MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

jeudi 22 septembre 2011

P. 74. Septembre 1942 : Agnès Humbert au kdo de Krefeld

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Agnès Humbert,
Notre guerre, Journal de Résistance 1940-1945, Témoignage,
Collection Points, P2413, 2010, 345 p.

4e de couverture :

- "Agnès entend l'appel d'un « cinglé » à la radio un soir de juin 1940 : sur La BBC, de Gaulle exhorte les Français à ne pas se résigner. Aussitôt elle s'engage et participe à l'élaboration du réseau du musée de l'Homme, première forme de résistance à l'occupant. De la déportation à la lutte aux côtés des forces américaines, cette historienne de l'art va connaître un destin exceptionnel.
« Longtemps introuvable, souvent cité par les historiens, revoici Notre guerre. » L'Express."

Mot de l’Editeur :

- « Paris, 6 août 1940. Au portillon du palais de Chaillot, un écriteau indique que l'accès du musée est gratuit pour les soldats allemands. Cassou est dans son bureau, il a vieilli lui aussi... Brusquement je lui dis pourquoi je suis venue, je lui explique que je me sens devenir folle si je ne fais pas quelque chose pour réagir... Le seul remède est de nous grouper, une dizaine de camarades, pas plus. Nous rencontrer à jour fixe, pour nous communiquer des nouvelles, rédiger et diffuser des tracts, donner des résumés de la radio française de Londres. »
Agnès Humbert, historienne d'art, a quarante-quatre ans en 1940. Elle travaille au musée des Arts et Traditions populaires. Elle fait partie, avec Boris Vildé, Anatole Lewitsky, Jean Cassou et Yvonne Oddon, des fondateurs du tout premier mouvement de résistance en zone occupée, le groupe du musée de l'Homme.
Notre guerre, son journal, publié une première fois en 1946, est un extraordinaire document sur cette préhistoire de la Résistance où, dans la stupeur et l'abattement de l'été 1940, un groupe d'intellectuels se jettent à corps perdu dans la dissidence et, pas à pas, mettent en œuvre une action clandestine dont ils ignorent tout. En quelques mois, ces pionniers bâtissent une organisation très ramifiée qui est brutalement démantelée au printemps 1941. Le journal de résistance devient alors récit de prison, puis de bagne. Agnès Humbert y révèle une personnalité hors du commun, celle d'une intellectuelle engagée, femme d'action et de contacts, décrivant aussi bien ses rencontres avec Pierre Brossolette ou Honoré d'Estienne d'Orves que son quotidien exténué de travail forcé au milieu des ouvrières esclaves des bagnes hitlériens."

Agnès Humbert en 1930 (DR).

Résistante dans l'un des premiers réseaux, celui du Musée de l'Homme (1), Agnès Humbert est arrêtée à Paris le 15 avril 1941. Après une perquisition de son domicile, ellle est conduite dans les locaux de la Sûreté nationale, rue des Saussaies. Interrogée, battue puis mise derrière les barreaux du Cherche-Midi.
Le 27 août, transfert à la prison de la Santé. Puis Fresnes le 20 décembre 1941.
Agnès Humbert est condamnée, le 17 février 1942, à cinq ans de réclusion.
Le 31 mars, elle est déportée à la prison d'Anrath. Détachée à Krefeld, le 11 avril.

Kommando de travail forcé
à l'usine Phrix (2), filature de soie artificielle :
témoignage d'Agnès Humbert

Krefeld, septembre 1942.

Inspection :

- "Le directeur d'Anrath passe une inspection. Nous n'étions pas là. Il opère une fouille dans une autre équipe et, par malheur, trouve du chocolat dans un lit. L'Administration pénitentiaire ne nous fournissant pas de chocolat pour notre goûter, M. le Directeur en a conclu que la fille avait des accointances avec l'extérieur. Pour lui apprendre à être plus discrète, nous avons toutes bénéficié de quatre jours d'arrêts durs, sans paillasse et sans couverture.
Depuis quelques jours, nous avons une nouvelle camarade française que nous appelons Maman-Gâteau ou Maman Denise; elle a soixante-cinq ans, elle est bien malade (...). Les soldats anglais qu'elle a cachés chez elle sauront-ils jamais ce que cette femme souffre pour eux ?"
(P. 217).

Marquise des Poubelles :

- "Mes compagnes viennent de me trouver un nom : je suis la Marquise de la Poubelle... Tout nom a une origine. Le mien vient du fait que journellement, à l'usine, je vais "farfouiller" avec mon crochet dans le bac à ordures... J'y trouve des trésors : tissus de soie qui, coupés, feront des bandes pour nos doigts brûlés ; bouts de caoutchouc pour réparer nos tabliers, et même, une fois, un petit bout de tissu de laine qui me fera une pièce à mettre à la jaquette que Loulou (3) doit me laisser lorsqu'elle sera libérée..."
(p. 218).

Pas une goutte d'eau :

- "Il n'y a plus une goutte d'eau dans la maison (4). La "Concon" (5) hurle à tous étages ! Les cabinets sont bouchés et inutilisables. Naturellement, on trouve de l'eau dehors, mais sous sommes prisonnières. Dans les couloirs, dans les escaliers, on rencontre des seaux à confitures (taille trois à cinq kilos) ; ils sont placés là pour faire nos besoins. Lorsque les récipients sont pleins à déborder ou débordent, la gardienne se décide à accompagner la prisonnière qui va les vider dans une cour voisine. Bien entendu, nous ne nous sommes pas lavées depuis trois jours. Alors que la chaleur est à nouveau très forte, on nous interdit d'ouvrir aucune fenêtre (nous pourrions communiquer avec l'extérieur), aussi la maison "pue comme la peste" ; ce sont les Allemandes qui le disent."
(P. 219).

Dans la multitude des camps et de leurs kommandos : Anrath-Krefeld (Doc. JEA/DR).

Soins et travail de nuit : 

-"Les soins sont donnés par une prisonnière qui travaille à l'usine autant que nous, Gertrude. Dévouée mais bougon, la pauvre fille est elle-même éreintée et ne peut à peu près rien pour nos trois malades. Elle leur a apporté à chacune, aujourd'hui, une énorme portion de choucroute et semble scandalisée que personne n'en ait mangé !
(...)
Henriette (6) va mieux. Qu'a-t-elle eu ? Personne ne le sait. Elle est très faible, mais dès que la fièvre est tombée, elle et Amy sont renvoyées à la machine. Je les surveille de loin, toute la nuit. Elles font peine. On voit que leur tête tourne : il leur faut souvent s'accrocher à leur machine pour ne pas tomber."
(P. 220).

Aux philosophes :

- "Oh, les balivernes des philosophes, des philosophes qui ignorent ce que c'est que la faim, la soif, la maladie sans remèdes, sans repos, sans soins élémentaires, qui ne savent pas ce que c'est de ne pas avoir la permission d'aller aux cabinets, de manquer d'eau pour se laver, être poisseux de sueur, d'avoir la bouche mauvaise parce qu'on ne se brosse pas les dents, d'avoir des poux... Les philosophes ne savent pas tout ça, et ils viennent nous parler pédantesquement de la douleur morale pire que la douleur physique... Ici, nous subissons toutes les douleurs physiques, et les douleurs morales ne nous sommes pas épargnées non plus."
(P. 221).

Agnès Humbert fait face aux rigueurs impitoyables de Krefeld jusqu'au 19 octobre 1943, jour de son transfert au camp de Hövelhof. Elle reste derrière ces barbelés-là jusqu'au 30 août 1944. Départ alors pour le camp de Schwelm. Le 20 février 1945, nouveau transfert, cette fois pour Allendorf. Le lendemain, prison de Ziegenhaim. Le 5 mars, "évacuation" vers Wanfried où les GI la libèreront le 4 avril 1945.
Ce n'est que le 9 juin qu'Agnès Humbert se retrouve au camp de triage de Cassel. Elle franchit enfin la frontière française dans un camion américain le 11 juin 1945...

Dernier lieu d'internement d'Agnès Humbert (7) :

- "Nous parvenons à Wanfried (...). On nous installe dans une ferme-château (...). Une soixantaine de détenues allemandes s'y trouvent déjà. Elles nous apprennent que "Wasserburg" (c'est le nom du château) était un centre de Jeunesses hitlériennes ; Wasserburg a été récemment transformé en prison." (Doc. JEA/DR).

NOTES :

(1) 28 membres de ce réseau sont morts pour la France. Dont Anatole Lewitzky et Boris Vildé, fusillés. Deborah Lifchitz, elle, périt à Auschwitz.

(2) Rheinische Kunstseide Aktiengeselschaft (Rheika).

(3) Cette Belge trouva la jacquette dans le bac à ordures de l'usine. Le vêtement, troué et déchiré, n'a plus qu'une manche.

(4) Kölnerstrasse à Krefeld.

(5) Membre du part nazi, directrice de l'immeuble saisi à une famille juive.

(6) Henriette Delatte, de nationalité belge. Déportée pour avoir fait s'évader des prisonniers français.

(7) Agnès Humbert : Dieppe, 12 octobre 1894 - Paris, 19 septembre 1963.
Son portrait sur le site de la BBC 4 : cliquer ICI.

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6 commentaires:

  1. les philosophes qui ignorent ce que c'est que la faim

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  2. @ brigetoun

    Sam Braun :
    "Testament philosophique des anciens déportés d'Auschwitz"
    http://www.sambraun.com/article-testament-philosophique-des-anciens-deportes-d-auschwitz-43942974.html

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  3. Merci. (et noté... et donc, à lire pour moi).

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  4. @ Otli

    Sur la couverture de la dernière réédition : elle et son fils, Pierre Sabbagh (qui laissera ensuite son nom dans l'histoire de la tv française).

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  5. je viens prendre une belle leçon d'histoire autour de cette femme dont je connaissais rien, sa voix porte haut, une belle figure

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