MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 19 septembre 2011

P. 73. "Au revoir", le film

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Le flicage sans fin d'une femme iranienne (DR).

Synopsis :

- "Dans la situation désespérée de l’Iran d’aujourd’hui, une jeune femme avocate à qui on a retiré sa licence d’exercer, est enceinte de quelques mois. Elle vit seule car son mari journaliste reste dans la clandestinité. Traquée par les autorités, et se sentant étrangère dans son propre pays, elle décide de fuir..."

Interview de Mohammad Rasoulof par Olivier de Bruyn :

"OdB - Comment les autorités ont-elles réagi en découvrant « Au revoir », puis en apprenant qu'il allait être présenté à Cannes ?
MR - Je ne les avais évidemment pas prévenues et elles ne savaient rien du film. Mais l'un des représentants du ministère de la Culture était présent à Cannes. Et le lendemain de la projection, dans la presse iranienne, on pouvait lire que le film était un tissu de mensonges, que j'étais un traître et que j'avais tourné ce film pour accéder à la célébrité.
OdB - « Au revoir » a-t-il aggravé votre situation ?
MR - Ça ne se passe comme ça en Iran. Je ne sais d'ailleurs pas exactement comment ça se passe [sourire].
OdB - C'est-à-dire ?
MR - Le régime est imprévisible, on ne peut rien anticiper."
(Rue 89, 7 septembre 2011).

François-Guillaume Lorrain :

- "Une séparation va atteindre le million de spectateurs en France. On peut louer la qualité de ce film choral, mais dire qu'il ne dénonce pas le régime iranien : aurait-il été vu sinon par trois millions d'Iraniens ? Au revoir de Mohammad Rasoulof, présenté en son absence à Cannes, où il a obtenu le prix de la mise en scène (section Un certain regard), frappe bien plus fort. Rasoulof, le réalisateur, a été condamné à six ans de prison. Il a fait appel et, en en attendant le jugement, il a tourné Au revoir semi-clandestinement."
(Le Point, 6 septembre 2011).


Omniprésents, les yeux et les oreilles d'un régime pour lequel une femme ne peut que rester l'ombre d'elle-même (DR).

Sous une dictature,
la seule heure officielle
est celle de la terreur...

Louis Guichard :

- "La charge contre le pouvoir est telle qu'on se demande comment la commission de censure a pu valider un tel scénario. Avant le tournage, le réalisateur, Mohammad Rasoulof, a été arrêté pour « actes de propagande hostiles », ayant filmé les manifestations lors de l'élection présidentielle de 2009. Condamné à six ans de prison et vingt ans d'interdiction de tourner, puis libéré dans l'attente de son appel, il a envoyé clandestinement Au revoir au festival de Cannes, sans pouvoir faire le déplacement pour sa présentation, en mai dernier."
(Télérama).

Isabelle Regnier :

- "Au revoir est un film d'une noirceur totale, éclairé seulement par le beau visage de son actrice, Leyla Zareh. Elle joue ici le rôle d'une avocate très politisée et à bout de force, Noura, qui a décidé de fuir l'Iran pour refaire sa vie ailleurs. "Quand on se sent étranger dans son propre pays, souffle-t-elle, mieux vaut partir, et se sentir étranger à l'étranger." En retraçant la vie de ce personnage pendant les semaines qui précèdent son départ, le film montre avec une frontalité sidérante la manière dont la dictature s'immisce jusque dans les moindres détails du quotidien, dont la terreur bousille les relations humaines.
Le scénario, d'une cruauté terrible, met aux prises Noura, personnage d'une gravité héroïque, avec une petite galaxie de personnages secondaires, plus froids, plus durs les uns que les autres.
(…)
Sans cris ni brutalités, une mise en scène d'une radicalité et d'une intelligence rares fait exploser à l'écran l'essence de l'oppression politique. Quel que soit le décor, les murs sont de la même couleur, celle-là même qu'a fini par revêtir le monde aux yeux de Noura, gris terne, invariablement. Ils sont filmés en plan fixe, en accordant une grande importance au hors-champ. Simple, confiant dans la puissance d'évocation primaire du cinéma, ce dispositif exalte avec une force à couper le souffle la violence effarante contenue dans un contexte politique aussi délétère, dans le moindre son, dans le moindre geste."
(Le Monde, 6 septembre 2011).

Salomé Hocht :

- "La peur est quotidienne, les services secrets des visages familiers. Le film n’est fait presque que de ces dialogues de sourds, portés par une comédienne d’une grande force, Leyla Zareh.
Le numérique, qui donne cette image lisse, toujours bleutée, fut sans doute d’abord un choix économique, mais le réalisateur parvient à en tirer une force singulière : de même que l’oppression est constante, l’image est comme écrasée, sans profondeur, comme réduite à une expression minimale qui pourtant crie a chaque plan."
(Discordance, 14 mai 2011).


Leyla Zareh, femme cible vivante (DR).
 
Jérôme Beales :

- "Malgré un budget ridicule et des conditions de tournage difficiles, le long-métrage frappe par son intensité et la maîtrise de sa mise en scène. Pas d'esbrouffe ici mais une utilisation de cadrages serrés qui renforce le confinement de personnages dont le seul désir de liberté est déjà perçu par le régime comme un crime potentiel. Un désir de liberté porté par cette jeune avocate - brillamment incarnée par Leyla Zareh -, dont la volonté et la détermination forcent le respect. Au fil de plusieurs scènes éprouvantes, Rasoulof capte non seulement le climat d'oppression qui règne sur la société iranienne mais aussi la place dérisoire qui est laissée aux femmes. En dépit de quelques longueurs, Au Revoir attrape le spectateur du début à la fin grâce à sa mise en scène et à la puissance de sa narration. Une ode à la liberté à tout prix qui sonne également pour Rasoulof comme un véritable désir de cinéma. En espérant qu'il pourra continuer à exercer ce métier qu'il fait si bien..."
(Excessif).

Arnaud Hée :

- "Loin de la grande fiction résistante fédératrice et épique, Mohammad Rasoulof plonge son film dans un bain de glace. Ceci repose sur une mise en scène essentiellement basée sur la fixité et une photographie où tout semble se dérouler entre chiens et loups. L’effet est saisissant, les cadres rigides enserrent et étouffent le corps malmené de Noura, qui semble déambuler dans un entre-monde ; pas morte, elle n’est plus tout à fait vivante. On peut considérer que la situation du cinéaste (ou de ses proches) a pu nourrir et "documenter" cette représentation saisissante d’une entreprise de déshumanisation pernicieusement orchestrée par les autorités. Cette même logique se trouve à l’œuvre dans des rapports humains basés sur l’humiliation et le mépris, convoquant l’enfer d’une logique bureaucratique — qui a également cours dans les cabinets médicaux où l’héroïne affronte la question morale de l’avortement. Les relations interpersonnelles semblent avoir été anesthésiées, ne reste plus à Noura que la nécessité vitale du mouvement, et une froide détermination qui s’éloigne considérablement d’un romantisme révolutionnaire, mais qui, d’une façon perturbante et durable, rend palpable le drame de l’oppression."
(Critikat, 6 septembre 2011).

Eric Nuevo :

- "Sur ceux que l’enfermement spatial oppresse, « Au revoir » pourrait produire quelques angoisses, tant les lieux clos et les espaces réduits se succèdent. Un même angle de vue représente l’essentiel du champ englobé par le film : celui qui capte le salon de l’appartement de Noura. Dans une séquence qui voit des agents gouvernementaux venir sonder l’appartement, ceux-ci restent hors-champ, tandis que la caméra se contente de capter l’émotion peinte sur le visage de la jeune femme. En vertu de son titre, « Au revoir » est moins un film d’ouverture que de clôture : un champ de vision réduit au minimum, des pièces désespérément fermées, des personnages qui n’esquissent jamais le moindre sourire. La fiction est comme une valise que l’on remplit expressément avant le grand départ, après un minutieux inventaire de ce qu’il reste à prendre ou à laisser."
(Abus de Ciné).


Femme dont un régime veut éteindre la flamme (DR).

Ligue des Droits de l'Homme :

- "Nous voyons combien le régime iranien traite les femmes en mineures : pour toute démarche l’autorisation ou la présence du mari est demandée, mais quelques billets discrètement glissés font oublier son absence. Outre cette corruption qui se généralise, nous voyons aussi comment ce régime pervertit les rapports humains, où la suspicion est omniprésente et la solidarité de plus en plus absente. Ce film ne se veut pas politique mais tout dénonce le régime iranien."
(1 septembre 2011).

Guillaume Richard :

- "Rasoulof signe une film sur le questionnement moral d’une femme mise en face de ses propres choix. Par moment, le cinéaste iranien tisse des liens forts avec le cinéma des frères Dardenne. A l’instar de ceux-ci, la nécessité de faire le bon choix devient très vite un combat pour la survie. Plus que jamais, l’existence d’un film comme Au revoir, réalisé dans des conditions difficiles, confirme que le cinéma d’auteur a encore de très beaux jours devant lui s’il continue à s’opposer à toutes les formes de régime dominant."
(Lettres Persanes).
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14 commentaires:

  1. triste de penser qu'il ne sera pas vu dans son pays

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  2. @ brigetoun

    quand on est petit, on interroge les adultes pour tenter de comprendre comment et pourquoi ils ont pu "supporter" telle ou telle dictature...
    puis on devient grand, et à son tour, on s'entend poser de telles questions

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  3. "quand on se sent étranger dans son pays..." le drame de combien de personnes sur terre ?!

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  4. @ Lautreje

    Esquisse de réponse par René Char :
    - "Développez votre étrangeté légitime..."

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  5. Merci JEA pour cette présentation exhaustive. Déjà que j'ai une prédilection naturelle pour les films iraniens qui sont généralement aussi subtiles que profonds, je vais me précipiter pour le voir !

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  6. @ Euterpe

    Trois fois hélas, mais dans le contexte actuel, impossible de découvrir un cinéma iranien dont une ou des femmes soient réalisatrices...

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  7. ouaip ! il faut défendre le cinéma, le vrai : le cinéma humaniste, qui lutte, crie et vient bousculer notre petit confort bourgeois !!! merci de le faire ici...
    k.

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  8. @ k

    Jean Renoir, dont "la Complainte de la Butte" accompagna sur de nombreux blogs le départ de Cora Vaucaire, estimait :

    - "Il faut toujours laisser la porte du plateau ouverte, parce qu'on ne sait jamais ce qui peut y entrer."

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  9. Ce film m'a profondément touché, vers 15 ans j'ai eu l'occasion de me rendre à Berlin Est et à l'époque j'ai entendu une famille témoigner de l'oppression subie à l'époque, ce n'est pas en tous points comparable mais pourtant ce film m'a évoqué ce témoignage d'une peur permanente et même si les conditions sont différentes la souffrance elle a bien le même visage

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  10. @ Dominique

    Les dictatures imposent une seule pointure pour marcher au pas de leur sinistre jeu d'oie où chaque case est une prison...

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  11. Etonnant de voir qu'en France, où l'on ne peut dire que l'on vive sous une dictature, la frilosité des producteurs : combien de films sur la réalité sociale et politique actuelle ?

    Ce n'est pas "La Conquête" qui marquera dans le paysage, de ce point de vue !

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  12. @ Dominique Hasselmann

    Un salut néanmoins à un ami comme Jean-Pierre Thorn (malgré cette amitié, je finirai bien par ouvrir une page ici...)

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  13. La critique ici parle d'un "douloureux saut dans notre passé, encore si récent, et qui est leur présent".
    Ne rien oublier...vous y contribuez toujours cher JEA.
    Bonne journée.

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  14. @ chère colo

    ici, la météo valse hésite entre quelques brèves nostalgies de l'été et des curiosités aigües pour l'automne nouveau
    j'espère que par chez vous, elle se fait douce et attentive et prévenante aux convalescences

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