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Jules Renard,Journal, 1887-1910,
Robert Laffont, Coll. Bouquins, 1998, 1140 p. (1)
Présentation de l’Editeur :
- "Un bon mot vaut mieux qu'un mauvais livre." Jules Renard illustre la justesse de son propos tout au long de son Journal qui vaut une bibliothèque entière.
« J'ai le goût du sublime, et je n'aime que la vérité ». Cette réflexion, Jules Renard (1864-1910) l'a inscrite dans son Journal sous la date du premier janvier 1901, un journal qu'il a commencé à tenir une bonne dizaine d'années plus tôt et qu'il ne lâchera plus jusqu'à sa mort. Comme tous les timides, il répugnait à se confier aux autres. C'est son Journal qui lui sert de confident, d'interlocuteur, de complice. C'est à lui qu'il confie ses envies, ses doutes, ses craintes, par exemple celle des femmes : « Je les aime toutes. Je fais des folies pour elles. Je me mine en rêves. » Dreyfusard, anticlérical, antireligieux convaincu, il n'en est pas à une contradiction près : « j'ai l'esprit anticlérical et un coeur de moine. » Il avait la conscience amère, injuste et orgueilleuse de ses limites, mais aussi de ses qualités, celles des grands écrivains – l'humour, l'ironie, la poésie : « Les ironistes, ces poètes scrupuleux, inquiets jusqu'à se déguiser. » Portrait d'une époque et d'un milieu portrait, portrait d'une âme poétique jusqu'à la souffrance, le Journal de Jules Renard est un chef-d'oeuvre de la langue française et le témoignage d'un grand moraliste : « Je me fais une haute idée morale et littéraire de l'humour ». Cette édition a été présentée et annotée par Henry Bouillier, professeur émérite de l'université de Paris IV-Sorbonne et spécialiste réputé de la littérature du XXe siècle, de Segalen en particulier, dont il a publié deux volumes d'Oeuvres dans « Bouquins »."
Henry Bouillier :
- "Ne pas se tromper aux figures hautaines et silencieuses : ce sont des timides", écrit Jules Renard parlant de lui. Comme tous les timides, il répugnait à se confier aux autres. Son Journal lui sert de confident, d'interlocuteur, de complice. C'est à la mémoire des feuillets qu'il remet ses pensées les plus secrètes et les plus contradictoires. Ardent dreyfusard, il écrit : "Je suis écoeuré à plein coeur, à coeur débordant, par la condamnation d'Emile Zola (2)..." Mais il confesse ailleurs : "Nous sommes tous antijuifs. Quelques-uns parmi nous ont le courage ou la coquetterie de ne pas le laisser voir."
Il se répand en réflexions misogynes : "Si jamais une femme me fait mourir, ce sera de rire" ; "Dès qu'on dit à une femme qu'elle est jolie, elle se croit de l'esprit" ; "La femme est un roseau dépensant." Mais n'est-ce pas pour exorciser le chant des sirènes ? "Je les aime toutes. Je fais des folies pour elles. Je me ruine en rêves."
Anticlérical, antireligieux convaincu, auteur de La Bigote, au Journal il confie cependant : "J'ai l'esprit anticlérical et un coeur de moine."
Il avait une conscience amère, injuste et orgueilleuse de ses limites, mais aussi de ses qualités, celles des grands écrivains - l'humour, l'ironie, la poésie : "Les ironistes, ces poètes scrupuleux, inquiets jusqu'à se déguiser."
Portrait d'une époque et d'un milieu, peinture des naturels du Morvan, et par-dessus tout portrait d'une âme poétique jusqu'à la souffrance, le Journal de Jules Renard est un chef-d'oeuvre de la langue française et le témoignage d'un grand moraliste : "Je me fais une haute idée morale et littéraire de l'humour."
(4e de couverture).
Portrait et écriture de Jules Renard (Mont. JEA/DR).
1890
28 mai
- "Un rire triste comme un clown en habit noir."
2 juin
- "J'ai bâti de si beaux châteaux que les ruines m'en suffiraient."
(P. 52).
1891
- "Un mot d'Allais (3) : La nuit tombait, je me penchai pour la ramasser.
(...) Le crâne de Barrès (4), c'est un peu celui du corbeau d'Edgar Poe (5)."
(P. 77).
1893
- "Si le mot cul est dans une phrase, le public, fût-elle sublime, n'entendra que ce mot."
(P. 131).
1894
30 mai
- "Rodenbach (6) : une littérature de cave fraîche.
Ma littérature n'est qu'une continuelle rectification de ce que j'éprouve dans la vie.
Comme quelqu'un qui cherche fiévreusement dans un livre ce qu'il faut faire pour ranimer le noyé couché sur la rive."
31 mai
- "Une barbe rare, comme mangée par les grillons."
(P. 180).
1895
4 juin
- "La nuit, et le matin de bonne heure, dans les rues, les attelages de chiens qui font croire qu'un peuple de nains prend possession de la cité, vit et travaille pendant que dort la race des géants.
Bruxelles, c'est une capitale de province. Les bicyclistes y ont encre des trompes."
(P. 220).
Souvenir de Bruxelles et... de ses chiens (Graph. JEA/DR).
1896
26 mai
- "La vie est courte, mais comme c'est long, de la naissance à la mort !
(...) Des arbres morts tendent leur fin squelette la nuit."
(PP. 264-265).
6 juin
- "Des monuments de nuages se bâtissent là-bas.
(...) Vieille ferme, murs qui suent du sang noir de fumier."
(P. 266).
1897
29 mai
- "Un gros nuage, comme un paquet de linge sale."
(P. 325).
1898
28 mai
- "Mais, madame vous n'êtes pas vieille ! Vous êtes au soir de votre vie; et, le soleil qui se couche, ce n'est pas la vieillesse."
(P. 385).
2 juin
- "Le cimetière où, tant de fois, le village tout entier est venu se reposer."
(P. 386).
1899
2 juin
- "Il s'agit d'être non pas le premier, mais unique."
3 juin
- "Dans une carrière j'arrache avec mes ongles des cailloux polis : je ne construirai jamais rien."
(P. 418).
1900
2 juin
- "Ne la fais pas au saint laïc. Sois modeste. Si tu te crois supérieur, demande pardon à ton idéal. Fais le bien si tu peux, mais dis toujours : "Pardonnez-moi, même si je fais le bien : je ne sais jamais ce que je fais."
(P. 449).
1901
8 juin
- "Orage. Eclairs couchants. De longs, espacés, de vilains comme des araignées de feu.
(...) Ils laissent leurs femmes aller à la messe, comptant sur elles pour s'excuser quand le prêtre viendra à leur lit de mort."
(P. 525).
1902
1er juin
- "Motocyclette de course : une bête de noire ferraille, avec deux longues cornes."
(P. 596).
Signature de Jules Renard (Graph. JEA/DR).
1903
27 mai
- "Théâtre. Comédiens comme toujours dans l'eau comme des canards."
(P. 652).
29 mai
- "Au Bois. Il fait nuit. Notre ombre qui s'appuie contre un arbre nous fait peur.
(...) Chaque fois que le "Jules" n'est pas suivi du mot 3renard", j'ai du chagrin."
(P. 653).
4 juin
- "Réception de Rostand (7) à l'Académie française.
Mon cocher ne se presse pas.
- Ça ne vous excite pas, vous, l'Académie française ?
Il ne me répond même pas."
(P. 654).
1904
30 mai
- "Quand on cause avec un paysan, on s'aperçoit qu'on ne sait rien, ou que c'est comme si on ne savait rien, car on ne peut rien lui apprendre."
8 juin
- "Style pur comme l'eau est claire, à force de travail, à force de s'user, pour ainsi dire sur les cailloux."
(P. 711).
1905
30 mai
- "Il n'est pas nécessaire de mépriser le riche : il suffit de ne pas l'envier.
Je me promène à l'intérieur, sur mon lac d'ennui.
1er juin
- "Il me semble que mon amour pour la nature l'embellit : l'herbe me paraît plus verte qu'autrefois, et, les tuiles des maisons, plus roses."
(P. 768).
1906
30 mai
- "Dieu nous jette aux yeux de la poudre d'étoiles. Qu'y a-t-il derrière elles ? Rien."
1er juin
- "Je regarde la nature jusqu'à ce qu'il me semble que tout pousse en moi."
(P. 831).
1907
1er juin
- "A Chaumot. A l'école, tous les gosses se lèvent à mon entrée, sauf un : c'est le gréviste. Il reste assis, la tête sur son coude."
(P. 876).
3 juin
- "Glorieux comme un pavot unique dans un champ de luzerne."
1908
31 mai
- "L'architecte me dit qu'il aime beaucoup les voyages parce que ça dédouble."
(P. 929).
Illustration de Félix Vallotton pour "Poil de carotte" (DR).
NOTES
(1) La pagination des extraits renvoie à cette édition.
(2) Lire la page 108 de ce blog : "Zola, J'accuse !". Cliquer : ICI.
(3) Alphonse Allais (1854-1905). Proposa de raser la ceinture fortifiée de Paris pour la remplacer par des espaces de sable : "Paris-Plage"...
(4) Maurice Barrès (1862-1923). A encore de beaux restes comme maître à penser de la droite nationale en France.
(5) The Raven. Poème de Poe traduit par Baudelaire.
(6) Georges Rodenbach (1855-1918). Poète symboliste ami du sulfureux Namurois Félicien Rops.
(7) Edmond Rostand (1868-1918). A droit à la reconnaissance de celles et de ceux qui n'oublient pas le biologiste Jean Rostand, dont il fut le père.
Une ribambelle de citations très justes et très belles !
RépondreSupprimerUne dernière, pour la route, ce matin :
Supprimer- "L'art : pousser un peu du doigt la vérité."
longtemps eu le journal dans mes livres de chevet - aimais tant ce mélange de férocité et de gentillesse tendre
RépondreSupprimerla dent dure pour les précieux ridicules
Supprimerune tendresse natur-elle...
Attelages de chiens et bicyclistes ! Ma page du jour en commentaire.
RépondreSupprimer(Le cocher pour l'Académie : serait-ce son descendant chauffeur de taxi qui y emmenait François Weyergans ?)
chère Tania
Supprimerje vous laisse imaginer mon sursaut en lisant ces quelques lignes sur la capitale et en les reproduisant non sans malice à l'intention particulière de la plus Bruxelloise des nobles blogueuses...
vous êtes encore et toujours l'expert des citations! Cependant celles qui mettent en scène les femmes seraient à oublier!
RépondreSupprimerune preuve que la société ne stagne pas complètement
Supprimerà l'époque, seuls les hommes s’essayaient publiquement à l'humour
et les cibles féminines d'aujourd'hui relèvent plus d'un Zemmour...
Une excellent idée pour lire les journaux de nos écrivains : choisir un mois ou un jour au fil des années
RépondreSupprimerC'est un journal que je rouvre de temps à autre et après votre billet je sais que je vais le faire, picorer ici et là un peu de fiel, mais aussi un beaucoup de lucidité et repartir discrètement
j'avais tenté la même expérience avec Françoise Giroud et Jules Roy...
SupprimerJ'aime bien, entre autres, sa définition de la motocyclette...
RépondreSupprimeren la reproduisant, je repassais virtuellement devant une stèle du circuit motocycliste de Mettet...
SupprimerDélicieuses ces citations...celle du paysan à qui on ne peut rien apprendre m'enchante.
RépondreSupprimerPour les femmes, passons...
pour les femmes
Supprimerj'ai spontanément passé aux pertes d'une époque quelques passages passablement lamentables
mais sans me sentir autoriser à tout délaisser sous peine d'angéliser Renard
"J'ai l'esprit anticlérical et un coeur de moine."
RépondreSupprimerPas si difficile d'être anticlérical;-))
par contre avoir un coeur de moine, dans les tourments de la vie qui nous mènent trop souvent à la périphérie de notre être, voilà qui me touche fort
une autre forme de l'habit ne fait pas le moine
Supprimerla robe de bure peut n'être qu'un uniforme, un trompe l'oeil
le coeur et l'esprit, eux, ne relèvent pas des superficilités
n'empêche, j'ai gardé le souvenir d'une conférence du Père Pire répondant à l'une de mes questions en me classant en public et sans me connaître comme "mécréant", ce qui semblait, sans sa bouche, ne pas se limiter à une étymologie...
c'est très décevant ce que tu racontes là...
Supprimerun homme qui devrait (normalement) vivre les valeurs de l'Evangile...
d'autant que cette conférence reposait sur une initiative rassemblant catholiques et laïques
Supprimermais il était peut-être fatigué ou trop vieillissant ?
"L'amour de la nature qui l'embellit", j'aimerais bien que cela soit vrai ;-)
RépondreSupprimerMerci pour ces retrouvailles avec ce cher Jules Renard (tout le monde l'aime) à travers ces citations typées... et merci pour ce poing vengeur si bien tracé par Valloton !
Et cette cruelle évidence signée par un J. Renard qui fut interdit de vieillesse :
Supprimer- "Il n'y a que le temps qui ne perde pas son temps..."
Cette phrase est magnifique:Ma littérature n'est qu'une continuelle rectification de ce que j'éprouve dans la vie.Comme quelqu'un qui cherche fiévreusement dans un livre ce qu'il faut faire pour ranimer le noyé couché sur la rive
RépondreSupprimeret je vais aller vérifier bientôt si les chiens sont toujours aussi nombreux à Bruxelles!
la plus sensible des guides pour Bruxelles ? Tania dont le blog unique évoque en ce moment l'ancien Bruxelles se reflétant dans les yeux des peintres
Supprimermais avec Tania, ce seront les chats qui hanteront la capitale...
Je suis en train de lire le premier tome, trouvé par chance sur une brocante (trouverai-je la suite, mystère) J'aime beaucoup les Histoires Naturelles, beaucoup.
RépondreSupprimerLes PUF ont réédité ces Histoires avec des lithographies de... Toulouse-Lautrec :
Supprimer- "L'Ane, les Lapins, la Souris, le Crapaud. Sur le motif, Jules Renard a guetté patiemment ses proies. De sa plume alerte, il a épinglé grandes et petites bêtes dans leur environnement en des raccourcis pleins d'humour. Ses Histoires naturelles sont déjà célèbres quand un florilège en est publié dans une édition de luxe en 1899, illustrée de vingt-deux lithographies par Henri de Toulouse-Lautrec. Tiré à l'époque à cent exemplaires, très recherché depuis, ce bestiaire réunit l'auteur de Poil de Carotte et le portraitiste de La Goulue, qui s'admiraient réciproquement. C'est le chef-d'oeuvre de deux chasseurs d'images tour à tour ironiques et tendres, toujours vrais, qui rivalisent d'acuité dans le trait. L'exemplaire reproduit en fac-similé est aussi unique que prestigieux. L'écrivain l'avait dédicacé à son ami Lucien Guitry, qui appréciait les Histoires naturelles au point de les déclamer en public. Au fil des pages, en hommage au grand comédien, Renard a ajouté de sa main de nouvelles scènes cocasses d'animaux et même de végétaux, la plupart dialoguées. Sacha Guitry conserva jalousement ce précieux cadeau offert à son père. Le voici aujourd'hui accessible, restitué dans sa fraîcheur originale. Dans Passages d'encre (Gallimard, 2008), Edouard Graham a notamment étudié, sur des éditions originales, la pratique de la dédicace d'exemplaire entre grands écrivains français."
Je garde tout ... même sa supposée misogynie qui serait comme une grimace dont il nous livre ce qu'elle figure : "Ne pas se tromper aux figures hautaines et silencieuses : ce sont des timides",
RépondreSupprimerUn grand merci JEA pour toutes ces pépites, c'est bonheur !
le Journal d'un chercheur d'or(ties)...
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