MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

jeudi 21 juillet 2011

P. 54. Quand Mauriac évoquait de Brinon, Ferdonnet, Rebatet, Loustau, Hérold-Paquis, Marion...

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Pierre Cormary :

- "Après la publication sous l’Occupation de La pharisienne, François Mauriac aura l’honneur d’être traité d’« agent de désagrégation de la conscience française ». Ne lui reste plus qu’à devenir, sinon un héros, un résistant avisé et téméraire. Il adhère au Front national des écrivains, publie aux éditions de Minuit Le Cahier noir sous le pseudonyme de Forez, et devient un gaulliste inconditionnel. Au moment de l’Épuration, il plaide le pardon et la réconciliation et intervient plusieurs fois auprès du Général en faveur de collègues accusés de collaboration. Il sauve ainsi la tête du romancier-journaliste Henri Béraud (1), mais échoue à sauver celle de Robert Brasillach. Il quitte alors le comité national des écrivains qui est devenu un comité de communistes et se retrouve à L’Express puis au Figaro où il tient son célèbre « Bloc-notes ». Entre deux chefs-d’œuvre (Le sagouin, 1951, Galigaï, 1952) et des articles flamboyants d’intelligence comme on n’en écrira jamais plus, il lance La Table Ronde et Les Cahiers de la Table Ronde
dans lesquels des écrivains « de droite », futurs « hussards », signent leurs premiers papiers. En 1952, il reçoit le Prix Nobel de Littérature et accède au rôle de grand témoin de l’histoire et de la culture occidentale. Multipliant les engagements qui font toujours grincer les dents de sa famille (pour l’indépendance de l’Algérie et du Maroc, contre la torture en Algérie, pour Mendès-France, puis pour de Gaulle), il continue à publier jusqu’à sa mort – le premier septembre 1970."
(Le magazine des Livres, mars-avril 2009).

François Mauriac
Journal, Mémoires politiques
Edition établie et présentée par Jean-Luc Barré
Coll. Bouquins, Robert Laffont
2008, 1135 p.

4e de couverture :

- "François Mauriac a toujours pris le journalisme au sérieux. Il y avait dans chacune de ses chroniques quelque chose d'unique, un mélange électrique de talent et de coeur. La presse convenait à sa nature de grand bourgeois bordelais, catholique, moderne, chamailleur, curieux de tout et d'abord de sont temps. Il reste l'inventeur et le modèle d'un journalisme essentiellement solitaire, même si généreux et tourné vers les autres, soucieux de les convaincre ou de les affronter. Jean-Luc Barré a rassemblé ici les volumes successifs du Journal, ainsi que les recueils du Bâillon dénoué et des Mémoires politiques. Ces textes nous permettent de suivre l'écrivain dans son dialogue avec lui-même et dans la pluralité de ses engagements. Nous le voyons jouer de tous les registres de son talent et passer en "dix lignes", comme le disait Françoise Giroud, "du cri au murmure, de la colère au soupir, de l'actualité à l'éternel, du chuchotement à l'interpellation". Le temps a passé, mais la vigueur est intacte, les mots pétillent sous la cendre. L'épreuve du temps, impitoyable pour les médiocres, est toujours l'alliée des natures complexes. Mauriac ne cesse de s'élever au-dessus de lui-même, de ses foucades et de ses mots. "Ni homme de parti ni dignitaire d'aucun régime", comme l'écrit Jean-Luc Barré dans sa préface, il s'est contenté d'être le témoin assidu de son temps. Et il nous apparaît maintenant comme il fut sans cesse, en réalité, à contre-courant, dérangeant, irritant pour tous les conformismes. Irremplaçable."

Philippe Sollers :

- "Oui, Mauriac rajeunit bien. Vous le saviez déjà par l'extraordinaire «Bloc-notes». Mais vous le saurez encore mieux avec, dans la collection «Bouquins», son «Journal» (à partir de 1934) et ses «Mémoires politiques». Là, presque tout serait à citer, notamment dans le grand chapitre «La France et le communisme» (1945-1953). Dans la guerre de Mauriac contre l'Eglise stalinienne et sa machine à décerveler, ses cultes grotesques, ses crimes niés, son style est étincelant et terrible. Il combat l'Infâme en personne, on dirait Voltaire resurgi en cavalier du ciel. «Vous me croirez si vous voulez: un élève des bons pères comprend mieux que personne certaines réactions communistes.»
(Le Nouvel Observateur, 27 novembre 2008).

Augustin Trapenard :

- "La chronique mauriacienne y apparaît comme un genre à part entière, savant mélange d’anecdotes personnelles et d’actualité brûlante. Tel souvenir d’enfance ou séjour dans son domaine Malagar côtoie un fait divers qui est sur toutes les lèvres, une réflexion sur la guerre imprégnée de moralisme chrétien ou une critique virulente des blasphèmes d’André Gide. Entre les lignes de ces étonnantes confessions publiées dans nombre de périodiques ou de revues, Mauriac se pose non en acteur mais en spectateur privilégié de l’histoire collective - voire en « martyr », à la fois victime et témoin des tragédies du xxe siècle. Après la Libération, les éditoriaux du Figaro se concentrent sur ses préoccupations politiques, et l’admirable appareil de notes permet justement de saisir le fait historique, éclairant les dialogues musclés qui l’opposent à Drieu La Rochelle ou à Camus, comme le soutien qu’il apporte au général de Gaulle. De réquisitoires enflammés en brillants traits d’esprit, on suit l’itinéraire du « vieil académicien » comme le roman humaniste d’un engagement spirituel et politique."
(Le Magazine Littéraire, 1 décembre 2008).

Signature de François Mauriac (Doc. JEA/DR).

20 juillet 1945 (2)
Mauriac, Journal IV :
L'Europe n'offre pas d'issue aux collaborateurs...

- "Fernand de Brinon (3) et Ferdonnet (4), Rebatet (5), Loustau (6), Hérold-Paquis (7), Paul Marion (8), d'autres encore, ont été pris sans qu'apparemment la police eut à se donner grand mal. Le peu qui reste est traqué : aucun n'échappera (9). Que les pires coupables soient appréhendés, enfin, nous nous en réjouirions d'avantage si nous ne songions à ceux qui s'étaient ressaisis plus d'un an avant la défaite allemande, qui avaient refusé de chercher refuge chez l'ennemi ou en Espagne, qui se sont livrés eux-mêmes à la justice et qui ont été frappés aussi durement que vont l'être ceux-ci. Il est vrai qu'on peut admettre que la trahison ne comporte pas de degrés.
Ces dernières captures nous rendent sensible l'étroitesse de la nouvelle Europe. Comme disait à ce diplomate allié le maréchal Staline, en couvrant la carte de sa main : "C'est petit, l'Europe..." Oui, tout petit : ces malheureux, amenés en Allemagne dans les bagages de la Wermacht battue, comment n'ont-ils pu y découvrir en huit mois un trou de souris où se cacher ? L'aspect du vieux monde me fait rêver aux pêches miraculeuses de mon enfance, lorsque l'étang du moulin était vidé et qu'il n'y avait plus qu'à ramasser le poisson. Le fretin se sauve encore, grâce à sa médiocrité, à son insignifiance. Mais les gros, s'ils ne sont déjà pris, se savent repérés : on voit ici et là briller leurs écailles.
Encore des écrivains, encore des journalistes entraînés à leur perte, moins par l'appât de l'argent que par leurs idées, par cette passion idéologique qui résiste dans l'homme à toute sagesse. Il est étrange que tout leur esprit ne les ait pas aidés à se sauver. Le romancier que je suis, ou plutôt le lecteur de romans ne peut se retenir de songer : "Qu'aurais-je fait à leur place ?"
(...)
Dans l'Europe d'aujourd'hui, dans cette sorte de fond de mer asséché, nivelé, qu'elle est devenue, la justice poursuivant le crime n'a plus qu'à étendre la main."
(PP.332-333).

De haut en bas et de gauche à droite : Fernand de Brinon au procès Pétain, Paul Ferdonnet à son propre procès, Lucien Rebatet et Paul Marion (Mont. JEA/DR).

NOTES

(1) Remerciement élégant à Henri Béraud qui, en 1933, avait retiré sa candidature à l'Académie française en faveur de celle de Mauriac, élu ensuite au fauteuil 22.

(2) Autres pages consacrées à la date du... Cliquer : ICI.

(3) Fernand de Brinon (1885-1947). A partir de novembre 1940, assume la charge surréaliste d'Ambassadeur de France auprès des autorités allemandes... à Paris. Sera nommé secrétaire d'Etat lors de l'occupation de la zone dite "libre" en 1942. Représente officiellement Vichy à Paris.
S'enfuit avec les nazis en 1944. Préside le gouvernement en exil à Sigmaringen.
Condamné à mort en mars 1947 et exécuté en avril.

(4) Paul Ferdonnet (1901-1945). Se met au service des nazis dès 1934 en fondant une agence de presse à Paris et à Berlin, en réalité une officine de propagande pro-hitlérienne. Dès septembre 1939, émet depuis Radio-Stuttgart des émissions destinées à saper le moral des troupes et de la population française. Après la victoire allemande, persiste dans des bulletins quotidiens qui vont continuer à répandre l'idéologie nazie et à manipuler les informations sur le déroulement de la guerre.
Condamné à mort en juillet 1945, fusillé en août.

(5) Lucien Rebatet (1903-1972). S'autoproclamait fasciste, ce qui est incontestable. Sous l'occupation, l'un des piliers du tristement célèbre Je suis partout. Auteur des Décombres.
Après avoir grossi les rangs des exilés de Sigmaringen, fut condamné à mort en novembre 1946. Peine commuée en travaux forcés à perpétuité en 1947. Libéré en 1952. Reprit sa plume antisémite pour notamment Rivarol et Valeurs Actuelles.

(6) Robert Loustau. Auteur du programme économique et social de Parti Populaire Français du collaborateur Doriot. Directeur de cabinet de Pierre Pucheu (1899-1944), secrétaire d'Etat à l'Intérieur du gouvernement de Vichy, entre juillet 1941 et avril 1942.

Jean Hérold-Paquis à la tribune : "L'Angleterre, comme Carthage, sera détruite !"(DR).

(7) Jean Hérold-Paquis (1912-1945). Collaborateur rendu célèbre par ses chroniques militaires quotidiennes à Radio Paris. Propagandiste acharné au service des nazis et débordant de haine pour la résistance et la lutte des Alliés. Parti dans les bagages des occupants en retraite, continua ses chroniques radio en Allemagne.
Condamné à mort en septembre 1945, exécuté en octobre.

(8) Paul Marion (1899-1954). A partir d'août 1941, secrétaire d'Etat à l'information et à la propagande de Vichy. Autre fuyard de Sigmaringen.
Condamné à dix ans de prisonen décembre 1948. Grâcié en 1953.

(9) L'optimisme de Mauriac sera démenti par des exemples aussi célèbres que celui de Céline.
Lire page 7 : le procès de Céline.

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1 commentaire:

  1. Outre le fait qu'il prit la défense de Béraud ( grand merci ;-) et d'autres collègues, Mauriac semble heurté par la traque du "petit traître"... celui qui est un fervent catholique comme lui mais qui pour combattre le communisme prit la voie opposée, je me pose la question. Ce texte est étrange.

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