synthèse du portrait de Vallès dans les archives de la Préfecture de Police :

    - "Homme de lettres; - très intelligent et très ambitieux ; - fit ses études à Paris, au Lycée Bonaparte et fut un élève très indiscipliné.
    Commença à écrire en 1857 ; - Se montra pendant longtemps dans les cafés du quartier Latin pérorant toujours contre l'ordre et la loi, espérant trouver dans un bouleversement social la fortune que son caractère débauché et paresseux ne lui permettait pas de demander à un travail régulier."

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  13. @ Danièle Duteil

    Un peu scaphandrier de l'histoire, ne remontant pas les mains vides à la surface...

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  14. Comme quoi la manipulation des faits a de tout temps servi les forces au pouvoir. Faut bien donner une chance à ceux qui ont l'habitude de suivre le cours des pensées dominantes de se faire une opinion !!!!,

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  15. @ saravati

    Léon Werth pour qui j'éprouve un attachement résistant à toutes les érosions, écrivait :

    - "Si un peuple ne réussit pas à vomir un gouvernement qu'il déteste, c'est qu'il ne s'enfonce pas son doigt assez profond dans la gorge..."

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  16. Merci JEA, j'apprends, j'apprends... mais dites-moi, en écoutant la chanson de Ferrat sur yt, des images défilent et un portrait de femme m'intrigue, qui est-elle ?

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  17. @ chère MH

    Louise Michel
    pour des documents et illustrations, la page 255 de l'ancien blog Mo(t)saïques :
    http://motsaiques.blogspot.com/2010/03/p-255-louise-michel-la-rebelle-sur.html

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  18. Aie, aie, aie, mes vieux neurones ! J'ai vu ce télé-film avec Sylvie Testud ! tout me revient, enfin sa période de bagne.
    Grâce à ce billet-ci, je situe mieux les origines de sa lutte. Merci JEA.

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  19. @ chère MH

    un site au nom de Louise michel :
    http://enjolras.free.fr/index.html

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  20. Toute l'horreur du XIXè siècle résumée en ce rapport

    "dont trop peu de femmes, et la plupart des gens qui le composaient avaient assez mauvaise mine". Ce trop peu est-ce un regret ? Et cette "mauvaise mine" ? Des malfras, à n'en pas douter. Un Javert en herbe, ce plumitif.

    Dans un livre d'Histoire, cette page serait édifiante à commenter...

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  21. Jea, merci. Quelle plongée. Je suis une fervente amie de Vallès. Dont je lis les trop rares livres au compte goutte pour en garder pour la suite de la route.

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  22. @ jeandler

    et l'actualité nous confirme que la CIA possède dans ses archives des rapports du même style et visant Charlie Chaplin...

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  23. @ Thaddée

    laissant le numérique où il est...
    force est de constater que depuis les 4 volumes publiés en 69-70 au Livre club Diderot
    aucun éditeur (Bouquins, Omnibus etc) ne nous offre les oeuvres complètes de Vallès
    (mais j'ignore sur des droits interviennent éventuellement pour Lucien Scheler)

    sans doute Vallès est-il encore et toujours stigmatisé comme trop sulfureusement révolutionnaire ?
    des amitiés précieuses comme la vôtre l'empêchent de trouver le temps trop monotone

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  24. Je vois seulement à l'instant votre "post" après avoir mis en ligne ce matin une chanson sur la Commune...

    Il est bien de revenir à certains événements historiques et de reprendre ainsi les perspectives remettant dans le droit chemin (au sens géographique du terme).

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  25. @ Dominique Hasselmann

    Et votre mise en ligne de ce matin m'a appris que depuis 1997, un Arrêté "autorise tous les habitants de Paris à ses servir de leurs cheminées..." Ce qui me laisse profondément perplexe. Mais peut-être des restrictions furent-elles imposées après guerre et après les abus d'un certain Landru ?

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  26. Oui, c'est vrai, qui a entendu parler de la Commune à l'école? Et qui a étudié "L'enfant" de Vallès? "Enfance" de Gorki?
    Par contre, qui n'a pas étudié et rabâché Pagnol et ses souvenirs d'enfance dès la 5°?

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  27. @ chantal serriere

    reste à voir si pendant la campagne électorale, le président candidat à rester himsel ne va le "récupérer" comme il n'hésita pas à le faire pour Jaurès ou pour Môcquet...

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  28. Il est bon de venir ici pour s'informer et combler les lacunes scolaires.
    Comme plusieurs d'entre vous l'ont déjà souligné, il y a des blancs dans l'enseignement très significatifs. L'Histoire est faire d'à-peu près, de silences et d'orientations bien conscientes.Il suffit d'avoir travaillé avec les éditeurs de cette matière pour en être convaincus.
    Merci pour cette page de notre Histoire réhabilitée.

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  29. @ Maïté/Aliénor

    Là je tire un peu par les cheveux du sujet (confusion entre Histoire et une histoire), mais cette citation me plaît tant que je ne vois pas pourquoi ne pas vous l'offrir sans plus tarder !

    Mario C. Sandoval :
    - "Cette histoire est une mouche mouche dans la bouche d'un caméléon
    et un caméléon dans la bouche d'un serpent
    et un serpent dans la bouche d'une grotte."

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