MO(T)SAIQUES 2

"Et vers midi
Des gens se réjouiront d'être réunis là
Qui ne se seront jamais connus et qui ne savent
Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit ..."

Milosz

lundi 11 juillet 2011

P. 51. "Les amants de la Toussaint" - Juan Gabriel Vasquez

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Juan Gabriel Vasquez, Les amants de la Toussaint, Seuil, 2011, 201 p.

Présentation de l’Editeur :

- "Pas de Colombiens ni de Colombie dans ce recueil de 7 longues nouvelles, mais les brumes automnales des Ardennes belges. Juan Gabriel Vasquez, dont c’est ici le premier livre, a écrit ces histoires entre Paris et la Belgique, où il a séjourné pendant trois ans avant de s’installer définitivement à Barcelone. Le ton est intimiste, l’ensemble des textes s’inscrit dans la tradition du récit réaliste, et l’auteur s’attache à créer, à travers la psychologie de ses personnages, les paysages qui servent de décor aux histoires et les thèmes de l’amour et de la solitude, une atmosphère envoûtante, familière aux lecteurs français mais véritable tour de force littéraire s’agissant d’un écrivain appartenant à l’univers latino-américain. Un passionné de chasse partage pour une nuit le lit d’une jeune veuve qui veut se donner l’illusion que son époux est encore à ses côtés. Un vieux couple voit ressurgir un fantôme en la personne d’un ami qu’ils n’ont jamais cessé de fréquenter. Un homme qui vient de rompre avec sa femme, lui demande pourtant de jouer la comédie lors d’une visite à son père. Un magicien amateur et une riche bourgeoise enceinte ont un coup de foudre qui les mèneront tout droit au drame. Un riche héritier renonce à sa fortune et rencontre, le temps d’une nuit, une femme qui lui demande un étrange service. Juan Gabriel Vasquez procède par petites touches, s’attardant à consigner des détails d’apparence insignifiante, des sentiments flottants capables de changer le cours d’une existence, des coups de tête qui sont le fruit d’une vie remplie d’erreurs. D’un classicisme très abouti, ce jeune et déjà grand auteur colombien prouve qu’il est capable d’aborder avec un grand talent et une réelle force d’écriture des genres et des formes différents.
Né à Bogotá en 1973, Juan Gabriel Vásquez a fait ses études de lettres à la Sorbonne, puis a vécu en Belgique avant de s’installer à Barcelone où il collabore à plusieurs suppléments littéraires. Son premier roman, Les Dénonciateurs (Actes Sud, 2008), lui a valu une reconnaissance internationale immédiate. Histoire secrète du Costaguana a obtenu le prix Qwerty du meilleur roman en langue espagnole et le prix Fundación Libros y Letras de la meilleure oeuvre de fiction."

Jean-Baptiste Harang :

- "La clé du livre se trouve dans sa phrase ultime, sur cette page surnuméraire dont le lecteur, souvent, croit pouvoir se dispenser, la page des «remerciements» : «[...] un recueil de nouvelles doit être comme un roman dont les personnages ne se connaissent pas.» Vásquez dit tenir cette définition d’un maître du genre, Tobias Wolff, et elle lui va bien. Les personnages des sept nouvelles des Amants de la Toussaint ne se connaissent peut-être pas, mais ils pourraient bien. La plupart de ces histoires, écrites en castillan de Colombie, se passent dans les Ardennes belges, où l’auteur vécut, autour des mêmes villages, et il paraît peu vraisemblable que l’un ou l’autre ne se soient pas rencontrés au cours d’une partie de chasse, à fêter un mariage, à suivre un enterrement, à la friterie de Zoé. Le livre refermé, les survivants finiront bien par se croiser, dans l’étrangeté d’un monde de brume, de nuit, d’improbable, et de réel pourtant, qui nimbe l’entièreté du texte et lie les nouvelles éparses comme le joint, la mosaïque. L’autre clé du recueil est plus facile à retrouver, elle crève les yeux dès les premières phrases : «À l’époque, je ne sortais guère de Belgique. Je passais mon temps à observer les Ardennais et à partager leurs activités, puis j’essayais d’écrire ce que j’avais vu en perdant le moins de détails possible.» Cette attitude du premier narrateur sera la règle des suivants : dire ce que l’on voit dans les moindres détails, et ne pas juger, décrire sans état d’âme l’état des âmes de ses contemporains, et la vanité de la compassion."
(Le Magazine Littéraire, 20 mai 2011).

Modave (Ph. JEA/DR).

Un écrivain colombien,
une chasse en Condroz,
un suicide,
naufrages sur la terre ferme...

Extraits de la nouvelle : "Le locataire".

Route de Modave :

- "Ils traversèrent la route de Modave et prirent la direction d'Aywaille, marquèrent un arrêt du côté nord du bois pour faire descendre les rabatteurs - qui ressemblaient à des épouvantails modernes dans leurs gilets fluorescents - et leurs chiens, et leur permettre de prendre chacun position. L'espace d'un instant, l'air fut saturé des aboiements inégaux des bêtes et des cris de leurs maîtres qui hurlaient confusément leurs noms.
(...)
A l'autre bout du terrain, un étroit sentier permettait tout juste à la caravane de véhicules de circuler en file indienne, pare-chocs contre pare-chocs arrière. Il menait à un pâturage que les chasseurs devaient parcourir à pied pouir gagner leurs postes. Les barbelés qui délimitaient le chemin touchaient presque les portières de voitures."
(PP. 64-65).

Baptême de chasse :

- "Le jour des cinquante ans de Georges, on avait aussi célébré le baptême de chasse de Jean Moré, qui avait tué son premier sanglier dans la matinée. Charlotte avait organisé un repas avec les amis de la famille et quelques compagnons de chasse. La tête du sanglier reposait sur la pelouse, près de la souche d'un chêne. Devant l'insistance des chasseurs, qui intimaient à Jean de la porter, Georges finit par la soulever pour la lui poser sur la tête, comme un chapeau. Quelques gouttes de sang à peine s'échappèrent de la tête coupée, qui suffirent à baptiser Jean et à donner à sa chevelure l'aspect d'un placenta de vache."
(P. 67).

Rabatteurs :

- "Pour effrayer les proies, les pousser à abandonner la forêt et à s'offrir à la vue des chasseurs, chaque rabatteur avait mis au point un cri particulier et personnel qu'avec le temps Georges avait appris à connaître. Comme pour se lancer un défi à lui-même, il s'efforça de les distinguer. Ce ooooooooo accompagné d'un battement de mains était celui de Guillaume Respin; Frédéric Fontaine faisait bruisser les arbustes en y agitant une branche élaguée et criait ah-ah-ah-eeeee ; Catherine avait décidé puis longtemps de se passer d'onomatopées,
    - Dégagez, les bêtes ! Foutez le camp ! hurlait-elle."
(PP. 69-70).

Pendant l'affût, Jean s'est suicidé :

- "Les employés de la commune de Modave avaient mis plus de quarante minutes à arriver. L'ambulance, toutes lumières éteintes et sans sirène, avait surgi cinq minutes après. Pendant tout ce temps Georges n'avait pas bougé, debout dans l'herbe comme un torero, Jean blotti contre lui. La femme de l'état civil leur avait posé des questions auxquelles Catherine avait répondu comme à un oral d'examen. Ce n'est que lorsque le corps avait été prêt à être transporté que Georges avait senti pointer le mal de crâne dû au relâchement de tant de tension contenue. Catherine s'était approchée de Jean :
- Ils demandent si tu souhaites quelque chose en particulier ou s'ils peuvent l'emmener.
- Ce que tu peux être bête, parfois, avait-il répondu en se tournant vers elle."
(P. 76).



En illustration musicale, Grappelli :

- "Georges s'installa dans le fauteuil de velours vert, Charlotte alla chercher le disque de Stéphane Grappelli, celui que Xavier préférait. Après l'évoir entendu en concert à Liège en 1969, Georges avait abordé le violoniste pour lui demander un autographe. "A Xavier Moré", avait-il dit. Grappelli avait inscrit ces mots au marqueur noir sur la pochette.
Le saphir griffa le vinyle. La musique s'éleva, lointaine, comme autravers d'un rideau. Charlotte s'assit de l'autre côté de la cheminée et alluma le radiateur. La voir si distraite, s'efforçant de rester calme, bien que tiraillée entre ses sentiments et des fantômes vieux de vingt ans, procurait à Georges une sensation étrange, comme s'il était de trop dans sa propre maison.
- Tu sais pourquoi il a fait ça ? lui demanda-t-il.
- Ne me dis pas que ça t'intéresse, répliqua Charlotte."
(P. 81).

Est-ce ainsi que des hommes se suicident :

- "Etait-ce possible dans la réalité ? Les hommes se suicident-ils par amour dans la vraie vie, qui plus est pour un amour aussi ancien ? Il s'étonnait surtout du changement progressif qui s'opérait dans l'image qu'il avait de Xavier : il ne l'évoquerait plus jamais tel qu'il était; ces souvenirs avaient été souillés par le suicide. Georges admirait le courage de cet homme qui avait non seulement placé sous son menton un canon - traditionnel, Xavier n'avait pas succombé à la mode des canons juxtaposés -, mais avait vu une seconde plus tôt le reflet de sa propre mort dans celle de son chien sans renoncer pour autant au projet de se supprimer. Qu'un homme soit réduit à de telles extrémités par un amour déçu lui semblait incroyable. La frustration suit sa trace comme un chien flairant une odeur dans le sillage d'une proie (un loup par exemple) et finit par l'acculer."
(PP. 87-88).

Le passé :

- "Croire que le passé pouvait enterrer ses morts était innocent et naïf".
(P. 90).

Désormais, le fantôme du suicidé va séparer Georges de son épouse, Charlotte...

1615 : la chasse au sanglier sous les pinceaux de Rubens (DR).

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3 commentaires:

  1. Une allée où s'en aller, vers la lumière ?
    Merci pour Grappelli en ce matin bleu.

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  2. J'ignorais qu'il avait vécu en Belgique...il faut absolument que je le lise.
    "Histoire secrète du Costaguana" est magnifique.

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  3. Le sanglier de Rubens, le chapeau et la chevelure qui avait l'aspect d'un placenta de vache... brrrr, très terre ferme tout ça !!
    Je préfère la photo d'espoir sous ce ciel blanc et le magnifique morceau de violon, merci.

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