MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 16 mai 2011

P. 35 bis. Un ministre belge oublie qu'il a en charge la Justice !!!

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Stefaan De Clerck, ministre de la Justice (Caric. JEA/DR).

Aucune comparaison possible avec Robert Badinter dont "Les épines et les roses" furent évoquées sur la p. 33 de ce blog.
En 1986, voulant marquer la fin de sa vie politique, il prononça à Marseille un discours rappelant Zola :
"Un peu plus de justice sur cette terre nous aurait fait plaisir."
(P. 247).

L'actuel ministre belge de la Justice, vient ce week-end de jeter aux orties des milliers de jugements rendus au nom du peuple belge. Il marque clairement son choix de marcher au même pas et à la même musique du style "Horst-Wessel-Lied" que le Vlaams Belang dont une scandaleuse proposition de loi figure sur les pages 20 et 35 de ces Mo(t)saïques 2.

En résumé, le ministre retire quelques fagots de paille du bûcher sur lequel le VB veut brûler la Résistance. Pour nous enfumer. Avec un seul mot à la bouche : "oubli". Et attention, plus question d'histoire ni de mémoire, de devoir ou de travail. C'est trop infantile à l'estime du ministre.
Oubli donc. Mais à sens unique !
Etre adulte serait reprendre le vocabulaire nazi pour désigner les résistants sous les vocables de "terroristes", de "lâches", d'"assassins"... Tandis que les collabos récupèreraient à leur seul profit tous les honneurs, la gloire d'avoir servi le nazisme plus des indemnités sonnantes et trébuchantes.
Le ministre, grand homme d'Etat, prône la réconciliation : celle où les bourreaux et leurs affidés feraient taire une deuxième fois leurs victimes.
Enfin, il cautionnerait ce passage de la proposition de loi du VB insultant la Justice belge :
- "Des milliers de personnes [poursuivies pour collaboration] ont été condamnées sur la base de lois à effet rétroactif, ce qui constitue une violation flagrante de tous les principes de l’État de droit.
Des fraudes ont été commises systématiquement lors de la constitution des dossiers : les éléments qui plaidaient en faveur du prévenu étaient écartés. Les témoins de la défense étaient intimidés, menacés de poursuites ou n’étaient tout simplement pas autorisés à s’exprimer. Des milliers de témoignages accablants ont été fabriqués, bien souvent avec la complicité des magistrats.
C’est surtout le pouvoir des auditeurs militaires qui était démesuré et grotesque."

Nous en sommes là.

La croix gammée et le lion des Flandres... Image du film "Modus operandi" d'Hugues Lanneau (DR).

Stefaan De Clerck :

- "A un certain moment, on doit être adulte et prêt à en discuter. Et peut-être aussi à oublier, parce que c’est du passé. C’est nécessaire pour rétablir une société."

Christine Defraigne, libérale francophone (PRL), présidente de la commission Justice au Sénat :

- "La classe politique flamande dans son ensemble, à l’exception de Groen ! s’est associée aux thèses nauséabondes du Vlaams Belang, un parti d’extrême droite nationaliste, raciste et xénophobe.
Aujourd’hui, M. De Clerck, un homme politique que je respecte, critique mon propos mais c’est le monde à l’envers. Il n’est pas question ici de réconciliation nationale mais plutôt de division. Tout cela est non négociable, ‘onbespreekbaar’. Ce serait une insulte et une gifle à tous les patriotes morts pour des valeurs universelles, à toutes les victimes de la Seconde Guerre mondiale, à toutes les victimes de la Shoah."

Francis Delpérée, chef de groupe des catholiques francophones (cdH) au Sénat :

- "C’est la négation des faits alors qu’il y a eu des condamnations…
C’est chaotique, car Stefaan De Clerck, ministre de la Justice de surcroît, mêle des faits d’incivisme avec des crimes contre l’humanité, or le lien n’est pas évident… sauf à vouloir minimiser les premiers.
Ensuite, le ministre suggère l’oubli, alors que ce à quoi nous sommes plutôt invités c’est un travail de mémoire, le souvenir des patriotes et des résistants.
Nous pouvons pardonner, peut-être, à ceux qui regrettent, qui reconnaissent les faits, etc. mais parler d’oubli n’a aucun sens. Par ailleurs, nous n’appelons pas à la vindicte à l’égard des enfants et petits-enfants ; à leur endroit, l’Etat belge s’est souvent attaché à réparer un certain nombre de condamnations."

Philippe Mahoux, chef de groups des socialistes francophones (PS) au Sénat :

- "Entendre dire de la part d’un ministre de la Justice, censé savoir que ce qui a été jugé appartient à la vérité judiciaire, qu’il faudrait pouvoir remettre en question des condamnations pour collaboration, c’est aberrant et scandaleux.
Depuis jeudi, lorsque nous avons mis au jour cette proposition du Vlaams Belang, certains ont décidé de ranimer la confusion entre collaborateurs et résistants, et parmi les collaborateurs, nombreux ont été ceux qui ont livré des résistants, c’est abject.
Ce qui sous-tend la proposition du Vlaams Belang, parti d’extrême droite, à l’origine du débat, c’est le négationnisme de l’existence de la collaboration. C’est autre chose que de s’intéresser à quelques cas individuels qui subissent les conséquences liées à un passé familial…"

Jacky Morael, chef de groupe des écolos francophones au Sénat :

- "Le climat politique en Flandre est devenu extrêmement puant, malsain et antidémocratique.
Les déclarations du ministre De Clerck interrogent notre passé et notre actualité. Une certaine Flandre doit reconnaître qu’elle s’est fourvoyée avec l’occupant nazi, avec la Gestapo, qu’elle a permis l’arrestation de résistants, sous prétexte de faire avancer son projet nationaliste.
Par ailleurs, il y a l’actualité, celle de partis comme le VB et la N-VA qui mettent toute la classe politique flamande sous chantage et à cet égard, je dois saluer le courage immense de Groen, à part eux je ne vois plus aucun parti démocratique flamand qui résiste à cette pression terrible La situation est limpide, tous les partis flamands s’alignent sur le pape du Vatican flamand, Bart De Wever, seul le VB, en perdition, essaye encore de faire du bruit."

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15 commentaires:

  1. Bonjour JEA; ma chère amie Tania repartie, je lis vos 2 billets 35 et 35bis et les commentaires à la suite.
    Préoccupant est un mot bien faible, et je dirais comme Madame Defraigne, qu'il est des choses non négociables, nulle part.
    Merci pour ces indispensables alertes.
    (désolée pour la disparition de votre commentaire sur mon blog)

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  2. @ Colo

    Même ici, ma réponse a été gommée...
    La technique est bric à brac ces derniers jours.

    Heureux que votre amitié partagée se soit ressourcée sur votre île.
    Ici, ça commence vraiment à mal faire !
    Les flamingants veulent faire leur loi.
    Les historiens sont étiquetés globalement "malhonnêtes"...
    Moche printemps.

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  3. et est-ce que ce n'est pas un ministre en sursis, qui ne devrait s'occuper que d'assurer les affaires courantes, en plus ?
    pour le coup suis contente encore plus que Badinter sois français (il est en plus la meilleure réponse vivante à toutes les élucubrations sur l'intégration, étant le type même du français tel qu'on le voudrait)

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  4. @ brigetoun

    vous avez pleinement raison : SDC est ministre d'un gouvernement démissionnaire
    mais son parti catholique s'est allié avec les nationalistes flamands de la NV-A
    là le ministre en sursis mais chargé des affaires courantes, court après des électeurs très spécifiques

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  5. @ brigetoun (2)

    Comme en écho à votre commentaire, ce titre dans Le Soir à 13h :
    - "Pour le président du FDF Olivier Maingain, si le gouvernement n’était pas en affaires courantes, il faudrait à tout le moins un débat sur le maintien du ministre de la Justice Stefaan De Clerck dans ses fonctions après ses déclarations sur l’amnistie."
    NB : le FDF est le Front des Francophones allié avec les libéraux.

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  6. Merci JEA pour ces deux billets très clairs et clairvoyants. J'entends dire qu'amnistie n'est pas oubli mais où est la frontière ? et bonjour le révisionnisme, le négationnisme, l'accélération de la xénophobie, l'avancée du nationalisme et ses dangereux corrolaires !!
    De Clerck a dérapé, c'est le moins qu'on puisse dire, il prépare ses arrières et sa déclaration est nauséabonde.
    Merci pour "reine hart", coeur pur où es-tu ?
    Au secours !!!

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  7. On ne dira jamais assez à quel point la France a eu la chance d'avoir Robert Badinter comme ministre de la justice
    La dignité, l'élégance, la tolérance, la hauteur de vue, le courage ....bref quelques unes des qualités qui semblent manquer à M De Clerck et à bien d'autres

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  8. @ MH

    Stricto sensu, une "amnistie" marque l'arrêt définitif des poursuites judiciaires.
    La question ne pose pas en ces termes dans le Royaume. En 1971, il ne restait plus en prison qu'un seul incivique.
    Restent les crimes contre l'humanité, imprescriptibles eux, mais aucun collabo flamand et encore en vie ne risque ce genre de poursuites.
    Une "amnistie" supprime les condamnations infligées auparavant. Donc la mémoire des 108 Flamands exécutés pour collaboration après la libération, serait blanchie (avec interdiction de s'y référer encore). De même, il deviendrait extrêmement malaisé pour les historiens de rendre publics documents et recherches sur des personnes et faits couverts par une amnistie. Mais je puis vous attester qu'aujourd'hui déjà, le cadrage est très strict quant à une véritable "protection" des inciviques...
    "Amnistie" n'est effectivement pas synonyme d'oubli. Mais peut grandement servir à instrumentaliser celui-ci. Du moins, à mon avis qui n'a évidemment pas à faire "autorité".

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  9. @ Dominique

    C'est pourquoi ou malgré quoi, Gaudin le traita de "provocateur".
    Léotard de "cynique".
    Et d'Ornano de personne qui "rabaissait la France"...

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  10. Comment oublier toutes les horreurs, les crimes commis et la collaboration ? Non ! JAMAIS, ni oubli, ni pardon, il ne doit pas y avoir de prescription, nous devons lutter sans cesse contre le révisionnisme qui ne passera pas.

    Merci à tous vos lecteurs qui font l'éloge de ce courageux Monsieur Robert Badinter, si nous ne l'avions pas, il manquerait à la France
    "Liberté"

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  11. Quelle est la date du film "Modus operandi" ?

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  12. @ Dominique Hasselmann

    A la sortie - en Belgique - de ce documentaire, soit en 2008, je l'avais présenté sur un blog décrivant des recherches menées depuis 2002.
    Mais vous pourriez consulter un dossier pédagogique via ce lien :
    http://www.grignoux.be/dossiers/264/

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  13. @ Liberté

    Robert Badinter :
    - "J'étais cependant (...) détesté dans certains milieux. J'en eus un bruyant écho en mars 1984. Un malheureux chauffeur de taxi avait été assassiné par un voyou (...). La nuit même, après un rassemblement sur les lieux du crime, les chauffeurs décidèrent d'aller manifester devant la Chancellerie. Comme les clameurs habituelles "Badinter, démission !" s'élevaient (...), les policiers de faction expliquèrent aux manifestants que je n'habitais plus à la Chancellerie, et leur fournirent obligeamment mon adresse personnelle."
    (P. 181)

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  14. A toi il ne manque jamais les mots pour dénoncer... mais moi, devant la situation de ton pays, je reste souvent sans un mot devant tant d'absurdité et de "noirceur" (?).

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  15. @ le Blög d'Otli

    c'est qu'il faut à la fois tenter de compenser les non-dits de l'après-guerre et de résister au retour des négateurs
    sans pour autant céder aux provocateurs écrivant à votre propos des douceurs du genre :
    - "J'en ai marre des cons fauteurs de troubles et de rumeurs par le net. Les donneurs de leçons en matière de haine feraient bien de balayer devant leurs propres portes..."
    ou accusant globalement les historiens de "malhonnêteté" dans un bel élan de vulgarité populiste

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