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Gabriel Chevallier, La Peur, Le Livre de Poche 31906, 2010, 409 p.L’auteur :
- "Gabriel Chevallier est né le 3 mai 1895 à Lyon. Fils de clerc de notaire, il entre aux beaux-arts à seize ans mais la guerre interrompt ses études. De retour à la vie civile, il exerce de nombreux métiers et publie un premier livre en 1929, Durand voyageur de commerce, et l’année suivante, La Peur. En 1934, Clochemerle, son quatrième titre, connaît le succès. Il publiera, jusqu’en 1968, près de vingt ouvrages. Il est décédé le 5 avril 1969 à Cannes."
(Le Livre de Poche).
4e de couverture au Dilettante :
- "Paru en 1930, ce livre, largement autobiographique et dont le titre était un défi, raconte la terrible expérience des combattants de 14-18 face à la férocité et l’inutilité de cette guerre. Au Dilettante, nous n’abusons pas des superlatifs mais il s’agit sans nul doute d’un chef d’oeuvre... Écoutons Jacques Tardi : « Tout le monde devrait lire et relire La Peur. »
(2008).
4e de couverture pour Le Livre de Poche :
- "Gabriel Chevallier, que l’on reconnaît sous les traits de Jean Dartemont, raconte la guerre de 1914-1918 telle qu’il l’a vécue et subie, alors qu’il n’avait que vingt ans. Le quotidien des soldats – les attaques ennemies, les obus, les tranchées, la vermine – et la Peur, terrible, insidieuse, « la peur qui décompose mieux que la mort ». Parue en 1930, censurée neuf ans plus tard, cette oeuvre, considérée aujourd’hui comme un classique, brosse le portrait d’un héros meurtri, inoubliable."
Roger Martin du Gard :
- "Voilà plus de trente ans qu’une exceptionnelle estime m’attache secrètement à ce livre."
(21 janvier 1956).
Pierre Scize :
- "La Peur de Gabriel Chevallier est un très beau, très vrai livre de guerre. Sa sincérité est totale, effrayante et parfois cynique."
(Le Canard enchaîné).
Bernard Pivot :
- "Un témoignage peut-être encore plus terrifiant que Le Feu d’Henri Barbusse et Les Croix de bois de Roland Dorgelès"
(Le Journal du dimanche, 2010).Marseigne. Monument 1914-1918 (Ph. JEA/DR).
La Peur, à partir de la page 227 :
- "Un soldat avait été traduit en conseil de guerre. Ce soldat s'était présenté au fourrier, pour lui demander un pantalon en remplacement du sien, déchiré. Les effets manquaient. Le fourrier lui tend le pantalon d'un mort, encore taché de sang. Haut-le-coeur du type, bien naturel. Le fourrier dit : "Je vous ordonne !" L'autre refuse. Un officier qui arrive exige que le fourrier porte le motif : refus d'obéissance. Conseil de guerre immédiatement (...).
Le colonel du régiment du prévenu me demande le général. Je lui donne et l'écoute machinalement : "Ici, colonel X... Mon général, le conseil de guerre a rendu son jugement dans l'affaire que vous savez, mais je tiens à vous consulter, parce qu'il me semble qu'il y avait des circonstances atténuantes... Le conseil de guerre a décidé de la peine de mort. La peine de mort, ne trouvez-vous pas que c'est véritablement trop dur, qu'il y aurait peut-être lieu de réviser ?..." (...)
Réponse du général : "Oui en effet c'est dur, c'est très dur... (Un silence, le temps de compter jusqu'à quinze.) Alors l'exécution pour demain matin, prenez vos dispositions." Pas un mot de plus.
- On l'a fusillé ?
- On l'a fusillé !"
(PP. 227-228).
Gabriel Chevalier a inclu dans son récit une histoire authentique.
Le 11 février 1915, Lucien Bersot, soldat du 60 Régiment d'infanterie, refuse le pantalon rouge plus qu'usagé qui lui est remis en remplacement de la seule "salopette" lui servant d'uniforme.
Le 12, pour ce refus, le fantassin est condamné à mort.
Le 13, il est fusillé !!!
Si la "justice" militaire a pu se montrer aussi expéditive, Lucien Bersot ne sera réhabilité qu'en 1922...
Le Crapouillot, août 1934, illustration de couverture : les fusillés pour l'exemple (Doc. JEA/DR).
Réhabilitation du soldat Bersot :
- "LA COUR ;
― Vu l’article 20 de la loi d’amnistie du 29 avril 1921 ;
― Au fond : Attendu que Bersot a été inculpé pour refus d’obéissance et traduit devant la conseil de guerre spécial du 60e régiment d’infanterie ; que la question suivante a été posée au conseil : " Bersot (Lucien), soldat à la 8e compagnie du 60e régiment d’infanterie, s’est-il rendu coupable d’avoir, le 11 février 1915, à Fontenoy, refusé d’obéir à un ordre donné par son chef, en présence de l’ennemi ? " ; que sur la réponse affirmative faite à cette question, Bersot a été condamné à la peine de mort par jugement du 12 février 1915, et passé par les armes le lendemain matin, 13 février ;
― Attendu que le jugement du 12 février 1915 a été , par arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, du 14 septembre 1916, cassé, mais seulement dans l’intérêt de la loi, par le motif que le lieutenant Auroux, qui a signé l’ordre de mise en jugement, a présidé le conseil de guerre, prenant ainsi part au jugement de l’affaire dont il avait précédemment connu comme administrateur ;
― Attendu que la chambre criminelle de la Cour de cassation est présentement saisie d’une demande de réformation du jugement du 12 février 1915, dans les termes de l’article 20 de la loi d’amnistie du 29 avril 1921 ;
― Attendu qu’il résulte de l’enquête à laquelle il a été procédé que Bersot, qui n’avait, au cours de l’hiver 1915, qu’un pantalon de toile blanc, dit " salopette ", en avait, à plusieurs reprises, réclamé un autre qui n’avait pu lui être fourni ; que le sergent-fourrier Boisson, en ayant récupéré un dans un cantonnement, le proposa à Bersot le 11 février, mais que celui-ci le refusa comme malpropre ; que, sur le refus persistant par Bersot de le prendre, et après lecture à celui-ci du Code de justice militaire, le sergent-fourrier en référa au commandant de la compagnie ; que celui-ci enjoignit à Bersot de prendre la pantalon et de le netoyer, mais que Bersot renouvela son refus, en suite de quoi le lieutenant André infligea à Bersot une punition de huit jours de prison pour refus d’obéissance ;
― Attendu qu’à la nouvelle de la punition infligée à Bersot, huit de ses camarades ont adressé au lieutenant André une réclamation collective, qui a été considérée comme une mutinerie et qui a entraîné la comparution de deux d’entre eux, Cottet-Dumoulin et Mohu, devant le même conseil de guerre, sous l’inculpation d’outrage à supérieur pendant le service ; mais qu’il résulte de l’enquête que Bersot, loin d’être, comme il a été prétendu, l’instigateur de cette demande, contraire au règlement, y est resté complètement étranger ;
― Attendu que tous les témoignages, recueillis au cours de l’enquête, sont unanimes pour établir que Bersot était un brave soldat, courageux, aimé et estimé de ses camarades ;
― Attendu que, dans les circonstances ci-dessus relatées, l’injonction adressée à Bersot par le lieutenant André ne peut être considérée comme ayant constitué comme un ordre de service donné pour l’accomplissement d’un devoir militaire en présence de l’ennemi, au sens de l’article 218, § 1er, du Code de justice militaire ; que le fait retenu à la charge de Bersot n’a point présenté les caractères constitutifs de ladite infraction ; que, par suite, c’est à tort qu’il a été déclaré coupable ;
Par ces motifs, réforme, dans l’intérêt du condamné, le jugement du conseil de guerre spécial du 60e régiment d’infanterie, en date du 12 février 1915 ; déclare que Bersot est et demeure acquitté de l’accusation du crime retenu à sa charge ; ordonne l’affichage du présent arrêt dans les lieux déterminés par l’article 446 du Code d’instruction criminelle et son insertion au Journal officiel ; ordonne également que le présent arrêt sera imprimé, qu’il sera transcrit sur les registres du conseil de guerre spécial du 60e régiment d’infanterie, et que mention en sera faite en marge du jugement réformé ;
― Et statuant sur les conclusions à fin de dommages-intérêts, …dit que la réparation doit être fixée : en ce qui concerne la veuve Bersot, femme Frère, à l’allocation d’une somme de 5.000 fr ; en ce qui concerne Marie-Louise Léontine Bersot, à l’allocation d’une somme de 15.000 fr, dont l’emploi devra être fait en rentes sur l’État français, immatriculées au nom de ladite mineure."
(Dalloz périodique 1922, Première partie : Cour de cassation, p. 228).
Ainsi Marie-Louise Léontine Bersot n'eût-elle plus à subir les stigmates cruels infligés à l'orpheline d'un père fusillé en 1915 pour avoir refusé un ordre devant l'ennemi. Alors qu'en réalité, un pantalon souillé fut payé de la peine de mort.
Joseph Pinard, agrégé d’histoire et ancien député PS du Doubs :
- "Avant de mourir, ses derniers mots furent «Marie-Louise ! Marie-Louise !», sa fille âgée de 5 ans."
(Libération, 11 novembre 2008).
A g. : Lucien Bersot.
A dr. : sa fiche militaire avec la mention mention manuscrite "tué à l'ennemi (fusillé réhabilité)".
(Mont. JEA/DR).
Annonce de la réhabilitation dans l'Humanité :
- "La société bourgeoise, qui a le cynisme de faire défendre ses privilèges par ses exploités, accumule les abus et les crimes. Il suffit qu’un voyou ait la manche et le képi ornés de passementerie pour avoir le droit de vie et de mort sur le troupeau encaserné. La dignité humaine, au nom de la sacro-sainte discipline, est piétinée. " Tu obéiras comme un cadavre ", telle est la discipline des jésuites. Telle est aussi celle des armées impérialistes.
Le cas de Lucien Bersot, du 60e régiment d’infanterie, illustre tragiquement cette impitoyable règle, honte de la civilisation.
Lucien Bersot, réclamait depuis longtemps un pantalon rouge à son sergent-fourrier. En vain.
En février 1915, revenant d’une attaque, Bersot renouvela sa demande auprès de son fourrier. Celui-ci finit par trouver un pantalon, qu’il fit remettre à Bersot.
Or, ce pantalon, qui avait appartenu à un mort, était maculé de sang. Le soldat tué, pendant sa courte agonie, avait en outre souillé ce vêtement déjà taché de son sang.
Lucien Bersot, on le conçoit aisément, et quiconque en eût fait autant à sa place, refusa de revêtir un pantalon aussi malpropre.
Une discussion s’engagea entre le soldat Lucien Bersot, qui avait raison, et son sergent-fourrier, qui avait tort. Mais il paraît que les galons rendent infaillibles les pires brutes.
Sur ces entrefaites, le lieutenant André arriva. Comment un homme, simple fantassin, ose discuter l’ordre d’un sergent ! Depuis quand la chair à canon peut-elle se permettre de prétendre à l’hygiène ? Sans l’ombre d’une hésitation, le mufle à deux galons somma Bersot d’accepter le pantalon souillé. Bersot ne pouvait décemment s’incliner devant cet ordre odieusement inhumain. Il opposa un nouveau refus.
Le lieutenant André, immonde brute, infligea huit jours de prison à Bersot.
Bersot accomplissait sa punition, et les choses en seraient peut-être restées là, si les amis de Bersot, justement indignés, n’avaient élevé une protestation collective.
L’incident arriva à la connaissance du colonel du régiment, le colonel Auroux (un nom qu’il faudra retenir). Celui-ci voulut lui donner de l’importance et faire un exemple mémorable. Il réunit en hâte une cour martiale.
Le régiment n’était pas en ligne, mais il était "alerté". Cela suffit aux officiers pour leur permettre de qualifier l’acte de Lucien Bersot de "refus d’obéissance en présence de l’ennemi".
Jusqu’à la dernière minute, Bersot ne pouvait croire à ce châtiment. Son agonie fut effroyable. L’infortuné pensait à sa femme, à la fillette adorée qu’il ne reverrait plus.
Après cet abominable assassinat, ses camarades élevèrent une véhémente protestation. Affolés, les officiers criminels réprimèrent sans mesure. Un des protestataires fut même condamné aux travaux publics!
Dès septembre 1918, la Cour de cassation cassa, pour vice de forme, la honteuse sentence de la cour martiale.
Hier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a déchargé la mémoire de Bersot de la condamnation prononcée contre lui.
Elle accorde en outre 5.000 francs à la veuve et 15.000 francs à la fille mineure de Lucien Bersot.
Mais celui-ci est bien mort. Et ses assassins ne sont pas inquiétés ! En passant devant sa tombe, ils peuvent même, selon un exemple illustre, se permettre de rire.
Et qui sait ? peut-être ont-ils obtenu de l’avancement !
Honte ? honte au militarisme qui rend possibles d’aussi atroces forfaits."
(L’Humanité, 14 juillet 1922).
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Réhabilitation du soldat Bersot :
- "LA COUR ;
― Vu l’article 20 de la loi d’amnistie du 29 avril 1921 ;
― Au fond : Attendu que Bersot a été inculpé pour refus d’obéissance et traduit devant la conseil de guerre spécial du 60e régiment d’infanterie ; que la question suivante a été posée au conseil : " Bersot (Lucien), soldat à la 8e compagnie du 60e régiment d’infanterie, s’est-il rendu coupable d’avoir, le 11 février 1915, à Fontenoy, refusé d’obéir à un ordre donné par son chef, en présence de l’ennemi ? " ; que sur la réponse affirmative faite à cette question, Bersot a été condamné à la peine de mort par jugement du 12 février 1915, et passé par les armes le lendemain matin, 13 février ;
― Attendu que le jugement du 12 février 1915 a été , par arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, du 14 septembre 1916, cassé, mais seulement dans l’intérêt de la loi, par le motif que le lieutenant Auroux, qui a signé l’ordre de mise en jugement, a présidé le conseil de guerre, prenant ainsi part au jugement de l’affaire dont il avait précédemment connu comme administrateur ;
― Attendu que la chambre criminelle de la Cour de cassation est présentement saisie d’une demande de réformation du jugement du 12 février 1915, dans les termes de l’article 20 de la loi d’amnistie du 29 avril 1921 ;
― Attendu qu’il résulte de l’enquête à laquelle il a été procédé que Bersot, qui n’avait, au cours de l’hiver 1915, qu’un pantalon de toile blanc, dit " salopette ", en avait, à plusieurs reprises, réclamé un autre qui n’avait pu lui être fourni ; que le sergent-fourrier Boisson, en ayant récupéré un dans un cantonnement, le proposa à Bersot le 11 février, mais que celui-ci le refusa comme malpropre ; que, sur le refus persistant par Bersot de le prendre, et après lecture à celui-ci du Code de justice militaire, le sergent-fourrier en référa au commandant de la compagnie ; que celui-ci enjoignit à Bersot de prendre la pantalon et de le netoyer, mais que Bersot renouvela son refus, en suite de quoi le lieutenant André infligea à Bersot une punition de huit jours de prison pour refus d’obéissance ;
― Attendu qu’à la nouvelle de la punition infligée à Bersot, huit de ses camarades ont adressé au lieutenant André une réclamation collective, qui a été considérée comme une mutinerie et qui a entraîné la comparution de deux d’entre eux, Cottet-Dumoulin et Mohu, devant le même conseil de guerre, sous l’inculpation d’outrage à supérieur pendant le service ; mais qu’il résulte de l’enquête que Bersot, loin d’être, comme il a été prétendu, l’instigateur de cette demande, contraire au règlement, y est resté complètement étranger ;
― Attendu que tous les témoignages, recueillis au cours de l’enquête, sont unanimes pour établir que Bersot était un brave soldat, courageux, aimé et estimé de ses camarades ;
― Attendu que, dans les circonstances ci-dessus relatées, l’injonction adressée à Bersot par le lieutenant André ne peut être considérée comme ayant constitué comme un ordre de service donné pour l’accomplissement d’un devoir militaire en présence de l’ennemi, au sens de l’article 218, § 1er, du Code de justice militaire ; que le fait retenu à la charge de Bersot n’a point présenté les caractères constitutifs de ladite infraction ; que, par suite, c’est à tort qu’il a été déclaré coupable ;
Par ces motifs, réforme, dans l’intérêt du condamné, le jugement du conseil de guerre spécial du 60e régiment d’infanterie, en date du 12 février 1915 ; déclare que Bersot est et demeure acquitté de l’accusation du crime retenu à sa charge ; ordonne l’affichage du présent arrêt dans les lieux déterminés par l’article 446 du Code d’instruction criminelle et son insertion au Journal officiel ; ordonne également que le présent arrêt sera imprimé, qu’il sera transcrit sur les registres du conseil de guerre spécial du 60e régiment d’infanterie, et que mention en sera faite en marge du jugement réformé ;
― Et statuant sur les conclusions à fin de dommages-intérêts, …dit que la réparation doit être fixée : en ce qui concerne la veuve Bersot, femme Frère, à l’allocation d’une somme de 5.000 fr ; en ce qui concerne Marie-Louise Léontine Bersot, à l’allocation d’une somme de 15.000 fr, dont l’emploi devra être fait en rentes sur l’État français, immatriculées au nom de ladite mineure."
(Dalloz périodique 1922, Première partie : Cour de cassation, p. 228).
Ainsi Marie-Louise Léontine Bersot n'eût-elle plus à subir les stigmates cruels infligés à l'orpheline d'un père fusillé en 1915 pour avoir refusé un ordre devant l'ennemi. Alors qu'en réalité, un pantalon souillé fut payé de la peine de mort.
Joseph Pinard, agrégé d’histoire et ancien député PS du Doubs :
- "Avant de mourir, ses derniers mots furent «Marie-Louise ! Marie-Louise !», sa fille âgée de 5 ans."
(Libération, 11 novembre 2008).
A g. : Lucien Bersot.
A dr. : sa fiche militaire avec la mention mention manuscrite "tué à l'ennemi (fusillé réhabilité)".
(Mont. JEA/DR).
Annonce de la réhabilitation dans l'Humanité :
- "La société bourgeoise, qui a le cynisme de faire défendre ses privilèges par ses exploités, accumule les abus et les crimes. Il suffit qu’un voyou ait la manche et le képi ornés de passementerie pour avoir le droit de vie et de mort sur le troupeau encaserné. La dignité humaine, au nom de la sacro-sainte discipline, est piétinée. " Tu obéiras comme un cadavre ", telle est la discipline des jésuites. Telle est aussi celle des armées impérialistes.
Le cas de Lucien Bersot, du 60e régiment d’infanterie, illustre tragiquement cette impitoyable règle, honte de la civilisation.
Lucien Bersot, réclamait depuis longtemps un pantalon rouge à son sergent-fourrier. En vain.
En février 1915, revenant d’une attaque, Bersot renouvela sa demande auprès de son fourrier. Celui-ci finit par trouver un pantalon, qu’il fit remettre à Bersot.
Or, ce pantalon, qui avait appartenu à un mort, était maculé de sang. Le soldat tué, pendant sa courte agonie, avait en outre souillé ce vêtement déjà taché de son sang.
Lucien Bersot, on le conçoit aisément, et quiconque en eût fait autant à sa place, refusa de revêtir un pantalon aussi malpropre.
Une discussion s’engagea entre le soldat Lucien Bersot, qui avait raison, et son sergent-fourrier, qui avait tort. Mais il paraît que les galons rendent infaillibles les pires brutes.
Sur ces entrefaites, le lieutenant André arriva. Comment un homme, simple fantassin, ose discuter l’ordre d’un sergent ! Depuis quand la chair à canon peut-elle se permettre de prétendre à l’hygiène ? Sans l’ombre d’une hésitation, le mufle à deux galons somma Bersot d’accepter le pantalon souillé. Bersot ne pouvait décemment s’incliner devant cet ordre odieusement inhumain. Il opposa un nouveau refus.
Le lieutenant André, immonde brute, infligea huit jours de prison à Bersot.
Bersot accomplissait sa punition, et les choses en seraient peut-être restées là, si les amis de Bersot, justement indignés, n’avaient élevé une protestation collective.
L’incident arriva à la connaissance du colonel du régiment, le colonel Auroux (un nom qu’il faudra retenir). Celui-ci voulut lui donner de l’importance et faire un exemple mémorable. Il réunit en hâte une cour martiale.
Le régiment n’était pas en ligne, mais il était "alerté". Cela suffit aux officiers pour leur permettre de qualifier l’acte de Lucien Bersot de "refus d’obéissance en présence de l’ennemi".
Jusqu’à la dernière minute, Bersot ne pouvait croire à ce châtiment. Son agonie fut effroyable. L’infortuné pensait à sa femme, à la fillette adorée qu’il ne reverrait plus.
Après cet abominable assassinat, ses camarades élevèrent une véhémente protestation. Affolés, les officiers criminels réprimèrent sans mesure. Un des protestataires fut même condamné aux travaux publics!
Dès septembre 1918, la Cour de cassation cassa, pour vice de forme, la honteuse sentence de la cour martiale.
Hier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a déchargé la mémoire de Bersot de la condamnation prononcée contre lui.
Elle accorde en outre 5.000 francs à la veuve et 15.000 francs à la fille mineure de Lucien Bersot.
Mais celui-ci est bien mort. Et ses assassins ne sont pas inquiétés ! En passant devant sa tombe, ils peuvent même, selon un exemple illustre, se permettre de rire.
Et qui sait ? peut-être ont-ils obtenu de l’avancement !
Honte ? honte au militarisme qui rend possibles d’aussi atroces forfaits."
(L’Humanité, 14 juillet 1922).
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oui un des très beaux livres produits par cette guerre (ce qui ne console pas) avec Barbusse et quelques autres
RépondreSupprimer@ brigetoun
RépondreSupprimertout Maurice Genevoix...
Ce livre est un livre rare dont on ne ressort pas indemne, en bonne lyonnaise je l'ai lu il y a longtemps dans une vieille bibliothèque disparue aujourd'hui, la bibliothécaire à l'époque m'avait dit : vous qui aimez l'histoire lisez donc ça !
RépondreSupprimerJe vais pouvoir le relire et le ranger à côté de " la mort de près" de M Genevoix
@ Dominique
RépondreSupprimerEt les gosses dans cette guerre de 14-18 ?
Le Seuil vient tout juste de sortir une étude qui faiasiat défaut jusqu'à présent :
- Manon Pignot, "Allons enfants de la patrie. Génération Grande Guerre"
Sur la boucherie effroyable que fut la grande guerre (grande, quelle ironie!) j'ai lu il n'y a pas longtemps "Dans la guerre" de Alice Ferney
RépondreSupprimerCe livre me marque encore...
Bonne journée à toi, JEA
Peut-on encore trouvé ce livre en bibliothèque ?
RépondreSupprimerMerci à toi JEA pour tout le travail que tu fais.
Amitiés Luc
La barbarie ajoutée à la barbarie.
RépondreSupprimer@L.D.H
RépondreSupprimeron peut le trouver enlivre de poche sur Amazon
intéressant de lire les commentaires de ceux qui l'ont lu!
http://www.amazon.fr/Peur-Gabriel-Chevallier/dp/2253127817/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1329134573&sr=8-1
@ cher Luc
RépondreSupprimerau temps plutôt éloigné de notre scolarité, G. Chevallier n'était pas inconnu des bibliothèques scolaires grâce à son Clochemerle
mais par contre "La peur" resta soigneusement écartée de nos intérêts juvéniles
ainsi que le précise Coumarine, cette édition en Livre de Poche est toujours en vente
cependant, si tu le permets, je demanderai à notre ami ND, de te remettre l'exemplaire qui ouvrit cette page
@ Coumarine
RépondreSupprimeret Jacques Tardi qui présente l'un de ses volumes les authentiques en ces termes :
- "C'ÉTAIT LA GUERRE DES TRANCHÉES n'est pas un travail "d'historien"... Il ne s'agit pas de l'histoire de la première guerre mondiale en bande dessinée, mais d'une succession de situations non chronologiques, vécues par des hommes manipulés et embourbés, visiblement pas contents de se trouver où ils sont, et ayant pour seul espoir de vivre une heure de plus, souhaitant par dessus tout rentrer chez eux... en un mot, que la guerre s'arrête! Il n'y a pas de "héros", pas de "personnage principal", dans cette lamentable "aventure" collective qu'est la guerre. Rien qu'un gigantesque et anonyme cri d'agonie.
Je ne m'intéresse qu'à l'homme et à ses souffrances, et mon indignation est grande... Il s'agit de notre Histoire, celle de l'Europe, et c'est à Sarajevo que commence le XX° siècle, celui de l'industrialisation de la mort. La "Première Guerre mondiale", une trouvaille qui semble avoir plu: les gaz ont ouvert des horizons, donné des idées, tout ça était très "moderne"... Toutes ces idées étaient déjà bien ancrées chez Cro-Magnon; cette brutalité, c'est l'homme qui la porte en lui. Seuls les moyens d'extermination se sont sophistiqués, et dans ce registre, nous devons tirer un grand coup de chapeau à la guerre de 14-18 !"
NB : et merci pour le coop de pouce à LDH
Pas encore lu, je l'ai "récupéré" dans la bibliothèque de maman et je compte bien le lire.
RépondreSupprimer@ la Mère Castor
RépondreSupprimerde Madame votre Mère ? belle hoirie...
Maintenant, la guerre se fait dans les rues des villes (Athènes, Thessalonique...), mais l'économie (ou le pouvoir financier) en reste le nerf caché ou pas.
RépondreSupprimerQuelle injustice l'affaire Bersot ! et des histoires comme cela il doit y en avoir des milliers. Mais c'est la totalité de la guerre qui est ABSURDE !! peu importe qui tue qui et pour quelle raison ! Autre livre sur le sujet : "Je serai fusillé demain" qui rassemble les dernières lettres des "patriotes" belges et français fusillés par l'occupant, (auteurs Emmanuel Debruyne et Laurence van Ypersele, chez Racine). Des lettres d'adieu où 'Je pardonne à tout le monde, amis et ennemis. Je fais grâce parce que l'on ne me la fait pas' et où les croyants se remettent à Dieu avec une ultime ferveur (l'accès au paradis est un espoir réel, car l'héroïque calvaire entraînera leur félicité céleste !!) mais "tous, croyants comme non-croyants, se préoccupent de la vie qui continuera sans eux sur terre" pour ceux qu'ils aiment et il faut lire les listes touchantes des objets qu'ils lèguent à leurs proches ... bref ces lettres sont interpellantes à plus d'un titre.
RépondreSupprimerLe livre "La Peur" est auto-biographique, d'une sincérité "désarmante" j'imagine, à lire donc car comme dit Dominique "La Peur" est toujours là.
@ Dominique Hasselmann
RépondreSupprimerles seuls marchands de canons fréquentables, sont ceux qui vendent des canons à confetti...
@ MH
RépondreSupprimerEn recoupant deux historiens rigoureux : J. Y. Le Naour et N. Offenstadt
il semble que le chiffre de 600 "fusillés pour l'exemple", dans les rangs de l'armée française, soit le plus fiable.
Pour s’en tenir à Le Naour, voici le lien vers son site Guerre 14-18 :
http://www.jeanyveslenaour.com/
Il a édité « Fusillés : enquête sur les crimes de la justice militaire », Larousse, 2010, 332 p.
4e de couverture :
- "Là-bas, aux abords de Souain, en mars par un froid matin, ils ont assassiné mon papa... écrit la petite Jeannette, dont le père, le caporal Maupas, est fusillé le 17 mars 1915. Fusillé aussi, François-Marie Laurent, pour ne connaître que le breton et n'avoir pas compris les ordres qu'on lui donnait en français. Fusillé, Jean Jaeglé, pour avoir porté presque le même nom qu'un espion allemand. Fusillés, les soldats de Verdun accusés par un médecin trop zélé de mutilations volontaires... De 1914 à 1918, plus de 2 300 soldats français ont été condamnés à mort, et 600 environ effectivement exécutés. Le plus souvent, dans un seul but : galvaniser l'énergie des troupes. Dans la plupart des cas, l'effet produit fut exactement inverse, l'écoeurement et l'indignation de leurs camarades éclatant au grand jour devant des condamnations aussi arbitraires. Alertées, informées et encouragées par les récits de ces compagnons d'infortune, parfois bien postérieurs aux faits, les familles ont cherché, dans l'entre-deux-guerres, malgré la honte qu'elles ressentaient et les pesanteurs administratives, à réhabiliter ces hommes morts pour rien. A travers archives et témoignages, cet ouvrage poignant de Jean-Yves Le Naour, historien reconnu de la Première Guerre mondiale, est un monument à la mémoire de cinquante victimes d'une machine militaire devenue inhumaine."
Oui, merci JEA pour ces références et ces données. C'est terrible les crimes de la justice militaire mais c'est la guerre qui est terrible ! C'est la guerre qui crée des monstres, intra et extra muros... et les fusillés par l'occupant sont aussi "des hommes morts pour rien"... pour reprendre Tardi, il n'y a pas de héros, que des hommes de Cro-Magnon dans cette lamentable aventure qu'est la guerre !! et puis, ça veut dire quio un patriote, une patrie à l'échelle de l'univers ??
RépondreSupprimer@ MH
RépondreSupprimerVotre indignation eut été un précieux soutien aux candidats objecteurs de conscience quand ils demandaient à accomplir un service civil plutôt que militaire en Belgique et qu'ils comparaissaient dans un contexte à tout le moins hostile...
On se fait mal à lire ce genre de livre...
RépondreSupprimerComme je suis en période "ICI MÊME", c'est parce que je venais de m'acheter tout Tardi (ou presque) et dont le livre cité plus haut... Puis le truc sur la commune... Un Manchette...
@ Vinosse
RépondreSupprimerLa Commune ? Ce sera la page de demain, jeudi 16...
La vie d'un homme estimée à 20 000 francs en 1918 !
RépondreSupprimerCela fait combien aujourd'hui? Avec les dévaluations successives, pas étonnnant que l'on ne respecte plus la vie de quiconque. La vie d'un homme mesurée à l'aune de l'argent !
@ jeandler
RépondreSupprimeret la jeune veuve stigmatisée au milieu une population au patriotisme exacerbé
sans moyens avec une gamine dont la scolarité dut prendre des aspects de calvaire, elle fille de "traître" au milieu des autres gosses
en 18, les cérémonies de la victoire et ensuite, l'inauguration du monument aux morts
puis les commémorations annuelles comment autant de rappels de la "honte" infligée à la famille du fusillé
jusqu'à cette réhabilitation en 1922 seulement
Encore un billet édifiant, l'affaire du pantalon est ubuesque !
RépondreSupprimerJe note l'auteur et le titre.
@ Tania
RépondreSupprimerSur l'ancien blog Mo(t)saïques, la page 24 rappelait les Carnets de Louis Barthas, soit ce tutoiement quotidien entre la mort et les poilus, loin des médailles et des communiqués mensongers :
http://motsaiques.blogspot.com/2008/09/p-24-en-champagne-1916-louis-barthas.html
une affaire bien connue de toute personne qui s'intéresse un peu à l'histoire de la première guerre "moderne" de notre triste histoire, mais qu'il est bon de voir ainsi expliquée dans tous ses détails pour en relever toute l'absurdité !
RépondreSupprimer@ MARIE
RépondreSupprimerune affaire que les images d'Y. Boisset déformèrent lourdement quant à la la finale : selon cette version fantaisiste, l'exécution est annulée mais l'ordre ne parvient pas à temps
ce qui représente un faux historique de dimension...